Jour glauque pour l'étage des courtiers de la Banque : un cabinet d'audit est chargé de licencier sur le champ les trois quarts des analystes financiers. Eric Dale, patron du département de la gestion des risques est débarqué sans ménagement. Bureau vidé à la hâte, travaux en cours laissés tels quels, c'est à peine si Dale a le temps, avant de quitter le navire, de glisser une clé USB à l'un de ses collègues, Peter Sullivan, et de lui murmurer cette mise en garde : " Sois prudent." Sitôt licencié, son téléphone professionnel est désactivé. Pendant ce temps, Sam Rogers, le chef des courtiers félicite la trentaine de traders restants: s'ils ont survécu au licenciement collectif, c'est qu'ils sont les meilleurs
A la nuit tombée, Sullivan déchiffre les savants calculs que renfermait la clé de son chef et mentor. Sa découverte le laisse stupéfait : les modèles mathématiques alternatifs à celui utilisé par la banque montrent que les risques courus ont été gravement sous-estimés, la faillite menace. Peter appelle son jeune confrère Seth et le charge de prévenir leur nouveau patron, Will Emerson. Celui-ci est rapidement convaincu et, appelle son propre chef, Sam Rogers. Le temps de préparer un rapport, celui-ci demande à Peter et Seth de retrouver Eric Dale. Ceux-ci errent en vain sur les bars qu'il avait l'habitude de fréquenter et rentrent de nouveau au bureau à, deux heures du matin, convoqués par les chefs de Rogers : Jared Cohen, 43 ans, numéro deux de l'entreprise, et jeune requin sans scrupules ainsi que Sarah Robertson, responsable des prévisions. Impressionné par la démonstration de Sullivan, Jered décide d'une réunion avec le patron de la société, John Tuld.
John Tuld débarque en hélicoptère sur le toit de la banque et dirige le conseil exécutif, réuni en pleine nuit. Il décide de la marche à suivre pour sauver ce qui peut encore l'être : vendre les actifs toxiques dès l'ouverture de Wall Street, au matin. John Tuld doit trouver un responsable à la crise. Ce sera Sarah Robertson. Il doit surtout s'assurer de la fidélité de Sam Rogers qui devra savoir mobiliser les courtiers pour la journée du lendemain. Rogers a des scrupules à vendre des actifs financiers dont il sait qu'ils ne valent plus rien. Ses courtiers seront longtemps déconsidérés par leurs confrères et ils seront tenus pour responsables d'avoir provoqué sciemment une crise financière sans précédent. Une très confortable somme et surtout son incapacité à faire autre chose que ce qu'on lui demande, convainc néanmoins Rogers. De son côté, Emerson réussit à convaincre Dale de rejoindre Sarah Robertson dans une pièce où leur silence pour cette journée leur sera monnayé à prix d'or.
Une heure avant l'ouverture des marchés, Rogers convainc les courtiers de faire ce qu'on leur demande. S'ils réussirent à atteindre 93 % de leurs objectifs de vente, ils recevront contre leur inévitable licenciement à venir, près de trois millions de dollars. Tout au long de la journée, les traders vendent les actifs de titrisation à leurs confrères en leur faisant croire qu'ils font une bonne affaire. En fin d'après-midi, Jared vient prévenir Sam Rogers que les objectifs sont atteints. Qui plus est, il ne sera pas licencié. Très en colère, Sam va voir John Tuld qui n'a pas de peine à le convaincre de rester encore un peu.
Le soir, Sam s'en va enterrer son chien dans le jardin de la maison qu'il occupait autrefois avec sa femme. Celle-ci, aujourd'hui divorcée, lui permet d'accomplir cet acte mémoriel et résonnent les coups de pelles comme autant de frappe du tocsin pendant que l'écran s'obscurcit.
La sorte de téléfilm malin concocté par J. C. Chandor repose sur le parallèle entre l'événement qui survient dans "La banque" et le point de départ de la déflagration de 2008 : la chute de la banque d'affaires Lehman Brothers. L'allusion la plus explicite tient au nom patron de la banque John Tuld qui ressemble à celui de Lehman, Richard Fuld.
Un scénario solide
Margin call, en français appel de marge, c'est le montant dont doit théoriquement disposer le trader au jour le jour pour couvrir sa position si celle-ci s'avère perdante. Or, depuis plusieurs jours, les cumuls d'appels de marge engagés par la banque dépassent la capitalisation boursière de l'entreprise. Mais bien pire encore, la petite musique du capitalisme qui dit que demain aura encore plus besoin de financement que d'argent pour rembourser son crédit se ralentit ce qui va accroitre de façon colossale les pertes potentielles des actifs de titrisations, ces packages financiers lestés de subprimes. Si cette nouvelle se répand, si d'autres parviennent aux mêmes calculs que Dale et Sullivan, il ne sera même plus possible de les vendre. Les positions, même perdantes, doivent donc être immédiatement liquidées.
J. C. Chandor saupoudre ces explications pour faire monter le soufflet de son scénario. Il l'émaille de quelques recettes de série télévisée (Chaque échelon de la hiérarchie alerte son supérieur, jusqu'au PDG qui débarque en hélicoptère sur le toit du gratte-ciel. Plus le personnage est placé haut dans la hiérarchie, plus l'acteur est connu) et de connaissance de la psychologie du milieu recueillie aux meilleures sources puisque son père a travaillé quarante ans chez Merrill Lynch. On a ainsi droit aux montants des salaires de tous les dirigeants, du quart de millions du trader de base aux 2, 5 millions du chef de département jusqu'aux 86 millions du PDG. Les dépenses de 2,5 sont détaillées : la moitié en impôt, 300 000 pour l'emprunt immobilier, 150 000 pour les parents, 50 000 pour la voiture, plus les restaurants et les costumes plus 400 000 d'épargne... restent 76 520 dollars par an "rien que pour l'alcool et les putes". Sam Rogers dépense lui 10 000 dollars par jour pour sursoir à la mort de sa chienne.
John Tuld, le méchant sans nuance du film, s'exprime en langage imagé et fleuri : "le plus grand sac d'excréments de l'histoire du capitalisme" ; trois manières de réussir : "Etre le plus intelligent, être le premier ou tricher". Il reconnait ne pas être dans la catégorie des plus intelligents et ne pas vouloir faire partie de la troisième. Reste donc qu'à être le premier, le premier à décider. Dans un monologue d'une belle intensité, Dale se souvient du temps où, ingénieur, il bâtissait des ponts, utiles pour la communauté et construits à la sueur des fronts ouvriers, loin des châteaux de sable de Wall Street.
Une mise en scène narcissique...
La description des mécanismes est néanmoins à peu près le seul intérêt du film tant les personnages sont réduits à leur pure fonction de rouage du système.
Plastiquement, l'illustration de l'enfer mental qu'est probablement le capitalisme est particulièrement convenu : embrasser dans un plan en grand angle Wall Street en accéléré, sauter dans le vide. il plissé, grattement de crane, main sur les yeux, pleurs dans les cabinets sont souvent les seuls équivalents visuels de la stupéfaction devant l'effondrement supposé du monde. Preuve de cet échec à décoller des mécanismes internes à la finance, le contrepoint final avec la métaphore dérisoire et lourdingue du chien enterré comme on enterrerait une entreprise fidèle tout en entendant résonner le bruit de la pioche (du désastre financier).
Tout occupé à faire fonctionner son mécano, Chandor, ne parvient pas à y faire entrer la vie réelle. Que dire du plan de la femme de ménage dans l'ascenseur ? Certes, Cohen et Robertson sont méprisants qui ne lui disent pas bonjour et parlent comme si elle n'était pas là. Mais Chandor donne surtout l'impression qu'elle continue sa vie comme de si rien n'était. Même narcissisme dans la description de ce monde clos où les rares scènes de rues montrent pauvres éboueurs ou passants qui ne seraient que des bienheureux bébêtes et irresponsables, inconscients des dures réalités des arcanes de la finance qui mènent le monde.
...avec, pour conséquence, une apologie du système
Deux phrases de dialogues sont consacrées au réel moteur de tout ça : les banquiers, soumis au seul besoin d'argent que leur train de vie a fini par exiger, gagnent toujours et refusent de perdre de l'agent quitte à en faire perdre à leurs clients. Plus original sans doute : dans une société qui accepte toutes les passions, celle du financement à crédit permanant doit certainement se payer d'un prix, celui des crises financières.
Chandor n'évite pourtant pas de répéter cette vieille lune des justifications des transactions boursières comme quoi elles seraient techniquement équitables puisque ce que gagnent certains, ce serait sur le dos de ceux qui sont moins intelligents. En fait, aucune société de bourse ne perd grand-chose (on ne voit pas comment, autrement, elles paieraient leurs employés !). Certains obtiennent 20 %, d'autres 10 % ou même parfois de faibles intérêts négatifs mais le système continue de fonctionner jusqu'aux crises, ces faillites d'entreprises ou de particuliers étranglés par les taux de crédits devenus exorbitants. En dernière instance, c'est toujours le monde réel qui paie ayant laissé se générer des superprofits justifiés par la seule intelligence rapace de quelques-uns.
Et ici, les traders sont présentés sous un jour plutôt séduisant. Est rémunéré leur puissance de calcul qui leur offre la possibilité d'élaborer ou de comprendre des modèles permettant de savoir ce que peut rapporter au jour le jour, voir à l'heure tel ou tel titre et de convaincre son homologue, formé aux mêmes calculs, qu'il peut faire une bonne affaire en lui vendant ou achetant.
Chandor vend la mèche : oui sans doute, c'est bien comme ça que fonctionnent les banques d'affaires. Mais, en laissant les autres acteurs économiques en dehors de ce monde, il ne lui reste plus personne pour contrecarrer le mode de vie des traiders. Certainement, pas mal de jeunes gens, trouvant que cette vie là n'est pas si malheureuse, accepteront la mèche avec le reste.
Jean-Luc Lacuve, le 06/05/2012.