Tous les regards évitent le spectateur. Laurent Froimont, seigneur de Bourgogne et donateur de l'oeuvre, est perdu dans sa prière, les yeux fixés dans un lointain vague, la Vierge a les yeux baissés et l'Enfant, regardant le visage du dévot esquisse un geste de bénédiction.
Cette Vierge à l'Enfant était réputée de l'école allemande lorsqu'elle faisait partie de la galerie du cardinal Fesch qui l'avait emmenée avec lui à Rome en 1814. C'est sous le nom de Memling que Barbey d'Aurevilly vient l'admirer, lors d'une visite chez le libraire Bernard Mancel en 1856. Celui-ci, depuis douze ans, l'avait acquise à Rome aux ventes des collections du cardinal Fesch. Barbey est de ceux qui éprouvent une véritable fascination mystique pour le visage de la Vierge. Ainsi dans son Troisième mémorandum, d'octobre 1856 :
"La Vierge de Memling a la beauté radieuse des Vierges de Raphaë mais la divinité du Christianisme brille tellement dans cette tête, qu'à côté, la tête de la Vierge à la chaise paraît païenne, et même, - comme expression, - les têtes si chastes du Pérugin ! Nulle parole ne peut donner l'idée de cette chasteté divine, de ce revêtement du visage par une âme de Vierge assez pure pour incarner en soi le Dieu de toute pureté. Au premier abord, on ne s'aperçoit pas qu'elle est belle d'une beauté charmante. On ne s'aperçoit que d'une chose : c'est qu'elle est Vierge et qu'elle est LA VIERGE ! -On n'a pas vu Dieu, - on en mourrait, - mais on a vu sa mère ! - Positivement, on ne pense qu'à cela. Cela complète l'esprit par une impression inconnue. Est-elle brune ou blonde? - je la crois brune. - Comment a-t-elle le teint ? - je le crois d'or vivant et tiède. - Quelle est la forme du front ? - je le crois à trois pointes, élevé, un peu proéminent, mais je n'en suis pas sûr. L'expression, l'angélique expression (il faudrait créer des mots, mais qui les entendrait ?) empêche de voir les détails de cette tête, palpitante, infusée et éclairée de pudeur."