La tentation de saint Antoine, commandée en 1553 par le cardinal de Gonzague pour la cathédrale de Mantoue, frappait déjà les esprits du temps par cette musculature dramatiquement tendue du diable, que l'on dit dérivée d'un modèle de Michel-Ange (1475-1564).
Le sujet du tableau est issu de La Légende dorée de Jacques de Voragine. Véronèse représente le moment où, terrassé par le diable qui le menace d’un pied de cheval, le saint résiste néanmoins à la tentation charnelle incarnée par la femme aux mains griffues. Le livre de la Règle des Antonistes et la clochette sont les attributs des ermites de cet ordre qui permettent d’identifier leur saint patron, Antoine le Grand.
La lumière diffuse accentue l'atmosphère surnaturelle de la scène et met en valeur la chair de la séductrice. La tentatrice surgit de l'ombre pour recevoir ce flux lumineux qui fait chanter l'or de la chevelure par le jeu de ces ambiguïtés stylistiques entre Michel-Ange et Giulio Romano (1499-1546).
Ce tableau est un des exemples les plus extraordinaires de ce maniérisme qui puisait ses sources dans tous les excès : excès dû au caractère apocryphe du thème de la Légende dorée, excès du dessin dans le jeu des anatomies, excès d'une composition qui préfigure le Caravage en construisant les lignes de force du sujet avec des fragments de corps dont le mouvement perspectif déjoue la loi de la profondeur; dynamisme de la composition, chromatisme sourd et virtuosité du raccourci. La végétation, à l'arrière-plan, empêche le regard du spectateur de s'échapper et le renvoie aux assauts que saint Antoine subit.