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Pater

2011

Avec : Alain Cavalier et Vincent Lindon. 1h45.

Avril 2010. Jour de Pâques. Alain Cavalier invite Vincent Lindon à déjeuner chez lui de spécialités culinaire : truffes, ventrèche de thon, câpres... Alain Cavalier est président de la république et il a décidé de nommer Vincent Lindon premier ministre. Il demande à celui-ci d'y réfléchir. Il a observé son attitude de chef d'entreprise où il a mis en place une échelle de rémunération où son salaire ne peut être dix fois supérieur au plus faible qu'il verse. Il lui demande de mettre la même mesure en œuvre pour la France où il existera désormais un salaire maximum comme il existe un salaire minimum.

Le président et le premier ministre se retrouvent en forêt pour en discuter. Parfois ils visitent une entreprise, un boulanger et sa mère, parfois ils pourraient être victime d'attentat comme leur voiture, heureusement laissée au garage, martelée de coups de pioches en témoigne. Le chef de l'état demande à son premier ministre de lui choisir une cravate. Il en choisit une à la marque d'Inès de la Fressange. Parfois le premier ministre est en colère quand son propriétaire est incapable de renoncer au marquage de l'immeuble par des griffes publicitaires ou lorsqu'on veut lui faire payer plus cher pour un ascenseur qui n'a pas demander.

Le texte sur l'échelle des salaires est bloqué par les parlementaires. Vincent Lindon décide de se présenter à la présidentielle pour porter le projet. Le président se présente contre lui afin de représenter les parlementaires les plus conventionnels de son camp. Lindon gagne contre Cavalier. Mais échoue contre le candidat de l'opposition.

Décembre 2010. Un dernier repas réunit les deux hommes. L'ancien président donne à son ancien premier ministre le signe distinctif de la fonction en gage de sa confiance, de son estime et de son espoir de le voir un jour président avec ce projet. Vincent Lindon s'en dit très fier.

Pater joue constamment, infiniment et brillamment de la polysémie de son titre. C'est dans ces petits chocs de mises en scène que se joue l'émotion du film bien davantage que dans les propos politiques dont le titre avoue d'ailleurs modestement le paternalisme.

Un documentaire de fabulation

Pater apparait dès à présent comme une synthèse du travail de Cavalier. S'il renoue avec l'emploi d'un acteur professionnel, il ne renonce pas pour autant au désir d'échapper à la lourde économie classique du cinéma. Ici nul chef opérateur ou ingénieur du son, seulement trois petites caméras et les acteurs. Ceux-ci sont choisis parmi les amis de Vincent Lindon : Laurent son cousin et "chef de cabinet " et Bernard, son ami et "successeur" comme premier ministre. Autour d'eux, des membres du gouvernement du cabinet, eux aussi choisis parmi les relations du comédien.

Nul scénario non plus en dehors d'une mince trame posée au départ : un président en fin de mandat nomme un premier ministre pour porter une loi qui lui tient à cœur. Suite à un désaccord, le premier ministre se présente contre le président. Le but n'est pas d'illustrer un propos politique (nous y reviendrons) mais de chercher à faire surgir du vrai, de l'intime, lors de moments où les personnages se révèlent en jouant une fiction. En ce sens, Pater est un documentaire de fabulation : deux acteurs qui jouent leur propre rôle acceptent de se prêter à une fable proposée par le metteur en scène.

C'est la survenue de facétieuses surprises personnelles au sein de la fiction qui touche : les tupperware de nourriture sophistiquée préparées par le président pour le piquenique en forêt, le dressing rempli des vieilles chaussures du premier ministre, la quinte de toux de Bernard, le sourire de Laurent proposant au premier ministre démissionné de mimer le président.

 

Trois Pater et un Je vous salue Vincent

Dans la relation entre le président et le premier ministre c'est la dimension père-fils qui est la plus prégnante. Elle surgit tout à la fois dans sa dimension politique (président - premier ministre), dans le rapport d'âge (quinquagénaire contre septuagénaire) et dans la répartition des fonctions (réalisateur et acteur).

Le rapport père-fils est affirmé dans sa dimension politique. Cavalier s'en amuse. Lindon s'irrite de l'autorité de son président dont il devine les manouvres psychologiques subtiles pour provoquer l'estocade le moment venu (Le snipper de l'immeuble d'en face). Il répète un coup de fil imaginaire qu'il lui faudra un jour tenir. Il panique quand il doit préparer une lettre à destination du président. Enfin, il lâche la vapeur en se moquant de son père politique.

Le rapport père-fils entre deux hommes que vingt ans séparent est indirect. Certes Cavalier reconnait que Lindon pourrait être son fils. Mais ce sont surtout deux fils face à leur père que le cinéaste met en scène. Cavalier est touché par le fait que Lindon se soit trompé sur le prénom du barman. Celui-ci accepta cette méprise car le prénom d'emprunt était celui de son père. Cavalier cherche à se réconcilier avec son père. Après une opération pour faire disparaitre un double menton qui lui coute 3 000 euros, il s'aperçoit qu'il ressemble encore davantage à son père. Pater Cavalier assume d'être seul avec son chat et avec son passé.

La dimension père fils est niée dans celle habituellement dévolue au rapport entre le metteur en scène et l'acteur. D'abord parce que Cavalier, habituelle voix de ses derniers films, accepte sa présence à l'écran aussi bien que celle de l'acteur professionnel avec lequel, il joue. Si Cavalier se dit incapable de jouer un texte, il s'accepte filmé dans cette situation de fabulation par Lindon. C'est probablement la première fois qu'une caméra parait aussi libre, tenue par l'un ou l'autre des protagonistes ou activée automatiquement lorsqu'ils sont tous les deux dans le cadre.

Si Cavalier prend le risque de se dessaisir de la toute-puissance du metteur en scène, Vincent Lindon accepte une aventure d'acteur comme il en est peu. Il s'accepte avec les tics qu'il maitrise habituellement sur un plateau. Il prend le risque de ne rien savoir du film avant le montage final et surtout pas qu'il serait mis face à Cavalier pour des scènes qui révèlent bien plus de la relation amicale personnelle que du jeu d'un acteur interprétant un personnage de fiction.


Des propositions politiques simplifiées pour mieux en jouer

La déliquescence politique en est arrivée à un point où deux honnêtes hommes peuvent se croire aujourd'hui aptes à occuper les deux plus hautes fonctions de l'Etat.... et le faire croire

Le grand projet du président en fin de mandat est de réduire les écarts entre les salaires en empêchant le salaire maximum dans une entreprise ou en France d'être dix fois supérieur à celui du plus bas salaire. Cette proposition vise à atténuer la hargne des français les uns vis à vis des autres et à construire un monde plus fraternel.

Si la proposition a le mérite de la simplicité de son énoncé, elle cache un incroyable problème de mise en œuvre (écart maximum sur les salaires, les revenus, avant ou après impôt, avec quelle administration et quels contrôles ? Risques de déflation, de contrôle policier...). Un impôt vraiment progressiste et même confiscatoire pour les fortunes indécentes est une mesure politique bien plus efficace mais impopulaire. Au bout du compte, les deux candidats, Cavalier et Lindon finissent d'ailleurs par perdre les élections.

Même simplisme, voir poujadisme, pour les mesurettes agressives envers seulement quelques cas particuliers : "le max pour ceux qui détournent les fonds publiques" ou le retrait de la légion d'honneur pour les très grosses fortunes qui émigrent.

Cavalier semble avoir une curieuse vision de la politique, guère éloignée des notables de la troisième république : un gouvernement de bons sens, bien habillé, bien rasé et bien conseillé. Même nostalgie de la grandeur passée avec la photo du scandale qui évoque celle que De Gaulle eut en possession montrant Mitterrand serrant la main de Pétain dans la France "libre" avant son engagement dans la résistance. De Gaulle, comme ici Lindon, refusa de s'en servir pour ne pas salir, par ricochet, la fonction dont son adversaire pourrait s'emparer.

Cette vision s'accorde toutefois avec celle qu'incarne Cavalier dans son film : être le père de la Nation. Et c'est justement dans de la révolte du fils ou de la perplexité des conseillers que se joue le film. Cavalier se laisse ainsi surprendre par la contradiction, qu'il ne résout pas, que lui présente Lindon : il ne peu, comme premier geste politique, abandonner ses ouvriers à un nouveau patron. Pareillement l'écart de salaire est particulièrement arbitraire. Comment savoir si le rapport de 1 à 10 ou de 1 à 15 est le bon ? Et comment admettre le goût de certains jeunes pour "le gros pognon" ? Ou comment continuer une conversation de conseillers, suite à la désapprobation du parlement, autrement que par une quinte de toux, quand on a aucune idée avant que la facétieuse photo (aujourd'hui on pense davantage à DSK qu'à Mitterrand) fasse son apparition ?

Questions, interrogations sur la situation : en jouant sans cesse entre le vrai et le faux, Pater délivre des signes de vérité, légers drôles ou touchants qui n'ont plus rien à voir avec un monde uniformément vraisemblable, lourdement reconstitué en studio.

Jean-Luc Lacuve le 30/06/2011.

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