1 : En 1870 au collège de Harvard, deux étudiants, James Averill et Billy Irvine, se joignent aux festivités couronnant la remise solennelle des diplômes. Ils envisagent un avenir radieux consacré à l'amélioration du monde. Averill est amoureux d'une jeune et jolie fille.
2 : 1890. Des milliers d'émigrants venus d'Ukraine et d'Europe de l'est débarquent dans le Wyoming avec l'espoir d'y trouver du travail. Leur arrivée n'est guère appréciée par les éleveurs de la région et notamment par Frank Canton qui est persuadé que ce sont eux les voleurs de bétail qui déciment leur troupeau. Canton a loué les services d'un tireur d'élite, Nate Champion, pour supprimer ceux qui le gênent. Il a, par ailleurs, dressé une liste d'émigrants qui devront payer de leur vie leurs crimes répétés.
James Averill, marshall de la contrée et adversaire de la violence, s'éprend de Ella, une prostituée. Ella fait aussi la connaissance de Champion avec qui elle a une liaison et qui lui fait prendre conscience du danger que courent les émigrants. James Averill, avec l'aide de Ella, organise une résistance victorieuse jusqu'à l'arrivée de la garde nationale
3 : 1903 : Sur son bateau, Averill évoque amérement les évènements passés. Auprès de lui, vit la jeune femme du début, devenue la caricature de ses rêves déçus.
Même si le film prend des libertés avec la réalité historique, il raconte une histoire vraie : le massacre de paysans polonais immigrants dans le Wyoming par des tueurs à la solde de propriétaires fonciers, avec le feu vert des plus hautes autorités fédérales, à commencer par le Président des Etats-Unis lui-même. Les personnages ont réellement existé : James Averill, shérif du comté de Johnson (où vivent les immigrants), Nathan Champion, tueur à gage à la solde de l'association de propriétaires fonciers, mais qui se rendra compte peu à peu de l'ignominie de la cause qu'il défend, enfin Ella Watson, tenancière de bordel.
Le film commence par un prologue, les cérémonies de fin d'année universitaire à Harvard en 1870. Les membres de la classe 70 feront des choix opposés lors du conflit entre propriétaires fonciers et immigrants. James Averill "trahit" sa classe en défendant ses administrés polonais tandis que ses condisciples restent fidèles à leur origine aristocratique et programment le génocide de la "racaille" immigrée.
Ce prologue est aussi une "ouverture" au sens musical. Le thème de la danse y est introduit : à la séquence de valse des cérémonies de fin d'année à Harvard répondront les danses folkloriques polonaises du centre du film. D'autre part y sont aussi introduits des motifs visuels récurrents comme les mouvements de caméra circulaires ou semi-circulaires : jeunes couples du début suivis par une caméra virevoltante, calèche décrivant un arc de cercle auxquels feront échos les évolutions en cercle des patineurs, l'encerclement par les immigrants de l'armée des mercenaires, puis la chevauchée en cercle de la cavalerie autour des survivants.
Beaucoup de critiques ont remis en cause la vraisemblance de la scène de danse de La Porte du Paradis, s'étonnant de voir ces immigrés, qu'on nous présente par ailleurs comme pauvres et faméliques, se trouver comme par enchantement munis de patin à roulette et évoluant sur la piste de danse avec une gracieuse insouciance. Cimino a rétorqué violemment à ses détracteurs que cette scène est conforme à la réalité historique :
" c'est inimaginable, il y a des gens pour croire que cette scène avait été faite à cause de la mode du patinage ! Ils ont refusé d'accepter le fait que cette activité existait, à cette période, et que souvent les conducteurs de bestiaux sortaient de la piste, se saoulaient, et se mettaient à patiner(....). C'était une activité très populaire. Ils ne comprennent pas : "si ces gens étaient si pauvres et si opprimés, pourquoi se permettaient-ils de danser ?" Mais qu'est-ce que ces gens peuvent faire d'autre : Ils n'ont pas l'argent nécessaire pour d'autres distractions. C'est vrai encore aujourd'hui, dans le monde entier. Dans les Favelas de Rio, à la Bocca de Buenos Aires, que font les pauvres le week-end ? Ils dansent bon dieu, c'est de là que viennent ces danses, et pas des classes supérieures. J'ai été absolument stupéfait, atterré, de voir que ce genre de critique pouvait exister. Vous leur montrez des paysans du Nouveau Monde : ils demandent à les voir ramper, et non de s'amuser. Vous leur montrez une classe opprimée : ils demandent à voir des gens qu'on opprime à chaque seconde du film. C'est consternant".
L'argument pourrait laisser penser qu'il s'agit d'un film politique : en fait, d'après l'aveu du réalisateur lui-même,
"Je ne le crois pas comme un film politique (...) Je n'aime pas spécialement la politique. Ce ne sont pas des histoires concernant la politique, mais des histoires sur des gens pris dans des événements quelles qu'en soit les raisons" .
Ce que Bertrand Tavernier et Jean-Baptiste Coursodon disent à leur manière :
"si le film à des prétentions à la fresque sociales et même au commentaire politique, la vocation lyrique et romantique de Cimino est trop prépondérante pour qu'il puisse s'astreindre à une analyse rigoureuse des données sociales qu'il utilise".
Ce qui a aussi dérouté les critiques est le refus, par Cimino, de toute psychologie facile. Le film suit un trio amoureux, Averill, Ella et Nathan, sans que la nature exacte des sentiments ou de l'amitié que ces personnages éprouvent l'un envers l'autre soit explicitée. "On ne comprend pas qui aime qui", se plaignait Pauline Kael dans sa critique.
Au bout du compte, derrière l'immense fresque sociale, on se demande si le vrai sujet du film n'est pas la peur de vieillir et le temps qui passe. A preuve le slogan qu'avait choisi Cimino pour le film : "ce qu'on aime dans la vie, ce sont les choses qui s'effacent". Cimino, commentant le court épilogue du film (on y voit un Averril vieilli et ayant fait retour dans sa classe d'origine, dans un yatch, donner du feu à une aristocrate qui tends sa cigarette avec une lenteur catatonique), déclare :
"oui, c'est un film sur le temps qui passe, et sur un homme qui reflechit sur le temps qui passe, sur son voyage, son passé. Souvent, il nous semble à peine possible d'avoir vécu tant de choses, et d'être encore en vie, d'avoir survécu. Comment ai-je pu traverser autant de remous, tant d'événement, rencontrer tant de gens, tant de choses, qui se pressent dans un pan du temps qui me parait si court ? Comment en suis-je arrivé là, comment suis-je parvenu là où je suis, comment et pourquoi ai-je survécu ? Qu'est-ce qui est vrai dans tout ça, et en quoi est-ce que je brode ? Quel est la part de réel dans les rapports avec les autres, étaient-ils plus ou moins imaginaires ? Est-ce que ma vie s'est vraiment déroulée comme dans mon souvenir ; si elle a été différente, quelle était-elle ? C'est le genre de question qu'on se pose, quand on pense à son passé. C'est presque comme si tout le film consistait en flash-back à partir de sa méditation de la fin, sur le bateau. C'est quelqu'un qui s'est senti poussé à faire ce qu'il croyait juste ; au début de sa vie, il se sent obligé de faire ce que le Révérend Gordon (Joseph Cotten) lui propose : agir de façon responsable, bien travailler, avoir une vie utile, se conduire selon les règles, donner à son pays son cur et sa tête. A la fin, il n'est pas sûr de ce qu'il a fait, il se pose beaucoup de questions sur ce qu'il a vécu ; il est de nouveau attiré vers ce qui lui est familier, il retourne vers sa classe d'origine ; comme le dit Fitzgerald, il opère un repli sur son argent (...).Il lui paraît tout à fait impossible, à ce moment là, sur le bateau, que tout cela ait pu arriver : plus il y pense, plus le mystère grandit à ses yeux. Tous ces gens sont littéralement partis, en fait, ce n'est pas comme s'ils étaient encore en vie ; ils sont partis, tous ; et cela amplifie l'impression d'irréalité de ce moment là : il est impossible de revenir, de les voir, de leur parler, de leur poser des questions...."
Là encore, Tavernier et Coursodon ont très bien vu la dualité du film, qui est à la fois :
"une épopée immense et, cachée dans ses replis, une méditation intimiste et contemplative sur les ambiguïtés du sentiment, la difficulté d'être, le passage du temps. Jouant ses deux projets l'un contre l'autre, Cimino fait d'une épopée sur la naissance d'une nation un discours sur la mort, le regret et le deuil".
La restauration numérique de La Porte du paradis a été réalisée par The Criterion Collection, sous licence de MGM, avec le soutien de Park Circus et de Colorworks. La Porte du paradis a dabord été distribué dans une version de 219 minutes, sortie en 1980 sur un petit nombre de copies 70 mm, avant dêtre réduit à 149 minutes et diffusé de façon plus large en 1981. Le négatif original ayant lui-même été raccourci au cours du procédé, il ne pouvait servir de base pour cette restauration de la version longue. Heureusement, avant dêtre retouché, le négatif avait été préservé sur des matrices de séparation des couleurs JCM, cest-à-dire des éléments de sauvegarde correspondant à chacune des trois couleurs de la pellicule : jaune, cyan et magenta. Ces matrices ont été scannées à une résolution de 2K chez Colorworks à Los Angeles, puis réassemblées numériquement afin de reproduire les couleurs du négatif original. À partir de ces éléments scannés, Michael Cimino a pu créer la présente version de 216 minutes. Le carton et la musique dentracte ont été retirés et quelques scènes ont été rafraîchies au montage. The Criterion Collection a effectué des travaux supplémentaires pour corriger les couleurs et supprimer complètement les poussières et rayures, et a restauré la bande sonore à partir du mixage 6 pistes magnétiques. L’intégralité de l’étalonnage ainsi que de la restauration de l’image et du son a été directement supervisée par Michael Cimino.
Sources : 15 ans de cinéma américain : 1979-1994
(interviews de Cimino par des journalistes des "Cahiers du Cinéma"
en 1982 et 1985)
50 ans de cinéma américain ; Bertrand Tavernier, Jean-Baptiste
Coursodon (notice sur Michael Cimino).