(1894-1978)
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Hyperréalisme |
La liberté de parole | 1942 | Stockbridge , Musée Norman Rockwell |
La liberté du culte | 1942 | Stockbridge , Musée Norman Rockwell |
À l'abri du besoin | 1942 | Stockbridge , Musée Norman Rockwell |
À l'abri de la peur | 1942 | Stockbridge , Musée Norman Rockwell |
Notre problème à tous | 1964 | Stockbridge , Musée Norman Rockwell |
Dès son enfance, Norman Rockwell présente des prédispositions pour le dessin et entre en 1908 à la Chase School of Fine and Applied Arts. En 1910, il abandonne ses études et entre à l'Art Students League of New York, où il perfectionne sa technique auprès de George Bridgeman et Thomas Fogarty. La même année, il illustre son premier livre, Tell me why, Stories, et commence une longue collaboration avec le mouvement des boy-scouts des États-Unis en illustrant la revue Boys' life.
En 1916, il se rend à Philadelphie siège du magazine The Saturday Evening Post et propose trois couvertures au directeur de la revue George Horace Lorimer, qui sont acceptées. Il devient dès lors le peintre de l'Américain moyen et son nom est identifié à cette revue dont il réalise les plus célèbres illustrations et couvertures jusqu'en 1963. En 1935, il illustre les romans de Mark Twain, Tom Sawyer et Huckleberry Finn.
De 1916 à 1963, Rockwell réalise 321 couvertures pour le Saturday Evening Post, qui fut longtemps l'un des magazines les plus lus aux États-Unis. À une époque où la forme médiatique la plus populaire est celle des illustrations en couleur pour les magazines à grand tirage, Rockwell devient une célébrité nationale dont le seul rival est Walt Disney en termes de popularité parmi les artistes graphiques de l'époque.
Les Quatre Libertés
Les Quatre Libertés est une série de quatre tableaux peints en 1942, qui comptent parmi les plus célèbres de la carrière de Norman Rockwell. Ces œuvres mettent en image un discours fondateur du président Franklin Delano Roosevelt et témoignent de l'engagement de l'illustrateur américain dans l'effort de guerre des États-Unis.
Tout au long de sa carrière politique, Franklin Roosevelt se fait l'avocat de la cause des droits de l'Homme. Dans son discours annuel au Congrès sur l'état de l'Union, prononcé le 6 janvier 1941 alors que l'Allemagne nazie occupe une grande partie de l'Europe occidentale, il énonce sa vision d'un avenir meilleur, basé sur quatre libertés : "Dans l'avenir, que nous cherchons à rendre sûr, nous attendons avec impatience un monde fondé sur les quatre libertés humaines essentielles". Il s'agit de la liberté de parole, de la liberté de culte, de la liberté de vivre à l'abri de la peur et de la liberté de vivre à l'abri du besoin. Parmi ces libertés, certaines appartiennent à une certaine tradition du discours politique américain, mais d'autres sont nouvelles : seules la liberté de parole et la liberté de culte, issues du Bill of Rights, sont inscrites dans la Constitution des États-Unis.
Ces principes donnent au discours du 6 janvier le nom sous lequel il est connu depuis lors : le « discours des quatre libertés ». À travers lui, le président témoigne de sa vision d'une extension partout dans le monde de l'idéal américain en faveur des libertés individuelles. C'est un discours qui vise à la fois à identifier les objectifs du pays, qui entrera en guerre quelques mois plus tard, et à révéler l'espoir que le président place dans le monde d'après. Il permet d'attirer l'attention du Congrès et de l'ensemble de la nation sur les besoins liés à une possible entrée en guerre, mais aussi de justifier l'inévitable conflit armé par des objectifs idéologiques, tout en appelant à l'universalité de la croyance américaine en la liberté. La guerre à venir est ainsi assimilée à un combat pour la liberté.
Dès l'entrée en guerre des États-Unis, les couvertures de Rockwell pour The Saturday Evening Pos, auquel il contribue régulièrement, focalisent sur l'aspect humain de l'effort de guerre américain. Ses illustrations visent à encourager cet effort, à travers la promotion des obligations de guerre mais aussi du travail des femmes ainsi que de l'engagement militaire des hommes. Différents thèmes y sont traités : le patriotisme, l'absence des proches, les modifications des rôles entre hommes et femmes, le regroupement, l'amour, le travail et la famille. Par la manière dont il travaille comme illustrateur de magazine pendant la guerre, Rockwell est parfois comparé à Winslow Homer, qui travaillait de même pour Harper's Weekly pendant la Guerre de Sécession.
Le projet de Rockwell d'illustrer les Quatre libertés démarre pourtant avec difficulté car il ne rencontre pas l'assentiment des autorités gouvernementales chargées de la propagande de guerre, à une époque où il est vital de stimuler l'adhésion populaire à la poursuite de la guerre ; mais le magazine The Saturday Evening Post, auquel Rockwell contribue régulièrement, finit par passer lui-même la commande. La publication en février et mars 1943 rencontre un succès immédiat et considérable, qui conduit à imprimer et distribuer des milliers puis des millions de brochures reprenant les œuvres. Leur large diffusion sous forme d'affiches participe à leur notoriété. Une tournée à travers le pays contribue à faire connaître les œuvres et à faire vendre de très nombreuses obligations de guerre.
Une fois achevées, les œuvres de Rockwell sont brièvement exposées à Arlington avant d'être expédiées en janvier 1943 au Post en Pennsylvanie. Roosevelt découvre les tableaux au début du mois de février, quand le Post lui soumet pour approbation la série de tableaux et de textes devant les accompagner. Le président répond en envoyant à la fois une lettre personnelle à Rockwell et un courrier d'approbation officielle au Post daté du 10 février. Il demande au Post de faire traduire les textes dans différentes langues, afin qu'ils puissent être présentés aux chefs d'État et de gouvernement aux Nations-Unies.
Les Quatre Libertés — La liberté de parole, La Liberté de culte, À l'Abri du besoin, À l'Abri de la peur — sont donc publiées au fil de quatre éditions successives du Post en couleurs et en pleine page, la première fois les 20 et 27 février, puis les 6 et 13 mars 1943 en même temps que des textes commandés à des écrivains et historiens américains de premier plan : Booth Tarkington, Will Durant, Carlos Bulosan et Stephen Vincent Benét.
Rockwell prend ses voisins du Vermont comme modèles pour la série des Quatre Libertés. Il a par ailleurs commencé dès 1935 à utiliser fréquemment des photographies en noir et blanc de ces modèles, sans le révéler avant 1940. L'usage de la photographie offre de plus grandes possibilités à l'artiste, qui peut demander à ses modèles de prendre des poses qu'ils seraient incapables de tenir longuement. Il peut également produire des travaux vus sous différentes perspectives : ainsi, dans les Quatre Libertés sont proposés « un contrechamp pour La liberté de parole, un gros plan pour La liberté de culte, un plan moyen pour À l'abri de la peur et un plan large pour À l'abri du besoin ». Cela permet de placer le spectateur, pour chaque tableau, dans un rapport différent avec le sujet.
Après la publication de la série de tableaux, le Saturday Evening Post est assailli par des millions de demandes de réimpressions. 25 000 brochures sont imprimées, qui reprennent à la fois les textes et les reproductions en couleur des tableaux et qui sont vendues pour 0,25 $ (soit l'équivalent de 3,42 $ en 2015)32. Selon Rockwell, c'est face à cette vague de demande populaire que le bureau OWI décide de produire 2,5 millions de ces brochures. Jusqu'au terme de la guerre, ce sont 4 millions d'affiches qui sont imprimées. Les affiches À l'abri de la peur et À l'abri du besoin portent toutes deux en bandeau la phrase « ours… to fight for » (« c'est à nous… de nous battre pour elle »), tandis que La liberté de parole et La liberté de culte arborent le bandeau « Buy War Bonds » (« Achetez des obligations de guerre ») et le nom de chaque liberté est précédé du mot « Save » (« Protégez »). Dans une version lithographique produite en 1946, les quatre tableaux sont tous reproduits avec le même bandeau « ours… to fight for ».
Les Quatre Libertés sont publiées sous forme d'affiches par les services d'imprimerie nationale (United States Government Printing Office) et sous forme de timbres postaux par le service national des Postes. Elles sont exploitées pour illustrer la couverture de lots d'obligations de guerre et de timbres postaux qui sont offerts pendant les spectacles destinés à promouvoir la vente d'obligations de guerre. En dépit de leur homonymie, ces timbres ne doivent pas être confondus avec la série philatélique à 1 cent des Quatre Libertés, créée par un autre artiste et publiée le 12 février 1943. Les versions de Rockwell, quant à elles, ne sont publiées qu'en 1994, à l'occasion du centième anniversaire de la naissance du peintre, sous forme d'un lot de quatre timbres à 50 cents. Le tableau À l'abri du besoin est utilisé pour illustrer la couverture du livre Norman Rockwell, Illustrator qui paraît en 1946, alors que Rockwell est au sommet de sa renommée d'illustrateur le plus connu en Amérique. En 1972, ce livre atteint sa septième édition.
Pour bon nombre d'observateurs, les quatre tableaux de Rockwell ont contribué à ce que les « quatre libertés » de Roosevelt deviennent un objectif partagé par tous. Ils atteignent au fil du temps une dimension iconique qui dépasse le cadre historique de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, la vision sentimentale et nostalgique, idéalisée, de Rockwell ne correspond pas aux rudes réalités de la vie américaine, surtout au lendemain de la Grande Dépression. Pour parvenir à ces images saines, satisfaites et heureuses, Rockwell ne retient que les bons aspects de la vie urbaine américaine et laisse de côté la misère et les difficultés sociales qui existent aussi dans le pays. L'importance du contexte patriotique dans lequel Rockwell produit les Quatre Libertés explique toutefois leur esprit assez manichéen. Rockwell, dit avoir voulu dépeindre la vie "telle qu'il voudrait qu'elle soit". Ce faisant, son esthtéque est très proche de celle contemporaine du réalisme socialiste.
Fin de carrière
Dans les années 1950, il est considéré comme le plus populaire des artistes américains et fait les portraits d'Eisenhower, de Kennedy et de Nasser. Les années 1960 voient le déclin de l'illustration au profit de la photographie et le changement de directeur artistique amène Rockwell à quitter le Saturday Evening Post. À partir de 1964, il travaille pour la revue Look et illustre des thèmes plus en relation avec les convulsions politiques du temps. Sa plus célèbre illustration pour Look, Notre problème à tous (1964), représente une petite fille noire américaine se rendant à l'école, escortée par des agents fédéraux, en pleine période ségrégationniste. Vers la fin de sa vie, il fait encore des affiches publicitaires et le calendrier des boy-scouts jusqu'en 1976.