La place Tien'anmen un jour ordinaire du mois de mai. Pour les Chinois, cette place immense est le cur de la révolution, le centre du monde car la Chine est le Chung kuo, le pays du milieu, le noyau antique de la civilisation mondiale. C'est pourquoi ils viennent s'y faire photographier.
Une grande avenue : la gymnastique spirituelle traditionnelle, un cours de gymnastique au lycée.
Dans une clinique obstétrique, on accouche par césarienne une femme de 35 ans dont c'est le premier enfant. L'anesthésie se fait avec l'acuponcture. Les fines aiguilles insensibilisent la femme. On lui ouvre le ventre, elle sourit, le bébé nait.
A la crèche de l'usine textile les enfants chantent : "la navigation dépend du timonier, la révolution du président Mao".
L'usine ressemble à un village. Au sein de l'usine un appartement parmi d'autres, simple : La loi impose que le loyer ne dépasse pas 5 % du salaire.
Après Pékin, Antonioni se rend à Nankin, Suzhou, Shanghai, et dans la province du Hunan.
Alors qu'Antonioni prépare un autre film américain après Zabriskie point, Carlo Ponti lui annonce qu'il ne le produit plus. Concomitamment, la Rai lui propose un documentaire sur la Chine. En Chine, il regarde et filme ce que l'on veut bien lui montrer. Sans doute pour compenser cette frustration, il tourne 80 plans par jour durant quatre semaines pour un regard sur un demi-milliard de Chinois.
Une polémique en Chine
Au début des années 70, la Chine invite des
intellectuels français et italiens, pays où elle suscite un
fort courant de sympathie. Sollers et le groupe Tel Quel dont Roland Barthes
sont invités par Zhou Enlai, le premier ministre de Mao Zedong, l'homme
raisonnable du régime qui assume les risques de cette ouverture.
Antonioni filme la Chine comme un pays normal alors que ce n'en est pas un. Après Le Grand bond en avant de la fin des années 50 qui visait une industrialisation à outrance pour produire de l'acier et qui a entraîné la famine de 40 millions de personnes, la Chine vit depuis sept ans la révolution culturelle. Durant les années 65-69, c'est la phase dure avec des immenses rassemblements. Au début des années 70, commencent les règlements de comptes politiques.
Mao veut récupérer le pouvoir et soutient tour à tour les trois factions qui briguent sa succession. Lin Biao, mort l'an passé avait déjà perdu la bataille et son clan est marginalisé. Zhou Enlai, est l'homme raisonnable qui prône le développement économique et négocie avec les USA. La femme de Mao, Jiang Qing, à la tête de la bande des quatre, représente les radicaux, les intransigeants de la révolution et notamment en matière culturelle puisque Jiang Qing est une ancienne actrice. Outre la bande des quatre, cette faction comprend le dirigeant de Shanghai.
C'est dans ce contexte que sera utilisé le film d'Antonioni, contexte qui durera de 72 à 76 avec les morts de Zhou Enlai et de Mao puis ensuite l'élimination de la bande des quatre.
La première vision du film par les autorité chinoise est très positive. La polémique éclate en 1973 lorsque Jiang Qing, la femme de Mao, veut marquer des points contre Zhou Enlai. Si Lin Biao et son clan ont été déconsidéré pour être des adeptes des temps anciens et de Confucius, Antonioni est, à l'opposé accusé de modernisme, de distiller un poison esthétique qui vise à réhabiliter les vieilleries. Le film est dénoncé par les communistes de Chine et d'Europe sans avoir été vu.
Une polémique en Europe
En Europe, Simon Leys, pseudonyme du belge Pierre Ryckmans, auteur de Les habits neufs du président Mao, le premier ouvrage à déconstruire le mythe de Mao, s'en prend à Antonioni. Il l'accuse d'être un grand naïf, de montrer le théâtre chinois et non la réalité chinoise, cette dictature très dure avec ses purges.
Simon Leys range Antonioni parmi les occidentaux béats d'admiration devant la révolution culturelle comme il avait critiqué méchamment Sollers et les intellectuels français pour n'avoir pas su accéder à l'envers du décor.
Le seul documentaire sur la Chine des années 70-80
C'est un jugement sévère. Antonioni assume ce regard d'un étranger qui s'est voulu le plus objectif possible. Grâce à lui, les Chinois peuvent comparer la Chine de 72 avec celle d'aujourd'hui.
Dès la fin du générique Antonioni déclare : "Nous n'expliquons pas la Chine. Nous voulons juste observer ce grand répertoire de gestes, de visages et d'habitudes. Venant d'Europe nous pensions escalader des montagnes et traverser des déserts. Mais la Chine reste en grande partie inaccessible, interdite. Même si les Chinois nous ont ouvert des portes et qu'ils jouent au ping-pong politique, nos accompagnateurs avec une souriante fermeté ne nous ont fait parcourir que des itinéraires délimités."
L'importance de la propagnade y est sans cesse rappelé : J'aime la place Tien'anmen est une chanson chantée dans toutes les écoles chinoises. Vivre en crèche est une façon d'habituer les tout jeunes enfants à la vie collective. "Leur grâce nous fait oublier que leurs chants sont politiques" déclare Antonioni :"la navigation dépend du timonier, la révolution du président Mao".
Antonioni montre la vie dans les rues, les restaurants, les champs et les salons de thé des foules qui se saluent, se klaxonnent, les visages et les gestes de la vie quotidienne. Antonioni s'intéresse aux individus et non aux immenses rassemblements, à la théâtralisation de la vie chinoise. Il montre une Chine vivante donc chaotique et non pas mise au pas. Les Chinois font du vélo se lèvent tôt, ils sont pauvres mais pas miséreux : ni luxe, ni faim. Leur qualité de vie est très éloignée de la notre : ni hâte, ni stress.
Jean-Luc Lacuve le 06/04/2009
Source : Bonus du DVD ci-dessous.