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Le mystère d'Oberwald

1980

Genre : Mélodrame

(Il mistero di Oberwald). Avec : Acteurs Monica Vitti (La reine), Luigi Diberti (Le duc de Willenstein), Elisabetta Pozzi (Mademoiselle de Berg), Amad Saha Alan (Tony), Paolo Bonacelli (Le comte de Föhn), Franco Branciaroli (Sebastian). 1h52.

dvd

Le jour de leurs noces, la reine a vu assassiner son mari, qu'elle aimait. Jeune veuve, épouse vierge, elle vit retirée dans l'un des nombreux châteaux de son défunt mari. Le pays est ébranlé par une très vive contestation de la part du peuple, lequel reprochait au roi ses dépenses fastueuses et couvre de calomnies cette reine qu'il ne connaît pourtant pas.

Sebastian, un jeune poète anarchiste, a décidé de l'assassiner. Au cours d'une nuit d'orage, traqué et blessé par la police du royaume, il se réfugie au palais royal et se retrouve devant la reine, qui est frappée par la ressemblance avec le roi assassiné. Ils tombent amoureux l'un de l'autre, alors que des intrigues et des complots se trament dans le propre château de la reine. Elle doit se méfier du puissant comte de Föhen, chef de la police, elle destitue sa dame de compagnie, Mademoiselle de Berg, et nomme Sebastian à son service, en tant que lecteur.

Aveuglé par sa passion amoureuse, Sebastian oublie sa mission initiale ; il veut rendre à la reine toute sa dignité et sa puissance. Il lui suggère de rentrer dans la capitale, escortée des troupes du duc de Willenstein, demeuré fidèle à sa cause, et d'y reprendre le pouvoir. Tandis que la reine effectue sa promenade à cheval, le comte de Föhen démasque le jeune poète et veut se servir de lui pour de sombres desseins. Sebastian refuse et s'empoisonne. Sur le point de regagner la capitale, la reine voit le jeune homme mourant. Elle aussi veut quitter ce monde : Sebastian la tue d'un coup de pistolet. Avant leur dernier soupir, leurs mains tentent de se rejoindre.

Sur proposition de la RAI, Antonioni adapte et remanie la pièce de Jean Cocteau, L'Aigle à deux têtes. Comme la télévision avait intéressé Jean Renoir en 1959 avec Le testament du docteur Cordelier où il avait expérimenté le filmage à plusieurs caméras ou comme elle avait intéressé Rossellini dans ses films didactiques et historiques, Antonioni s'empare de la télévision pour faire des expérimentations sur la couleur. Le mélodrame historique baroque de Cocteau va devenir un mélodrame onirique néanmoins ancré dans le drame politique du pays, le terrorisme.

Antonioni, plasticien électronique

A la même époque, Antonioni réalise ses "Montagnes enchantées" minuscules aquarelles qu'il photographie et agrandit de manière démesurée. L'expérimentation vidéo, lui permet de réaffirmer son goût de plasticien électronique. Ce projet va lui permettre en effet de manipuler plusieurs caméras à partir d'une seule console et de mélanger les couleurs sur le plateau sans avoir attendre le retour de rushes du laboratoire. Le tournage dura 64 jours. "Grâce à un correcteur de couleurs, je pouvais, comme un peintre, ajouter du rouge, du vert, du bleu, du jaune. On peut intervenir tant sur les décors que sur le visage des acteurs en modifiant l'image, en modifiant un ton, une couleur en rapport avec la psychologie de l'action".

Les effets de couleurs sont parfois très subtils. A l'aube, le paysage et les bâtiments s'illuminent de l'intérieur et non de l'extérieur ; ailleurs un mystérieux motif apparaît et se déforme sur le mur du château ; et lorsque Sébastian surgit les couleurs du portrait du roi s'intensifient. Les effets sont parfois plus caricaturaux : le méchant, le chef de la police, reçoit une teinte violette au moment où il se montre le plus malveillant.

Tourné en vidéo et transféré par technologie laser sur pellicule 35 mm, l'image cinéma est rudimentaire. Les effets rappellent les origines de la colorisation au cinéma : teinte pour l'évolution des émotions, le halo violet accusateur du comte de Fœhn qui le suit. Le traitement de l'image tire le film du côté du mélodrame onirique plus que de l'histoire.

Un mélodrame marqué par le terrorisme

L'Aigle à deux têtes, écrit en 1946, est d'abord une pièce de théâtre avec Jean Marais et Edwige Feuillère qu'il tourne ensuite pour le cinéma en 1948. Jean Marais avait imposé trois conditions surréalistes : il voulait rester silencieux au premier acte, pleurer de joie au second, et tomber dans un escalier au troisième. Le modèle historique de l'étudiant serait Louis II de Bavière et celui de la reine, Sissi.

Antonioni n'est pas très porté sur Cocteau. C'est un choix de Monica Vitti et Antonioni l'accepte car le texte et l'intrigue simples feront ressortir le travail en vidéo. Avec son scénariste attitré, il adapte le texte avec "un détachement respectueux". Il modernise les dialogues : "J'ai dépoussiéré le texte car ma pudeur s'accommode mal des excès du mélodrame". Son unité de temps et de lieu est respectée.

Le décor aussi est débarrassé des fioritures baroques de la pièce. Le contexte reste aussi presque identique, de la 2e partie du XIX en Autriche à 1903 en Allemagne. Le terrorisme quotidien de ces années là (le film est présenté à Venise en septembre 1980 alors qu'aura lieu en décembre l'attentat de la gare de Bologne) est très présent. "On m'a accusé de fermer les yeux sur la réalité quotidienne et son cortège de violence particulièrement en Italie. C'est faux ! Dans ce scénario dramatique, l'anarchiste, le terroriste et, le policier, l'attentat, qui appartiennent à notre vocabulaire quotidien, reviennent constamment".

La réception critique de l'œuvre est mesurée. Le film, attendu pendant cinq ans après le chef-d'œuvre qu'est Profession reporter, déçoit. Trop différent, il apparait comme le vilain petit canard de l'œuvre d'Antonioni. Comme celui-ci est un peu déçu de cette réception, il dira, quand on l'interroge sur la signification du titre : "le mystère consiste peut-être à savoir pourquoi j'ai fait ce film". Le film ne sort en France qu'en 1989.

Jean-Luc Lacuve, le 15/09/2013 (avec le commentaire d'Aurore Renaut, ci-dessous)

Test du DVD

Editeur : Carlotta-Films, septembre 2013. Nouveau master restauré haute définition. DVD 17 €.

Suppléments : Oberwald onirique (18mn) : En adaptant et remaniant la pièce de Jean Cocteau L'Aigle à deux têtes, Antonioni a réorienté son film Le Mystère d'Oberwald vers une expérimentation phénoménale sur la couleur. Sous l'éclairage d'Aurore Renaut, enseignante en cinéma italien à l'Université de Paris VIII. La bande-annonce.

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