Un espace vert, près d'un grand ensemble, en été. Une toute jeune fille s'isole pour bronzer: un homme la tue. Cet homme, c'est le professeur Tessier, un biologiste connu pour ses recherches, qui justement vient de décider d'abandonner celles-ci pour se retirer en province.
Pour
Alain Philippon, Cahiers du cinéma n°352, Octobre 1983 :
" Initiation d'une jeune infirme qui passe d'une rébellion initiale
d'enfant sauvage à une sorte d'acceptation de soi et du monde, proche
du mysticisme (ce que disent assez clairement les derniers plans du film,
accompagnés d'une cantate de Bach).
Son père, paranoïaque, qui accomplira cinq meurtres d'enfants ou d'adolescents avant la révélation (Mon dieu qu'ai-je fait ?) qui précédera sa mort.
La jeune fille reçoit d'une institutrice recrutée par son père une éducation qui, pour ne pas offrir la violence spectaculaire des scènes où Tessier se charge lui-même de la dresser, n'en est pas moins révélatrice de la violence de toute démarche pédagogique. Le programme éducatif auquel Isabelle est soumise passe en effet par deux scènes d'explication de texte comme on en pratique dans les écoles. Dans la première séquence explicative du poème de Prévert reproduit avec vigueur le dispositif enseignant/enseigné. La violence intrinsèque de l'acte pédagogique est d'autant plus terrible que l'institutrice est calme, neutre, assénant froidement une série de questions auxquelles la jeune infirme ne peut répondre avant de se révolter et de faire éclater le cadre de la mise en scène. Lors de la seconde explication de texte, le poème chois La Musique de Baudelaire implique Isabelle de façon moins directe : le texte est moins explicitement lié à l'infirmité de la jeune fille. Elle peut reprendre à son compte le je souffrant du texte (je sens vibrer en moi toutes les passions d'un vaisseau qui souffre : elle est maintenant apte à la sublimation).
Pendant ce temps, des meurtres d'enfants filmés de façon très stylisée viennent scander le film avec la régularité obstinée d'un leitmotiv. A l'aube de la psychanalyse, Henry James avait subtilement senti, au moins dans deux superbes récits que sont "Le tour d'écrou" et L'élève" la dimension mortifère de l'acte pédagogique : chez James, c'est en vouant trop d'amour aux enfants que leurs précepteurs les amènent à al mort. Dans cette perspective, les meurtres accomplis par Tessier ne seraient-ils pas la zone d'ombre de la maïeutique, l'impensé (l'impensable) du pédagogue ?
Cette lecture n'en exclut pas une autre, plus évidente
: en tuant des enfants, Tessier accomplit rituellement, sous couvert de mission
divine, le meurtre de sa propre fille. L'une des victimes se prénomme
d'ailleurs Laure-Isabelle, ce que ne manque pas de remarquer Isabelle elle-même
lorsqu'elle découvre, dans le bureau de son père, le tableau
couvert de noms et des visages des enfants tués ou restant à
tuer. Cette découverte va donner lieu à une troisième
et dernière scène d'explication de texte. Mais cette fois, plus
de délégation de pouvoir : c'est Tessier lui-même qui
dirige l'explication, reprenant des injonctions semblables à celles
de l'institutrice. Souligne les mots disait-elle. Il s'agit maintenant d'aller
plus avant dans le corps du texte : Souligne les initiales, dit-il. C'est
ainsi qu'apparaît par acrostiche, le message : Diable tue les. Ce retour
à la lettre est l'occasion d'une très belle scène, où
le sens du film se trouve comme suspendu aux douze petits signes qu'Isabelle
vient de tracer : Tessier va-t-il tuer sa fille ? Tandis que Tessier ordonne
qu'on enferme sa fille dans son bureau, Isabelle a cette réplique :
faites ce qu'il dit. Puis, filmée de dos, elle dit : mon Dieu, empêche
le et pardonne-lui. Un plan rigoureusement symétrique montrera plus
tard Isabelle, de face cette fois, toujours assise. Entre temps sa prière
aura été exaucée.
"
Alain Philippon, Cahiers du cinéma n°352, Octobre1983