Le compte-rendu qui suit est rédigé sous ma responsabilité après avoir assisté, le jeudi 13 février 2020 à l'école supérieure d'arts et médias de Caen, à la conférence "Le salon au XIXe siècle suivi de Des arts incohérents à dada", deuxième des cinq conférences posant la question Où l'art a-t-il lieu ? Éléments pour une histoire de l'exposition, par Christian Bernard, directeur du Printemps de Septembre. Les images sont aussi publiées sous la responsabilité du Ciné-club de Caen.
I - Prologue : Loin des salons
Les bas-reliefs de la colonne Trajane de Rome (Apollodore de Damas, 107-113) ou de la colonne Vendôme, sa déclinaison napoléonienne, ne sont pas destinés à être vus. Ces monuments ont une "visibilité diffuse" ; ils ne sont pas destinés à être déchiffrés. Leur présence suffit. Les valeurs culturelle et expositionnelle cohabitent dès l'antiquité ce qui rend ainsi moins pertinent le concept de perte de l'aura développé par Walter Benjamin dans L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1955) qu'il applique au seul moment moderne.
Une exposition sans adresse, sans nom, sans murs, on en trouve un exemple avec Tableaux à vendre (Guillaume Ronmy, 1827) : une vente de tableaux exposés en plein air devant l'institut de France à Rome.
Plus radical, car manifestant un désir d'art inextinguible qui s'accommode de l'état de dénuement économique, les déserteurs du champ transactionnel de l'art. Ainsi Yann Wilson (?) dématérialise l'oeuvre d'art dont il ne reste que des conversations ou le simple dessin d'un cercle tracé à la craie. Exodes radicaux pour Robert Smithson avec Spiral jetty (1971) ou Amarillo ramp (1973) au nord du Texas, qui accepte l'entropie de l'oeuvre, sa dégradation par la nature. C'est aussi le cas pour Walter de Maria et son Lightening field au nouveau Mexique. On peut habiter durant 24 heures une maisonnette perdue sur un plateau, non loin d'Albuquerque avec, en face un millier de paratonnerres dans un rectangle de 1 miles sur 1 km, pièce à l'échelle de l'Amérique. Un autre de ces gestes qui s'adressent à la terre entière est le Double negatif de Michael Heizer, une fente dans le roc d'une hauteur de l'Empire state building.
II - Le salon aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle
Durant tout le moyen-âge, les artistes sont intégrés à des corporations qui seront abolies à la révolution française, assujettis au normatif et à la répétition. A la renaissance, conscients de détenir des possibles en devenir, ils revendiquent un statut spécifique. Le Salon relève donc d’un processus d’émancipation :
1663 : Louis XIV et Colbert, soucieux de voir la gloire de l’état s’étendre aux arts, créent l’Académie, unique représentante de la peinture en France et décident qu’il y aura tous les ans, une exposition des travaux de ses membres.
1666 : Académie de France à Rome
1667 : La première manifestation de ce qui deviendra « Le Salon » débute le 23 avril. Elle a lieu dans les locaux de l’Académie, c’est la première exposition d’Art en France, ouverte au public.
1668-81 : L’exposition a lieu tous les deux ans dans « la galerie du Palais Royal et dans la cour du Palais Richelieu »
1699 : Le futur « Salon » s’installe dans « La grande galerie du Louvre ».
1725 : L’exposition se tient dans "le Salon de la Cour Carrée du Louvre" et prend à cette occasion son nom définitif de "Salon". Cela devient alors rapidement un événement majeur au XVIIIe entre 300 000 et 500 000 visiteurs avec pour récompense suprême le prix de Rome institué en 1666. au XVIIIème, il s’ouvre à des artistes qui n’appartiennent pas à l’Académie.
1737 : Institution soutenue par l'Etat sous la conduite de Philibert Orry, directeur de bâtiments royaux
Vue du salon de 1767 Gabriel saint Aubin. Chardin est le "tapissier" du salon; celui qui tapisse les murs de tableaux (parfois aussi appelé "placier"). L'impression est celle d'une saturation mosaïque. Le tapissier a une responsabilité énorme car il décide seul de l'accrochage des tableaux, des places les moins favorables à six mètres de hauteur ou à 70 ou 80 cm, ou des plus favorables : sur la cimaise. Mais les appariements sur la cimaise peuvent être fatals à tel ou tel artiste comme le note Diderot dans son Salon de 1769 :
Ce tapissier de Chardin est un espiègle de la première force, il est enchanté quand il a fait quelques bonnes malices ; il est vrai qu’elles tournent toutes au profit des artistes et du public ; du public qu’il met à portée de s’éclairer par des comparaisons rapprochées ; des artistes entre lesquels il établit une lutte tout à fait périlleuse.
L'accrochage se fait sans sans logique thématique ; comme on peut toujours le voir dans les gravures de Pietro Antonio Martini dans ses représentations des salons de 1785 et 1787.
Importante fonction isolante du cadre quand 3000 à 4000 oeuvres sont exposées ensemble. Tableaux parfois nomades dans le salon durant ses 50 jours. On y voit aussi l'entrée des spectateurs dans la peinture : c'est un événement mondain, un rite de passage et d'appartenance.
1798 : on crée un jury
Le salon est un espace de compétition et de concurrence dont les artistes ne détiennent pas la clé tant l'accrochage, les récompenses du jury et les commentaires du public leur échappent. Manet l'affirme pourtant : "le salon est le vrai terrain de lutte". Seul endroit où un artiste pouvait espérer exister
Les récompenses à la fin du salon génèrent en effet commandes publiques et privées et copies. Le salon génère son mythe : vernissage sur place qui donnera son nom au premier jour d'exposition. Gustave Doré dans Le dernier jour de réception avant le salon marque bien la précipitation des peintres le dernier jour pour faire accepter leur tableau en les ayant à peine finis. De même, l'événement mondain et populaire qu'est le salon, les commentaires qu'il déchaine dans le public font l'objet du Quatre heures au salon (François Auguste Biard, 1847)
Les attitudes du public sont saisies avec plus ou moins d'ironie :
1863 : protestation devant le nombre de tableaux refusés. Napoléon III va voir et demande à ce qu'ils soient exposés : ce sera le salon des refusés. Il existe de nouveau en 1864 pour la dernière année; au-delà du succès de scandale, il est stigmatisant d'y être exposé.
1867 : Courbet récidive en construisant de nouveau un pavillon de bois pour vendre ses œuvres. Il est imité par Manet.
1874 : Les impressionnistes chez Nadar dans son studio de photographe
1880 : L'état se retire du salon. Immanquablement contesté dans ses décisions, le jury a été réformé à de multiples reprises tout au long du XIXe siècle, faisant selon les époques la part belle aux artistes élus par leurs pairs ou aux académiciens choisis par l’administration des Beaux-Arts. Devant cette contestation permanente, l’Etat, qui avait toujours soutenu la manifestation, demanda en 1879 aux artistes de se réunir en société et de s’organiser en dehors de toute participation étatique ; ainsi naquit la Société des artistes français.
1881 : Création de la Société des artistes français. Le 27 décembre 1880, Jules Ferry demande aux artistes admis une fois au Salon de constituer la Société des artistes français, héritière du Salon créé en 1663 par Colbert. En 1881, la Société des artistes français reçoit la mission d’organiser, en lieu et place de l’État, l’exposition annuelle des Beaux-Arts. En 1883, le palais de l’Industrie est mis à disposition des artistes pour 1 franc symbolique. Le président de la République assiste au vernissage.
1884 : Salon des indépendants, baraque en bois dans les tuileries, ni jury ni récompense, post impressionnistes (Seurat, Signac, Cross et Pissarro) uni dans l'anarchisme
1900 : Rodin au pavillon de l'Alma, à 60 ans, organise sa rétrospective
1903 : Création du salon d'automne. Retentissant salon de 1905 avec le Fauves, plus sélectif, même s'il refuse Le nu descendant l'escalier en 1912
Naissance des galeries Paul Durand-Ruel, Daniel-Henry Kahnweiler, Ambroise Vollard, expositions monographiques dans les galeries privées. Cela met fin au moment bourgeois de l'histoire de l'exposition qui s'est effrité avec la commune de Paris. Ce moment bourgeois ou industriel exalte saturation, satiété, accumulation, étalage exhaustif, démonstration ostentatoire. L''exposition allait ensuite continuer à se développer parallèlement à la progression du temps contraint. L'exposition est en effet moins contraignante que les horaires fixes du théâtre. On peut y parler, la réserver aux jours de pluie, c'est un geste social plus que culturel.
III - Les arts incohérents : une avant-garde de la dérision
Fondé en 1882 par Jules Lévy, le mouvement artistique des Incohérents dura une dizaine d’année jusqu’en 1893. Anticonformiste immergé dans un milieu d’artistes bohèmes, le jeune Lévy regrette la dispersion du club littéraire des Hydropathes. Son souhait est de « faire une exposition de dessins exécutés par des gens qui ne savent pas dessiner ».
Le nom d’Arts incohérents est retenu en raison de sa drôlerie. Parodie du Salon officiel, l’exposition se prolonge d’année en année par d’autres manifestations avec une recherche ouverte de cocasserie, de fantaisie et de dérision : des peintres faisant des vers, des écrivains maniant le pinceau, des prix décernés par tirages au sort, des banquets commençant par le dessert et finissant par les hors-d’œuvre... De bals en expositions, en explorant et expérimentant diverses techniques graphiques et plastiques, les Incohérents préfigurent les dadaïstes et surréalistes à venir. Le succès du courant culmine en 1886. L’affiche de l’exposition de cette année est dessinée par Jules Chéret.
Ce mouvement artistique, caractéristique de l'esprit de la belle époque est la forme la plus émancipée d'une époque qui ne rêvait que de liberté. Cette avant-garde radicale, avant-garde sans avancée, sans oeuvres conservées est sortie de la mémoire collective. Ce mouvement avait pris sa source dans les multiples cénacles et cercles littéraires qui parcourent le XIXe.
1824-1834. Le cénacle romantique de Charles Nodier à la bibliothèque de l'Arsenal. Loin de n'être qu'un lieu de divertissement, un salon, où l'on converse, le "cénacle de l'Arsenal" fut un des hauts lieux du romantisme, une "institution littéraire" ouverte à toutes les spécialités (littérature, théâtre, histoire, critique, peinture, musique, sculpture). Le Tout-Paris littéraire et mondain franchit au moins une fois son seuil, de Victor Hugo à Alfred de Musset en passant par Dumas, Balzac, Gautier, Nerval, Delacroix, Liszt... Dans le salon de la bibliothèque de l'Arsenal, dont il est le conservateur en chef depuis 1824, Charles Nodier accueille chaque dimanche soir toute l'élite littéraire et artistique durant les dernières années de la Restauration et les premières années de la Monarchie de Juillet.
Dans Les illusions perdues (1837-1843). Lucien Chardon se lie d'amitié avec Daniel d'Arthez qui tient un cénacle. Il boit de l'eau et accepte une vie de pauvreté et sobriété
1841-43 : Société des buveurs d'eau. Les fondateurs se réunissaient rue de la Tour d'Auvergne au numéro 1 dans une petite mansarde. Henry Murger dans Scènes de la vie de bohème en fait le terreau de la création artistique. Bons mots et performances se succèdent : Il faut rire, nous n'avons qu'un temps à vivre (La Vie de bohème); symphonie sur l’influence du bleu dans les arts; manuel du parfait fumiste; (mèche de cheveux des enquêtes du peintre ?); performances blanc sur blanc
1869-1872 : Les vilains bonshommes. La création de ce groupe prendrait sa source lors de la représentation au théâtre de l'Odéon le 14 janvier 1869 de la pièce de François Coppée, Le Passant. Cette pièce remporta un vif succès, soutenu par une claque peut-être trop visible, que Victor Cochinat, chroniqueur du journal satirique Le Nain jaune, commenta en écrivant : « Ah ! c’était une belle réunion composée de bien vilains bonshommes ! ». Saisissant l'occasion, le groupe visé s'appropria l'expression par dérision et revendiqua le titre de Vilains Bonshommes
Le groupe était composé au départ de Paul Verlaine, Léon Valade, Albert Mérat, Charles Cros et ses frères Henry et Antoine, Camille Pelletan, Émile Blémont, Ernest d’Hervilly et Jean Aicard. Se joindront à eux les peintres Fantin-Latour et Michel-Eudes de L’Hay, l'écrivain Paul Bourget, le photographe Étienne Carjat, les dessinateurs humoristes André Gill, et Félix Régamey, les poètes parnassiens Léon Dierx, Catulle Mendès, Théodore de Banville, Stéphane Mallarmé et, bien entendu, François Coppée.
Si certains de ces artistes ont également appartenu, en même temps et durant l'automne 1871, au groupe dissident du Cercle des poètes Zutiques, la confusion entre les deux groupes ne doit pas être entretenue, les Vilains Bonshommes ayant des positions littéraires diamétralement opposées : les Vilains Bonshommes appartenant à la mouvance parnassienne que les Zutistes raillent allègrement. Après l'épisode de la Commune, le groupe se radicalise et s'oppose désormais à Coppée, à Leconte de Lisle et aux parnassiens qui ont soutenu la répression bourgeoise.
Les dîners des Vilains Bonshommes se déroulaient périodiquement, le plus souvent une fois par mois, à partir de 1869. La guerre de 1870 les interrompit un temps et ils reprirent en août 1871 après la Commune pour se terminer fin 1872. Les convives se réunissaient en divers endroits de la capitale, à l'hôtel Camoens rue Cassette, au café des Milles Colonnes, et durant le repas les poètes présents déclamaient leurs derniers vers, les discussions s'enflammaient sur les nouveautés littéraires, entrecoupées de mots d'esprit et l'on buvait sec ! Composé en majorité de poètes parnassiens et de leurs admirateurs, les dîners finirent par s'embourgeoiser, ce qui entraîna, fin 1871, les railleries des membres du Cercle des Zutiques, fondé par Charles Cros, et dont certains membres participaient aussi aux dîners.
Arthur Rimbaud, fraîchement arrivé de Charleville (Ardennes) à l'invitation de Verlaine, est introduit par ce dernier au dîner des Vilains Bonshommes le samedi 30 septembre 1871. Il reçoit un accueil intéressé et admiratif à la lecture de son Bateau ivre. Mais au fil des réunions, le mauvais caractère et le goût de la provocation de Rimbaud, qui d'autre part fréquentait le Cercle des poètes Zutiques, irritent les convives. Cela aboutit à un sérieux incident lors du dîner du samedi 2 mars 1872 durant lequel, Rimbaud ayant interrompu systématiquement une récitation d'Auguste Creissels en clamant de tonitruants « merde ! », se fait traîner hors de la salle où se déroulait le banquet. Cela se finit, dans le chahut, par un coup avec la canne-épée d'Albert Mérat que donne Rimbaud à Étienne Carjat qui l'avait précédemment insulté. Ce fut la dernière apparition du poète aux dîners des Vilains Bonshommes.
1871-1872. Le Cercle des poètes Zutiques (ou Zutistes), où l'on disait « zut » à tout, comptait parmi ses membres des noms aussi illustres que Charles Cros, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, André Gill, Ernest Cabaner ou Léon Valade.Il se réunissait à l'Hôtel des Étrangers, à l'angle de la rue Racine et de la rue de l'École-de-Médecine, à Paris à partir de septembre-octobre 1871. Sans programme ni manifeste, ce rassemblement d'artistes doit être vu comme une dissidence des « dîners des Vilains Bonshommes. La trace la plus expressive et significative de l'existence de ces réunions se trouve dans la découverte tardive de l'Album zutique qui témoigne sur une trentaine de feuillets du passage d'une vingtaine de poètes et artistes dans ces lieux, sous la forme de vers et de dessins, parfois datés et souvent autographes. Sorte de livre de bord, fonctionnant à la fois comme un laboratoire ouvert aux expérimentations poétiques et un défouloir, dans lequel les amis caricaturaient férocement les poètes parnassiens, par des poèmes parodiques et des dessins parfois très lestes, avec une attention toute particulière accordée à François Coppée, véritable tête de turc du groupe. D'autres poètes « officiels » en prennent aussi pour leur grade comme Armand Silvestre, Léon Dierx, Alphonse Daudet. Le Sonnet du trou du cul composé par Paul Verlaine et Arthur Rimbaud en octobre 18712 qui pastiche le style du poète Albert Mérat, en est l'expression la plus célèbre.
1878- 1880 : Les hydropathes (étymologiquement : « ceux que l'eau rend malades »), un club littéraire parisien, fondé par le poète et romancier Émile Goudeau. Le nom renvoie à un jeu de mot sur celui de son fondateur ainsi qu'à l'hydre aux pattes de cristal de la carafe d'eau. Les membres disent des monologues, immédiatement hués s'ils ne font pas preuve d'une passion pour la blague et la déconade. Les artistes restent sans oeuvre à l'image d'Eugène Bouille dit Sapeck, performeur, capable de bloquer une rue sous prétexte de prendre les mesures de travaux. L'Hydro doit faire preuve "d'un talent quelconque", proche de la déclaration de George Brecht (je préfère être le 18e). Le club se réunit d'abord dans un café du Quartier Latin puis dans divers locaux du même quartier, C'est après une série de chahuts provoqués par le trio Jules Jouy, Sapeck et Alphonse Allais, qui lancèrent des pétards et des feux d'artifices, que le club disparut en 1880. Mais dès l'année suivante, la plupart des anciens membres du club des Hydropathes se retrouvèrent au Chat noir de Rodolphe Salis, ouvert en décembre 1881. La revue du même nom, fondée par Goudeau, parait à partir de janvier 1879 et compte, 32 numéros entre 1879 et mai 1880.
Plusieurs anciens Hydropathes rejoignirent, également en 1881, un autre groupe, les Hirsutes, dont le président, Maurice Petit, fut ensuite remplacé par Goudeau. Le groupe des Hirsutes se saborda en février 1884. Il renaquit alors sous le nom d'Hydropathes, mais cessa ses activités en juillet de la même année : les cafés de la Rive droite (Montmartre), Le Chat noir en tête, avaient remplacé ceux de la Rive gauche en tant que lieux de réunions privilégiés de la bohème estudiantine. On y dit des textes, Henri Rivière projette des ombres chinoises. C'est la préfiguration du cabaret dada à Zurich puis Berlin.
En décembre 1881 Rodolphe Salis ouvre, au 84 du boulevard Rochechouart, Le Chat Noir, « cabaret Louis XIII, fondé en 1114 par un fumiste ». Les habitués du Sherry-Gobler et de nombreux cabarets de la rive gauche vont y affluer jusqu'en 1896.
Si le Chat Noir fut dans le monde entier, le plus célèbre et fulgurant cabaret durant quinze ans (1881-1896), le plus ancien est bien le Lapin Agile. L’ancien cabaret des « Assassins » tient son nom d’une enseigne peinte par l’humoriste André Gill , en 1875, qui représente un lapin s’échappant d’une casserole.
Les arts incohérents sont contemporains de la 3e république, de la liberté de la presse et donc d'expression : des dizaines de quotidiens doivent être alimentés en dessins de presse. Ils font feu de tout bois, proposant dans la maison de Jules Levy, 20 m², passage Vivienne, des bals costumés ; Les commandements de l'incohérent ; l'installation On lui a posé un lapin, les caricatures du Rire : La foi en Dieu seule soutient (1884), Dessin à la mouchure de nez.
L'exposition de gens qui ne savent pas dessiner de Jules Levy a lieu dans un
Hangar des Champs-Élysées, mais lors de l'installation du système d'éclairage, le toit s'effondre. Il est décidé d'une exposition éclairée par les bougies des participants ; préfiguration de l'exposition dada qui se fera à la lampe électrique Mazda (mais avec peu d'autonomie !).
Grand succès pendant 10 ans à Paris mais aussi en province ou à Bruxelles. Les vernissages rassemblent plus de 10 000 personnes ; les œuvres sont vendues à prix bas au profit d'une société caritative. Il reste les catalogues mais peu d'objets, de costumes ou de décors, ou de manière exceptionnelle avec la vente de la collection d'André Breton.
En 1988, le collectif "Présence Panchounette", reprend dans son son exposition "L'avant-garde a bientôt cent ans", des oeuvres emblématiques des arts incohérents :
Les monochromes en forme de plaisanteries d'Alphonse Allais dans son Album primo-Avrilesque, sont précurseurs du Carré blanc sur fond blanc (Malevitch), des Noirs de Pierre Soulages ou des bleus Klein. C'est la farce qui domine ici dans ces années de la belle époque à la différence de l'art du XXème siècle.
La marche funèbre pour les funérailles d’un grand homme sourd, où les artistes se contentent de compter des mesures est également précurseur du 4’33”, de John Cage. Allais réfute néanmoins cet esprit de sérieux et explique dans sa préface qu’il s’est inspiré d’un principe accepté : les plus grandes douleurs sont muettes.
Voir le pdf, conservé à la bibliothèque de France : Album Primo-Avrilesque d'Alphonse Allais.
Bibliographie :
Jean-Luc Lacuve, le 23 février 2020, merci à Annick Polin pour la relecture.