L-M- N -O-P-Q- R- S -T- U -V W- Z
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LADY CHANCE de Wayne Kramer. 1*.Bernie Lootz est un vrai loser de cinéma, il a la panoplie complète : faciès, comportement, mental…et il bosse au black dans un casino à Las Vegas, employé comme porte-poisse en remboursement d'une vieille dette, chargé par sa seule présence de faire perdre les joueurs qui gagnent trop d'argent. A quelques jours de sa quille, il va s'amouracher d'une jeune femme trop belle pour lui, Natalie qui va le sortir un peu de sa torpeur. Mais pas de bol plus il tombe amoureux de la donzelle, moins son pouvoir fonctionne. Une poignée de turpitudes plus tard le super zéro partira avec sa princesse et du pognon plein la vareuse, comme dans les grosses bouses hollywoodiennes auxquelles ce film à force de vouloir s'en distinguer finit par ressembler.
Il y avait dans cette histoire du matériau pour faire un vrai bon film noir : un minable poursuivi par la guigne, une femme plus ou moins fatale, un salopard (alcoolique et psychopathe), bref le décorum. Le hic c'est que le noir ici se teinte dangereusement d'un rose sucré des plus indigestes. On ne peut pas croire une seule seconde dans la pérennité de cette bluette niaiseuse (et pourtant le réalisateur les filme souvent au lit, c'est dire s'ils s'aiment), de même que dans le deus ex machina final qui les débarrasse d'un ultime obstacle et leur permet de partir vers un ailleurs plus clément. Plus happy end tu meurs. Les acteurs ne sont pas non plus à la fête : à part Alec Baldwin dans une composition assez bonne quoique limitée (c'est pour lui l'étoile), les deux tourtereaux sont mauvais. William Macy en rajoute des tonnes dans l'apparence extérieure de son personnage de loser et Maria Bello (la bien nommée) dans le registre je-suis-une-femme-brisée-par-la-vie. Le metteur en scène a parsemé son film de microscopiques idées, comme la récurrence des scènes avec le pot de lait sensé suggérer l'état de Bernie (que c'est subtil !) et de tics de filmage (cadrages, plans inutiles de machines à sous comme dans les reportages vérolés de Media7 * dont la 5 nous abreuve quotidiennement). Entre deux scènes de violence et deux plans aériens de Las Vegas illuminée le temps est drôlement long sous les néons.

Lady Vengeance (3*-14/20), le troisième volet de la trilogie sur la vengeance du Coréen Park. Toujours aussi malin et séduisant dans sa façon de mettre en scène ses films, en féminisant son intrigue il apporte un léger plus, même si ce dernier est moins carré que son prédécesseur. Bref, de l'ironie, de l'humour vachard, une esthétique encore une fois à couper le souffle, une interprétation excellente (surtout la jeune femme du titre)...120 minutes de joie sur mon fauteuil

LE LIVRE DE JEREMIE de Asia Argento. 2*. Le film raconte l'enfance chaotique de Jeremiah et ses relations ambiguës avec sa mère. Après en avoir été privé pendant des années pour cause de vie dissolue et d'incapacité à s'en occuper, cette dernière décide de le reprendre à la famille d'adoption dans laquelle les services sociaux l'avaient placé. Pour cela elle a du faire bonne figure face aux inspecteurs, trouver un boulot, un toit fixe…bref, un court instant se faire passer pour une Américaine modèle. Mais sitôt Jeremiah installé dans cet univers de pacotille, elle décide de tout chambouler encore une fois. Elle met rapidement une poignée d'affaires dans un sac et ils partent tous les deux vers ce qu'on pourrait sans exagérer appeler une descente aux enfers, ou pour continuer dans la métaphore religieuse, un calvaire initiatique.
Le thème du film semble être la maternité, où comment donner à un enfant quand on a soi-même été privé, comment lui témoigner son importance et tenter de lui donner des armes pour affronter une rude réalité quand on patauge dans une mélasse inextricable. Ce qu'elle fait avec son fils, au-delà de tout jugement moral, par delà même la réalité sordide dans laquelle elle le plonge et les souffrances inacceptables qu'il doit endurer, c'est le mieux qu'elle puisse lui offrir et le plus honnête. Elle ne lui ment pas quant à ce qu'elle est, tous deux encaissent une vérité, parfois dégradante et révoltante mais c'est le prix qu'elle a accepté de payer pour avoir son fils auprès d'elle. Et pour se confronter physiquement avec cette réalité-là, la drogue leur fournit une dérisoire protection imaginaire, une échappatoire à la volonté de lutter…mais tout cela n'est bien sûr que provisoire, car tout finit par les rattraper, et le contact est toujours douloureux. D'ailleurs leur périple cabossé commence comme une grosse hallucination, un trip géant au LSD et se finit par une fuite d'un hôpital, tous les deux, unis contre tout et tous. Asia Argento, plus écorchée encore que dans son premier film le troublant Scarlet diva, joue avec une grande sincérité, débarrassée de tout fard (alors que paradoxalement elle s'en enduit le visage avec acharnement) son personnage de mère borderline et le couple maudit qu'elle forme avec son fils est émouvant. La mise en scène est au diapason avec la narration et le sujet : extrême, foutraque, malsaine par moments mais très sincère et dénuée de tout jugement moral. Ce qu'elle filme c'est une relation complexe d'amour/rejet, que le spectateur pour l'apprécier à sa juste valeur devra accepter de voir avec un œil vierge, et de passer au-dessus des outrances de la mise en scène.

LOCATAIRES de Ki-duk Kim 3* .Tae-suk occupe ses journées d'une étrange façon. Il choisit une rue et colle des prospectus sur toutes les serrures extérieures. Il repasse le soir et sélectionne une maison sur laquelle pend encore son tract, il en force l'entrée et une fois dedans il se livre inlassablement à son rituel : il se prend en photo à côté des photos de ceux qui y habitent, répare un objet défectueux, prend un bain, nettoie ses vêtements et finit par s'endormir. Lors d'une de ses occupations sauvages il fait la rencontre de Sun-houa, une jeune femme mariée à un homme qui la bat. Ils partent tous les deux et voltigent d'appartements en maisons jusqu'au jour où Tae-suk se fait arrêter. Locataires se déroule à un rythme d'une lenteur entêtante dans un silence apaisé. La vie marginale choisie par Tae-suk lui permet de vivre une forme de liberté, sans attache apparente à autre chose que sa moto. Ses immersions de courte durée dans des domiciles d'inconnus, procédant d'un rituel immuable, ne sont pas tant perçues comme un " viol " que comme une escale chaleureuse. Lorsqu'il quitte ses " squats " tout est rangé à l'identique, rien ne semble avoir bougé si ce n'est qu'à chaque fois, un appareil (une horloge, une balance, une chaîne stéréo) a été réparé ou modifié, laissant ainsi une trace difficilement perceptible (en tous les cas comme telle) de son passage éclair. L'arrivée dans sa vie bohème de la belle Tae-suk ne change pas grand chose en apparence, si ce n'est bien entendu que tous les deux vont peu à peu se rapprocher, silencieusement. Le film n'est pas traité comme une histoire classique, il s'agit de petites scènes assemblées comme les taches sur une toile pointilliste. Oscillant sans cesse entre humour et une forme de poésie symbolique, il laisse la porte ouverte à plusieurs interprétations, notamment sur l'existence réelle de Tae-suk. En effet celui-ci ne prononce jamais un mot, il pourrait, pourquoi pas, être une création, un fantasme de Sun-houa, qui pour s'échapper d'un quotidien morne à force d'ennui et de malheur conjugal aurait créé ce vecteur de liberté, jouant pour cela sur l'imperfection de la mémoire, prompte à nous faire imaginer par exemple que durant notre absence quelque chose a été modifié, comme après le passage d'un étranger (perception intime et infime d'un changement quelconque). Bref, quelle que soit ce qu'on y voit, le spectateur est poussé à sortir du rationnel pour apprécier le film à sa juste valeur, une œuvre légère, en point d'interrogation, à la musique charmeuse, pleine d'un humour décalé et étoilée de scènes de violence subites et sauvages.

LOST IN TRANSLATION de Sofia Coppola. 4*. Bob est un acteur quinqua à la carrière déclinante qui est à Tokyo pour le tournage d'une publicité pour un whisky. Charlotte est une jeune femme, tout juste sortie de ses études, qui vit là-bas mariée à un photographe. Ils logent dans le même hôtel. Ces deux individus, tous les deux éloignés de leur cellule familiale, lui de sa femme et de ses enfants restés aux USA, elle loin de son mari car il est toujours parti, ces deux solitudes mélancoliques se rencontrent, passent du temps ensemble, se cherchent et s'interrogent, s'abandonnent à une lente montée du désir, se laissent envahir par un sentiment qu'ils ne ressentaient guère plus. Lui est fatigué, usé par la vie, blasé, fané ; elle est fraîche, pleine de vie mais ne trouve pas son équilibre, elle est en carence.
Le film dépeint par petites touches cette relation amoureuse qui refuse de se l'avouer et de s'assumer. Cette multitude de moments, de bribes de vie apparemment anodines, qu'ils soient ensemble ou pas, font à coup sûr monter délicatement, suavement une tension érotique et sentimentale qui n'éclatera jamais. Tout juste s'embrasseront-ils avant le retour de Bob aux USA (et donc dans son foyer). Cette rencontre puise son intensité cachée dans la déroute de ses protagonistes, dans la constatation qu'ils font du relatif échec de ce qu'ils ont construit. Lui à déjà pas mal vécu, mais seuls ses enfants semblent encore lui procurer du plaisir, sa femme lui paraît détachée, aucun lien fort ne semble les unir, elle n'a plus besoin de lui. Ils restent ensemble et ils regardent les enfants pousser…point. Pour Charlotte c'est un peu différent, elle est très jeune donc pas encore totalement désillusionnée, même si elle ne croit plus trop dans son mariage, ou du moins dans la solidité des liens qui la relie avec son mari.
La mise en scène est très subtile et légère en s'appliquant à nous faire ressentir des choses ténues, intangibles…et absentes, car leur histoire ne verra pas le jour. Tout le film repose sur ça, c'est un moment teinté de tristesse, de mélancolie mais jamais amer. Les voir tous les deux, minuscules êtres perdus dans l'immensité de Tokyo, loin de chez eux avec leurs petits désordres intérieurs, leurs manques nous les rendent humains et proches car le thème traité, l'amour, est universel et concerne absolument tout le monde. Et pourtant ce désir inassouvi pour l'autre procure un grand plaisir pour le spectateur, c'est un film qui donne envie d'aimer, de retrouver ces sensations, ces sentiments, de retomber perpétuellement amoureux. Sous ses aspects agréables et doux c'est un sentiment fort et violent même (l'accepter c'est implicitement accepter de le voir se désintégrer et d'y renoncer) car pas éternel, il est délétère, éthéré, il disparaît aussi vite qu'il apparaît. Pour ce film il fallait des acteurs qui transmettent ces choses plus qu'ils ne les expriment. A ce titre Bill Murray est d'une sobriété exemplaire. Peu expressif son visage, marqué et maussade n'en traduit pourtant pas moins de subtiles nuances, rendant sensibles d'infimes variations de son état d'esprit, de son humeur.

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THE MACHINIST de Brad Anderson. 1*. Trevor Reznick est un peu perturbé ces derniers temps. Voilà bientôt un an qu'il ne dort plus et il fait peur à voir : maigre à l'extrême, les yeux vitreux, une publicité vivante pour la zombie'attitude…sans le petit quelque chose qui rendait les mort-vivants de George Romero si sympathiques malgré leur état de délabrement avancé. Ses journées se succèdent et se ressemblent. Le jour il est machino dans une usine, la nuit il traîne au bar de l'aéroport à boire du café ou va faire des galipettes avec une prostituée, toujours la même. Mais un jour tout déraille, l'équilibre précaire de sa vie est rompu. Par maladresse il allège un de ses collègues de travail de son bras gauche. C'est le début de ce qu'il convient bien d'appeler une descente aux enfers pour lui, qui va l'emmener aux portes de la folie. L'ambiance de ce film cafardeux est posée rapidement. Le hic c'est qu'on voit immédiatement où le metteur en scène veut nous amener et de quoi il retourne de son personnage principal. Ecrasé par la culpabilité d'un homicide, avec délit de fuite remarquera le juriste attentif, il se torture violemment sans entrevoir de sortie possible à son problème. Il est victime d'hallucinations, de paranoïa aigüe et lentement il perd le contrôle relatif qu'il avait sur son univers restreint. Le réalisateur ne s'est pas creusé pendant des mois pour contruire son business : d'un scénar qui recycle sans vergogne des thèmes comme la trouble séparation entre réel et imaginaire, le poids de la culpabilité avec une rédemption en forme de pénitence, plus des thèmes satellites carrément drôles : unee histoire d'amour avec une prostituée qui n'aurait même pas trouvé sa place dans un film français des années 30, des relents de psychanalyse de bazar il fait un film répétitif, sans inventivité, à la glauquerie plan plan et aux ressorts usés, aux indices appuyés…bref, un truc fadasse, aussi excitant que Jennifer Jason leigh dans son rôle de pute clichetonneuse et sans la moindre trace de nouveauté à l'horizon. Seul Christian Bale tire son épingle de ce jeu palpitant mais presque, en donnant de Reznick une interprétation physique à la limite de l'autodestruction.

LE MAITRE DU JEU de Gary Fleder. 1*. Un procès retentissant oppose la femme d'une victime d'un massacre à des fabricants d'armes. Ces derniers, tout puissants embauchent à grand frais un spécialiste de la sélection des jurés, prêts à tous les coups bas pour gagner. En face ? Un simple avocat, militant et idéaliste. David contre Goliath ? Sauf que la donne se trouble quelque peu par l'entrée en jeu d'une troisième variable, à savoir un juré, manipulateur et retors qui se targue de pouvoir infléchir leur verdict dans le sens qu'il désire. Il met ce prétendu pouvoir aux enchères…
Les pions sont posés et la mécanique peut fonctionner. Et c'est parti pour 2 heures de retournements, de coups d'éclat avec en toile de fond une lente montée de la peur face aux enjeux élevés, qui outrepassent le cadre simple du procès. Certes le film n'a rien de renversant ni de révolutionnaire mais l'idée du juré unique capable de renverser une décision, et créer un précédent juridique pour cette histoire, mais ailleurs pour condamner un homme à mort, et qui met ce pouvoir aussi important qu'obtenu par le biais de bassesses inavouables et anti-démocratiques, à vendre est très bonne. La dramaturgie a voulu que la vente au plus offrant de son pouvoir soit un jeu de dupes, pour créer sans doute un suspense quant à l'issue de son appel d'offres…mais le but de son jeu n'était que de discréditer les marchands d'armes et offrir une victoire éclatante à sa cause à lui, résultat calculé depuis longtemps. Moralité ? La justice et la loi américaines telles qu'elles sont appliquées ne sont pas compatibles avec la Justice. Pour l'obtenir il faut donc frauder et contourner les lois. Constat au cynisme pragmatique, porte ouverte à tous les excès. Bref, c'est une bonne grosse machine à bons sentiments mais avec ce petit plus, l'ambiguïté du discours, qui le différencie des autres. Le réalisateur ne réussit pas à renouveler le coup de maître de son premier film, Dernières heures à Denver, se cantonnant depuis à des tâches de faiseur, mais Gene Hackman est toujours aussi bon dans ses rôles de salopard. Alors, à vous de voir…

MAR ADENTRO de Alejandro Amenanbar. 4*. Ramon est devenu tétraplégique (son atteinte médullaire est très haute) suite à un accident de plongée. Voilà 26 ans qu'il est coincé dans un lit, au premier étage d'une ferme en Galice, entouré de sa famille, maintenant il n'aspire plus qu'à mourir. Désirant faire changer la législation espagnole sur l'euthanasie, il contacte une avocate qui accepte de prendre en charge son dossier, une avocate elle aussi très concernée par le problème car atteinte d'une pathologie dégénérative des artères qui la condamne à plus ou moins long terme à végéter. Le remue-ménage médiatique que provoque sa demande lui fait rencontrer une autre jeune femme, qui va tenter de le faire changer d'avis.
Ramon est un prisonnier. Prisonnier de son corps handicapé : il ne peut plus ni marcher, ni se servir de ses bras ou de ses mains, il passe toutes ses journées au lit. Sa belle sœur vient le retourner trois ou quatre fois par jour. Il est de plus confiné au premier étage de la maison, comme pour marquer son impossibilité de sortir, plus encore que son refus d'être dans un fauteuil roulant. La présence même de sa famille est une charge pour lui, elle renforce son sentiment d'impuissance, obligé qu'il est de faire appel à eux sans cesse pour tout. Dans ses conditions, privés de presque toutes ses capacités physiques, ne pouvant exécuter les choses les plus évidentes et les plus simples quel sens peut avoir sa vie ? La mort choisie lui apparaît donc comme la seule issue tolérable. Il va se heurter à un paradoxe : valide, rien ne l'empêcherait de se suicider, dans son état, ce geste nécessite une aide extérieure et la loi l'interdit. Son désir de ne pas se résigner l'enferme encore plus dans sa solitude. Car ce que souligne cet état de fait est qu'il n'est pas libre non plus de sa vie, cela le réduit à être l'ombre d'un être humain, un homme tronqué. Les deux rencontres féminines qu'il fait vont précipiter les choses. La première, Julia, l'avocate, va tout d'abord le forcer à revenir à son passé, à avant l'accident (n'était-ce pas un suicide caché, déjà. L'auteur laisse planer sur le doute.), le faisant replonger douloureusement dans des souvenirs remisés. Mais Julia va aussi lui faire ressurgir des sentiments refoulés ou trop longtemps étouffés. En se découvrant ainsi, certes il s'expose mais il peut aussi laisser libre cours à l'expression de ses affects, ceux-ci étant renforcés par ce qu'on pourrait appeler une communauté pathologique. Loin de vouloir le faire renoncer à sa décision, cela lui permet juste de partir mieux, moins amer. Pour la deuxième femme, Rosa c'est différent. Elle s'accroche à lui comme à un espoir un peu fou. Elle imagine que de réussir à le convaincre de vivre, d'affirmer le caractère sacré qu'elle donne à la vie (vivre sans autre justification ni raison que la vie même) lui donnera la force à elle de ne pas abandonner la lutte qu'elle mène pour faire vivre sa famille, et trouver chaque matin une raison de ne pas tout laisser tomber. Tout paraît clair alors pour Ramon, persuadé que Julia, en cas d'échec de la procédure légale entamée, l'aidera à mourir et qu'elle se donnera la mort ensuite, comme une image d'Epinal d'amants maudits. Hélas pour lui, la mécanique à l'aspect bien huilé s'enraye, et Julia renonce à leur projet. Et c'est Rosa qui finalement mettra le cyanure dans le verre d'eau, ultime expression de son amour impossible pour Ramon. Si le sujet laissait craindre le pire, Amenabar s'en tire plutôt très bien. Sa mise en scène, dont la qualité première n'est pas l'absence d'artifices, emmène le spectateur, comme lors du magnifique plan de survol en rase-mottes. Il n'a pas cherché à vouloir nous faire ressentir un morceau du calvaire de Ramon, ce qui eût été illusoire, mais à nous amener à accepter son choix de mourir. Mar adentro est un mélo très émouvant et sincère, dans lequel les personnages, essentiellement les femmes et Ramon bien entendu suscitent l'intérêt jusqu'à la fin, aussi attendue que désirée.

MARY de Abel Ferrara. 0* . Mary est une actrice qui suite au tournage d'un film sur la vie du christ pète un boulon et part dans une sorte de trip mystique à Jérusalem. Tony son metteur en scène et acteur principal rentre seul aux USA faire le montage de son brûlot et espère bien susciter des polémiques virulentes lors de sa sortie en salles. Theodore présente quant à lui une émission hautement passionnante (tendance le jour du seigneur sous prozac) dans laquelle des spécialistes débattent de la couleur des sandales de Marie-Madeleine ou des techniques de lavages des pieds avec ou sans paletot. Sans la savoir, c'est la magie du cinéma, tout ce petit monde va bien entendu interagir un moment donné, le tout bien imbibé d'eau bénite et d'enfoncement de portes ouvertes. L'attrait d'Abel pour les choses de la religion s'il n'est pas neuf commence à sentir le roussi. Quelle a été son ambition ? Que veut-il dire avec son film ? Si son message est : Rien ne sert de chercher à expliquer les aberrations qui pullulent dans la bible, la foi est au-delà de ces contingences, dieu est amour, dieu est à l'intérieur de nous (tient mais c'est comme alien alors !), parlons à dieu youplaboum, lalalalère…alors Mister Ferrara écrivez-le sur un bout de papier si ça vous soulage, mais n'en faites pas un film de grâce. Et que viennent faire les attentats dans cette histoire ? Et cette histoire de coucherie extraconjugale ? Les problèmes de santé du pitchoune et cette relation adultère sont-ils liés ? D'ailleurs cet enfant qu'attend la femme de Theo est-il une image de la foi naissante, qui ne pourra émerger véritablement que dans le sang et la douleur ? Ce ne sont pas les quelques moments où à coup de basses saturées il nous assène une scène brutale (un rail de trop ?) qui sauve son film de la torpeur morbide dans laquelle le spectateur ne manque pas de sombrer. Ferrara a-t-il encore la capacité de tenir une caméra tout ce temps ? On peut légitimement en douter. Cette déliquescence culbénite présente tout de même le léger avantage de ne durer qu'une heure vingt-cinq. Portons au moins ça à son crédit.

MASSACRE A LA TRONCONNEUSE de Marcus Nispel. 2*.Le remake du classique des classiques des films d'horreur, le film qui a lancé la mode des films de serial killers spectaculaires est une excellente surprise. Après une introduction ratée en forme de reportage télé (avec noir et blanc neigeux, son qui crachote et commentaire racoleur) l'histoire, inspirée de faits réels on le répète assez, est lancée. Cinq ados traversent le Texas en camionnette, ils sont joyeux et insouciants jusqu'à ce qu'ils prennent en stop une jeune fille amorphe et terrorisée qui finit par se tirer une balle dans la tête. Cet acte désespéré va les faire entrer en enfer, ils vont en effet faire connaissance avec la famille Hewitt, des dégénérés sanguinaires et meurtriers et de leur gamin, le célèbrissime Leatherface et sa tronçonneuse. Seule l'une des jeunes filles survivra à cette épreuve au bout de la terreur et de la folie.
Après une première moitié classique et plan-plan où les décors (un Texas terrifiant) et les personnages sont posés (toujours les mêmes clichés d'ados US avec dialogues cons et jeu outré) et l'intrigue amorcée on pénètre dans la face sombre et étouffante du film. Et c'est cette partie qui donne au film toute sa force et son cachet. La tension monte crescendo, les meurtres et les exactions se succèdent et les survivants, dont le nombre diminue d'heure en heure, sont lancés dans une course folle contre la mort. La mise en scène de l'horreur est très convaincante : Nispel alterne plans larges sur la maison de l'horreur et la campagne hostile avec des plans en mouvement, qui suivent les ados/proies essayant d'échapper au monstre dans des décors cauchemardesques. Ce tueur est une incarnation saisissante de la folie furieuse, du mal (dans une acception " religieuse ") : il est montré presque comme un fantôme : il apparaît d'abord furtivement, tel une ombre nimbée de lumières glauques, puis sa gestuelle, ses cris, sa vélocité qui contraste avec sa stature imposante le transforment en trauma vivant, une négation de l'humanité et pourtant…
Ce massacre est un must dans son genre, une œuvre certes pleine de concessions mais indubitablement sauvage et malsaine qui provoque une terreur organique et viscérale, nous submergeant par moment.

 

MASTER AND COMMANDER de Peter Weir. 4*. En 1805, alors qu'en France l'homoncule corse encapuchonné de travers lorgnait vers la perfide Albion, un capitaine anglais tenace, Jack Aubrey, est envoyé par Buckingham Palace dans le sud de l'Atlantique avec son vaisseau, le HMS Surprise, barrer la route, voire plus si affinités, d'un corsaire français parti mettre le Brésil à feu et à sang. Victime d'un premier revers cuisant, l'Anglais n'aura de cesse de traquer son homologue outre-manchot, le poursuivant jusqu'au Cap Horn puis aux îles Galápagos pour finalement l'assaillir dans un maelström de coups de canon, de fusil, d'épée, de bombes et de cris.
Aubrey se laisse envahir petit à petit par son obsession folle et dangereuse. Il va mettre la vie de ses hommes en danger dans l'unique but de combattre et de vaincre son adversaire, outrepassant par-là son ordre de mission. Cette traque devient une affaire personnelle pour lui. Ce qui est passionnant dans ce film c'est cette idée fixe qui le guide, idée fixe confrontée à chaque instant aux conditions de vie à bord qui se dégradent, à ses hommes qui le suivront jusqu'à la mort s'il le faut, à sa propre humanité à lui et à son très haut sens du devoir. Mais la vie, l'humanité dans ce navire/galère a un sens particulier : dans le fond, tout le monde est logé à la même enseigne, embarqué dans la même course insensée. La hiérarchie, pierre angulaire de l'armée, repose ici sur un respect aveugle dans le commandement qui débouche sur une confiance indéfectible envers celui-ci. Cet esprit de corps allié à la grande habilité de Aubrey les mènera à une victoire, toutefois dérisoire face aux pertes essuyées. La marine paraît être pour ces hommes bien plus qu'un métier, elle a fait d'eux ce qu'ils sont, leur donnant cette vie rude pour bien souvent leur reprendre. Cette issue, tous l'ont intégré, elle scelle plus encore que la promiscuité les liens entre eux.
Pour filmer cette aventure navale, Weir œuvre dans le classicisme le plus abouti. Sa caméra suit cet équipage, quittant donc rarement le HMS Surprise, se promenant dans le bateau, passant du mess aux dortoirs constellés de hamacs, au pont ou aux mâts. Elle pourrait être en somme le regard de différents marins à différents moments. Le spectateur est amené à suivre ce quotidien parfois trépidant et périlleux, parfois d'une monotonie morbide. Jamais le metteur en scène ne juge ces hommes pourtant frustes et enclins aux superstitions les plus aberrantes (comme le mythe de Jonas), il nous les montre comme des héros, certes peu reluisants mais tellement humains, avec la rage au ventre, insufflant à cette aventure un souffle incomparable, renforcé encore par l'escale naturaliste aux Galápagos. Bref le réalisateur australien a réussi un excellent film d'aventures, trouvant un équilibre idéal entre tous les ingrédients du genre, exempt de toute ironie et porté par une interprétation exemplaire, particulièrement celle de Russell Crowe, simplement génial. Une référence.

LA MAUVAISE EDUCATION de Pedro Almodovar. 4*. Ignacio, du moins le croit-on au début, un jeune homme, débarque un beau jour dans le bureau d'un de ses amis d'enfance, Enrique, devenu producteur de cinéma, avec un scénario inspiré d'évènements de leur passé à tous les deux, à l'époque où ils étaient internes dans un pensionnat religieux. La lecture de son scénario va raviver de vieilles cicatrices et de vieux traumatismes. Car ils ont été tous deux marqués à vie par ce passage chez les curés, à plusieurs niveaux d'ailleurs : si dans cette " prison " idéologique et physique ils ont subi des dommages certains (viol, violence, humiliation), elle a permis l'éclosion d'un sentiment tout autre ; en effet les deux jeunes garçons tombèrent amoureux l'un de l'autre sans oser se l'avouer, le sentiment qui les liait fût si fort, bien au-delà de quelques caresses interlopes qu'il amena Ignacio à un véritable sacrifice, consenti et assumé, certes sous la contrainte de l'autorité, pour sauver son ami. Et c'est ce sacrifice, au cours duquel il laisse le père supérieur le violer qui posera les jalons de sa perte, puisque devenu adulte, Ignacio, prostitué, transsexuel et junkie, meurt tragiquement, embourbé dans une sombre histoire de chantage à son ancien bourreau. Et c'est le faux Ignacio, Angel son frère, qui décide de faire porter à l'écran les souvenirs saignants de feu son frère, avec l'espoir d'interpréter dans l'adaptation le rôle de son frère.
Almodovar déroule son récit en trois strates distinctes : le niveau 1, que l'on pourrait assimiler à la réalité, le niveau 2, qui est le film adapté des souvenirs de Ignacio et enfin fugacement le niveau 3, qui est la narration des derniers moments de la vie de Ignacio par son " bourreau " (même si ce n'est pas ce dernier qui le tue). Les sentiments sont, comme toujours chez le metteur en scène espagnol, exacerbés : entre les deux jeunes garçons, entre le père Manolo et Ignacio, entre Angel et Enrique et finalement entre Angel et son frère. Il nous dit encore une fois que seuls l'art, l'imagination peuvent sauver l'Homme : de Angel, l'acteur à Enrique le petit producteur, ils trouveront la sortie du tunnel dans lequel ils pataugent, se libérant du poids écrasant du passé, du remord non sans avoir traversé des moments de grande solitude et de souffrance. Enrique qui vit dans une maison vide pleine de cartons encore fermés (ses souvenirs qu'il a voulu enterrer pour les oublier), Angel qui prend la place de son frère et tombe amoureux de Enrique après avoir eu une relation avec Manolo (le même parcours que son frère, la contrainte en moins), il cherche véritablement à se substituer à lui, à copier sa vie en la plaçant dans un registre différent, celui du jeu, du faux-semblant. Bref, c'est un film émouvant, riche et complexe, car il traite de sentiments humains, de culpabilité, de désir, de choses plus fortes que la raison. Almodovar nous dit que l'espoir peut naître même sur un tas de fumier immonde, et que le salut est dans la fiction et l'imagination qui d'échappatoires deviennent une raison de vivre.

MELINDA ET MELINDA de Woody Allen. 3*.Deux écrivains, l'un écrit des tragédies, l'autre des comédies discutent dans un resto de leur façon de voir les choses. Comme exemple de l'imparable triomphe de la perception, donc du point de vue adopté, dans l'approche de la vie ils construisent une histoire, dont une jeune femme, Melinda, est l'héroïne et confrontent leurs visions.
Le sujet est limpide et reprend toutes les " marottes " du cinéaste pour in fine affirmer haut et fort son postulat : tout est affaire de point de vue. Et la démonstration par le biais de cette hydre, une facette comique l'autre tragique donc, est magistrale. Le point de départ est le suivant : au cours d'un dîner une jeune femme fait irruption. Pour l'auteur de comédie, elle est venue demander de l'aide, alors qu'elle vient d'avaler une quantité respectable de somnifères, pour l'autre elle répond à une invitation donnée de longue date, tellement d'ailleurs que ses hôtes ne l'attendaient plus. Dans la première histoire Melinda va avoir une relation avec son hôte, un acteur qui nourrit une étrange lubie, celle d'interpréter tous les grands rôles du répertoire en leur rajoutant une claudication et qui vient de surprendre sa femme, une réalisatrice à qui il manque 2 millions $ pour clôturer le budget de son film " Sonate de la castration " au lit avec un producteur de cinéma. Dans l'autre c'est la femme de son hôte qui va avoir une relation avec son partenaire, un musicien de jazz black (et oui, vous ne rêvez pas, il y en a chez Woody désormais). Les deux trajectoires sont chaotiques et jonchées de problèmes, c'est l'artiste, via son regard, qui y applique une tonalité mineure ou majeure. C'est par l'imaginaire encore une fois que passe le salut et dans l'absolu les deux ne sont pas si différentes que cela, seul le traitement qui leur est réservé les distingue, l'issue elle est inamovible, c'est une mort aussi certaine que redoutée. Allen a mêlé les deux histoires par un montage malin qui nous fait voyager à travers les récits en douceur. Les acteurs sont bons, les dialogues brillants et par moments très drôles. Bref c'est un bon Woody que nous avons là.

MEMORIES OF MURDER de Joon-Ho Bong. 3*. En Corée du Sud, la province rurale de Gyunggi est ensanglantée par une série de meurtres sauvages qui suivent tous le même mode opératoire. Pour endiguer une montée de la paranoïa chez les habitants de cette paisible contrée, une unité spéciale est créée, renforcée par un enquêteur de la capitale, Séoul, qui tente de mettre un terme à ces assassinats. Les cadavres s'additionnent et les policiers n'ont toujours rien. Ils vont de fausses pistes en fausses pistes. La tension monte, augmentée encore par la grogne de plus en plus forte des gens à l'encontre des brutalités policières, des actes de torture et autres passages à tabac intempestifs.
Plus encore que par l'identité du serial killer, qui canalise et qui symptomatise les malaises de la société coréenne, c'est par le regard décalé qu'il porte sur ses personnages et son histoire que le metteur en scène maintient une tension légère mais permanente tout en la désamorçant par moments. Les méthodes des flics locaux ont de quoi laisser perplexe : ils compensent un déficit criant de matière grise par une hargne et une violence physique superlatives, par une foi aveugle en des croyances surnaturelles obscures et ridicules. L'arrivée de cette forme de violence chez eux les laisse impuissants, ils n'ont pas les ressources pour y faire face. La hiérarchie est au diapason dans son besoin de résultats impératifs et rapides, prête à toutes les compromissions (comme de couvrir des pratiques barbares pour obtenir des aveux) pour mettre un nom sur le tueur. Le monde décrit à de quoi faire pleurer mais l'introduction d'humour, toujours ironique, lui donne une teinte mi-figue mi-raisin. Il ressort que tous ces gens qui s'agitent autour de ce charnier sont bien pitoyables. Rationnel et irrationnel, pris comme des exégèses du hasard, sont renvoyés dos à dos dans leurs vaines tentatives d'expliquer le réel, ou tout du moins dans les espoirs infondés qu'ils permettent, comme celui, illusoire, de contrôler les évènements. Pas un triomphe du déterminisme, mais plutôt une critique acerbe du besoin irrépressible de façonner les choses. L'homme, nous rappelle Bong, est soumis à une incroyable foisonnance d'influences, de contraintes et d'interactions diverses qui font qu'imaginer diriger sa vie est une chimère. L'enquête policière en est la démonstration. Aucune des méthodes employées par les policiers ne mène à la vérité, elles ne font qu'accentuer les préjugés et les convictions. En conclusion ce polar rural (bucolique même par moments), noir, violent, grinçant, fataliste et intelligent est une excellente surprise.

MILLION DOLLAR BABY de Clint Eastwood 4*. Ancien soigneur sur les rings, propriétaire d'une petite salle d'entraînement miteuse Frankie Dunn traîne son amertume et sa culpabilité immense dans la petite vie faussement protégée qu'il tente depuis trente ans de se construire. Ce dernier garde en effet bien vive la blessure d'un échec, qu'il porte comme un pêché originel, qui coûta un œil à un jeune boxeur. Il n'arrive pas à se défaire de sa culpabilité, entretenue par la présence quotidienne de l'ancien boxeur borgne, engagé comme homme à tout faire dans son gymnase. Rejeté par sa fille malgré les nombreuses tentatives qu'il fait pour renouer le contact avec elle, il vacille le jour où le boxeur qu'il entraînait décide de changer de coach, lassé que Dunn repousse sans cesse son entrée dans le monde des pros, apeuré qu'il est de subir un possible nouvel échec. Et puis un jour il accepte d'entraîner une jeune femme. Se tissent entre eux deux des liens de plus en plus fort, allant jusqu'à le faire prendre un risque énorme pour lui, puisqu'il l'amène à accepter de suivre la jeune Maggie jusqu'au bout de son rêve à elle. Et là la sentence est sans appel, grièvement blessée elle se retrouve condamnée à vivre en fauteuil roulant, tétraplégique et amputée, sous assistance respiratoire, fauchée en pleine ascension. Dunn est alors assailli par une montagne de remords, écrasé par un surcroît de culpabilité, effondré qu'il est d'avoir encouragé, participé à cet essor avorté. Le souffle court, la voix rauque et parlant si bas que ses mots ont l'apparence d'un souffle Clint prête sa carcasse pleine des stigmates d'une existence mouvementée à son personnage de coach inconsolable. Dans la première partie du film on le voit s'enfoncer dans ce qui s'avère être la chronique d'une déchéance annoncée, ruminant sa solitude muette, lâché de toutes parts il semble achever de se transmuer en spectre, à peine l'ombre de l'homme qu'il avait été avant le dramatique incident qui lui fournît un alibi pour tenter de vivre caché à l'abri d'émotions trop fortes et donc de déceptions inévitables. Replié ainsi sur lui-même il passe à côté de ce qui pourrait donner un sens à sa vie, qui ressemble de plus en plus à sa salle de boxe. Sa rencontre avec Maggie va le placer en face de ses peurs et de tout ce qui le ronge. Cette jeune femme jouera pour lui plusieurs rôles, de fille d'adoption au début, fille sur laquelle il fera régner une discipline sévère (une sorte d'éducation, rigide, sensée lui fournir les armes pour qu'elle soit en mesure de se protéger des mauvais coups ; à ce propos la métaphore de la boxe comme apprentissage de la vie prend tout son sens) puis peu à peu, découvrant en elle la jeune femme qu'elle est et dont la personnalité étouffée par un environnement familial stérilisant et abrutissant ne pouvait s'épanouir, il se met à l'aimer différemment. L'incroyable force intérieure de Maggie, sa rébellion, sa volonté de réussir sans écraser, sa douceur trouve un écho fracassant chez le vieux Frankie. Celui-ci commence à nourrir envers elle des sentiments de toute autre nature, ne franchissant naturellement pas les frontières de sa forteresse mais s'échappant par instants de ses yeux brillants. Maggie est pour lui bien plus qu'une fille de substitution, plus qu'une élève c'est une véritable femme, indépendante mais vulnérable. Puis survient la tragédie. Si définitive qu'elle soit, si dure à encaisser elle sera pourtant le seul espace dans lequel leurs relations pourront vivre de façon partagée. Dunn, dans un acte qui lui demande un renoncement énorme, en lui donnant la mort lui prouve, et se prouve à lui, qu'il l'aime, qu'il est encore un homme. Cette euthanasie est le symbole de l'amour qu'ils n'ont jamais pu faire, un véritable don total en même temps qu'une rédemption lui offrant le droit de disparaître dignement. Million dollar baby est un film exceptionnel, une nouvelle réussite du grand Clint. La mise en scène rend très subtilement compte de l'évolution des personnages, et du sien en particulier, personnage pivot et central du film. Les scènes dans lesquelles le noir de l'obscurité et de l'ombre occupe une grande part de l'écran avec sa silhouette se découpant de ces ténèbres sont saisissantes, elles donnent au film l'aspect d'un chant funèbre.

LA MORT DE DANTE LAZARESCU de Cristi Puiu 3*Le vieux Dante Remus, ingénieur désormais en retraite, croupit dans son appartement cradingue entre ses chats, les coups de fil à sa fille et sa bouteille de tord boyaux local. Il souffre depuis plusieurs jours de douleurs à la tête et à l'estomac. Persuadé qu'il s'agit d'une rechute de son ulcère il appelle une ambulance. Trimballé d'hôpital en hôpital le brave homme va enchaîner les consultations médicales alors qu'un terrible accident routier est survenu engorgeant les urgences de tous les hôpitaux de Bucarest.
La lente agonie de Lazarescu, de la sortie de son appartement, laborieuse et assistée d'un couple de voisins folkloriques, à son voyage au bout de la nuit accompagné d'une ambulancière qui n'arrive pas à le confier à un médecin jusqu'à son inéluctable mort donne lieu à un film grinçant. Puiu dissèque ironiquement les rapports entre le corps médical et ce patient, traité comme une marchandise. Le point de vue est intéressant mais la longueur excessive du film lui fait perdre de la force. Lazarescu apparaît comme une victime prise dans un dédale administratif et sanitaire inextricable, dont le seul état de santé ne semble jamais justifier la prise en charge nécessaire. Triste médecine où il est préférable de ne pas boire d'alcool pour être traité avec égard par les soignants, où il faut se faire passer pour le parent d'un médecin pour avoir une radio urgente et où tout simplement il faut obtempérer docilement à toutes les procédures en mettant toute dignité humaine de côté… Le metteur en scène laisse naître l'ironie des situations elles-mêmes sans en rajouter, ne condamnant personne si ce n'est la persistance d'un système administratif inhumain, une machine à broyer les individualités.

MYSTERIOUS SKIN de Gregg Araki 3*. Brian, 8 ans, se reveille un jour dans la cave de sa maison avec le nez en sang. Sa mémoire a presque totalement évincé les quelques heures précédant son réveil. Son imaginaire de gamin se met alors à fonctionner plein tube et il se persuade qu'il a été enlevé par des extra-terrestres, allant même jusqu'à avoir des visions de l'ovni en question. Désormais son esprit sera occupé à comprendre ce qui s'est passé pendant ces heures-là. Neil, le même âge, fait du baseball dans la même équipe que Brian. Il tombe éperdument amoureux de son entraîneur et vit, l'espace d'un été une relation amoureuse avec lui. Si le sujet pouvait prêter le flanc au scabreux le plus louche il n'en est rien. Araki filme son histoire comme une enquête psychanalytique dans laquelle le spectateur joue un peu le rôle d'un dieu, son regard pouvant passer aussi bien de la vie de l'un à celle de l'autre, les voyant d'abord imperceptiblement puis de plus en plus distinctement se rapprocher l'un de l'autre. Car c'est cela le but du de ce film : refaire se rencontrer ces deux anciens gamins, ados maintenant, pour les voir mettre à jour les plaies qui les gangrènent. La systématique opposition entre les deux, Brian le blond mal dégrossi, binoclard, coincé et obsédé par ses ovnis et Neil, le beau brun aux yeux sombres, débauché, voguant entre tapinages et ingestion de LSD, comme si ils étaient définis de façon dialectique, réduit la portée émotive du film en enfermant les personnages dans un carcan assez rigide. Brian dont les souvenirs épileptiques font remonter en lui des images, des flashes de ce laps traumatique aux contours flous et Neil qui vit enfermé dans la nostalgie d'un amour perdu en se refusant toute nouvelle chance d'aimer et qui se prostitue (toujours avec des hommes moustachus) comme pour rendre exclusifs, pour fixer dans l'éternité les longs moments passés avec son entraîneur. Brian finit par retrouver la trace de Neil, soulagé de pouvoir mettre un nom sur une image qui peuplait ses rêves (cauchemars) depuis longtemps. Mais il est encore trop tôt pour que cela aboutisse, il leur reste à tous deux du chemin à faire : lorsque Brian ose aller au devant de Neil il apprend que ce dernier vient de partir pour New-York, continuer à brûler sa vie dans un environnement où il est anonyme, où paradoxalement il peut vivre caché. Coupé de la réalité, il s'enfonce chaque jour un peu plus jusqu'à avoir un rapport non protégé avec un homme qu'il sait atteint du sida et de se faire violer par une brute épaisse (et moustachue) le laissant ensanglanté, étalé sur le trottoir, établissant un parallèle avec l'expérience infantile de Brian, la lucidité sur les choses en plus. C'est la peau tuméifiée qu'il rentre passer les fêtes de noël chez sa mère et enfin se confronter avec Brian, mettre des mots sur ses vides, lui donner la possibilité, non pas d'en guerrir, le propos n'est pas là, mais de refermer la plaie. Le réalisateur ne réserve pas une égalité de traitement à tous ses deux protagonistes. Brian ne se dépare jamais de son apparence de benêt, ceint par ses lunettes-écran. Neil par contre est filmé avec une fascination mèlée d'un fort désir sexuel. La caméra le saisit, glisse dessus, se perd dans ses yeux brillants mais jamais ne réussit à le révéler. Il recèle un mystère insondable, il est animé par une chose inconnue. Les autres personnages sont restés à l'état d'ébauche, mais leur importance est secondaire. En bref Mysterious skin est un film fort, un drame émouvant sur le vide.

MYSTIC RIVER de Clint Eastwood. 4*. Quel sombre film ! Un film fait de peurs, de culpabilité, de souffrances, de vieilles cicatrices encore saignantes, de traumatismes, d'actes aux conséquences à long terme (les démons intérieurs)… de ces choses qui font la vie en gros.
Le film s'ouvre sur un fait divers sordide : Dave, Jimmy et Sean, trois gamins qui s'amusent dans la rue, Dave est embarqué par des policiers qui le séquestrent et le violent quatre jours durant, lui faisant subir l'innommable, le dégradant à tout jamais. Le gosse s'échappe mais restera hanté par ce contact brutal avec un aspect peu reluisant de la réalité de la vie, cet événement il préfèrera, ainsi que ces amis, l'enterrer au plus profond de lui.
Une trentaine d'années plus tard, on retrouve ces trois personnages ; la ville est la même, seul l'un d'eux a quitté le quartier de leur enfance, Sean, devenu flic. Jimmy est un ex-taulard qui s'est rangé des voitures, il dirige son épicerie, il est marié et a trois filles. Dave, lui, semble constamment à côté de la plaque, lunaire, il essaye tant bien que mal de survivre malgré son secret, ce boulet avec lequel il a grandi : il est marié à une femme qui ne le comprend pas, il a un enfant avec lequel il joue toujours au base-ball. Bref tous trois offrent une apparence de normalité, ils se sont forgés une carapace sensée protéger leurs plaies. Las, un nouveau fait divers, le meurtre de la fille aînée de Jimmy, va fissurer tous ces " déguisements " et faire remonter la peur, les angoisses, les cauchemars et surtout une incommensurable amertume. La tension monte et un climat malsain s'installe dans le quartier.
Eastwood nous parle du haut de ses 73 ans. Ce film là n'est pas plus pessimiste que ses autres, il est juste un peu plus douloureux, plus étouffant. Ce qui l'intéresse n'est pas tant de savoir qui est le coupable, ce sont plutôt les actes eux-mêmes. Ces traumas que la vie nous inflige font de nous ce que nous sommes. En chacun de nous il y a une faille, une cassure qui ne se ferme jamais, au contraire elle nous restructure, elle devient nous, omniprésente, qu'on tente vainement de la voiler ou pas. Chacun est le pionnier de sa vie, il doit renoncer à son innocence, toute relative certes, pour se construire, se créer en tant qu'Homme. C'est ce qu'ont fait ces trois gamins, de façon différente. Pour naïvement retrouver cette innocence perdue, ils ont engendré la vie à leur tour. C'est ce qu'a fait Jimmy par exemple, et tuer sa fille revient aussi à tuer sa tentative désespérée de retrouver cette part d'enfance qu'il voulait se réapproprier. Tout ceci est sans issue.
Eastwood ne nous assène pas ses vérités, elles sont intégrées dans le cadre de ce faux thriller, comme climax. Il continue avec Mystic River sa descente dans les abymes les plus sombres de l'être humain. A ce sujet, ses plans d'ouverture et plus encore de clôture, sur la fameuse rivière, " résument " sa démarche ici : d'une vue générale, il finit par une plongée vertigineuse dans la rivière, celle-ci grignotant peu à peu tout l'écran. Plus la caméra s'en approche plus elle paraît noire et trouble. Un grand cru.

N  

NEW ROSE HOTEL de Abel Ferrara. 3*. Deux escrocs, Fox et X, décident de monter une arnaque colossale : ils veulent pousser un éminent biologiste à quitter le laboratoire qui l'emploie pour le faire aller chez un concurrent qui pourrait ainsi tirer de gigantesques profits de son invention. A cette fin ils engagent une prostituée, Sandi, chargée de tomber amoureuse du scientifique et donc renoncer à son ancienne vie, femme comprise car il est marié. Mais rien n'est simple. L'un d'eux tombe malencontreusement amoureux de la fille, c'est d'autant plus malheureux qu'elle finira par les doubler et fera échouer cette virtuellement lucrative opération de tranfuge (pensez donc : 100 M$). Fox se fait tuer, et X, seul, se terre et tente de comprendre ce qui a pu l'amener à cet échec total, il essaye de reconstruire sa mémoire des faits, de trouver dans son travail sur ses souvenirs LA réponse. On passe d'une chambre d'hôtel à une autre, aux quatre coins du globe.
La première demi-heure est typique du travail de Ferrara avec une ambiance glauque accentuée, des néons, des flashes, de la musique, de la fumée et du sexe en veux-tu en voilà (saphisme, parties à trois, quatre voire plus)…bref un environnement familier. Il pose ses personnages, il ébauche l'intrigue, plante son atmosphère. Puis vient la mission à proprement parler, que l'on ne suivra que de loin, par le biais de compte-rendus, de coups de téléphone…jusqu'à son échec. Arrive ensuite la partie la plus intéressante, celle où X interroge ses souvenirs. Chacune de ces trois parties a son propre rythme : la première est lente, syncopée et lourde, la seconde plus claire est plus rapide aussi, la dernière est étouffante, écrasante, chaque flash back semblant assommer X, l'enterrer.
On ne peut s'empêcher de remarquer une fois de plus les symboles religieux que Ferrara saupoudre dans ses films : les icônes et les tableaux, le tatouage représentant un ange au-dessus du pubis de Sandi, son nom d'emprunt (Angelica) ou le nom de la firme qui emploie le savant (Maas). Mais si énervant soient-ils, ils ne sont que décoratifs et probablement à mettre sur le compte d'une lubie catho mal digérée. Les acteurs principaux offrent une composition passionnante : Walken, un compagnon de route du réalisateur, dans son rôle d'espion industriel tordu (physiquement et moralement), aux réactions étranges et inquiétantes, Dafoe et son visage magnétique taillé au couteau, qui se laisse aveugler par la belle et manipulatrice Sandi, et enfin Asia Argento (fille de son père) aux cheveux de jais et au visage sublime (un visage angélique auquel ses yeux noirs et intenses donnent un aspect diabolique et son corps qui appelle l'amour).
Bref, NRH est un bon Ferrara, qui garde un côté foutraque, excessif marque de fabrique du bonhomme, mais aussi une grande rigueur dans la structure et la construction. La caméra palpite, bouge, se moque des règles traditionnelles du cadrage, les acteurs éclatent dans des personnages qui leur permettent de laisser libre cours à leur talent…

 

NOBODY KNOWS de Kore-Eda Hirokazu. 5*.Quatre frères et sœurs, après avoir vécus le déchirement de leur fratrie en raison de placements par les services sociaux, emménagent avec leur mère dans un appartement d'un quartier populaire de Tokyo. Enfin…emménagent…la mère arrive avec l'aîné, Akira, qu'elle présente aux voisins. Sa fille aînée, Kyoshi, arrive en secret la première nuit, à l'insu des autres habitants de l'immeuble. Les deux plus jeunes, Yogeshi et la petite Yuki eux, viennent dans les bagages, enfermés tous deux dans des valises apportées par les déménageurs. La mère fixe les règles tout de suite : interdiction aux trois plus jeunes de sortir, d'aller sur le balcon : ils doivent vivre reclus dans l'appartement. Privés d'école, abandonnés de plus en plus fréquemment par leur mère, qui multiplie les absences longues pour finalement ne plus revenir les quatre enfants tentent tant bien que mal de survivre.
Le film, inspiré d'un fait divers, est une lente immersion dans le quotidien de ces enfants ou comment ils font pour pallier l'inconscience criminelle de cette mère qui ne les a réunit à nouveau que pour mieux les abandonner. Très vite Akira, l'aîné, prend en charge ses frère et sœurs. Avant ses disparitions leur mère ne lui laisse qu'un peu d'argent, et c'est avec ces maigres appuis qu'il doit assurer la subsistance et la survie d'eux quatre. Il a un tempérament suffisamment fort pour tenir le coup, du moins au début, tout en respectant et en faisant respecter les règles iniques édictées par sa mère. Il rassure, il nourrit, il devient le pilier, l'élément solide du groupe. Sa sœur Kyoshi, elle, se replie petit à petit sur elle-même, séjourne de longs moments dans l'obscurité du placard contenant les vêtements maternels, et s'enferme dans un mutisme presque total. Les deux derniers subissent silencieusement, un peu étrangers à l'absurdité révoltante de leur situation, juste en manque de la présence de la mère. Et ils tiennent longtemps comme ça, ils font preuve d'une résistance incroyable jusqu'à l'inévitable craquement de ce système factice. Sachant que la mère ne reviendrait plus ils s'adaptent encore, et tâche de parer au plus urgent, au vital lâchés seuls dans ce monde d'adultes dont ils n'ont comme référent qu'un piètre exemple. Akira rencontre une fille, qui vient les visiter, leur apporter une affection féminine qui leur manquait. Mais pris par ses responsabilités, il refuse d'aller voir la police pour signaler l'abandon écartant l'idée d'un ré-éclatement de cette cellule si fragile et pourtant si soudée, il ne peut se laisser aller à une quelconque dérive sentimentale, qui laisserait alors immanquablement apparaître une faille, obligé qu'il serait d'accepter sa souffrance. Mais voilà, la réalité finit par l'emporter et le cocon artificiellement entretenu finit par éclater, encore une fois. A ce titre la mort de la petite Yuki est symbolique : elle fut le résultat d'un " accident " avec un homme de passage, elle permit une recomposition de la famille, sa mort est bien la matérialisation de la fin d'un cycle, de la fin du " rêve " dans lequel Akira tentait au prix d'efforts et de renoncements immenses de protéger ses frère et sœurs, et c'est aussi la conséquence tragique du choix d'Akira qui a préféré garder l'intégralité de ce noyau au détriment de son intégrité. On ne peut décemment pas reprocher une telle décision à un gamin de 12 ans.
En filmant à hauteur d'enfant, Hirokazu réussit à nous faire vivre avec compassion l'inacceptable destin de ces enfants. Il ne s'attarde pas sur un pathos qui eût été stérile, il laisse à chacun des gamins des plages de répit, même si celui-ci est feint. Il déniche la vie, toujours présente même dans les pires moments de leur calvaire, laisse une place à l'espoir, qu'ils payent excessivement cher bien qu'il soit le véritable moteur de leur survie. Nobody knows est un film d'une grande tristesse et une œuvre admirable.

NOI ALBINOI de Dagur Kari. 2*.Noi est un adolescent atteint d'albinisme qui passe ses journées infinies à broyer son ennui dans un petit port islandais. Lycéen pour le moins irrégulier dans son assiduité aux cours, il vit chez sa grand-mère, une vieille femme un peu dérangée qui le réveille à coup de fusil de chasse ; son père, chauffeur de taxi, est un alcoolique notoire qui loge dans une bicoque où il s'essaye au piano et qui s'improvise crooner de temps à autre. Tuer le temps interminablement long est son activité principale : il va un peu en cours, il traîne dans la librairie du bourg, il se ballade sans but, il va tirer au fusil sur les glaciers, il s'enferme dans une espèce de cave et fume des cigarettes et attend la fin de la journée. Il rencontre une jeune fille avec qui il va nouer une amourette et faire des projets fous.
Noi est un vrai marginal, décalé de tout et de tout le monde. Il est inconcevable qu'il finisse par se sentir chez lui dans cette sinistre bourgade, il n'est pas soluble dans ce monde-là. A partir de cette certitude la seule solution qui semble s'offrir à lui est la fuite, mais comment, avec qui et où ? Ce lieu (une île) si ouvert géographiquement vers l'extérieur est comme ceint d'un mur, bouchant l'horizon et obstruant les perspectives. Le cinéaste filme son ado inadapté au plus près, ses longs plans fixes créent, de façon explicite, un malaise qui donne naissance à un humour de l'absurde qui louche du côté de Kaurismaki (encore, il semble qu'il devienne une référence incontournable). Le traitement que Kari réserve à son histoire met à l'abri le spectateur de l'émotion. Les différents instants de sa vie qui nous sont livrés se suivent, se ressemblent et finissent par lasser à force de redite. La sensation qu'on a en quittant cet univers singulier et exotique est qu'on est passé à côté du film à faire, on est déçu par la tiédeur oubliable du film.

O  

OCEAN'S TWELVE de Steven Soderbergh. 2*. 3 ans après le succès du premier volet, Soderbergh nous en ressert une petite louche avec les mêmes, plus quelques caméos et autres ajouts célèbres. Il s'agit cette fois de rembourser le butin du premier casse en échange d'un droit de vivre. La joyeuse bande, qui ressemble au top 10 des mecs les plus sexy du cosmos d'un magazine féminin moyen, se reforme et ne trouve d'autres solutions pour s'acquitter de leur dette que de se refaire un petit casse des familles. Mais voilà, dans le microcosme des voleurs de haut niveau ils ne sont pas seuls : un malotru, français qui plus est, vient les narguer avec ses cambriolages de folie. Bien vite le spectateur se rend compte que le but de Soderbergh n'est pas de nous refaire un film à suspense-cool comme le premier opus, mais bien une comédie sentimentale sur les affres des relations humaines, qu'elles soient amoureuses ou filiales. Les deux ou trois cambriolages auxquels on assiste sont en effet traités avec moins de fougue (sauf peut-être celui de Cassel, filmé comme une séance de démonstration des bienfaits de la capoeira sur la souplesse du corps humain, un pendant viril aux ondulations croupières exorbitantes de Catherine Zeta Jones dans le nanar Haute Voltige de Jon Amiel) que dans le numéro 1. Là, ce sont des moments, pris dans l'intervalle qui sépare ces casses sur lesquels le metteur en scène s'attarde, des discussions notamment. La compétition qui semble couver entre les deux entités n'est qu'un prétexte. Les turpitudes traversées par les uns et les autres sont les moteurs de l'évolution de leurs relations. Ainsi on découvre la force des liens qui unissent George Clooney et Julia Roberts, ainsi que la fragilité faite d'attraction/répulsion du couple formé par Brad Pitt et Catherine Zeta Jones, l'importance que revêt chez elle l'absence du père dont elle a souffert durant ses jeunes années, ou l'étouffante relation mère/fils entre Matt Damon et sa mère…bref autant de prétextes pour traiter de sujets universels avec un humour très décontracté. En conclusion, ce n'est sûrement pas le meilleur film de son auteur mais il a le mérite de se démarquer du premier par un traitement léger (voir la scène où Julia Roberts se fait passer tant bien que mal pour Julia Roberts et sa rencontre avec Bruce Willis), et une stylisation, parfois gratuite, amusante.

OLD BOY de Park Chan-Wook. 4*.Dae-Soon sort au grand jour après quinze ans d'enfermement sans savoir ni qui est responsable de cette détention ni le pourquoi de cette détention. Quinze ans à lutter contre la folie appuyé par un traitement chimique destiné à l'empêcher de devenir définitivement fou, mais aussi quinze ans pendant lesquels les choses ont bien changé : son bourreau lui a fait porter la responsabilité du meurtre de sa femme…c'est donc en animal blessé, brisé que Dae-Soon rejoint la civilisation, sans se douter qu'une fois dehors il reste plus encore qu'avant le pion de la diabolique machination mise au point pour assouvir une vengeance retorse. Il rencontre une jeune fille et va essayer de comprendre les raisons de son internement forcé.
Une idée de départ assez saugrenue, un homme qui se fait séquestrer par des inconnus sans raison apparente et sans qu'il soit informé de rien dans un immeuble situé en plein Séoul, puis qui se fait libérer pour partir dans un véritable jeu de pistes et retrouver son ravisseur pour enfin comprendre. Mais sous couvert d'une liberté qu'on pourrait appeler formelle, il s'avère que Dae-Soon est une marionnette manipulée dans l'ombre par celui-là même qu'il recherche. De sa découverte de la vérité, des vérités, dépend l'accomplissement et la réussite de cette terrible cabale. Dae-soon sera confronté à quelques obstacles avant d'y parvenir et c'est complètement détruit, humilié, annihilé qu'il sortira - mais en sort-t-il vraiment ?- de sa quête. La subtilité inhumaine de ce plan prend tout son sens lorsqu'il s'écroule, abasourdi réalisant en une fraction de seconde l'énormité (" morale ") de ce qu'il a fait. Les origines de cette rancœur incommensurable remontent à son adolescence…et il en paye le prix vingt ans après. Le fonds de l'intrigue est très sombre mais Park le traite avec une bonne dose d'humour émaillé ça et là de scènes violentes ; mais si graves soient les thèmes abordés il laisse toujours à ses personnages une chance de s'expliquer, il les montre très humains, pauvres hères uniquement animés par leurs sentiments : l'un veut enfin mettre un terme à la peine immense qu'il ressent et sur la réparation hypothétique de laquelle il s'est construit une vie d'adulte, l'autre se défend, se débat et veut comprendre ce qui lui arrive. Ils sont interdépendants jusqu'à la révélation, l'éclatement. Ensuite, une fois toutes les plaies réouvertes, les douleurs ressurgies et le passé remis sur la table c'est à la manière d'une tragédie que tout se finit, laissant les protagonistes passer à la caisse et payer leurs anciennes erreurs. Un film surprenant de bout en bout à la forme extrêmement aboutie.

PS : Serge, le pathos larmoyant que tu as vu dans la dernière partie du film, pour moi c'est la conclusion incontournable de ce film, des sentiments extrêmes montrés avec emphase, exagérés par leur ampleur même. Il me semble qu'une conclusion plus mesurée, moins " extravertie " eut été déplacée, trop fade. Il s'agit pour un frère et un père de choses très graves, d'un pan de leur vie qui leur a pris entre quinze et vingt ans et qui les a fait tenir jusque là. Plus de retenue aurait été trop de retenue. Et puis dans cet excès, il y a de l'humour, de voir ce pauvre bonhomme ruiné, se couper la langue et vainement tenté de racheter par-là le mal qu'il a fait 20 ans avant et ainsi s'éviter celui qu'il vit maintenant. Une sorte de dérision ultime…

P  

PALINDROMES de Todd Solondz 2* Aviva, une jeune fille de la middle class américaine tombe, selon son vœu, enceinte. Convaincue par ses parents d'avorter elle s'exécute, subit une hystérectomie et décide de s'échapper de chez elle. Sur la route de sa fugue elle rencontre un type accusé de pédophilie, un routier pédophile dont elle tombe amoureuse et une famille de catho illuminés qui la recueille. Là elle se retrouve intégrée dans ce qui pourrait faire penser à une cour des miracles (un muco, une naine sans bras, un leucémique, une albinos aveugle, un trisomique et autres joyeusetés dignes de figurer sur un tableau de Jérôme Bosch). Mais pas de chance pour la pauvrette cet asile se révèle être un antre de militants anti-avortement terroristes. Elle reprend la route, retrouve son routier pédophile qu'elle persuade de bien vouloir lui refaire un gosse, l'ado qui l'a mise enceinte au début et ses parents enfin, chez qui elle organise une petite fête d'anniversaire à laquelle elle convie toutes les connaissances de son périple. Tout est cyclique semble nous dire Solondz. Du nom en forme de palindrome de Aviva (et de Otto ou Bob), du vécu de ses personnages somme toute communs. Aviva qui revit ce qu'avait vécu sa mère, de Bob qui replonge après avoir été condamné, des interprètes qui jouent le rôle d'Aviva qui s'interchangent…cyclique et dans le fond, immuable, c'est un personnage, le frère de Shawn l'héroïne de Bienvenue dans l'âge ingrat le premier opus de Solondz qui l'explique. Le libre arbitre humain est limité, d'une part par la culture dans laquelle il évolue et d'autre part la vie elle-même, le vécu des personnes. Ce déterminisme amène les gens à louvoyer tout au plus, à se promener mais jamais plus loin que la laisse qui les attache à leur passé et leur culture ne le leur permet. Et puis c'est un peu tout. On ne sait pas trop bien où il veut nous emmener. Il y a certes une facette critique de l'american way of life, avec entre autre le portrait de la mère de Aviva qui sous le prétexte de protéger sa fille et de lui empêcher de refaire les mêmes bêtises qu'elle à son âge se livre sur elle à un véritable lavage de cerveau, ou la famille Sunshine, couple dégénéré de culs bénis qui prêche aussi bien avec de l'eau bénite qu'avec un calibre 12…bref, de la méchanceté il y en a c'est une certitude mais elle ne mène pas à grand chose. Le film tourne à vide faute de construction valable et s'auto dissout dans sa bile. Cependant certains personnages, comme celui de Aviva ou du frère de Shawn sortent du lot et apportent une dimension émouvante par instants à ce brûlot.

PAYCHECK de John Woo 0*

Michael Jennings est un supercrack en électronique (la preuve c'est qu'il porte des costumes italiens et des Ray Ban profilées). Il bosse en free lance de manière originale : ses missions se déroulent en lieu clos, il travaille 20 heures par jour, 7 jours sur 7 et une fois accomplie sa besogne on lui efface la mémoire de ce qu'il vient de faire, il empoche le chèque (à zéros multiples on s'en doute) et attend son prochain contrat. Tout va bien pour lui, et c'est lui qui le dit (de sa vie ne subsistent que les moments où il ne bosse pas et qu'il peut claquer le pognon si chèrement gagné…c'est bien un rêve d'Américain ça !!) jusqu'au jour où on lui propose THE mission, d'une durée de 3 ans. Trois ans plus tard, le boulot terminé, tout se met à dérailler. S'en suit une série de péripéties sulfatées et bien ampoulées où il se rend compte qu'il a vu son futur et que ce n'est pas blanc bleu.
L'idée de départ est bonne et aurait pu donner lieu à des développements intéressants…las ! John Woo s'enlise dans une sorte de thriller ultra codifié où tout est convenu. Avec Paycheck il signe un navet à l'envergure hollywoodienne. Un vrai de vrai, avec la poursuite, les coups de feu, le revirement final et l'histoire d'amour à la con. Affleck est toujours aussi végétal (pour ne pas dire végétatif), il essaye de donner vie à son personnage…raté, cet homme-là ne sait pas jouer. Même Uma Thurman est nulle, elle fait deux/trois fois risette à la caméra, chiale un petit coup histoire de…bref, ça sent pas l'oscar dans le coin. La poursuite est loupée (on rit pendant 5 minutes), les personnages décoratifs (on rit pendant 90 minutes), la mise en scène digne d'un épisode de K2000. On nage dans la bouse…mais bon, on rigole !! Maigre compensation. Son précédent film, Windtalkers n'était déjà pas un summum, mais là c'est Waterloo.

LE PROMENEUR DU CHAMP-DE-MARS de Robert Guédiguian 0* Les six derniers mois de Mitterrand, champion de France 1995 de la longévité à l'Elysée en compagnie entre autre d'un jeune journaliste idéaliste qui s'est mis en tête d'écrire sa biographie en tachant d'éclaircir les zones d'ombre qui pullulent dans son parcours. Mais l'animal, pour tout moribond qu'il est ne va pas se laisser faire comme ça, et le jeunot va se casser les dents sur le sujet qui fâche, à savoir les relations troubles du sus cité avec les autorités de Vichy en 41/42. Il aura beau revenir à la charge avec une subtilité et une finesse dignes de la communication gouvernementale américaine pendant les conflits dans le golfe persique, rien n'y changera. Bon alors qu'est ce qu'il reste dans le film puisqu'on n'a même pas un scoop de troisième zone à se caler sous la dent creuse…à vrai dire pas grand chose. Le reste est composé d'une succession de saynètes, Mitterrand et son journaliste à la plage, Mitterrand et ses amis (dont son journaliste) au resto, Mitterrand qui souffre comme un damné rongé qu'il est par son cancer de la prostate, Mitterrand dans son bain, Mitterrand qui balance deux ou trois vérités de terroir (que n'aurait pas renié Jean-Pierre Pernaud lors des saillies franchouillardes dont il est coutumier dans son jité) et pour corser le tapioca les déboires sentimentaux du journaliste. C'est bien peu à digérer et beaucoup à supporter pour un seul spectateur et deux heures de son temps. Grosso modo pour ceux qui ne voient pas en Mitterrand un mythe ou une icône au firmament, pour ceux qui le considèrent comme un homme politique lambda, un poil plus charismatique que ses homologues le film ne distille rien d'autre qu'un ennui languide. Tout cela est empesé, prévisible, inintéressant, convenu, bourgeois (un comble pour Guédiguian)…seul émerge Michel Bouquet, acteur splendide, nuancé, habité, ici au sommet de son art.

Q  
 
R

LES REVENANTS de Robin Campillo. 3*. Un beau jour les morts décident de revenir dans le monde des vivants. Immédiatement des problèmes se posent devant l'afflux massif de ces revenants : il faut leur trouver des logements, un travail correspondant à leurs aptitudes et les accepter tels quels. Mais il y a un hic, en effet ces zombies ne semblent pas désireux de se réintégrer dans cette société qui n'est plus vraiment la leur et dans laquelle, il est vrai, ils sont quelque peu ostracisés. Ils se regroupent le soir et fomentent des attentats contre ce monde hostile car désemparé.
Le thème est excellent, car il permet de mettre les humains face à un problème colossal : leur rapport à la mort et aux défunts. Ici des parents qui voient réapparaître un enfant mort et dont ils n'ont pas encore fait le deuil, là un mari qui retrouve sa femme, décédée depuis longtemps…bref, autant de cas douloureux et de rapports différents à la mort. Les morts sont parqués dans une grande salle municipale, le temps pour les familles de venir les " récupérer ". Des cellules d'aide psychologique sont mises en place, pour expliquer aux familles comment aborder ce ou ces " nouveau(x) " membres, quel rapport avoir avec lui ou eux. Si des efforts sont faits pour qu'ils retrouvent une place parmi les leurs, il ne faut pas non plus que ces derniers oublient qu'ils ont affaire à des morts, c'est à dire à leurs proches mais dont les capacités ont été modifiées, altérées et que si ce sont les mêmes physiquement ce ne sont plus tout à fait les mêmes. On imagine sans difficulté les traumatismes créés par cette situation. Cette tentative d'absorption sociale des morts est une chimère, elle ne peut être vouée qu'à l'échec le plus cuisant. Vivants et morts n'appartiennent pas au même monde, à la même sphère de réalité. L'angle par lequel Campillo traite son sujet est très intéressant : il nous place d'emblée devant le fait accompli : les morts sont sorti du cimetière et marchent, formant un long cortège étrange (marche lente, teint blafard, silence), dans la rue principale de la ville. Ensuite il décrit de façon réaliste les processus mis en place pour les accueillir (conseil municipal extraordinaire, structure médicale de recueil des morts et de " redistribution "), leur retour dans les familles et le trouble qui s'instaure (ainsi que le ravivement de vieilles, ou pas, cicatrices), les problèmes infranchissables de communication entre eux, leur arrivée dans les entreprises…bref, c'est très précis, et le parti pris ultra-réaliste rend le film passionnant à suivre, teinté d'une étrangeté angoissante, car nous renvoyant inévitablement à notre propre rapport à la chose. Les réunions nocturnes de ces êtres de l'au-delà et le complot qu'ils fomentent, complot d'ailleurs dont on apprendra la teneur que trop tard, une fois les attentats produits distillent une peur subtile renforcée par leur absence apparente de motivations. Un bon film, original, toutefois inabouti, se perdant par moments dans des directions stériles (l'histoire de Géraldine Pailhas et de son mari, longuette).

ROIS ET REINE de Arnaud Desplechin. 0*. Nora est une jeune femme qui partant pour récupérer son fils en vacances chez son grand-père se retrouve à le veiller sur son lit de mort (le vieux, pas le gamin). Cette très longue agonie va faire ressortir, on s'en doute, tout un tas de vieilles choses amères, des ressentiments et une grosse masse de haine. Son ex mari pendant ce temps-là est vigoureusement interné dans un hôpital psychiatrique, contre son gré d'ailleurs, et tente comme il peut de reprendre pieds dans la réalité. Le vieux meurt en laissant derrière lui deux filles et un tapuscrit (quel vilain mot !). Pendant deux heures et demi Desplechin nous assène une suite de scènes plus ou moins éprouvantes (certaines le sont vraiment beaucoup), complaisantes et longuettes. Ces personnages se débattent avec leurs contradictions, leurs aspirations mais ne trompent dans le fonds personne. Dès le début on sent que l'apparente fragilité de Nora cache quelque chose. Pour paraphraser Shakespeare, on pourrait dire "There's something fuckin' rotten here". Elle est froide et c'est un monstre d'égoïsme qui fait rien qu'à minauder pour obtenir ce qu'elle veut et à injecter son venin dans les autres. Son ex lui la joue plutôt déjanté, on a l'impression qu'il est borderline tout le temps. Son encamisolement lui servira à se calmer un tantinet, et secondairement à rencontrer une jeune sinologue aux sombres cernes, amatrice de médocs. Bref dans tout ce pathos on étouffe un poil. Les quelques moments détendus frôlent le ridicule : l'avocat junky par exemple, que Girardot a du s'amuser à surjouer. Le summum du business est atteint avec la scène finale, où Amalric fait une leçon de morale à son presque fils d'adoption au Musée de l'Homme. Le rire serait sorti si la lassitude ne l'avait emporté. Quelle vanité bon dieu de bon dieu !! Qui est-il ce zinzin de bastringue pour prodiguer son enseignement de la vie à ce pauvre gamin ? C'est filmé avec une solennité et une application (qui a dit roublardise ?) qui font qu'on ne manque pas de se dire que ça doit être LA scène du film, genre : Tu la sens ma grosse transmission ? Voilà ce que je retirerai de Rois et reines : un collage bancal de scènes qui ne tient que par la force et l'implication qu'y mettent les comédiens (que j'ai connu plus inspirés) et une scène, que Jibé avait déjà stabiloté, ce monologue sépulcral et réfrigérant dans laquelle Maurice Garrel expose, post mortem ses griefs envers Nora. Là pour le coup on s'en prend plein le paletot.

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LA SAVEUR DE LA PASTEQUE de Tsai Ming-liang 4* . Taiwan de nos jours. C'est l'été, il fait chaud et la ville est en état de sécheresse. Pour pallier les coupures d'eau quotidiennes, les pouvoirs publics exhortent la population à se déshydrater avec des pastèques. Dans un immeuble une jeune femme vit seule dans son appartement, stockant minutieusement des dizaines de litres d'eau, dans sa baignoire, son frigo…eau qu'elle va prendre dans des lieux publics, aux robinets des toilettes et qu'elle ramène tous les jours. Au-dessus de son appartement un film porno est tourné, mettant en scène les ébats bruyants d'un jeune Taiwanais (interprété par Lee Kang-shen, acteur fétiche de Tsai) et une plantureuse japonaise. La pastèque, de rafraîchissante pour la jeune femme du dessous devient un accessoire érotique pour le duo d'acteurs qui en propose une utilisation des plus intéressante. La jeune femme tombe amoureuse de l'acteur. Leur désir franchira de multiples étapes, matérialisées par des intermèdes musicaux chantés et chorégraphiés tour à tour poétiques, drôles ou carrément loufoques. Jusqu'à la scène finale, copulation par corps interposé qui se termine en jouissance partagée… Une belle histoire d'amour. Toujours aussi avare en dialogues, Tsai filme cette rencontre chaude en faisant progressivement monter le désir entre ses deux personnages. Il apparaît rapidement que le jeune homme est le pivot de l'histoire, tous les autres personnages gravitent autour de lui. C'est d'ailleurs lui qui ouvre la série de séquences musicales, avec une chanson mélancolique sur son mal de vivre : grimé en une sorte de gros lézard, baignant dans le réservoir d'eau de l'immeuble dans lequel il vient de se laver, il chante sa tristesse à la lune. Ancien vendeur de montres, il est devenu acteur parce qu'il faut bien travailler. L'exercice de son métier semble devenir lassant pour lui (la scène où il n'arrive pas à avoir une érection avant le tournage d'une séquence). La fille, elle s'ennuie gentiment, mange de la pastèque par louches, boit de l'eau et entre deux aller-retour chargée de bouteille d'eau soutirée à la collectivité elle furète dans un vidéoclub. Ils vont se voir plusieurs fois, partager deux repas, l'un avec des pâtes de soja au crustacés (un plat très étrange), l'autre avec des crabes (scène filmée en ombres chinoises, drôle et belle à la fois) après lequel ils finissent tous les deux comme saouls, sous la table, repus. Jamais ils ne feront l'amour directement. Chaque fois qu'ils se voient ils s'en rapprochent un peu plus. Tsai est un malin : il nous montre dès le début de son film des scènes bouillantes et très crues, que la bande son, généreuse en bruits charnels érotise encore, il ne pourra donc se contenter de filmer une scène banale entre les deux amants promis. C'est tout logiquement, en ayant respecté cette progression dans leurs rapports, qu'on arrive à cette fameuse scène finale, très forte émotionnellement, véritable sceau de leur relation. Bref, Tsai Ming-liang a réalisé un film riche en émotions, en sensations, à la fois érotique, sensuel, cru, drôle et auquel la musique, via les séquences chantées et dansées apporte un côté vieillot, presque nostalgique et burlesque. Pas utilisées pour parler les bouches ici servent à manger goulûment de la pastèque, à boire de l'eau, à faire l'amour et à chanter.

LE SEIGNEUR DES ANNEAUX : LE RETOUR DU ROI de Peter Jackson. 3*. Voici venu le troisième et dernier volet de l'histoire de l'anneau de Sauron. Un film aussi monumental que ses deux prédécesseurs, mélangeant avec autant de réussite, et c'est relatif, les ingrédients de la saga : paysages infinis, batailles énormes et parlotte bien chiante voire neuneu. Pas de surprise en ce qui concerne l'histoire : Frodon réussit bel et bien à de débarrasser de l'anneau, retrouve tous ses amis (lors d'une scène très roman-photo où les larmes se mêlent aux rires et à la joie) et rentre dans sa Contrée chérie. Ses amis l'ont soutenu jusqu'au bout de sa quête, bravant les pires dangers, affrontant des monstres abominables nouant des alliances contre nature mais ne refusant pas par-ci par-là une bonne rigolade ou un bon festin avec chanson et tout le bataclan. Tout finit par aller pour le mieux donc dans la Terre du Milieu.
Ce qui fait à mon avis le prix de cette saga, sa valeur filmique ne se trouve pas là, mais plutôt dans l'expression visuelle, sa traduction, d'un univers qui n'avait été jusque là, de par son gigantisme, que littéraire : aidé d'effets spéciaux de grande qualité, Jackson a en effet rendu plausible les batailles, les créatures, les lieux (chateaux, camps, villages…) bien plus que les personnages, très sommaires et réduits à des fonctionnalités précises, ils ne réservent aucune surprise et ne changent pas d'un iota durant l'épopée. Une scène particulièrement marquante et révélatrice de son succès dans cette entreprise herculéenne est l'attaque de la cité de Gondor par les forces de Sauron (à mes yeux la meilleure de la trilogie): la multitude des monstres, la rage des combats, les mouvements de caméras amples et précis…tout concourre à créer une ambiance de folie irréelle, on sent le souffle de l'aventure ; cette scène réveille un émerveillement quasi-enfantin dans le spectateur et permet d'oublier la longueur, le ridicule et la grandiloquence des tirades et des sentences de Gandalf, Aragorn et consort, ainsi que la profonde débilité des deux hobbits Pippin et son collègue (voilà une chose insupportable : la placidité des hobbits, leur forte tendance à la larmichette et à l'humour vasouillard, niveau cour de récré de maternelle adaptée…ces nabots là m'ont presque gâché mon plaisir). En conclusion, Le seigneur des anneaux de Peter Jackson est une saga qui aurait difficilement pu être meilleure tant les contraintes commerciales liées à un tel budget devaient être pressantes : le film réussit là où il ne devait pas se planter (l'aspect visuel) et rate là où il ne pouvait (n'est pas Kubrick qui veut) que se planter. Mission accomplie, donc.

SEVEN INVISIBLE MEN de Sharunas Bartas 4*. Une poignée de petits malfrats décide de se mettre au vert quelque temps pour échapper à la police. Ils prennent donc la direction d'une maison rudimentaire au beau milieu de la Crimée. La maison est habitée par l'ancienne compagne de l'un d'eux qui vit avec sa fille et un homme qui les aide à la ferme. Les retrouvailles passées, une fête est organisée à laquelle sont invités quelques voisins. L'alcool pléthorique aidant on assiste à une lente dégénérescence des festivités. Les rancœurs et le ressentiment, l'agressivité, la jalousie, la luxure et la violence éclosent pour finalement entraîner tout ce petit monde jusqu'au point de non-retour. La première partie du film, qui se déroule à Vilnius, sur la route puis à l'arrivée à la maison, outre une présentation sommaire des personnages pose les stigmates du drame qui va se jouer. La seconde, qui réunit la fête et son dénouement laisse cette micro humanité se débattre avec ses problèmes et les régler comme elle le peut à grand renfort de cris, de chants, de musique et d'échanges verbaux de plus en plus éthyliques. Vivant est un adjectif qui colle bien à cette moitié du film : qu'ils soient vieux ou jeunes, beaux ou laids, gais ou taciturnes tous ces gens vivent assurément. Leurs discussions, leurs réactions, leurs gestes sont autant de manifestations de ce qu'ils sont. Et cette vérité là n'est pas très belle à voir, elle trempe dans un désespoir tenace. Nulle trace de salut pour eux. La fin de ce festin de la déglingue baignera dans le sang et le feu, comme pour apurer ce qui avait besoin de l'être, pour remettre en place les choses et les gens, minuscules au milieu de ces landes criméennes. Refroidissant.

SHARA de Naomi Kawase. 3*.Kei et Shun Aso, deux frères jumeaux qui habitent avec leurs parents à Nara, ancienne capitale du Japon, jouent à se poursuivre dans les rues. Soudain, au détour de l'une d'elles, Kei disparaît, comme évaporé, sans laisser de trace. Une dizaine d'années plus tard, Shun, devenu adolescent, continue à vivre la disparition de son frère à travers sa peinture.
Composé de quelques séquences distinctes, la jeune réalisatrice, qui vient du documentaire, tourne un film bien singulier. Elle extirpe des petits moments, pas forcément signifiants en eux-mêmes, de la vie de la famille Aso, et les regarde avec insistance comme pour en faire ressortir quelque chose d'inaccessible autrement. En procédant ainsi elle rend sensible, perceptible un vécu, des sentiments, elle dirige notre réception. Par exemple, la course des jumeaux dans les ruelles étroites de Nara se charge de l'imminence d'un péril, d'un danger. Sa caméra est prise de tremblements, elle est épileptique, à tel point que cette scène, ainsi que toutes les autres filmées à l'identique, est difficile à suivre. Elle se place en tant que " poursuivante ", elle ne devance jamais ses personnages dans ces scènes, elle est une présence invisible qui traque, qui s'accroche inlassablement à cette humanité grouillante, vivante. De plus elle parsème son film de références précises à la culture et aux croyances ancestrales japonaises : la fête de la ville et ce qu'elle représente (elle est une sorte de défouloir), les porte-bonheur, le travail du père (fabricant artisanal d'encre de Chine), ancrant son film dans une toile riche qui sort quelque peu ces êtres humains de leurs destins sinueux. En conclusion Shara est un film intéressant, peu accessible aux non-nippophiles mais énervant par son parti pris esthétique de systématiser la caméra à l'épaule lors des scènes de mouvements à l'extérieur.

SPIDER-MAN 2 de Sam Raimi. 1*.L'arachnéen Peter Parker n'a pas la patate cet an-ci. Il plante tous ses boulots, n'arrive pas à payer ses loyers, ne se décide pas à avouer ses sentiments à la troublante Mary Jane, a du fil à retordre avec un nouvel ennemi octopode le bien nommé Doc Ock, subit les affronts répétés de son meilleur ami qu'il a dépouillé de son père, vit avec la pesante culpabilité de la mort de son oncle…bref un jeune Américain moyen avec un tantinet plus de problèmes. Même lorsqu'il revêt son costume moulant…ses lanceurs de fils à toile s'enrayent régulièrement, résultat il se paye quelques gamelles monumentales mais en super héros qu'il est, il se relève en se frottant le bas des reins.
Que penser d'un tel film ? Ce qui prédomine largement ici c'est la romance rosissime entre Peter et Mary Jane : ils sont mimi tous les deux quand ils sont ensemble et qu'ils se regardent avec des yeux que peu de merlans frits oseraient arborer. Le personnage de Parker est déconcertant de gentillesse et de bravoure : quelle droiture, quelle honnêteté, quel courage. Et ce n'est pas le court intermède de doute, lorsqu'il renonce à Spider-Man, qu'a concocté le scénariste qui viendra mettre un grain d'ambiguïté dans le dessin du personnage. Il est si lisse, neuneu et prévisible qu'on se désintéresse bien vite de lui. Il lui arrive des tonnes d'emmerdements (on n'avait pas vu ça depuis les aberrantes déconvenues subies par Pierre Richard dans ses inénarrables navets) et lui il reste coi, placide, jamais un mot plus haut que l'autre. Les choses semblent le traverser sans rencontrer le moindre obstacle. Le salaud multitentaculaire qui fait le méchant d'office, un type qui a pourtant du potentiel dans la destruction, est subitement touché par la grâce à la fin, et rongé par le remord il détruira sa machine infernale et lui avec. Magnifique !! Tout finit bien dans le meilleur des mondes, un monde où les ignobles criminels sont arrêtés par un super-héros (une manne providentielle), où les amours impossibles deviennent possibles, où tout le monde est enclin à pardonner, un monde juste (quelle idée puérile et saugrenue !)…le paradis ? Non, mieux que ça : l'Amérique. Reste bien quelques scènes assez réussies, mais pas suffisamment pour faire avaler la pastille doucereuse.

STEAMBOY de Katsuhiro Otomo. 2*. A la fin du 19ème siècle, dans l'Angleterre en pleine révolution industrielle un jeune garçon tente contre vents et marées de protéger l'invention révolutionnaire de son grand-père des convoitises qu'elle ne manque pas de susciter. Il arrive à l'exposition universelle de Londres où il devra faire face à un père qu'il croyait mort, un grand-père itou, des inventions aussi extravaguantes que meurtrières…en résumé il va vivre la grande aventure.
Ce qui dès le début du film emballe c'est le soin extrême apporté aux dessins, à la description de Manchester et de son paysage industriel. L'atmosphère d'effervescence d'une société alors en plein essor, la vie grouillante dans les rues, tout respire l'authenticité. Les énormes machines à vapeur et leur multitude de vannes, manomètres et leviers, leurs mécanismes complexes, le danger de l'explosion imminente sont montrés avec une virtuosité sans égal, on sent même la passion de l'auteur pour ces mécaniques gigantesques. Le hic c'est qu'au bout d'une demie-heure on comprend que c'est peut-être l'unique chose qui l'intéresse : faire montre de sa minutie et de son art du mouvement ; en bref en mettre plein la vue avec des plans somptueux, une bande son tonitruante, des détails fourmillant, des explosions par paquets de douze, des machines délirantes. En dehors de ces aspects il n'y a pas grand chose d'autre. L'histoire de la relation à rebondissements du jeune ado avec son père et son grand-père lasse, la jeune fille, incontournable, est in-su-ppor-table. C'est un travail appliqué mais sans flamme, sans l'étincelle qui aurait permis au film de dépasser le simple catalogue de savoir-faire, un souffle qui porterait le film (au dénouement très longuement attendu) au-delà de son évolution linéaire.

STRUGGLE de Ruth Mader. 3*. Le film s'ouvre sur une chambre d'hôpital dans laquelle une vieille femme jette un verre d'eau à la figure hébétée d'une médecin qui visitait ses patients accompagnée d'une tripotée d'internes. Puis on plonge dans le milieu des travailleurs saisonniers immigrés Polonais, qui franchissent la frontière autrichienne le temps d'une cueillette de fraises ou autre. Certains, acculés à cette extrémité par des conditions de vie très dures et des perspectives bien sombres en Pologne, décident tout naturellement de ne pas rentrer après dans leur pays d'origine et deviennent par le fait des clandestins, prêts à accepter n'importe quel travail au noir, rémunérés au lance-pierres par des employeurs d'un jour qui leur font nettoyer une piscine, un arrivage d'objets de décoration asiatiques, une maison…bref, tout ce qu'il est possible d'imaginer et de monnayable. Ewa, une jeune femme concernée par ce triste constat, s'échappe donc avec sa fille et enchaîne les boulots les plus divers, tous les jours quêtant son job quotidien au bord d'une route nationale.
Filmé de façon extrêmement froide et détachée le quotidien d'Ewa, ainsi que celui de ces congénères d'infortune, prend une allure de succession insensée de rites exécutés mécaniquement et silencieusement. Elle subit sa vie-là, et ne semble trouver la force de continuer à avancer, que dans l'obligation qu'elle a de faire vivre sa fille. Ainsi réduite à ça, cette vie est déshumanisée au possible, sans la moindre trace de sentiments ou d'émotions. Certes c'est une vision prosaïque et matérialiste, mais elle est lucide aussi. Ces esclaves, et ces esclavagistes modernes font partie du paysage de notre vieux continent. On n'imagine mal comment Ewa, malgré son acharnement mutique à tenir coûte que coûte, peut s'en sortir dans ces conditions. La réalisatrice la fait se coupler avec un agent immobilier parvenu et adepte d'une sexualité quelque peu perturbée. Les scènes où on les voit, elles deux et lui sont grotesques : elle qui marche, fermée et les yeux vides et lui suintant de suffisance, on dirait une représentation du triomphe de l'asservissement, comme seul et unique moyen pour cette femme de s'en sortir. Sans aucune trace de nuance, Mader décrit un monde, par le biais du monde du travail, miné par les rapports de domination employeur/employé et Autrichien (Europe riche)/Polonais (nouvelle Europe pas encore riche), accentué ici par le fait que le personnage de cette démonstration est une femme, de plus avec un enfant, car du domaine social du travail la lutte passe aussi aux domaines de la sexualité et de l'origine nationale. Une extension du domaine de la lutte en somme. C'est donc un film polaire mais faussement dépouillé, les dialogues y sont rares, seules quelques chansons (provenant du poste radio des voitures dans lesquelles Ewa monte quotidiennement) et les bruits répétitifs de ses tâches maculent le silence mais tout cela est très " pensé ", très esthétisé et par moments on se demande si à trop soigner la forme la jeune cinéaste autrichienne n'en a pas oublié d'étayer sa thèse avec du matériau plus probant. Au bilan, un bon film qui ne souffre pas trop de ses imperfections.

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TARNATION de Jonathan Caouette. 3*. Le journal intime du sus-nommé Jonathan Caouette, cinéaste trentenaire, entamé à l'âge de 11 ans. Avec un passé aussi chaotique on comprend aisément son besoin, plus encore que son envie, d'en parler. Placé en famille d'accueil à l'âge de deux ans, suite à l'internement psychiatrique de sa mère (que les médecins ont diagnostiqué schizophrène) il est victime de violences. Il retourne vivre avec sa mère, présente par intermittence entre deux séjours en HP et deux séances d'électrochocs, puis quand cela ne fut plus possible, chez ses grands-parents qui l'adoptent. C'est à cet âge qu'il commence à filmer ; on le voit déguisé reprendre des tubes en play-back ou interpréter des rôles (cela donne lieu à quelques scènes assez incroyables)…il en profite pour filmer son entourage aussi, sa mère quand elle est là, ses grands-parents, il tente de les faire parler, leur pose des questions. Victime d'un mauvais trip au PCP, il garde comme séquelles des sortes d'absences, des moments où il n'arrive pas à rester dans la réalité.
Même si Tarnation est un kaléidoscope d'images bricolées, il dépasse le simple collage arty, car Caouette semble avoir mis beaucoup de lui dans son film. Bien souvent il apparaît écorché, au bord de la ruine. On ressent un besoin vital dans sa façon et de filmer et de monter son patchwork, une urgence absolue, entre un exorcisme et une soif d'apprendre d'où il vient, de donner corps à une trajectoire familiale afin de s'y placer, tout en redoutant de devenir comme son principal modèle, sa mère. C'est avec l'insistance qu'il met à filmer son monde, avec la façon dont il a de se servir de sa camera comme d'un scalpel, collé à ses proches que le metteur en scène émeut. Mais aussi par l'aspect faussement impudique de son travail (mais cela en est un élément structurel), qui dissimule une vraie pudeur à parler de lui face à sa caméra doublée d'une (apparente) sincérité dans sa démarche. Tout est sans fard, aussi brut que ses éclairages et ses cadrages, souvent approximatifs, la vérité sourd de son film. C'est en plaçant sa mère au centre du film, une overdose de Lithium (substance donnée en cas de dépression sévère) vient en effet de l'envoyer refaire un séjour à l'hôpital lorsque le film débute orientant ainsi la suite du récit, qu'il le rend plus " universel " et émouvant.

TWIN PEAKS FIRE WALK WITH ME de David Lynch 1992. 4*. A la fin des années 80, David Lynch et Mark Frost créèrent une série, Twin Peaks, qui sous couvert de suivre une enquête sur le meurtre d'une jeune lycéenne, Laura Palmer, nous faisait pénétrer violemment dans un univers incroyablement malsain et torturé. Car cette bourgade d'allure si paisible se révélait une antichambre de l'enfer, peuplée de personnages étranges et énigmatiques, de secrets lourds et indicibles, de rivalités jamais enterrées et de fantômes. Pour son sixième long, le deuxième produit par TF1 (eh oui !! Comprenne qui pourra), Lynch choisit de reprendre ce décor et ses habitants, mais pour nous donner à voir les sept derniers jours de la vie de Laura Palmer, dont le meurtre sert de genèse à la série (prequel). Il fait, comme pour la série, commencer son histoire par un meurtre, celui d'une autre jeune fille blonde, Theresa Banks. Et nous voilà replongés dans ce cauchemar sombre et anxieux, dans cette ville (vie) faussement tranquille. Des lycéens proprets s'envoient des doses massives de cocaïne et terminent leurs soirées dans des boîtes glauques à l'atmosphère saturée et enfumée où la sexualité sauvage s'expose, les flics disparaissent étrangement, le temps explose…bref, nous sommes définitivement en territoire hostile, dans une sorte de réalité viscérale, ressentie que Lynch a parsemé de passerelles avec l'autre monde, celui des rêves dans lequel les évènements de la vie, la vraie, sont rejoués et peut-être même planifiés. Les interconnexions entre ces deux sphères de perception sont amenées subrepticement par une poignée de personnages-relais (le manchot, la vieille femme et son petit-fils masqué, la femme à la bûche, l'agent Cooper et Diane, son magnétophone/confident et Bob, double paternel fictif créé par Laura Palmer). Le metteur en scène n'a pas sa pareille pour distordre les choses, et sous son regard rien ne paraît plus bizarre que la réalité quotidienne. Les faits et gestes les plus banals sont filmés comme des rites ésotériques, annonciateurs d'un transfert dans le monde-bis. Le déroulement de l'enquête est entrecoupé de scènes hallucinatoires et de séquences traumatiques poussant irrémédiablement les personnages vers un abîme de souffrance dans lequel la rédemption et la paix n'existent pas.
Plus encore que par sa construction, plus originale que rigoureuse, c'est par ce qui émane de lui que Twin Peaks frappe : on est amené à la frontière de la folie et de la terreur. Et la mise en scène épouse parfaitement l'ambiance passant de longs plans à des séquences épileptiques et stroboscopiques. Il me semble que ce film, aussi ludique soit-il, est une expérience sensitive et organique, obnubilante, excessive, fibrillante. Personnellement aucun film ne m'a autant affecté mentalement (pas même Eraserhead, qui pourtant m'a traumatisé) à tel point que je ne peux pas l'analyser, il est comme un cauchemar qui s'adresse directement à moi, un flux de sensations et de stimuli agressifs que les visions successives n'entament pas. Une date dans ma vie de cinévore.

U  

UN LONG DIMANCHE DE FIANCAILLES de Jean-Pierre Jeunet. 1*. Mathile et Manech sont jeunes et ils s'aiment depuis leur plus tendre enfance. Mais la grande guerre va les séparer. Manech parti au front ne revient pas. Elle est pourtant persuadée qu'il n'est pas mort comme les autorités, ses proches, sa famille et son avocat se tuent à le lui dire. N'en faisant qu'à sa tête elle part à sa recherche et enquête sur la fameuse bataille au cours de laquelle son bellâtre fut prétendument occis. Et grand bien lui en a pris car au bout d'une tripotée de renversements, d'indices, de vérités et de contre-vérités elle réalise que le bougre n'a pas défuncté mais petit problème, il semblerait qu'il est devenu amnésique et légèrement zinzin. Tout cela n'a aucune importance, ils se retrouvent et semblent se rediriger vers une nouvelle histoire d'amour bien neuneu, qui, surprise, commence comme la première…c'est merveilleux et c'est bouleversant de romantisme cours-de-récré.
Une désagréable impression s'échappe du film. On est saisi par la césure entre le sujet et son traitement. Le fond est une histoire d'amour lambda si ce n'est l'époque à laquelle elle se passe, durant la guerre 14-18, empreint de sensiblerie, de naïveté et d'une énervante tendance à la Leloucherie la plus abrutissante (le destin, la bienveillance du hasard et autres balivernes mystico-béates). Mais c'est filmé avec une grande froideur, sans humanité aucune. Les personnages sont transparents, sans épaisseur ; les deux amants par exemple : elle, avec ses moues boudeuses et ses grands yeux noirs oscillant entre rires et larmes ne pense pas une seconde à faire le deuil de son ami, elle s'accroche à son idée fixe et n'en démord pas, elle est guidée par son obsession. Pas de zones d'ombre, pas de contraste ou d'ambiguïté en elle. Lui, il existe à peine. On le voit un peu à la guerre et à la fin, en doux dingue. Les autres protagonistes ne sont là que pour lâcher à intervalle régulier quelques indices, pour faire progresser le film. De plus, Jeunet réutilise une ouverture de film à la Amélie Poulain, avec voix off et courtes bios rigolotes. Tout n'est pas mauvais, les scènes de tranchée sont pas mal (le décor est saisissant), on ressent bien la folie qui devait y régner, l'absurdité de cette guerre, l'aveuglement d'une hiérarchie militaire obnubilée par son sacro-saint règlement, et certains moments plus " calmes "…mais c'est filmé si proprement que ça perd de son poids et de sa force. Il en ressort que ces scènes sont décoratives, juste là pour pimenter un peu une trame plan plan. On se prend à rêver que débarrassé de son côté esthétisant encombrant, de son aspect rétro forcé et de sa naïveté surlignée, Un long dimanche… aurait été un bon film.

V  

VAN HESLING de Stephen Sommers. 0*. Après deux incursions dans l'archéologie (La Momie 1 et 2, plutôt pas mal) et une dans l'océanographie (Un cri dans l'océan) le subtil Sommers tente une percée dans la mythologie gothique. Ainsi donc nous retrouvons le personnage de Van Hesling, le chasseur de vampires issu du bouquin de Bram Stocker, confronté ici à une cohorte d'ennemis : car outre Dracula, il va affronter Mr Hyde, la créature de Frankenstein et d'autres goules du même acabit. Et ce n'est pas un tueur ordinaire que celui-ci, puisqu'il bosse pour le Vatican. Dans ces temps troublés qui sont les nôtres, il est bon de savoir que ce microscopique et insignifiant Etat veille sur le monde et en chasse tous les démons…c'est peut-être le 51ème état des USA ? Ce brave guerrier part en Transylvanie, accompagné d'une sorte de super-curé (l'alter ego de M, le Géo Trouvetou des James Bond) et d'une ribambelle de gadgets meurtriers, plus sophistiqués les uns que les autres. Et il a eu bien raison de si bien s'entourer car ce qui l'attend n'est pas jojo. Il y rencontrera une jeune femme, courageuse et têtue, fonceuse et bagarreuse mais qui ne néglige toutefois pas son apparence physique (maquillage et permanente tous les jours…ça c'est la classe). Bref le scénar est d'un creux grand-canyonesque, il n'est que le support neutre et invisible d'un catalogue d'effets spéciaux numériques aussi grandioses que vains. C'est tout. Il n'y a rien à sauver dans cette tambouille indigeste et assourdissante qui mélange gaiement les mythes. Tout le film n'a été conçu que pour mettre en avant les monstres, du style " Venez voir mes monstres ! ils sont beaux mes monstres ! ", le reste du casting, " organique ", est laissé en roue libre. Jackman, avec sa coupe à la Ginola est agité de spasmes sporadiques pour nous faire croire qu'il est autre chose qu'un archétype de super héros interchangeable, Dracula est ridicule, il n'a aucun charisme (un rôle que Sommers aurait pu confier à Vin Diesel), reste Kate Beckinsale, dont encore une fois je ferai un éloge superlatif, tant sa plastique (surtout) et son jeu (un peu) sont à l'abri de tout reproche.
Au résultat, Van Hesling est un film aussi palpitant que La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. D'une histoire à forte connotation sexuelle, le metteur en scène à tiré une endive plus chaste que la pucelle d'Orléans quand elle est passée au barbec', plus plate que la filmo de Christophe Lambert et plus tarte que Mme Tatin.

PS : sur les 130 et des brouettes de minutes que dure le film, j'ai tenu 120…déjà trop !

VERA DRAKE de Mike Leigh 1* Londres, 1950. Vera Drake est une femme, que dis-je une femme, une sainte, la bonté incarnée. Plus gentil tu meurs. Quand elle ne s'occupe pas des tâches ménagères dans son appartement, sis dans un quartier ouvrier du nord de la ville, elle rend visite à sa mère déclinante, elle fait des ménages dans les maisons bourgeoises avec une application (implication ?) qui laisse coi et quand on le lui demande elle pratique des avortements sur des pauvresses qui n'ont pas les moyens de faire autrement. Mais un jour l'une des filles qu'elle a " déchargé " a des complications et manque de défuncter. Admise à l'hôpital, elle avoue son forfait et dénonce la faiseuse d'anges…ouille, ouille, ouille ! Ca va chauffer pour ton matricule Vera, et ce n'est pas peu dire. Arrêtée, tout son monde, dans lequel elle sue sang et eau pour vivre, s'écroule autour d'elle. Le sujet est riche et permet à Leigh d'aborder ses thèmes de prédilection, de continuer son œuvre d'édification d'un cinéma prolétaire, engagé qui dénonce les tares d'une société au sein de laquelle sa force la plus travailleuse, la plus modeste n'a droit à aucune considération sociale, subissant sans cesse des lois, un fonctionnement programmés pour l'étouffer un peu plus, pour la confiner hermétiquement dans sa misère. L'histoire de Vera Drake est un parfait exemple de ce constat : ces avorteuses clandestines étaient une nécessité, elles étaient l'unique possibilité, le seul choix qui s'offrait aux victimes de grossesses indésirées, car pour elles pas de recours imaginable à la médecine traditionnelle. Pour contourner l'illégalité d'un dépotage fœtal de façon officielle il faut de l'argent…Cette mécanique aliénante le metteur en scène nous la fait ressentir avec force. Là où se situe la faiblesse de son film c'est dans l'angélisme dont il fait preuve dans sa description de Vera. Pourquoi avoir chargé autant le personnage au risque de le rendre désagréable ? En elle, au vu de sa personnalité, il n'y a aucune zone d'ombre, pas d'ambiguïté, c'est un bloc, un monolithe de gentillesse. Sa confrontation avec les autorités, la police, la justice, la médecine, autant de bastions d'assise d'un pouvoir bourgeois qui édicte le bien et le mal en gardant à l'esprit qu'il leur sera toujours possible d'outrepasser les interdits qu'ils posent, ne peut être qu'un drame. Sans défense autre que sa bonne foi et son bon cœur elle est une victime désignée dont l'écrasant système fera un exemple. Pour finir, Vera Drake est un film assez déconcertant : sa sincérité ne peut être mise en doute, la mise en scène colle aux personnages avec une chaleur sym-pathique, l'interprétation est juste, les dialogues sonnent vrai mais voilà le film pêche par son protagoniste principal, trop tout pour susciter la moindre émotion ou emporter l'adhésion. Vraiment dommage.

LA VIE AQUATIQUE de Wes Anderson 3* .Steve Zissou, l'alter ego étasunien du Cdt Cousteau est à une phase critique de sa vie. Encore sous le coup d'un traumatisme causé par la mort de l'un de ses hommes, dévoré par un requin psychédélique aux couleurs chatoyantes, il constate le relatif échec de sa vie : sa femme, fer de lance de ses épopées maritimes filmées, est partie avec son ennemi juré, et concurrent, son fils refait surface et semble en demande d'une reconnaissance paternelle et l'intérêt suscité jadis par ses émissions semble décroire. Il n'a pas d'autre solution que de se lancer dans une sorte de baroud d'honneur, une ultime mission pour tenter de recoller les morceaux d'une vie déliquescente. Il embarque donc avec son fils, ses hommes, fidèles jusqu'à la mort au commandatore idolâtré à la recherche du fameux requin assassin. Chimère ou réalité concrète, ce requin symbolise les choses essentielles, de la vacuité de l'existence à la quête sans fin de raison de vivre (avec les thèmes de la filiation, reniée qui plus est, l'effacement de sa vie propre au profit d'un autre, véritable démiurge, monolithe indéfectible et omnipotent, difficulté d'assumer une vie sentimentale demandeuse d'investissements lourds…). Ce qui frappe tout d'abord c'est le ton incroyable sur lequel sont traitées ces aventures aquatiques. Anderson surfe avec maestria sur une ligne très fine et périlleuse mais parvient à imposer une ironie bienveillante et mélancolique avec un zeste d'humour extraterrestre. La fine équipe prête à rire, certes, mais les hommes et femmes qui la composent sont bien des pêtres humains à qui le metteur en scène donne une réelle chance de sortir de la caricature. La façon dont sont filmées, dans le film, les aventures scénarisées de ces bonnets rouges donne lieu à quelques éclats de rire, certains personnages aussi mais Bill Murray aidant s'installe une peite musique mélancolique qui teinte le film de pastel et qui ne le lâche pas jusqu'à la fin, même si la tonalité générale est à l'humour. Un excellent film en somme, plein de choses invisibles et indicibles, de rêves, de fantômes et de regrets, émouvant et drôle au rythme lent qui évoque les remous à peine perceptibles d'une navigation sur mer calme.

LA VIE EST UN MIRACLE de Emir Kusturica. 3*.Serbie, 1992. Un ingénieur serbe, sa femme, ancienne cantatrice aux prouesses vocales passées et à l'équilibre mental précaire, et son fils, un jeune homme qui se destine à une carrière d'attaquant au Partizan Belgrade vivent un peu à l'écart dans une maison au bord de la voie ferrée dont le père a la responsabilité. A la suite d'un match de football homérique, le fils est sélectionné pour jouer dans la plus grosse équipe yougoslave, mais il y a un léger contretemps : alors que la guerre se dessine à l'horizon, il est appelé sous les drapeaux. La mère perd plus ou moins la boule et le père se retrouve seul. Le fils est fait prisonnier en Croatie. Un jour un de ses amis débarque avec une jeune femme croate, qu'il lui propose de garder en vue de l'échanger contre son fils, car elle fait, du moins le croient-ils, partie d'une grande famille de là-bas. L'homme garde donc l'otage chez lui, dans une captivité toute relative, et bien entendu entre eux les sentiments vont évoluer jusqu'à les rapprocher de manière plus intime…
Une histoire d'amour sur fond de guerre, voilà ce qu'a fait Kusturica avec ce film. Alors que le pays se déchire irrémédiablement dans des conflits fratricides, les deux amants vont se découvrir peu à peu et céder à leur promiscuité, passant outre leurs différences " ethniques " et culturelles et oubliant l'aspect utilitaire de leur réunion. Le père commence à oublier son fils, sa femme et même la guerre. Le metteur en scène fait circuler un vent de folie dans son récit, comme à son habitude, avec lui les moments de calme sont des préludes à des déchaînements divers : fêtes épiques et quasi-orgiaques, musique de fanfare tonitruante, coups de feu, bombardements, cris, larmes…ce qui est indéniable ici, c'est la toute puissance de la vie, elle bouillonne, elle palpite, elle triomphe envers et contre tout, elle tourbillonne, elle est le dernier rempart contre la barbarie et la désolation. Elle se justifie par elle-même. Ces personnages picaresques vivent les choses viscéralement, ils consomment (et consument) chaque minute de leur existence, sans se préoccuper de leur mort, ils se heurtent, tombent parfois, se relèvent, courent. Cette dinguerie ambiante, le réalisateur en est coutumier, là où on peut noter une variation, c'est dans la description de la relation amoureuse. Elle est minutieuse et émouvante. La guerre a pour effet d'accentuer leurs sentiments, de les exacerber. Au milieu de paysages superbes, des vallons aux teintes automnales, des montagnes enneigées et des villages boueux, le récit déroule son fil, alterne les tempêtes et les moments de répit, les rires et les pleurs. C'est un beau film, qui souffre toutefois de quelques longueurs, un film qui lessive moins que les précédents de son auteur mais qui laisse un goût de plénitude.

21 GRAMMES de Alejandro Gonzales Inarritu. 3*.Un après-midi comme tant d'autres, une rue, un jardinier qui travaille sur les bas côtés, un père et ses deux filles qui se promènent, un pick-up qui passe un tout petit peu trop vite, un bruit de freins écrasés, un gros choc, trois morts…cette dizaine de secondes va sceller le destin d'une poignée de personnages qui, avant cela, vivaient sur la même planète, chacun dans son monde avec ses histoires, ses projets, ses problèmes et son avenir. Rupture violente. Désormais tout va changer. Le conducteur déjà, un type qui va de galères en galères, ancien alcoolique, plusieurs séjours à l'ombre, une famille qu'il a beaucoup de mal à faire vivre, englué dans une foi aveugle faite de résignation et de soumission. Le père et ses deux filles, des individus que nous ne connaîtrons pas plus, qui meurent. Parallèlement, on découvre un homme sursitaire, en attente urgente d'une greffe de cœur. La mort du père va permettre à cet homme de vivre. Le nouveau greffé va chercher à savoir d'où vient cet organe salvateur. Il fait le rapprochement mais il ne supporte pas le " prix " de sa guérison, cette vie, donc cette mort, pèsent trop lourd pour lui. Il va entrer en contact avec sa veuve, une jeune femme qui n'arrive pas à surmonter sa douleur et sa peine.
On voit bien les points communs entre les deux films du metteur en scène mexicain, Amours chiennes et 21 grammes : trois histoires qui vont se croiser, un destin écrasant et la douleur omniprésente. Chaque personnage a ses zones d'ombre, un passé avec lequel il pensait en avoir terminé. L'accident va raviver toutes les vieilles blessures. Inarritu filme ces êtres en perdition, qui ignorent toutes les petites branches que leur tend la vie et auxquelles ils auraient pu se rattraper. Cette spirale de la douleur, il l'aborde avec un pathos prégnant et il enferme ses créatures dans une impasse : aucun n'échappe à l'implacable machine, à tel point que même leur liberté de choix, si limitée soit elle dans l'absolu, y est absente. Ils ne dirigent pas leur vie, ils sont guidés par des pulsions, la folie aussi (pour Jack, le chauffard et sa bigoterie surnaturelle) et l'amertume d'un gâchis énorme qui continue à grignoter leur vie. Le réalisateur a éclaté son histoire, assez simple, en une multitude de vignettes, sans respecter la chronologie des évènements, mélangeant les émotions, les personnages, faisant progresser conjointement plusieurs moments de leurs vies respectives, formant un ensemble chaotique mais cohérent. Ce choix esthétique fait un peu la limite du propos (le côté haché n'est pas propice aux développements sur un tel sujet) mais donne une grande profondeur aux personnages, cela les humanise et évite aux spectateurs de les juger hâtivement, ils n'ont pas une seule facette, ils sont multiples et pluriels.
En résumé, 21 grammes est un film qui fait mal, une œuvre qui manque quelque peu de subtilité mais dont la force est indéniable, sans doute en bonne partie dû à l'interprétation magistrale que nous livrent Penn et del Toro.

 

W  

 

Z  
ZATOICHI de Takeshi Kitano. 3*.Reprenant à son compte une légende japonaise populaire, Zatoïchi nous conte les périgrinations d'un masseur aveugle, qui n'est pas que masseur ni vraiment aveugle, dans un Japon rural et soumis aux lois implacables de quelques seigneurs assoiffés de pouvoir, de sang et d'argent. Les histoires s'entrecroisent : celle du masseur déjà qui pendant les trois quarts du film ne fait que répondre aux attaques diverses dont il est la victime, celle d'un frère et d'une sœur dont la famille fut jadis massacrée par un seigneur et qui errent, déguisés en musiciennes/geishas à la recherche des coupables, celle d'un champion du sabre qui pour pouvoir faire soigner sa femme malade reprend du service en tant que ronin (une sorte de samouraï mercenaire) puis, en toile de fond, les luttes de pouvoirs entre clans seigneuriaux. Emaillées de scène de combats très spectaculaires, ces différentes histoires finissent par se rencontrer et se confondre dans une lutte bipolaire.
Ces combats au sabre ont été placés stratégiquement dans le film, à un rythme régulier. Eléments incontournables de son film, il les a traité comme s'ils s'intégraient dans un jeu video. La bande son est saturée dans les aigus et les basses, les personnages adoptent avant de se battre des postures fixes, ne bougeant pas pendant quelques instants, le sang gicle à gros bouillon et les cadavres s'additionnent voire se multiplient…et le tout va très vite. Cette violence n'a rien à voir avec celle de Hana-Bi ou Sonatine, bien qu'aussi paroxystique celle-ci est récréative et souvent drôle ; par contre le portrait qu'il fait de ce Japon encore féodal est sombre, somme toute assez proche de celui qu'il fait du Japon moderne (les clans mafieux et les yakusas ne sont autres que les seigneurs et leurs ronins de l'époque). Dans cette société gangrenée par la violence et la corruption le masseur, aveugle par nécessité, promène sa silhouette courbe et hésitante marchant à l'aide de sa canne sabre redoutable, elle tranche la pierre tout de même !!, passe de longues heures à jouer et à gagner (grâce à son ouie développée il entend les dés …), dans une sorte de tripot miteux. Son personnage est fascinant : Kitano l'habite totalement, le mettant en perspective avec son classique personnage de yakusa mutique. Son masseur n'est guère plus bavard et en plus il ne voit pas (il ne lui reste quasiment que deux de ses cinq sens, l'utilisation de son goût n'étant pas mise en avant), il se contente de survivre au mieux dans cet univers hostile. Pour alléger ce background très noir car ce n'est pas le but poursuivi, il introduit de nombreuses touches humoristiques et même hilarantes parfois. Son humour est décalé, potache et gamin ou inattendu et à retardement (les scènes où le bruit que font les paysans en travaillant devient un instrument qui prend place dans la partition du film sont tordantes, ou encore le final en forme de comédie musicale) . Bref Zatoïchi n'est pas le meilleur Kitano, c'est certain, mais il n'est pas pour autant décevant. Il a fait un film hybride, mélange de différents styles et tons, s'est séparé de certains " incontournables ", comme Joe Hisaishi à la musique ou sa scène rituelle en bord de mer, pour en fin de compte nous livrer encore une fois un film unique et emprunt de sa forte personnalité.

Les listes ci-desssous permettent de retrouver tous les films critiqués par Jean-Sébastien Leclercq de 2003 à 2006.

Les films de L à Z (voir : A à J)
TOP 2004

1. Nobody knows de Kore-eda Hirokazu
2. Old boy de Park Chan-wook
3. 2046 de Wong Kar-wai
4. La femme est l'avenir de l'homme de Hong Sang-soo
5. Big fish de Tim Burton
6. Le bois lacté de Christoph Hochhausler
7. Master and commander de Peter Weir
8. La mauvaise éducation de Pedro Almodovar
9. Memories of murder de Bong Joon-ho
10. Deux soeurs de Kim Jee-woon
ex aequo Blind Shaft de Li Yang

TOP 2005

1- Manderlay de Lars von Trier
2- Le château ambulant de Hayao Miyazaki
3- Million Dollar baby de Clint Eastwood
4- Match point de Woody Allen
5- A history of violence de David Cronenberg
6- Edvard Munch de Peter Watkins
7- La vie aquatique de Wes Anderson
8- Melinda et Melinda de Woody Allen
9- Aviator de Martin Scorsese
10- Mar adentro de Alejandro Amenabar