1963. Bruce Brown se fait pédagogue du sport qu'il préfère à toutes les autres activités de l'été : le surf. On peut pratiquer le Bodysurf, sans planche; la planche courte ou"Bellyboard" ; ou la planche longue pour les vagues longues. C'est à Hawaï, à 500 mètres au large des récifs de Waikiki, que l'on trouve le spot le plus célèbre. Hawaï est le lieu idéal, l'eau et l'air sont à 24°C et les spots sont variés. Ainsi, dans le port, celui que l'on appelle "la décharge", propice au mouvement parfait : être recouvert par la vague.
La Californie a aussi ses spots célèbres et ses surfeurs magnifiques. A Malibu, il faut savoir rester juste devant l'écume dans le creux de la vague, le curl ; au plus prés de l'écume sans qu'elle vous rattrape. On peut aussi pratiquer le "nose ridding" : rester le plus possible sur le tout devant de la planche sans tombe bien sur.
En hiver, la température chute à 9° mais, alors qu'il y a peu de grosses vagues en Californie l'été, les courageux surfeurs de l'hiver trouvent enfin des vagues plus fortes quand la température est basse.
L'idéal serait donc "un été sans fin" : une eau chaude, des grosses vagues et pas de foule estivale. Seule solution : voyager de part le monde en suivant l'été dans ses pérégrinations. Robert August, 18 ans, et Mike Hynson, 21 ans, deux jeunes surfeurs californiens, préparent ce périple depuis bien longtemps. Munis de leur planche de surf, ils se préparent à se rendre en Afrique du Sud.
Six Bermudas, deux boites de Parowax, de la musique et du sparadrap dans leur valise et, un matin froid et brumeux de novembre, Robert et Mike arrivent à Dakar. Là, pas moyen de trouver autre chose qu'un hôtel d'Etat, bien loin des petits hôtels primitifs de la côte qu'ils attendaient. Hors de prix : 30 dollars par jour pour chacun. Heureusement autour de l'ile, à 800 mètres du large, des vagues pour le surf que nul surfeur n'a jamais vues. Ils repèrent les rochers et d'éventuels gros poissons. C'est l'hiver mais à 21° et avec de grosses vagues. Mais trop cher, ils partent pour Accra au Ghana. Les pécheurs sur leur barque de deux tonnes s'amusent à surfer et ils initient les enfants puis les adultes au surf. Puis saut de puce en avion pour Lagos au Nigéria. L'eau est à 33° à l'équateur, l'air 38° et très humide.
Après, toujours en novembre, c'est le départ pour Le cap en Afrique du Sud; l'équateur est traversé : c'est officiellement l'été. La montagne de La table domine Le cap. Sur place, une centaine de surfeurs africains qui aiment rester tous ensemble. Ils sont plus âgés qu'en Californie, de 30 à 40 ans. Robert et Mike préfèrent surfer seuls mais l'eau n'est qu'à 12°C et les vagues petites. C'est l'océan atlantique. A huit kilomètres dans l'océan indien, elle est à 23 mais les vagues sont encore plus petites. Ils vont donc à Durban à 2000 kilomètres de là, un peu plus au Nord. Mais personne ne les prend en stop et Mike se souvient avec nostalgie au "wedge" de Newport Beach. Ils sont enfin pris en stop par Terence, un chasseur de cobras. Durban, 4h30, soleil levé et eau déjà à 27°C. Après le surf, c'est "le rickshaw zoulou", transport en carriole lourde conduite par un indigène léger. Puis c'est la direction Johannesburg pour le départ vers l'Australie. Souvenir de Cap Francis avec leur ami Terence.
L'été sans fin se prolonge ainsi en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Tahiti puis Hawaï, à la recherche de la vague parfaite.
Le projet The Endless Summer est initié par Bruce Brown, un Californien passionné de surf ayant déjà réalisé plusieurs documentaires sur le sujet. Cette fois-ci, Brown souhaite filmer des plages beaucoup moins fréquentées que celles de la côte Ouest des États-Unis. Plus qu’un simple film sur le surf, plus qu’un road movie sur deux jeunes Américains en vadrouille, The Endless Summer est devenu un film mythique de la façon de vivre associée à ce sport.
Un road-movie avec du surf
Bruce Brown songe d’abord à tourner uniquement en Afrique du Sud, puis rallonge le parcours pour prolonger cet "été sans fin" en Afrique subsaharienne et en Océanie. Après avoir trouvé les deux "héros surfeurs" du film, Robert August et Mike Hynson, la petite équipe décolle pour la première étape africaine en hiver 1963. Doté d’un budget de 50 000 dollars, Bruce Brown tourne près de 15 km de pellicule 16 mm, aux images saisissantes de beauté. Mais à son retour, le cinéaste a beaucoup de mal à trouver un distributeur américain, au prétexte que le surf n’intéresserait que les spectateurs de la côte Ouest.
Après avoir accompagné son film sur une tournée de plusieurs mois à travers le pays, Bruce Brown leur prouve tort. The Endless Summer attire bientôt les foules et sort dans les salles américaines en 1966, engrangeant au fil des années et à travers le monde une recette de 20 millions de dollars.
Paradoxalement, grâce à Brown et aux exploits des surfeurs qu’il a réussi à saisir, ce sport devient ainsi rapidement un phénomène mondial ce qui lui fait perdre progressivement la façon de vivre qui lui était associée.
La contre-culture ou l'exaltation de la différence
Pour les jeunes surfeurs du film, ce sport est associé à la soif de voyages et d’aventures, à l’idée revendiquée d’arrêter le temps, de rester jeune et insouciant pour toujours, à l’image de son affiche intemporelle devenue un emblème de la pop culture.
Le film appartient ainsi pleinement à la contre-culture qui n'a pas vocation à réformer l'ensemble de la société mais à exalter des ilots de désirs différents qui peuvent dialoguer les uns avec les autres. The endless summer affirme un monde alternatif. Certes les commentaires ethnographiques, non sans humour, sont gentiment condescendants. Ils s'efface devant l'exaltation de la pureté de la jeunesse mais aussi appel au développement d'un autre monde psychédélique, mystique ou communautaire qui n'exclut pas l'excentricité des pratiques sociales et le spectacle de la dissidence. C'est ainsi un maillon essentiel entre les précurseurs de la contre-culture : L'âge d'or (1930), Les amants de la nuit (1949), La fureur de vivre (1955) et l'âge d'or de celle-ci : Easy rider (1969), More (1969), Woodstock (1970), Gimme Shelter (1970).
A partir de 1972, la contre-culture déclinera sous les coups d'une politique américaine paranoïaque, de la monté du commerce et de l'uniformisation des pratiques. The endless summer est ce témoignage d'un temps où l'on pouvait croire encore à la gaité des tropiques.
Jean-Luc Lacuve le 10/08/2016