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L'ivresse du pouvoir

2005

Genre : Drame social

Avec : Isabelle Huppert (Jeanne), François Berléand (Humeau), Patrick Bruel (Sibaud), Robin Renucci (Philippe), Maryline Canto (Erika), Thomas Chabrol (Félix), Jean-françois Balmer (Boldi), Pierre Vernier (Le Président Martino), Jacques Boudet (Descarts), Philippe Duclos (Holéo), Jean-christophe Bouvet (Maître Parlebas), Roger Dumas (René Lange), Yves Verhoeven (Le Greffier). 1h50.

Michel Humeau, président cassant du groupe industriel FMG, est arrêté par les hommes de la brigade financière et conduit à la prison de la Santé. Il comparaît bientôt devant le juge d’instruction, Jeanne Charmant Killman, (surnommée « le Piranha ») pour détournement de fonds et abus de biens sociaux.

Elle est renseignée en sous-main par Jacques Sibaud, grand patron charismatique. Elle s’empare du dossier avec une dureté inouïe, jouissant de son pouvoir pour acculer Humeau aux aveux.

Dans le privé, Jeanne est mariée à Philippe, médecin chercheur, qui pour elle, d’origine modeste, a rompu avec sa famille. Leur ménage, sans enfant, part à vau-l’eau. Ils hébergent Félix, le neveu de Philippe, qui admire Jeanne. Esprit libre, Félix cultive une relation fraternelle et intellectuelle avec elle, alors que Philippe traverse une période de doute dans laquelle elle le laisse s’enliser.

Jeanne découvre le train de vie qu’Humeau menait avec sa maîtresse sur le compte de la société et se voue à son enquête, poursuivant Humeau, malade, jusque dans sa cellule. Abandonné par les hommes du pouvoir, Lange, Holéo et Boldi, Humeau déprime et Jeanne, qui met à jour l’opacité du système, le fait hospitaliser.

Un soir, elle a un accident avec sa voiture, qui a été piégée. Sous la pression du sénateur mafieux Descarts, le président Martino, son supérieur, la promeut au pôle financier et lui donne deux gardes du corps. Il lui adjoint une équipière, Érika, pour la neutraliser. Mais, les deux femmes pactisent, font rebondir l’enquête qui met en cause Holéo et Boldi, et font plonger Sibaud, vite innocenté par le témoignage de Lange.

Jeanne s’obstine alors qu’elle angoisse et n’a plus de recul. Victime d’une conspiration, elle demande à Érika de prendre sa place. Philippe, déprimé, se défenestre, mais en réchappe. À son chevet, Jeanne, enfin consciente de ses égarements, comprend toutes les manipulations dont elle a fait l’objet et, dépitée, renonce.

Claude Chabrol refuse de classer L'ivresse du pouvoir parmi les films politiques, rappelant au passage que tout est politique (hélas !) jusqu'au choix du sujet d'un film. Il est vrai que L'ivresse du pouvoir ne dénonce rien. On n'y apprend rien de plus que ce que l'on savait déjà par les journaux sur l'affaire Elf.

Chabrol précise qu'il s'agit de créer un espace qui n'est pas tout à fait celui du réel ni tout à fait celui de la fiction :

"On s'est (...) arrangé pour ne nommer aucune personne réellement existante : il s'agit donc d'un univers entièrement fictif ! (...) Quand j'ai décidé de faire ce film, j'ai commencé par dresser une liste des pièges à éviter, et notamment celui de l'identification immédiate et celui de l'imaginaire absolu. Car, de toute évidence, si le film n'avait aucun rapport avec la réalité, il n'aurait guère d'intérêt... En fin de compte, ce qui m'intéressait était de prouver la vraisemblance des événements qu'on relate par une réalité proche." Le film s'ouvre d'ailleurs par un malicieux avertissement : "Toute ressemblance avec des faits réels et des personnages connus serait, comme on dit, fortuite..."

Ce que décrit Chabrol est donc moins la vérité sur l'affaire Elf qu'une transformation de l'affaire Elf en comédie du pouvoir.

Pour détacher les personnages de la réalité, il les affuble de noms théâtraux symboliques. La juge d'instruction s'appelle Jeanne Charmant (nom qui rappelle forcément celui d'Eva Joly, en charge du dossier Elf). Il confit le rôle du patron mis en examen à François Berléand, comédien à la barbe grisonnante, dont les traits rappellent singulièrement ceux de l'ex-PDG du groupe pétrolier Loik Le Floch Prigent (l'un comme l'autre sont d'ailleurs affectés d'une maladie de peau). Le cinéaste a confié le rôle d'un homme politique impliqué dans cette affaire à... Roger Dumas (Roland Dumas n'est pas loin...). De même, le personnage qu'incarne Philippe Duclos a pour patronyme Holéo, terme qui évoque le secteur d'activité de la société Elf. Le K de Erika vaut sans doute pour celui de Laurence Vichniewsky. Chabrol dévoile aussi le pourquoi du nom de Descart pour le sénateur du Nord. En Hauts-de-Seine, l'université financée par le département s'appelle Descartes. Or le dix-septième siècle avait deux grands esprits : Descartes et Pascal ... Pascal-Pasqua ça sonne un peu pareil non ?

Chabrol ne dénonce pas une réalité existante, il se sert de la réalité pour proposer une bien plus universelle condamnation du pouvoir à la manière, par exemple, de Beaumarchais dans Le mariage de Figaro.

Les juges Eva Joly et Laurence Vichniewsky qui ont condamné le film sous le prétexte qu'il banalisait la corruption en sont sans doute resté au premier niveau du scénario. Chabrol ne vise effectivement pas, comme elles l'ont remarquablement fait, à déboulonner tel ou tel dirigeant. La-dessus Chabrol pourrait paraître désabusé lorsqu'il fait dire à Jeanne à la fin du film lorsqu'elle abandonne la partie : "Après-tout qu'ils se démerdent".

Chabrol conduit au contraire un grand film expressionniste où l'ombre s'oppose à la lumière. La lumière c'est le travail du jour accompli par Jeanne qui reçoit dans son bureau ou perquisitionne.

L'ombre c'est lorsqu'elle quitte le bureau tard le soir, qu'elle retrouve son mari dans la pénombre de leur appartement (s'il remplace les ampoules du lustre alors que celles-ci fonctionnent encore, c'est parce qu'il sait que l'ombre menace) ou qu'elle retrouve au petit matin son bureau saccagé. L'ombre c'est aussi celle de restaurants discrets où se manigancent les corruptions (seul un air d'opéra peut les faire taire, les éloigner). L'ombre c'est enfin celle qui accueille, le soir sur la terrasse, le jeune héritier d'une banque parmi les puissants corrompus et qui traduit la prolifération infernale du mal.

Ce combat ombre contre lumière est le même que celui mené par Cronenberg dans A history of violence ou celui de de Roméro dans Le territoire des morts. Comme ce dernier, Chabrol fait le constat de relations sociales qui n'ont plus rien d'humaines : le pouvoir dans sa dimension actuelle doit être rejetté : c'est ce que fait le neveu de Jeanne, attitude certes, comme le dit Chabrol, pas très courageuse mais humaine. Chroisir un autre terrain de combat, c'est également le sens de la dernière phrase de Jeanne.

La modestie de Claude Chabrol empêche sa mise en scène d'être plus voyante dans son expressionnisme. Caractérisé principalement par la construction ombre-lumière, il apparait également par petites touches discrètes : les gants et le sac rouges de Jeanne ou Sibaud filmé dans la glace lors de sa première apparition.

La première séquence commence par le ciel et descend par l'ascenseur jusqu'au rez-de-chaussée, vingt-huit étages plus bas, où Humeau se fait arrêter. Chabrol aurait pu en faire un morceau de bravoure. Mais plutôt que d'utiliser un seul plan-séquence, il préfère fractionner la séquence en plusieurs plans où interviennent trois secrétaires prêtent à prendre ses ordres. La symbolisation de la dégringolade est pourtant tout aussi efficace comme l'est le dernier plan du générique : Humeau en caleçon.

 

Jean-Luc Lacuve le 23/03/2006

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