Et ici quelle heure est-il ?
Conférence-débat de Jean-Michel Frodon
dans le cadre des séminaires des cahiers du Cinéma, du Café des images et du CDN, le dimanche 19 novembre 2006.

 

I/ Présentation du cycle 2006-2007

Jean-Michel Frodon, présente le programme de l'année autour du thème « Migrations Orient-Occident ».

La carte du cinéma n'a pas les mêmes frontières ni les mêmes contours que la carte des nations et des états. Elle n'est pas forcément soumise aux mêmes rapports de force que les rapports politiques. La création a ses propres lois, ses propres échanges, sa propre dynamique et ses propres flux. La "force faible de l'art " a aussi son mot à dire dans l'histoire en train de se faire.

Les tensions géopolitiques peuvent engendrer en art stérilité, repliement sur soi, ou au contraire floraison et épanouissement. C'est sans aucun doute entre Orient et Occident que se jouent aujourd'hui - mais le mouvement a commencé depuis longtemps déjà - les migrations et métissages les plus stimulants et les plus productifs pour le cinéma mondial. La ligne de contact entre ces deux continents de cinéma est l'un des espaces de création les plus vivants et en devenir du pays cinéma. Cette circonstance historique, qui n'est pas si fréquente, vaut la peine que l'on s'y arrête pour y réfléchir à plusieurs.

Nous avons fait le choix, toujours à partir de films et de cinéastes précis, d'explorer cette ligne de contact et d'échange. On y abordera, chacun à sa façon, sous toutes les formes et dans tous les sens, les migrations de cinéma entre Occident et Orient :

migrations de cinéastes : on ne compte plus aujourd'hui les cinéastes qui font le choix d'aller tourner dans le territoire de l'autre, où ils n'ont pas leurs racines. Cette migration joue dans les deux sens :

Nous nous intéresserons évidemment tout particulièrement, au cours de ce cycle, à ces cinéastes qui travaillent à la frontière entre Orient et Occident, parce que leur situation personnelle a fait qu'ils se sont trouvés, sans l'avoir forcément choisi, vivre à cette frontière qu'il leur appartenait d'explorer, quitte à la dissoudre dans leur oeuvre.

 

2/ Et ici quelle heure est-il ?

Le titre de la conférence est une allusion au film Et là-bas quelle heure est-il ? (Tsai Ming-liang, 2001) qui traite depuis l'orient du rapport extrême orient et France. Le sujet orient/occident nous paraît en effet aux Cahiers comme le plus important actuellement. Celui qui permet de travailler le sujet du cinéma contemporain.

Le cinéma asiatique est la grande nouveauté depuis, disons, Les Histoires du cinéma de Godard (1999). Celles-ci sont essentiellement consacrées au cinéma de l'Europe et de l'Amérique du Nord, de Moscou à Los Angeles pour un cinéma tout blanc.

Certes il y a quelques jalons importants avant ces dix dernières années : en 1950 palme d'or pour Rashomon puis couronnement de Mizoguchi. Plus tard, Satyajit Ray présente Pather Panchali (1955). Dans les années 60 , on découvre Oshima et le cinéma nuovo brésilien. Mais cela reste des ajouts, des corps particuliers.

Actuellement l'apparition du cinéma asiatique s'inscrit dans le phénomène de mondialisation, comme on dit chez nous. Hors de France, on emploie le terme globalisation dérivé du terme américain global. Reste à savoir si l'on aura une unification sur un modèle dominant, l'américain, ou un assemblage d'apports autonomes.

Pour Jean-Michel Frodon l'Orient reste ici une formule essentiellement poétique, romanesque, incluant le Maroc pourtant très à l'ouest autant que le proche orient ou l'extrême orient.

Le rapport orient occident dans le cinéma se manifeste sous quatre aspects principaux :

1/ Une présence massive : L'Iran, la chine populaire, la Corée ou Hong Kong sont des nations maintenant habituées aux festivals internationaux et y sont très souvent récompensées. Le secret des poignards volants film chinois répond aux canons des loisirs hollywoodiens

2/ La présence de vedettes internationales : Jackie Chan , Jet Li, Gong Lee. Cela ne va pas sans poser quelques problèmes ; pour Geisha (2005) Rob Marshall dirige deux vedettes chinoises, Gong Lee et Zhang Ziyi pour deux rôles de japonaises. Cette sorte de racisme jaune irrite aussi bien les Chinois que les Japonais

3/ Des réalisateurs qui viennent tourner aux USA, attirés par de gros moyens pour leurs films.. et pour eux-mêmes : John Woo ou Tsui Hark, des chefs opérateurs. mais aussi Apichatong Weerasethakul qui intervient comme plasticien vidéo.


L'intégration est cependant souvent difficile sauf peut-être pour Ang Lee qui fait ses études à Taiwan puis dans les universités de Chicago et de New York. Fine Line, un moyen métrage primé lors du Festival du film de l'université, et obtenu le Golden Harvest taiwanais du meilleur film pour Dim Lake. En 1993, Garçon d'honneur l'Ours d'Or à Berlin et est nommé à l'Oscar et au Golden Globe du meilleur film étranger. L'année suivante, pour Sale sucre, le cinéaste est une nouvelle fois cité pour ces deux prestigieux trophées.

En 1995, Ang Lee change de registre et bénéficie d'une distribution prestigieuse pour Raison et sentiments qu'interprètent Emma Thompson, Kate Winslet, Alan Rickman et Hugh Grant. Adapté du roman de Jane Austen par Emma Thompson, le film obtient sept citations à l'Oscar et remporte celui du meilleur scénario. Couvert de récompenses, il reçoit également les Golden Globe du meilleur film et du meilleur scénario d'adaptation, avant de remporter l'Ours d'Or au Festival de Berlin en 1996.

Ang Lee signe ensuite The Ice storm, chronique douce-amère de la décomposition de la cellule familiale à l'époque du Watergate et de la libération sexuelle, avec notamment Kevin Kline, Joan Allen et Sigourney Weaver, et qui sera l'un des plus importants succès américains de l'année. Dans son film suivant, Chevauchée avec le diable, le réalisateur dirige Tobey Maguire avec la Guerre de Sécession pour toile de fond.

Pour Tigre et dragon, Ang Lee retrouve ses racines avec une intrigue qui se déroule au coeur de la Chine antique. Dans la plus pure tradition du Wu-xia-pian, Tigre et dragon est un succès mondial qui permet à Ang Lee de remporter l'Oscar du meilleur film étranger et le Golden Globe du meilleur réalisateur. Fort de cette réussite, le réalisateur se voit proposer l'adaptation de l'un des personnages phares de l'univers Marvel : Hulk.

Ang Lee décide alors de s'éloigner des blockbusters et tourne Le Secret de Brokeback Mountain, l'histoire d'un amour impossible entre deux cow-boys, adapté d'une nouvelle d'Annie Proulx et porté par deux valeurs montantes d'Hollywood, Heath Ledger et Jake Gyllenhaal. Le réalisateur renoue alors avec le succès critique et remporte le Lion d'Or à la Mostra de Venise en 2005.

4/ voyages et échanges
C'est le sujet de L'intouchable, se découvrir soi même en partant très loin, qui sera projetté après la conférence. On peut citer aussi Olivier Assayas et sa Irma Vep. Et là bas quelle heure est-il ? qui combine mort du père, le cinéma de Truffaut et le visage de Léaud que la jeune femme rencontre là bas.


Extrait de Et là-bas quelle heure est-il ? :
Au parc du Luxembourg, vol de la valise. Le chinois s'en va sous la grande roue. Nous sommes l'ailleurs de ces gens commente Jean-Michel Frodon

D'autres voyages et échanges : Le ballon rouge que Hou Hsiao-hsien s'apprête à tourner. L' Iran avec Kiarostami. Bruce Lee : kung fu rythmique, tempo et irréalisme. Tsui Hark, décomposition de l'action facilitée ensuite par le numérique. L'Inde exporte partout sauf en occident Proche orient hors Iran Chahine en Egypte, Suleiman en Palestine

Extrait de La Porte du soleil (Yousry Nasrallah, 2004).

Question : le rapport est-il à sens unique : des asiatiques en occident, ou perçoit-on un courant contraire ?

J.-M. F. : J'ai cité Olivier Assayas mais il y aussi de grands précurseurs Renoir : Le fleuve, Rossellini : Inde terre mère , Ford : Frontière chinoise, Sternberg : Fièvre sur Anathahan.

Question : Les occidentaux peuvent-ils apprendre des techniques en Asie comme ils sont amenés à le faire avec la bande-dessinée et le succès des mangas.

J-M. F. : Il faudrait demander à Christopher Ganz. Avec Nocturne indien, Corneau retrouve une énergie ou encore voir Irma Vep, Hiroshima mon amour, H story ou India song.

Question : Vous n'avez pas cité Wong Kar-wai, Wang Bing, Myazaki (et son rapport à Disney), Kitano (qui cite Godard) ?

J-M. F. : Oui tous les cinéastes cités sont importants, les Cahiers y ont consacré de longs articles . Kitano n'avait pas cette culture initialement. Il l'a acquise grâce à son ami Kuasami (?), spécialiste asiatique de la nouvelle vague.

 

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