Bien au-delà de son habileté à composer un paysage animé, où figures et environnement naturel se mêlent harmonieusement, c'est un univers fondamentalement habité que l'artiste parvient à créer. La présence centrale du Jourdain en est le signe. Le fleuve décrit un mouvement irrésistible, dont la transparence même semble unir le Christ, l'Esprit saint et Dieu le Père, la terre et le ciel. S'élargissant au premier plan, il occupe la moitié de la largeur de la toile. Serpentant au loin, il creuse la profondeur, accueille dans ses eaux l'image du pélican se sacrifiant - emblème du commanditaire de l'œuvre, le cardinal Otto Truchsess von Waldurg -, une ville lacustre, une maison isolée, une chaine de montagnes dont les versants bleutés se fondent dans le ciel. Sur ses rives, les teintes de verts et d'orangés s'équilibrent harmonieusement, tandis que les flots semblent charrier des glacis de bleus et de roses intimement mêlés.
Comment ne pas avoir le sentiment que c'est l'immersion du corps du Christ elle-même qui engendre une subite et subtile ondulation rosée, nimbant ainsi l'ensemble du paysage ?
Dans le parcours méconnu de Lambert Sustris, Le baptême du Christ offre une double assurance. Le nom de l’artiste, d’abord, y apparaît clairement : l’inscription autographe Lambertus de Amsterdam, forme latinisée de son nom, est lisible sur une pierre, sous les pieds de saint Jean-Baptiste.
Dans l’angle inférieur droit de la toile, en outre, se distingue un pélican se perçant le flanc pour nourrir ses petits ; une devise latine se lit au-dessus, sic his qui diligunt, "comme pour ceux qui aiment". Cette héraldique désigne le commanditaire du tableau, Otto Truchsess von Waldburg (1514-1573), nommé évêque d’Augsbourg en 1543. L’oeuvre a pu être conçue pour le collège Saint-Jérôme de Dillingen an der Donau, fondé en 1549 par Otto Truchsess. Une copie ancienne, généralement datée du XVIIe siècle, y est toujours visible.
Le baptême du Christ se trouvait dans la collection du duc de Richelieu (1629-1715), qui le céda avec 24 autres tableaux à Louis XIV en 1665. Aboutissement des recherches menées par Lambert Sustris au nord et au sud des Alpes, synthèse magistrale de ses expériences italiennes et germaniques, il est certainement le point d’orgue de sa carrière.
Source : Musée des Beaux-arts de Caen