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AALTRA de Benoît Delépine et Gustave
Kervern. 1*. Deux voisins, suite à un tragi-comique accident
dû à des querelles liées aux nuisances sonores,
se retrouvent en fauteuil roulant. L'un d'eux est en effet rentré
en collision avec sa moto dans la remorque du tracteur de l'autre, une
remorque de la marque finlandaise Aaltra. Attristés par leur
si injuste sort, on l'eût été pour moins, ils décident
tous deux de se rendre en Finlande, vaille que vaille, et de demander
des dommages et intérêts au fabricant.
Sur une idée de départ totalement absurde et loufdingue
Delépine et Kervern brodent (le terme n'est peut-être pas
approprié, faut pas exagérer) un road movie déglingué,
filmé dans un noir et blanc cafardeux et neigeux, prétexte
à des rencontres et des situations insolites. Pourquoi pas ?
Mais le hic c'est que leurs aventures manquent singulièrement
de trépidations et de rythme. Le fauteuil roulant, stigmate de
leur erreur et de leur problème commun, mais aussi moyen de locomotion
donne lieu à quelques gags assez drôles, mais il aurait
pu être mieux utilisé. On sent que les deux compères
ont du digérer les films de Kaurismaki, auquel ils rendent un
hommage appuyé ici, mais ce dernier manie l'humour pisse-froid
et le misérabilisme d'apparence bien mieux qu'eux. Pas grand
chose d'autre à dire là-dessus. C'est pas nul, mais c'est
tiédasse.
AMERICAN SPLENDOR de Shari Springer Berman et
Robert Pulcini. 3*. Harvey Pekar est un Américain des plus moyens.
Ventripotent, dégarni, fan de comics et de jazz, déprimé
et névrosé il travaille dans un hôpital de Cleveland,
à la section documentation, au milieu de milliers de dossiers
d'anciens patients. De la vie, qu'il trouve tellement complexe, il n'attend
rien, pas même l'amour, sur lequel il semble avoir fait une croix,
peu enclin aux joies de l 'existence, le bonheur paraît n'avoir
aucune prise sur lui. Rongé de ne pouvoir faire sortir ce mal
être profond, il erre dans sa vie, spectateur impuissant de son
lent déclin. Puis vient la rencontre avec Robert Crumb, un dessinateur
underground. Ils décident de mettre en dessins et en bulles cette
vie si exsangue, si monotone. Pekar se raconte, sans fard, avec un réalisme
cru et un humour grinçant, Crumb lui donne forme. Le succès,
relatif, faisant, les numéros d'American Splendor se succèdent
et prennent une part importante de la vie de ce M. Tout-le-monde. Joyce,
une jeune femme perturbée, son alter ego féminin si on
veut, entre dans sa vie, dans sa BD aussi puisque les deux se fondent.
Il est reconnu pour son travail de créateur, qui ne lui permet
quand même pas d'en vivre, se fourvoie dans quelques émissions
télé populaires
chaque nouvelle chose qui lui arrive
s'intègre de facto dans le morne train-train de son existence.
Un jour il apprend qu'il est atteint d'un cancer. Avec sa femme il décide
de faire de sa maladie et de son traitement le sujet d'une BD
On est frappé par les ressemblances entre le film et la vie même
de Pekar : les réalisateurs y ont intègré des images
dessinées et quelquefois animées, des morceaux d'archives
donnant au film un aspect de patchwork un peu bordélique. De
plus ils nous livrent une poignée de scènes de tournage
du film, où les vrais personnages et les acteurs qui interprètent
leur rôle sont présents. Ce côté foutraque,
qui nous rend Pekar si humain et sympathique insuffle au film une vie
réelle et grouillante mais de façon peu explicite. La
dynamique dans laquelle Pekar se met, à savoir que son travail
d'artiste devient la substance même de sa vie alors qu'il n'est
sensé, au début du moins, qu'en être le reflet,
se substitue à sa vie d' " avant ", une confusion se
fait entre le personnage et l'homme. L'art n'a chez lui pas de vocation
thérapeutique,il ne sublime rien, il serait plutôt aliénant
dans cette optique. En conclusion, ce film est un objet " malade
", qui souffre des mêmes maux que son sujet, il est animé
de la même énergie, les deux étant en osmose (on
pourrait parler de mimétisme) parfaite.
ANYTHING ELSE de Woody Allen. 2*. Jerry Falk
est un jeune auteur de sketchs new-yorkais qui se lasse un peu de se
limiter au comique et décide donc d'écrire un roman. Il
est entouré d'une jeune femme, dont il est éperdument
sous le charme et qui le mène par le bout de la braguette, d'un
vieux bonhomme, M. Dobel, un professeur de collège (comique frustré
et aigri), un psychanalyste refroidissant et enfin d'un agent, une espèce
de has been minable et manipulateur qui veut lui faire signer un contrat
à vie. Tout ce petit monde gravite dans un New-York blanc, autour
de Central Park (l'Upper East Side où Jerry a son appartement,
très années 40/50, et Greenwhich Village).
On est clairement dans l'univers familier de Allen, qui à travers
ces deux personnages, Jerry et David Dobel, parle de lui et de sa vie.
Jerry serait un Woody jeune, du moins dans les apparences (façon
de s'habiller, humour grinçant, appartement rétro, jazz,
rapport conflictuels avec la belle-mère, psy, frustration sexuelle
),
et idéal dans la mesure où Allen y projette son regard
rétrospectif. Ce jeune auteur a un parcours qui ressemble à
celui de son créateur et Allen le met en relation avec Dobel,
une sorte de lui actuel mais aux défauts exagéremment
grossis, un peu comme si il réécrivait son histoire. Car
ce Dobel est un phénomène : paranoïaque, adepte d'une
autodéfense radicale et irrationnelle, onaniste convaincu, juif
athée mais apeuré par une possible existence de dieu,
aigri par tous ses actes manqués (il n'a pas osé assumer
la carrière d'auteur et s'est réfugié dans celle
de prof), il va même se distinguer par un vocabulaire hors d'âge,
en employant des mots qu'il est peut-être le seul à utiliser
et il distille à son jeune alter ego tout un fatras éthique
bancal. Cette étrange relation qu'ils nouent, qu'on pourrait
grosso modo assimiler à une relation père/fils (père
ou Pygmallion) va les amener à un projet commun, celui de partir
tous les deux à Los Angeles ; pour l'un, il s'agit de se lancer
véritablement et pour l'autre d'essayer de rattrapper le temps
perdu. Mais au dernier moment, Dobel renonce pour d'obscures raisons,
il invente à cet effet une abracadabrante histoire de vengeance
bref,
seul Jerry quittera Big Apple, plaquant tout ce qui formait son "
décor ", son environnement et se donnant, contrairement
à son aîné aigri et plein de regrets, la chance
de faire ce qu'il veut.
En conclusion, Anything else est un film amusant qui recèle une
grosse poignée de répliques qui font mouche. Mais c'est
un Woody Allen très mineur, loin des fulgurances de Broadway
Danny Rose. Les acteurs apportent une plus value non négligeable
au film, Christina Ricci en tête (elle dégage un sex appeal
exorbitant) mais aussi Jason Biggs, un des teenagers abrutis des American
Pie ou Danny de Vito qui compose un agent gluant mémorable.
AVIATOR de Martin Scorsese. 3*.Play boy,
mégalo, paranoïaque, névrosé, égocentrique
exacerbé, obsédé, monomaniaque, visionnaire, souffrant
d'hallucinations, terrorisé par les germes
bref, Howard
Hughes en plus de ça était aussi un homme comme les autres,
essayant de vivre avec les séquelles laissées par une
mère toxique, pathétiquement turlupinée par le
fait de se protéger des agressions du monde extérieur,
surtout celles dont la taille se calcule en microns. Le film s'ouvre
sur le tournage homérique de Hell's angels, une hagiographie
de valeureux pilotes de chasse américains, tourné avec
un nombre phénoménal de caméras. Son film pharaonique
qui faillit le mettre sur la paille est un succès et devient
le film le plus cher de l'histoire du cinéma. Et il enchaîne
avec des prototypes d'avions inédits, d'autres films et d'autres
avions jusqu'à ce qu'on cherche à le traîner dans
la boue, pour une histoire de contrats non remplis
Le personnage de Hughes a tout ce qu'il faut pour être un véritable
" héros " scorsesien : des aspirations méchamment
ambitieuses, une bonne dose de folie (dans le sens psychiatrique)
autant
d'éléments qui lui permettront d'atteindre le firmament
de son rêve fou et de s'y brûler les ailes pour s'échoir
irréversiblement. La fuite en avant de Hughes, toujours plus
gros les avions, toujours plus chers, toujours plus osés les
films, est remarquablement montrée par Scorsese, on est entraîné
dans son sillage tourmenté, toujours au bord de l'implosion (et
de l'explosion), apparaissant fort pour tout le monde, et incroyablement
fragile et exposé pour ses proches. Un colosse aux pieds d'argile.
La moindre trace de saleté, de négligence le met à
mal, lui faisant perdre ses moyens.
Hughes souffre de sa matérialité d'être humain (son
corps, et l'univers physique humain est son talon d'Achille), cela doit
lui sembler un frein à ses folles ambitions, en même temps
qu'un moteur, car ça lui permet de voler, de s'éloigner
de ce monde dans lequel il se sent trop à l'étroit. Inoculée
par sa mère, cette phobie, dérisoire, presque paradoxale,
en comparaison de l'énergie immense déployée par
le personnage semble le marquer du sceau de la malédiction. Les
personnages des femmes, choisies dans son immense tableau de chasse,
retenus par le metteur en scène sont intéressants : on
voit essentiellement Katharine Hepburn, présentée comme
une femme indépendante, une forte tête mais qui "
joue " (dans le sens qu'elle l'interprète) sa vie en permanence
et Ava Gardner, qui n'hésite pas lorsqu'elle découvre
que Hughes a posé des micros partout chez elle, à l'assommer.
On suit donc la confrontation permanente de Hughes avec sa folie, on
le sent exposé, fragile et instable alors que l'image et l'histoire
tend à le présenter comme un démiurge. Cette césure
pathologique fait naître une grande tension chez le spectateur.
Scorsese en joue avec maestria, comme lors de la scène du dîner
avec le sénateur où l'on voit que ce dernier laisse exprès
une trace de doigt sur le verre de son hôte. Si le film n'émeut
pas vraiment, on est sollicité par le biais de cette mécanique,
souhaitant et redoutant le prochain pétage de plombs du nabab.
Sa déchéance est impressionnante, même si le film
ne se clôt pas là-dessus. Seul, hermétiquement cloîtré
dans sa salle de projection, tel un Robinson, il ressasse sa folie dans
un déluge d'images (les siennes). Une terrifiante image de la
solitude
Aviator est une uvre passionnante, très
bien interprétée (une nuance toutefois quant à
Cate Blanchett, qui appuie un poil trop) et émaillée de
mouvements d'appareil renversant.
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BAD SANTA de Terry Zwigoff. 2*. Willie
et son copain Marcus, un nain, ont une arnaque originale : tous les
mois de décembre, ils changent d'Etat et jouent pour le premier le père
noël, pour le second un elfe dans un grand centre commercial. Et le
soir du réveillon ils cambriolent le coffre fort du magasin. Le hic
c'est que Willie s'enfonce de plus en plus dans une consommation irraisonnée
d'alcool, du réveil au coucher il absorbe des quantités de liquide à
rendre priapique le patron de Ricard. Là ils sont à Phœnix, Arizona,
et les choses vont de plus en plus mal pour le duo d'escrocs : alors
que Marcus prend son rôle avec sérieux, Willie mulitiplie les dérapages
incontrôlés. Alors qu'il squatte dans une maison habitée par un gamin
obèse, objet de la risée générale et sa grand-mère il rencontre une
ravissante serveuse de bar que les pères noël ont toujours fait fantasmer.
Le film est une chronique assez intimiste malgré tous ses débordements,
qu'ils soient verbaux ou éthyliques. Willie est arrivé au bout. Les
deux rencontres qu'il fait, le gamin et plus encore la serveuse, vont
lui donner une chance de s'extraire de son bourbier, lui permettre enfin
de relever la tête, et de sinon entrevoir la possibilité de vivre heureux
au moins celle de vivre en arrêtant de se cracher dessus. Dans le gamin,
faussement arriéré et victime toute désignée de sarcasmes il voit peut-être
un reflet de ce qu'il fût enfant, plus précisément l'inverse de ce qu'il
était. Enfant battu il dût très tôt apprendre à se défendre et à se
construire une carapace, à se blaser de tout pour ne plus être atteint
par rien. Son dernier coup s'apparentera donc à la fin de cet itinéraire
et pourra laisser place à une rédemption. Bref si c'est bien le sujet
du film, il ne s'agit pas pour autant, c'est du rabattu, de son intérêt
principal. Bad santa trouve son originalité dans le traitement des dérives
éthyliques de Willie. Le voir arriver complètement saoul, envoyer balader
les gamins qui viennent poser à côté de lui…le tout dans le temple de
la consommation de masse, voilà qui dynamite joyeusement le tableau
d'une fête religieuse, sacralisée et populaire. Tous ces ratés, cette
agressivité et ces outrances passés à la moulinette d'un humour méchant
provoquent un rire grinçant. Un petit film très marrant.
BIG FISH de Tim Burton. 4*. Burton revient, après une
incartade simiesque des plus déplorables, avec un conte merveilleux
sur lequel plane, écrasante, l'ombre de la mort. Dans une petite
bourgade tranquille de l'Alabama grandit Edward Bloom, un garçon
qui se promet à un avenir extraordinaire. De lui nous ne savons
rien d'autre que ce qu'il en raconte (ce qui nous met à égalité
avec son fils, William), et chacun des épisodes de son existence
prend une dimension surnaturelle et poétique quand il le narre.
Tout irait bien si son fils, devenu un jeune adulte et un futur père
ne rejetait pas ce monde et ce passé chimériques. Lui
a besoin de " vérité ", il veut connaître
la vraie vie de son père pour savoir qui il est lui-même.
Ils se brouillent. L'agonie de son père va lui offrir une dernière
chance. Hélas pour lui ce ne sera pas l'occasion d'obtenir les
réponses qu'il cherche. Mais plutôt d'en venir à
accepter toutes ces histoires incroyables, ces péripéties
rocambolesques et improbables comme, non pas faisant partie de son père,
mais comme étant son père lui-même. Cet homme qu'il
a tant souffert à vouloir le découvrir, il l'avait, là,
dans réalité, tout le temps. Cette figure paternelle envahissante
et dévorante, malgré ces nombreuses absences, est le créateur
ainsi que le protagoniste principal de ces contes, de sa vie et, lui,
le fils en est le récepteur/spectateur mais aussi la cause et
la raison d'être.
La césure réel/imaginaire n'est pas le propos de Burton
: ce qui est vrai ou pas n'a pas d'importance ici. Le " réalisme
" n'est qu'une vision du monde et de la réalité au
même titre que les conte de William Bloom. Si on voulait tenter
d'expliquer cet acharnement à romancer sa vie il faudrait probablement
chercher dans l'inadaptation de Bloom à cette vie-là,
celle que lui offre son état d'être humain lambda né
en Alabama dans les années 30, doté d'une imagination
si débordante qu'il ne peut que s'y sentir à l'étroit.
Le metteur en scène pour rendre tangible ce décalage a
pris le parti de filmer ces aventures au premier degré, non sans
avoir appliqué à l'image un traitement spécial
: l'éclairage très lumineux du personnage de Bloom (sur
le visage par exemple : par moment, pour les cadrages serrés,
sa tête est éclairée comme si le film était
en noir et blanc à l'époque du muet), les couleurs très
tranchées (qui peuvent rappeler Edward aux mains d'argent), les
cadrages obliques, les légères plongées en gros
plan
tout cela donne une texture spéciale à l'image
et lui insuffle le merveilleux nécessaire, contrecarrant l'absence
de transition visuelle entre les deux " mondes ". de plus
le thème de la mort du père (du créateur), imminente
ou effective donne à Big Fish une grande émotion, toujours
juste, sans excès. Sans oublier l'humour comme dans ce bref clin
d'il au moment où Edward entre dans le " paradis "
après avoir traversé la forêt soit disant hantée,
on aperçoit subrepticement un joueur de banjo qui joue l'intro
du célèbre morceau qu'on entend dans Délivrance
de John Boorman (mais qui dans ce dernier annonçait une entrée
en enfer
).
Bref, il s'agit sans doute de l'un des meilleurs films de l'atypique
Tim Burton, qui continue de s'affirmer comme un très grand metteur
en scène, secondé avec génie par la photo de Rousselot
et la musique typée de Elfman. Un très beau film.
BLIND SHAFT de Li Yang. 3*. Dans la Chine rurale d'aujourd'hui,
deux hommes vont de mines en mines et montent de sinistres arnaques.
Ils débusquent un " pigeon ", le persuade de les suivre
et ils se font tous les trois embaucher dans une mine, le troisième
étant présenté comme un parent d'un des deux autres.
Au bout d'un certain temps, ils le tuent et font croire à un
accident dû à des conditions de sécurité
non respectées par le directeur de la mine. Par peur du scandale
et de la dénonciation celui-ci accepte de payer. Ils peuvent
passer à un autre pigeon et une autre mine.
C'est une histoire classique de films noirs, dans un milieu essentiellement
masculin (les femmes y sont presque absentes). Le film s'ouvre sur le
meurtre d'une de leur proie, suivent les tractations financières
avec le patron de la mine. En une dizaine de minutes le spectateur se
prend une dose XXL de cynisme froid et calculé. Car ces deux
tueurs, si monstrueux que puisse être leur comportement, ne sont
que des hommes qui pervertissent un système et une réalité
économique durs pour leur permettre de survivre, et de faire
vivre leur famille. Ce n'est pas une excuse à leurs actes mais
on sent une dimension de nécessité quasi-vitale dans ceux-ci
en même temps qu'un refus d'accepter cet univers désespérant
qu'est le leur. Ils sont des marginaux qui ont renoncé à
une bonne partie de leur humanité pour pouvoir garder le reste
intact. Les scènes où ils discutent de comment ils vont
procéder au meurtre font froid dans le dos, ils en parlent de
façon dégagée comme s'ils palabraient gaiement
sur des sujets futiles : dans leur cas à eux, la fin justifie
tous les moyens, et ils ne semblent pas s'encombrer de scrupules ou
de remords. Sauf pour leur dernière victime, un jeune homme,
à peine sorti de l'adolescence et pas encore débourré.
Là, l'un des deux va éprouver de la pitié et va
essayer vainement de convaincre son complice de ne pas le tuer, repoussant
sans cesse la date fatidique. La fin apparaît alors inéluctable
: leur dernier coup sera leur ultime. Ils s'entretuent.
La mise en scène est très efficace, Yang alterne les scènes
dans l'enceinte de la mine avec les jours de repos, où les trois
hommes vadrouillent en ville. Loin d'aérer le propos, ces scènes
enferment encore plus la future victime dans leur projet morbide : on
ne peut voir en elle qu'un sursitaire, un condamné, qui ne le
sait pas, à qui on laisse quelques jours de vie en plus. L'étau
se referme progressivement sur cet innocent (un peu trop innocent peut-être).
De plus le fait que ce soit filmé en partie clandestinement apporte
à Blind shaft une énergie malsaine incroyable, proche
de celle qu'on ressent dans Laws of gravity (de Nick Gomez), dans lequel
la caméra cherchait la moindre parcelle de vie, de mouvement
dans les déambulations de ces protagonistes. Un très bon
film, maîtrisé et dont l'arrière-plan social apporte
une dimension supplémentaire, l'inscrivant à mi-chemin
entre le pur film noir et le documentaire sur un aspect de la Chine
du troisième millénaire.
BLUSH de Wim Vandekeybus 0* .Blush est le
filmage en décors plus ou moins naturels du spectacle d'une compagnie
de danse bruxelloise. Soit. On voit donc tous les membres de ladite
troupe se contorsionner dans tous les sens avec une grâce que l'esthète
ne retrouvera pas à la Star academy, sur une musique sourde et anxiogène.
Les corps se frôlent, se cognent, se percutent et se repoussent, sur
le sable, dans l'eau, dans un champ de maïs, dans une boîte SM. Puisque
le film ne m'a rien inspiré d'autre qu'une grande lassitude et un amusement
ironique je vais compléter par une citation de Télérama (il s'agit de
la fin de la critique du film par Jacques Morice) sur laquelle j'apposerai
quelques commentaires : " Le rock magnifiquement lancinant de David
Eugene Edwards (chanteur de 16 Horsepower) et le texte incantatoire
du poète Peter Verhelst concourent aussi à la beauté tumultueuse de
cet objet inclassable, mixage dionysiaque de tous les arts ou presque.
" Pour le rock lancinant on est d'accord quoique l'aspect magnifique
du susdit rock reste discutable. Le texte incantatoire…là ça se grippe.
Où est l'incantation là dedans ? La beauté tumultueuse, objet inclassable,
le mixage dionysiaque…alors là c'est le pompon. Je présente mes excuses
à tous les amateurs de danse* mais je n'y ai vu que des déhanchements
vigoureux et lascifs et des chorégraphies répétitives filmées à grand
renfort d'effets stroboscopiques et de montage clippé. Bref, un truc
qui aurait plus sa place dans une théma d'Arte sur la danse contemporaine.
* En réalité je ne présente pas mes excuses à ces gens-là, n'exagérons
pas.
LE BOIS LACTE de Christoph Hochhäusler.
4*. Une jeune fille et son petit frère marchent le long d'une
route. Une voiture s'arrête, c'est leur belle-mère qui
avait oublié de venir les chercher à l'école. Dans
la voiture la discussion est houleuse, la tension grimpe. Excédée
la femme stoppe et laisse les enfants seuls, dans un bois.
Les deux gamins, Allemands, se retrouvent livrés à eux-mêmes
dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, la Pologne. Alors
que la nuit est tombée, ils rencontrent un livreur, bilingue
avec qui ils vont passer quelques jours.
Très dépouillé, le film permet l'éclosion,
rapide d'une angoisse diffuse et sourde qui devient permanente et enferme
peu à peu tous les personnages, toutes les situations, chaque
instant de la vie de ces personnages énigmatiques. Car finalement
on ne sait quasiment rien de ces êtres, qui ne nous sont que montrés,
froidement. Il y a un petit garçon un peu geignard, une petite
fille capricieuse et sournoise, une belle-mère visiblement en
détresse sentimentale capable d'un ignominieux abandon d'enfants
(on peut supposer que celle-ci dans son apparent besoin éperdu
d'amour et de reconnaissance amoureuse auprès de son mari est
atteinte d'une sorte de folie, qui la pousse donc jusqu'au déni
de l'existence des enfants), un père inquiet mais absent et légèrement
fuyant et enfin le livreur polonais, un peu irresponsable puis vénal.
L'errance imposée des enfants est rendue à l'image par
une progression dans un univers très vertical (et géométrique
plus généralement) qui les écrase : les arbres
de la forêt et leurs ombres inquiétantes sur le chemin
quand le jour tombe créent un climat oppressant, proche de celui
des contes scandinaves (d'ailleurs le film est une version moderne de
Hansël et Gretel). Ces décors, auxquels il convient de rajouter
ceux de la maison en travaux, de l'antique camionnette du livreur, des
restaurants et motels évitent bien des paroles et des effets
inutiles de mise en scène enserrant les personnages dans un univers
d'incertitude, d'imminence et de désolation. Les couleurs sont
froides (prédominance du vert et du gris), les plans durent,
les espaces diminuent les gens, la rareté des dialogues les laisse
à une vie intérieure qu'on imagine pleine de tourments,
les mouvements sont calculés
jamais la détresse ne
franchit la barrière des corps, pas d'éclat, de larmes
ni de cri. Hochhäusler a réussi avec son film un véritable
film d'angoisse plein de flou, de points d'interrogation et d'ombre,
une uvre glacée et moribonde sur laquelle plane le spectre
de la mort et de la souffrance mais où la vie palpite tapie dans
les recoins.
LES BOUCHERS VERTS de Anders-Thomas
Jensen. 2*.Svend et Bjoran, deux employés de boucherie, peu aidés
par la nature voire complètement débiles, décident
d'ouvrir leur propre échoppe. Tout commence plutôt bien
pour eux. Leur local est parfait, ils ont été livré
en viande, mais voilà un jour ils oublient en fermant la boutique
un technicien frigoriste dans la chambre froide. Toute leur entreprise
s'en trouve mise en péril. C'est sans compter sur Svend, dit
" La sueur " en raison d'une hyperactivité de ses glandes
sudoripares, et ses pétages de plombs. Ce dernier dans un accès
de folie découpe le macchabée et le fait mariner dans
une sauce dont il a le secret. C'est si goûtu que les clients
en redemandent. Il n'en fallait pas plus à Svend pour qu'il se
mette désormais en chasse et qu'il approvisionne régulièrement
son stock, persuadé qu'il est que dans cette réussite
il y a la marque du divin. Le malheureux technico si accidentelle que
soit sa mort a bien donné une idée au boucher cinglé.
Couic l'agent immobilier, couic le passant dans la rue, couic l'infirmière
psychiatrique (oserai-je parler de Couic-burger ?). Seul l'un des clients
trouve que sa viande lui rappelle le goût de sa femme (ce gag
d'un goût douteux, lui aussi, est sûrement le meilleur du
film), qu'il avait pour des raisons de survie, mangé quelques
années auparavant.
Un boucher qui sert à ses clients de la viande humaine
ça
ne vous rappelle rien ? Et bien la comparaison s'arrête là
tant ce film-ci a banni toute poésie, toute sophistication visuelle
au profit d'une ambiance estampillée nordique, couleurs froides,
dialogues rares et durée des plans disproportionnée. Seul
le portrait de cette paire de crétins détonne un poil,
on les aurait plutôt vu dans un film des frères Farrelly
(l'aspect scato en moins). Et c'est justement ce côté qui
rend le film paradoxalement attachant : s'ils n'inspirent pas la pitié
ni la compassion ils font rire, plus que leur empêtrement dans
le commerce cannibalique. Un truc cependant : la morale du film, ambiguë.
L'important ce n'est pas ce qu'on mange, mais le goût que ça
a. Avec de pareilles thèses on ne peut s'empêcher de penser
à une perception industrielle du cinéma. Bref, c'est marrant
quelquefois et creux tout le temps.
BREAKING NEWS de Johnnie To 2* A
Hong Kong un casse échoue et se termine en fusillade avec la police.
Les malfrats réussissent à s'enfuir profitant de la désorganisation
des forces de l'ordre. Malheureusement les médias étant sur place lors
du massacre retransmettent en direct les images de l'assaut raté. Les
flics deviennent la risée de la population qui s'interroge sur l'efficacité
réelle de sa police. Pour riposter la police décide d'établir un plan
de communication : ils conçoivent la traque des truands comme un spectacle,
avec compte-rendus à la presse réguliers, hommes d'intervention équipés
de caméras portées, le tout étant monté avec musique et effets de mise
en scène par un monteur professionnel avant d'être donné aux médias.
Sur une trame des plus usées, Johnnie To bricole un gros film d'action
avec débordements pyrotechniques et flics shootés à la testostérone
doublé d'une charge pas très finaude sur les médias et leur prétendue
omnipotence. Ca manque un peu d'originalité tout ça et l'aspect satirique
n'est pas assez bien traité pour que le film emporte réellement l'adhésion.
Les personnages des flics et des truands sont très stéréotypés, on y
retrouve les mêmes que dans un film de série HK classique, le personnage
du capitaine, une femme pour une fois pas faire valoir de collègues
virils, en moins et l'absence de bluette de comptoir en plus. Les scènes
d'action si elles sont bien tournées ne sont pas renversantes, exception
faite de la superbe scène d'ouverture, un plan séquence de 6 ou 7 minutes
sidérantes (juste quelques petits grains dans le timing et la fluidité
de l'action), dopées qu'elles sont par un montage stonien* avec cadrages
multiples. C'est d'autant plus dommage que le lieu de l'action (où 80
% du film se déroule) pouvait prêter à autre chose. Les dédales de couloirs,
l'exiguïté de l'appartement dans lequel les fuyards ont pris une famille
en otage, la succession d'étages identiques…bref tout cela aurait pu
amener à façonner une ambiance plus anxiogène, nous faire ressentir
la montée d'un sentiment de claustrophobie, créer un véritable suspense.
Mais non, To a été trop paresseux pour ça, il s'est contenté de décliner
très légèrement le canevas du polar d'action de série en vogue à Hong
Kong depuis une quinzaine d'années en y introduisant cette dimension
satirique mais qui faute d'un traitement approprié fait long feu. Pas
mal mais sans plus. * du nom d'Oliver Stone, apparemment metteur en
scène de cinéma de la fin du 2ème millénaire et qui s'appliquait à faire
rentrer le maximum d'images dans le minimum de pellicule en faisant
le plus de bruit possible.
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CAFE LUMIERE de Hou Hsiao Hsien. 3*.
Yoko est une jeune Japonaise qui vit à Tokyo. Journaliste, elle
prépare une monographie sur un compositeur Taiwanais qui émigra
au Japon au début du siècle. Son insouciance et l'apparente
tranquillité de sa vie se trouvent entravées par un problème
qui va rapidement lui faire prendre conscience de la difficulté
d'être adulte, et responsable de ses actes et décisions.
En effet elle est enceinte d'un homme qu'elle ne voit qu'épisodiquement
lorsqu'elle va à Taiwan et qui ne semble pas décidé
à s'installer avec elle (il vit avec sa mère). Entre des
entrevues avec son père et sa belle-mère, son ami libraire,
un joyeux illuminé qui nourrit une obsession infantile pour les
trains et tout ce qui s'y rapporte Yoko va devoir affronter son avenir.
Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, c'est la ville de Tokyo.
Elle est montrée comme une sorte de fourmilière hyper-active
d'un côté mais aussi presque paisible de l'autre (les scènes
ensoleillées où Yoko se promène dans les rues,
ou quand elle prend les fameux transports en communs qui circulent partout,
ou quand elle va dans un café, presque toujours vide). Cette
vision renforce l'impression de douce solitude mélancolique de
Yoko. Ce n'est pas du côté de son père qu'elle pourra
trouver des réponses aux questions qu'elle se pose : si celui-ci
est bien vivant il est absent, il n'arrive pas à communiquer
avec elle ; de plus elle ne peut compter sur sa belle-mère pour
lui donner le moindre conseil. Son ami libraire, lui n'en paraît
pas apte non plus, préférant prolonger son enfance avec
ses occupations monomaniaques. C'est donc seule qu'elle se prépare
à passer cette étape décisive dans sa vie qu'est
le passage à l'âge adulte, ou tout du moins à des
préoccupations qui le seront un peu plus. Accueillir et élever
cet enfant signifie renoncer à une vie entièrement tournée
sur soi-même, un véritable défi pour elle. Plusieurs
fois on la voit sur le point de craquer sous la pression que cela représente,
plusieurs fois elle semble prête à abandonner se réfugiant
dans le sommeil, souffrant de malaises et de fatigue chronique. C'est
d'ailleurs dans ses longs moments où elle dort qu'elle fait son
rêve récurrent, celui qui est inspiré d'un conte
européen et qui raconte l'histoire des lutins qui échangent
un vrai bébé par un mannequin de glace, pendant que la
jeune fille chargée de le surveiller leur tourne le dos ; celle-ci
ne se rendant pas compte tout de suite de la supercherie, le prend dans
ses bras et le substitut fond littéralement dans ses bras. A
ce propos Yoko ne se le rappelait pas tel quel, mais dans son souvenir
à elle, c'est par un bébé tout fripé qu'était
remplacé le poupon : comme si ce récit avec les lutins
lui faisait passer de l'image fantasmée d'un bébé
tout rond tout propre, idéel, à celle, réaliste
celle-là, d'un bébé frippé qui ne fondra
pas comme neige au soleil. Hou a réussi un film très abouti
sur la grande difficulté d'assumer et de faire sienne la vie
qu'on mène, de s'approprier sa vie en devenant adulte. Il manque
peut-être l'émotion qui aurait rendu Yoko plus proche de
nous.
LE CAUCHEMAR DE DARWIN de Hubert
Sauper 3*. En Tanzanie, de nos jours, sur les rives du lac Victoria
(rives partagées avec le Mozambique, l'Ouganda, la Zambie et la RD du
Congo entre autres), un gros porteur russe amorce sa descente sur la
piste rudimentaire de Mwanza. Il vient y faire ce que deux avions comme
lui viennent y faire tous les jours, se remplir les soutes de 50 tonnes
de filets de perche du Nil, un poisson prédateur et cannibale, pour
les expédier en Europe ou au Japon. Le but du metteur en scène de ce
docu coup de poing est de nous faire entrevoir l'incroyable étendue,
les effets tentaculaires de ce commerce là. Pour ce faire il procède
très intelligemment en suivant une logique d'approche qui pourrait être
celle d'un quidam éclairé et désireux de savoir ce qui se cache derrière
le balai incessant des avions sur cette piste miteuse. Ainsi on commence
par voir l'avion approcher, atterrir. On fait la connaissance d'un pilote,
et des deux ou trois techniciens embarqués. Après on découvre les pêcheurs
de perche, l'usine de transformation, puis la face la moins reluisante,
le noyau noir de ce business, à savoir la misère insupportable qui règne
en réalité dans cette zone qui pourtant produit des millions de dollars
: car autour de ce commerce gravite toute une sous-humanité vouée à
la destruction : les pêcheurs, les prostituées, les enfants abandonnés…tous
sont confrontés quotidiennement à leur survie précaire. Sauper fait
très bien ressortir l'implacable mécanique d'annihilation humaine :
les pilotes livrent des armes qui alimentent les confits dans les pays
frontaliers du lac Victoria, ils repartent pleins de perches alimenter
les étals de leurs affréteurs, poisson qui détruit complètement l'écosystème
du lac mais au rendement économique qui autorise un déni total du reste.
La production de ce poisson génère outre les emploi dans l'usine elle-même
une économie de survie parasitaire et immontrable : les carcasses de
poissons grouillantes de vers qui sont revendues, séchées (avec fort
dégagement d'ammoniac et effets secondaires dramatiques sur la santé
des gens qui végètent dans cet environnement vicié), bouillies et mangées.
Les pêcheurs eux vivent dans des petits villages qui poussent comme
des champignons autour du site, dans une misère écrasante ; les prostituées
qui travaillent ou avec les pilotes (et c'est très risqué pour elles,
car bien souvent ceux-ci boivent et sont violents) ou les pêcheurs dans
des conditions sanitaires déplorables sont des vecteurs sans cesse renouvelés
de la propagation du VIH (qui fait des ravages), risquent leur vie en
permanence pour quelques dollars à la merci d'un meurtre crapuleux ou
d'un déchaînement sadique, et les enfants, normalement appelés à succéder
meurent comme des chiens errants, drogués, violés…bref, le tableau est
d'une noirceur impitoyable. La cruelle réalité, ironique, de la situation
est que chacun d'eux, quel que soit son rôle, sa fonction, son statut
trouve une place dans cette synergie au-delà même des habitants de la
zone (les armes continuent à voyager après l'arrivée à Mwanza, les profits
dégagés enrichissent des gens hors des frontières de la Tanzanie). L'Afrique,
qui est depuis des lustres un laboratoire d'expérimentations pour les
pays occidentaux continue de payer le lourd tribut d'un passé colonial
très loin d'être révolu (mais qui du politique a glissé incidemment
à l'économique et ce au mépris de toute notion d'humanité). La voix
de la sagesse dirait que Sauper enfonce des portes ouvertes, et elle
n'aurait pas complètement tort la bougresse mais il met au premier plan
des hommes, des femmes et des enfants oubliés de tous, ignorés, il les
filme, les interroge, les fait parler de leur quotidien et de leurs
espoirs, fous bien entendu; outre l'absence totale d'avenir tolérable
pour ces damnés il continue l'interminable radiographie du cancer occidental
qui ronge l'Afrique. Et la misère révoltante, dont on se prend un digest
dans la gueule lors de la projection est plus qu'un inconfort ou une
indélicatesse c'est leur quotidien d'Homme. Le réalisateur ne craint
donc pas de montrer la misère, sa caméra ne se détourne pas devant le
sordide de certaines situations mais son but est d'humaniser cette misère,
de donner un visage aux victimes (en donnant aussi un aperçu de celui
des bourreaux), que ce soit lors de l'interview du gardien du laboratoire
ou d'une des prostituées ou lorsqu'il laisse sa caméra saisir de longues
scènes comme celle de la soirée avec les pilotes russes et les prostituées
ou celle dans laquelle les enfants se battent au poing pour attraper
une poignée de riz. Il rend intellectuellement intolérable une horreur
que sa méconnaissance ou sa non-envie de savoir nous fait tolérer.
LE CHATEAU AMBULANT de Hayao Miyazaki.
5*. Sophie, une jeune fille un peu triste qui s'ennuie dans sa boutique
d'accessoires de mode rencontre un jour un jeune et beau sorcier et
tombe sous son charme. Mais le même jour elle se fait aussi jeter
un sort par une gargantuesque sorcière. Elle se retrouve ainsi
nonagénaire à l'ossature aussi précaire que rouillée.
Elle quitte alors son échoppe et part à la recherche de
son sorcier, le ténébreux Hauru, pensant le solliciter
pour un désenvoûtement. Hélas ce dernier, qui vit
dans un château mobile a lui aussi été victime,
lorsqu'il était enfant, d'un sortilège qui l'a condamné
à se transformer en gigantesque oiseau. Le pays est en guerre
et toutes les nuits il part en vadrouille pour essayer d'échapper
à des poursuivants plumitifs ou caoutchouteux et protéger
ainsi son château ambulant.
Dans un pays indéfini, dont on sait juste qu'il est en guerre
contre son voisin, un pays dans lequel le merveilleux côtoie le
quotidien le plus prosaïque sans que cela ne semble perturber qui
que ce soit, l'histoire d'amour que l'on sent poindre entre le sorcier
et la jeune fille envoûtés va se heurter à de multiples
obstacles, tant tout est imprévisible, tout peut basculer d'un
instant à l'autre. Certes il n'y a guère de suspense quant
à l'issue de cette " quête ", mais les personnages
évoluent, chacun à leur rythme, dans leur mesure. Le sorcier,
figure romanesque, vit sa dualité avec une sombre résignation
que seule l'arrivée dans sa vie de Sophie va rompre ; pour Sophie,
par contre la malédiction est non seulement l'occasion de revoir
Hauru mais aussi devenir vieille lui fait prendre conscience de la difficulté
d'affronter la vie, de se battre pour aimer, de la souffrance que cela
engendre. Elle apprendra à ne pas se laisser guider par l'apparence
des choses et des gens, d'ailleurs comment le pourrait-elle ? Tout autour
d'elle est mouvant et n'est pas ce qu'il paraît être : le
château qui change de forme, Hauru qui se transforme, elle qui
a pris 70 ans en 1 seconde et dont le visage change selon son humeur
et l'endroit où elle est (selon le degré de perception
de la " réalité " où elle se trouve,
son visage et son apparence évoluent), la sorcière des
landes qui a été victime d'un mauvais sort, encore un
et qui nourrit un amour secret pour Hauru (elle a ensorcelé Sophie
par désespoir de ne pouvoir obtenir ce qu'elle désirait
le plus au monde), la porte du château qui donne au choix accès
à une ville en guerre et en ruines, à un immense champ
à l'herbe verte et aux fleurs éclatantes
cette porte
est celle qui mène aux rêves et aux cauchemars, aux souvenirs,
à la réalité aussi. C'est un passage vers l'esprit.
Le récit est cabossé d'une part par l'introduction de
multiples personnages secondaires (l'épouvantail, le chien espion,
la grosse sorcière
) qui ne prennent pas le même itinéraire
que Sophie, et d'autre part par le glissement intermittent de la narration
sur ces autres personnages. Au bout de cette course initiatique chacun
aura appris sur lui-même et en sortira amélioré.
Vision idyllique de la vie ? Pas si sûr, optimiste oui mais le
chaos décrit par Miyazaki ne laisse aucun doute quant à
sa lucidité. Tout est affaire de perception. Et la tendresse
avec laquelle il dessine ses personnages, l'émotion qu'il ne
manque jamais d'introduire dans les pires moments, le ravissement provoqué
par son savoir-faire technique immense, la subtilité et la richesse
de son propos (son génie ?) tout concourre à faire du
film un joyau, encore une fois somptueusement habillé par la
musique aux accents mélancoliques de Hisaishi.
LA CHUTE de Oliver Hirschbiegel. 2*. Ou
les derniers jours du boucher autrichien micro-moustachu enfermé
dans son bunker avec ses amis. Hitler sait la défaite inéluctable
mais continue à faire semblant de croire à l'impossible
victoire. Il tente vainement d'engager ses ultimes forces dans le conflit,
terré dans sa cave fortifiée. Il ressasse sa haine et
crache son amertume à la face de sa cour sordide mais ne néglige
cependant pas quelques attentions particulières : et une risette
à la brave secrétaire un peu nunuche, une petite caresse
aux enfants de Goebbels, une tapette au chien
et tout ça
avec les mêmes mains qui ont assassiné plusieurs millions
de personnes ! Par contre, son état-major ne bénéficie
pas des mêmes largesses, il passe 150 minutes à se faire
vertement tancer pour ne pas avoir réussi à faire de ses
chimères mégalomaniaques une réalité effective.
Et puis, sentant l'issue proche on assiste à une épidémie
de suicides, assistés par moments, et de séditions diverses.
Que dire de ce film ? C'est un spectacle avant tout, qui a ouvertement
choisi d'aborder ce pan de l'histoire allemande par cet angle-là,
à savoir la toute fin d'une de ses périodes les plus noires.
Le but recherché n'est pas de montrer à quel point l'armée
régulière et le peuple allemand ont pu collaborer et ont
été des acteurs déterminant dans l'étendue
de l'entreprise meurtrière de Hitler, ni de tenter d'approcher
les raisons monstrueuses du génocide ; non ici les auteurs ont
préféré centrer leur intérêt sur le
dictateur lui-même, la dizaine de jours qui ont précédé
son suicide plus exactement et les relations de plus en plus tendues
qu'il entretenait avec ses " proches ". Acculé, dévoré
de tics nerveux, en proie à des crises de colère homériques,
c'est un Hitler diminué qu'on nous donne à voir, lâché
par tous ses fidèles. Pourquoi pas ? L'histoire appartient à
tous et il n'y a guère de traces de révisionnisme là-dedans,
juste un léger voile d'amnésie (question d'esthétique
?) et une naïveté que je n'ose croire sincère : l'exemple
de la secrétaire particulière mérite réflexion
(sachant que le film s'inspire entre autre de ses mémoires).
Que penser de sa déclaration, placée en épilogue
du film et dans laquelle elle affirme avoir découvert l'existence
du génocide sur le tard, une fois la guerre finie ?
on
ne peut décemment imaginer une once de sincérité
dans ces propos. Sa situation est peut-être une métaphore
de celle des Allemands qui n'ont pu ignorer l'antisémitisme délirant
de Hitler, qui ne s'en cachait pas. Bref, parlons du film lui-même.
Son rythme est trop ralenti par d'interminables dialogues, ou monologues,
un peu entaché par les scènes incontournables (de celles
qu'on retrouve dans n'importe quel film sur la deuxième guerre
mondiale) et parasité par l'interprétation, habitée
certes, mais outrancière de Bruno Ganz. Le gros point positif
de La chute est à mon avis à créditer à
l'ambiance, à la façon dont Hirschbiegel fait ressortir
la folie mortifère qui règne. La mort est omniprésente
dans le bunker, les hommes ne sont que des vecteurs de mort, une mort
violente et malsaine. Le respect aveugle que certains placent en cette
autorité suprême, incarnée par un homme unique,
une soumission totale et masochiste car ne pouvant conduire qu'à
la mort, est encore exacerbé par le fait que ça se déroule
en lieu clos, ultime bastion moribond de résistance à
l'inéluctable, à l'atmosphère saturée et
viciée, entièrement ceint et isolé au milieu d'un
no man's land bombardé sans répit par des ennemis invisibles
(le symbole naïf d'une punition divine ?)
tout cela dessine
le tableau d'un chaos absolu, humain, psychologique et matériel,
le râle d'un régime qui meurt aussi violemment qu'il a
vécu, nourri par la haine et la mort.
5 X 2 de François Ozon. 1*. Cinq moments de la vie et
de la mort d'un couple. Cinq sketches teintés d'une ironie souvent
cinglante mais toujours gratuite et lestés d'annotations sociopsycho
du type de celles qui suintent dans tous les magazines féminins,
la fin de chacune de ces tranches de vie étant annoncée
par de la grosse variétoche italienne qui tache. Voilà
pour la " structure " de l'engin, ne restait plus à
Ozon qu'à remplir les blancs avec quelques dialogues oiseux,
sachant que l'ellipse, élément fondateur de ce film permettait
le vague et l'imprécision dans le domaine. Il parachute alors
dans son jouet de luxe une poignée de personnages dégrossis
au marteau-piqueur : la brave fille, pas fine, trop sensible et paumée
(à qui, et ça tient du miracle, l'excellente Valeria Bruni
Tedeschi arrive à donner de l'humanité, des émotions,
une vie secrète presque) et son julot, un type un peu lâche,
fuyant et instable, les parents qui se chamaillent, le frère
gay, le gosse décoratif
et tout ce petit monde évolue
dans des décors travaillés et pensés, qui viennent
renforcer l'ironie et le mépris dans lesquels le metteur en scène
le tient. La division en cinq époques distinctes aurait pu être
une bonne idée pour, si ce n'est raconter, tout du moins montrer
une histoire de couple, mais là il n'y a rien de ce type, c'est
un gadget. On entrevoit quelques instants, on entre dans le vif d'une
intimité sans être pour autant des observateurs des symptômes
d'une rupture annoncée, comme l'infidélité le soir
de la nuit de noce, après une fête illuminée (quelle
ironie) et arrosée ou la fuite du mari lors de l'accouchement.
Ozon ne nous donne que quelques morceaux, des petits riens insignifiants,
comme des fausses pistes
mais le piège est grossier tant
il est évident. A trop vouloir éluder les moments importants,
et accorder ainsi un droit d'existence à ses marionnettes il
semble vouloir nous amener à les toiser et à les détester
encore plus que lui. Alors merde, 5 x 2 est un naufrage complet dont
seuls émergent le talent des deux interprètes (surtout
elle) et une chanson de Paolo Conte. C'est pas bézef.
CLEAN de Olivier Assayas. 3*. Emily est une quadragénaire
qui patauge dans le milieu de la musique vaguement underground depuis
trop longtemps. Elle est accroc à l'héroïne, Lee,
son copain, le chanteur d'un sinistre groupe dont elle est chargée
d'assurer la promo, aussi. Suite à une dispute il fait une overdose
et meurt. La voilà brutalement seule et condamnée à
6 mois de prison. Six mois plus tard, Emily prend la décision
de se construire une nouvelle vie, de couper les ponts avec son passé,
de retrouver son fils
bref de commencer à vivre.
Clean est le récit d'un retour à la vie doublé
du portrait sym-pathique d'une femme. On voit un peu de l' avant (la
mort de Lee et l'incarcération) et beaucoup du pendant (après
la sortie de prison). Entre les deux on ne sait pas grand chose, sinon
qu'elle y a rencontré une autre femme, Gloria, avec qui elle
a écrit des chansons. Ce séjour en prison, bien que traité
en ellipse est le point à partir duquel Emily va changer, c'est
une rupture certes brutale mais nécessaire pour elle puisqu'elle
va lui permettre, du moins le pense-t-elle, de reconquérir son
fils et sa vie. Elle change de ville, accepte des petits boulots, encaisse
l'ironie des autres qui doutent de son envie de changer
elle tient
bon, et même si elle trébuche par moments elle résiste.
On sent bien l'attirance d'Assayas pour Maggie Cheung, il la filme non
comme une icône mais avec un magnétisme teinté d'emphase
presque, donnant une dimension supérieure à cette femme
qu'il s'attache pourtant à décrire comme étant
très humaine. Ainsi le film recèle de scènes muettes,
mais musicalisées, où on la voit marcher, fumer, chanter,
courir
La caméra la suit, s'approche, la colle, s'éloigne
un peu mais jamais ne la perd. Quand on ne la voit pas, on en entend
parler, elle est le cur du film, sa condition sine qua non. Les
autres personnages ont une véritable existence aussi, ils ne
sont pas effacés, Assayas leur a donné un droit de vie,
indispensable à mon avis.
La sublime Maggie Cheung a bien du talent, elle donne de son personnage
une interprétation nuancée et toujours juste, elle semble
s'être glissée dans le rôle. Clean est une réussite,
bien que certaines scènes puissent faire penser à un mauvais
film des années 80 (les scènes de concert par exemple).
CLOSER, ENTRE ADULTES CONSENTANTS de Mike
Nichols 2* Deux hommes, deux femmes, 2 possibilités (pas d'homosexuels
ni de triolistes là-dedans, faut pas déconner !!). Un journaliste nécro
hypersensible et séducteur sort avec une strip teaseuse new-yorkaise
transie d'amour mais au cœur froid, mais il est secrètement amoureux
d'une photographe indécise qui, elle, sort avec un dermatologue animal
(non, il ne s'occupe pas de problèmes d'acné canine…pour simplifier
c'est un type basique et assez bourrin) tout en ressentant des papillonnement
là et là en présence du journaliste. Le décor est posé. Place maintenant
aux interactions diverses entre les membres, ô combien bavards de ce
quatuor qui joue à qui-baise-qui. L'origine théâtrale du film est omniprésente.
On sent la sur-importance des dialogues (genre bourgeois qui s'encanaille)
mais la neutralité de la mise en scène finalement fait passer la sauce,
faisant se succéder les scènes d'intérieur. Quelques scènes retiennent
l'attention toutefois, comme la drôlissime scène du chat entre les deux
hommes, d'autres, très cruelles sont réussies, d'autres enfin, plus
conventionnelles glissent. L'impression d'ensemble est relativement
bonne et les acteurs interprètent leur rôle avec suffisamment de conviction
pour emporter l'adhésion. Le portrait des personnages est lui un poil
convenu : le sensible qui fait échouer toutes ses relations à cause
de son besoin maladif de penser qu'il sait tout de l'autre, la jeune
strip teaseuse qui de fragile au début apparaît bel et bien solide et
froide par défense, le dermatologue lui évolue peu trainant toujours
son humour heavy metal et un égoïsme agressif encombrant, reste la photographe,
qui change de mains deux ou trois fois, qui pleure un coup entre chaque
et qui ne sais jamais sur quel lit se coucher. En résumé Closer est
un film très divertissant, drôle et qui fait oublier ses défauts
THE COAST GUARD de Kim Ki-Duk. 3*. Quelque part sur le littoral
sud-coréen, pas très loin du 47ème parallèle,
une poignée de soldats, composée en grande partie d'appelés,
surveille jour et nuit leur portion de côte, guettant l'improbable
arrivée d'espions nord-coréens. Leurs consignes sont claires
: tirer à vue sur quiconque se trouve dans le no man's land.
Un jour, l'incontournable se produit : l'un de ces soldats tue un civil,
en quête de sensations fortes (il copulait joyeusement avec sa
dulcinée derrière une paire de rochers). Ses supérieurs
l'honorent pour cet acte, vantant son application intransigeante du
règlement et lui offrent une semaine de congés supplémentaires.
Lui, est assommé par son forfait et sombre peu à peu dans
une sorte de folie. Devenu incontrôlable, il sera renvoyé
chez lui. Il revient rôder autour de ce casernement et disjoncte
définitivement. Le film se termine dans un carnage absurde.
Dès le départ du film on sent l'absurdité totale
de la présence de ces soldats d'opérette. Leur mission
est dérisoire, ils courent après des chimères,
ils sont les marionnettes d'une politique paranoïaque datée,
prolongement archaïque de la guerre froide. Ils souffrent aussi
de l'ostracisme dans lequel les enferment les habitants du village tout
proche. Ils sont comme des anachronismes ridicules, des persistances
préhistoriques sujets de moqueries. Dans ce contexte, leur travail
si stupide soit-il prend les atours singuliers d'un combat contre la
folie : s'enfermer dans cette optique les empêche de devenir fou.
La descente aux enfers du tueur malgré lui est traitée
avec humour et légèreté même si la dernière
se solde par une horrible, et ubuesque, tuerie. Voilà donc un
pamphlet antimilitariste de très bonne facture, qui trouve le
ton juste pour décrire la misère et la vanité humaines.
La folie vue comme rébellion ultime contre la folie.
COLLATERAL de Michael Mann. 2*. Max un chauffeur de taxi plein
de rêves et de timidité charge un soir un client très
spécial : Vincent, un tueur à gages qui travaille pour
un cartel de la drogue, hispano donc, et qui s'est programmé
une nuit de folie, à savoir 5 contrats à exécuter
en quelques heures. Ce dernier décide donc de réquisitionner
le brave chauffeur pour le driver dans les rues désertes du L.A.
nocturne. Bien entendu les choses ne se passeront pas tout à
fait comme prévu.
D'accord Tom Cruise en clone de Richard Gere moyen, tueur qui plus est,
n'est pas la meilleure idée de Mann pour ce film. Le scénario
n'est pas non plus des plus novateur ; après les 20 premières
minutes on sait ce qui va se passer dans les 100 qui restent. Et pourtant
bizarrement il s'échappe de ce film une sensation diffuse, comme
un parfum de cool, au sens jazzien du terme. En effet Mann a parsemé
ça et là son récit de petites fenêtres qui
sortent de l'histoire à proprement parler et qui soufflent un
air apaisé. Malgré le barra tin pseudo-pro que Cruise
déblatère sur son métier, malgré l'esquisse
de passé et d'enfance malheureux qu'il donne comme excuse au
fait qu'il exerce cette profession, il subsiste une certaine légèreté
dans le film (comme la scène, par exemple, de l'anecdote sur
Miles Davis) qui sauve les meubles. Le résultat n'est pas le
meilleur film de l'année, mais un film d'action bien mené
et avec suffisamment d'originalité pour le rendre sinon bon au
moins intéressant.
COMME UNE IMAGE de Agnès Jaoui. 1*. C'est la triste histoire
de Lolita, fille d'un grand éditeur parisien, qui va de déconvenue
en déception. Elle est délaissée, ignorée
par son père, obèse ce qui n'arrange rien à ses
affaires et en manque terrible de reconnaissance et d'amour pour ce
qu'elle est, c'est à dire on ne sait pas trop bien quoi, en plus
elle a fait un constat implacable : les gens ne la fréquentent
que parcequ'elle est la fille de. D'un autre côté, on rencontre
Pierre un écrivain végétatif qui peine comme un
beau diable pour se faire connaître et sa femme, prof de chant
de la malheureuse Lolita. Enfin il y a bien entendu son père,
un être égoïste et insensible autour duquel gravite
une cour de lèche-bottes pour ne pas dire plus. Et puis une chose
va quelque peu changer la donne de départ : Pierre, suite à
un article élogieux dans le Monde, devient un écrivain
adulé ou tout du moins demandé partout. Il se met à
la colle avec l'éditeur et peu à peu fait une croix sur
son ancienne vie : il laisse tomber ses anciens amis, délaisse
sa femme, sa première éditrice et comble de l'horreur
fait une émission télé (Ardisson à peine
déguisé) dans lequel il avoue -quelle vulgarité
!-qu'il pratique la sodomie.
Voilà le tableau. Tout n'est certes pas mauvais, certains personnages
sont assez marrants (l'éditeur joué par Bacri par exemple,
ou l'écrivain) mais il s'échappe de cette soupe lourdement
moralisatrice un parfum de naphtaline. Que c'est rabaché tout
ça ! Dès le début du film on voit bien où
veut en venir Jaoui, les thèmes qu'elle aborde sont généreux
et tous les spectateurs pourront un moment ou à un autre s'y
retrouver, mais elle n'apporte rien de nouveau dans sa description de
ce monde impitoyable. Les situations sont téléphonées,
les évolutions prévisibles. Sa mise en scène ne
vient à aucun instant enrichir son propos ; les scènes
sont filmées platement, seulement soutenues par des dialogues
amusants. Un bon point, mais est-ce vraiment voulu ?, est l'antipathie
de la jeune fille, ça nous évite l'apitoiement lacrymal
mais ses tentatives vaines et répétées pour exister
aux yeux de son père fatiguent assez vite. En conclusion on en
retire que devenir célèbre rend con, qu'être rejeté
par son père rend gros, qu'être maghrébin rend tolérant
et que chanter dans une chorale rend sympathique. Un tel chapelet de
vérités ainsi assénées laisse pantois.
THE CONSTANT GARDENER de Fernando
Meirelles 1*. Le phytophile Justin Quayle, travaillant accessoirement
au Haut Commissariat Britannique à Nairobi et chargé de superviser l'aide
humanitaire anglaise au Kenya rencontre un jour une jeune et belle militante
qui en le bousculant par des questions rentre-dedans finira par se faire
bousculer par le diplomate de façon encore plus rentre dedans. Les deux
toutereaux semblent roucouler à l'envi, lui entre deux tailles de plantes
et elle entre deux opérations avec son ONG. Jusqu'au jour où la donzelle
se fait violer et assassiner lors d'un déplacement. Le falot diplomate
ne va pas en rester là, à pleurer sa disparition et décide de savoir
un peu pourquoi elle s'est faite envoyer ad patres. Et que va-t-il découvrir
? Que sa copine faisait une enquête sur les pratiques on ne peut plus
douteuses d'un gros groupe pharmaceutique qui a tendance à confondre
l'Afrique avec un laboratoire à taille réelle et ses habitants avec
des cobayes. Les malotrus administrent ainsi sans vergogne un anti-palu
expérimental (et on s'en doute assez vite pas sans danger ni effets
secondaires de type très indésirables) à des pauvres indigènes qui non
contents de mourir de faim à l'ombre de rien doivent en plus se faire
décimer par des pharmacopées aussi occidentales qu'approximatives. Notre
gentil bonhomme aura donc fort à faire. Aaaaaaaaaah que c'est terrible
ça ! Mais voilà le film a tendance pisser dans un violon. Les malversations
de ces gros laboratoires sont un sujet bien intéressant et sur lequel
il y aurait beaucoup à dire mais le réalisateur ne s'attarde pas trop
sur ce point qui ne sert qu'à faire progresser l'intrigue " thriller
" du film. Il semble que la relation entre Justin et Tessa et la découverte
post mortem, à grand renfort de flash-back, qu'il fait d'elle soit plutôt
l'axe principal. Mais tout est tièdasse, de leur histoire d'amour, aux
inévitables mystères qui jalonnent l'enquête de Quayle, aux doutes vite
effacés, les traitres…s'il n'y avait le filmage, toujours un poil prétentieux
de Meirelles, ça ferait un téléfilm moyen. La caméra est mobile, les
images sont belles (mais à moins de filmer avec un cache devant l'objectif,
il paraît difficile de mal filmer le Kenya), les acteurs sont mimis
tout plein. Un film pas beurk mais bof.
THE CORPORATION de Jennifer Abbott
et Mark Achbar 3* 145 minutes pendant lesquelles les deux réalisateurs
tentent de montrer le capitalisme sous l'angle de ses tares et de celles
qu'il engendre. A l'aide d'interviews multiples d'économistes, de patrons
de multinationales, de Michael Moore (un métier à part entière), d'écrivains
et de philosophes (considérons Chomsky comme l'un d'eux) ils dressent
un diagnostic de ce système économique (érigé par certains en système
philosophique), par le biais de l'analyse de l'entreprise prise en tant
que personne, puisque aux Etats Unis elle est considérée comme une personne
morale et dans cette optique détient les mêmes droits qu'une personne
physique. Et cette personne, disent les deux cinéastes est malade, psychiatriquement
atteinte. A eux ensuite d'étudier les différents symptômes de cette
psychose pour in fine révéler le mensonge énorme qui ceint cette entité
quasi sacrée. La réalité de l'entreprise aujourd'hui est la course inlassable
au profit financier, profit qui est pris là dans son acception de dividende
des actionnaires. Après quelques rappels historiques liés à la genèse
de ce système la paire de Canadiens tâche de montrer toutes les facettes
de son fonctionnement, une recette écœurante composée de marketing-pressions
politiques-lobbies-espionnage industriel-relations contre-nature entre
politique et économique-course au profit-mépris total des conséquences
humaines et écologiques. Après un flot colossal d'images et de voix,
après l'absorption massive de toutes ces informations qui nous sont
données on est littéralement sonné. Le constat est pessimiste, malgré
la petite ouverture optimiste de la fin : l'entreprise, qui devrait
avoir un rôle social à jouer, n'est qu'un vecteur, incontournable certes
mais méprisé par ceux-là même qui la financent, de transport pour des
flux financiers. Les employés, la localisation géographique, les métiers
sont des contingences assujetties à l'omnipotence du profit. A ce sujet
l'interview du trader est frappante : celui-ci avouait sans vergogne
souhaiter l'éclatement et l'enlisement de conflits armés impliquant
ou des partenaires économiques des Etats Unis ou les Etats Unis eux-mêmes,
puisque invariablement cela crée une hausse de la toute puissante NYSE
(bourse de Wall Street), donc de leurs commissions et des dividendes
de leurs clients. Le processus d'auto destruction de la planète annoncé
dans le film n'est pas inévitable de même qu'il est possible d'entraver
la position dominante du profit, l'histoire de la Bolivie et de la tentative
échouée de privatisation de la distribution d'eau en est un exemple,
la conversion presque miraculeuse à une production qui tend vers le
100% recyclable du PDG d'une société frabriquant des tapis aussi mais
le talon d'Achille de ce mastodonte est bien petit et la mobilisation
demandée est si importante qu'un sursaut citoyen dans ce sens paraît
peu probable. Le docu de Abbott et Achbar est bien fait, les intervenants
ont des discours très à propos, le montage, ludique et riche, permet
de suivre le film sans ressentir de lassitude, la façon de circonscrire
le thème dans le champs sémantique de la psychiatrie est en plus d'être
amusante, pertinente. Reste quelques longueurs, dont l'interview inutile
et ridicule des deux journalistes de la Fox qu'on laisse jacasser pendant
10 minutes sur leur reportage avorté et ses suites judiciaires.
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DEAD OR ALIVE 1 de Takashi Miike. 2*. L'histoire
? Elle est des plus classiques : une bande de truands fait un coup fumant,
des flics les traquent. L'affrontement se réduit vite à
un duel à mort entre l'un des flics, le plus tenace, et le chef
des gangsters, un mafieux sadique. La bataille qu'ils vont se livrer
ne connaîtra pas de limites, elle est jalonnée de massacres
et se termine en duel, face à face avec des armes surprenantes.
Le sujet étant fin comme un argument publicitaire, c'est dans
le traitement qu'il faut chercher l'intérêt de ce film.
Après un départ assez typique, Miike se rapproche de ses
personnages, non pas pour les décrire de façon précise
(pas de psychologie, pas d'étude de caractère) mais pour
leur dessiner (le flic et le tueur) une dimension mythique et quasi-religieuse
: leur combat devient l'affrontement entre le bien et le mal. Au fur
et à mesure de l'avancée du film, il les dégage
de tout ce qui faisaient d'eux des personnages de films " normaux
", famille, adjoint, complices
à tel point qu'il ne
subsiste finalement qu'eux deux, donc qu'il ne leur reste plus qu'à
se rencontrer directement (pas par le biais d'actions indirectes, comme
le meurtre de la famille du policier) et à se battre jusqu'à
la mort de l'un ou l'autre.
La réalisation de Miike évolue avec son film : elle s'emballe
de plus en plus, et le spectateur finit par assister à un duel
final délirant où ni les pistolets " conventionnels
", ni les bazookas n'ont eu raison des " guerriers ",
c'est un giganstesque flux d'énergie destructrice qui rayonnera
sur toute la surface de la planète (allons-y gaiment) qui le
concluera, apportant un dénouement qui vient tout droit de l'univers
des mangas de science-fiction (Dragonball et Cie). Certes pas le meilleur
film de Miike, mais un exercice de style amusant et excitant.
DE BATTRE MON CŒUR S'EST ARRETE
de Jacques Audiard 2* Digne fils de son père, Tom est un spéculateur
immobilier sans scrupule. Avec ses associés il monte des arnaques, expulse
des squatters et monte de sombres business d'achat/revente d'immeubles
en région parisienne très lucratifs. Apparemment dénué de remords et
de conscience, il rend de plus de temps en temps des menus services
à son père, dans la partie lui aussi, en allant encaisser des clients
récalcitrants, quitte à utiliser la manière forte. Et puis un beau jour
il croise la route de l'ancien impresario de feue sa pianiste de mère.
Celui-ci, se souvenant des dons prometteurs de Tom lui propose de venir
passer une audition chez lui, en vue d'une possible carrière de concertiste.
Hésitant, il décide quand même de saisir sa chance et s'inscrit à des
cours particuliers chez une jeune Chinoise fraîchement débarquée en
France. A cheval sur ces deux vies, il se désengage et néglige de plus
en plus ses magouilles immobilières pour, plein de naïveté, se lancer
dans ses cours. La problématique dans laquelle se retrouve Tom est claire
: sa vie professionnelle, malhonnête, lui permet de suivre les pas de
son père, de tenter d'exister aux yeux de celui qu'il prend pour un
démiurge. Quand bien même cela ne lui correspond pas au fond, il a la
sensation d'être, comme ça. La musique elle, représente la mère, jadis
pianiste de concert célèbre. L'opposition entre la musique et la violence
de son travail borderline n'est pas très fine. Les choses sont très
marquées et séparées. Le montage alterné entre scènes de piano et scènes
de bagarres ou d'expulsions est un poil grossier, il appuie sur le dilemme
qui habite le jeune homme. On sait qu'il n'a pas encore trouvé sa place,
coincé qu'il est entre une image du père écrasante et un souvenir de
la mère douloureux. Son parcours devra obligatoirement passer par le
" meurtre " du père, meurtre qu'il n'aura pas besoin de commettre, la
vie dissolue de ce dernier le faisant à sa place. Là où le film fait
mouche c'est dans le portrait de Tom, qu'on sent capable à tous moments
d'exploser, tant ses conflits intérieurs sont forts. Cet apprentissage
va le fissurer, il va peu à peu perdre le contrôle de ce qu'il laisse
paraître : il oublie des rendez-vous de travail et en parallèle a des
explosions de colère avec sa prof de piano. Sa vulnérabilité, dont il
n'a pas forcément conscience, le place dans une situation délicate qui
lui interdit le droit à l'erreur. Cette imminence, cette instabilité
glissante est bien rendue par Audiard. Peut-être y a-t-il mis de lui
dedans, car lui aussi a été obligé de s'affranchir de l'image et du
poids paternel. Le film est sincère, un peu maladroit dans son acharnement
à souligner les choses intangibles, les ressorts psychologiques sont
datés et n'apportent pas de regard nouveau sur les thèmes abordés mais
il dégage de l'énergie, une vraie noirceur aussi.
2046 de Wong Kar-wai. 4*.M. Chow revient, toujours
hanté par son histoire d'amour aussi intense qu'avortée,
et doublement fantasmée, avec la belle Shu Li Zhen. Il s'installe
à l'Oriental Hotel, chambre 2047. De ses rencontres avec Loulou,
une ancienne connaissance de Singapour et la fille du tenancier de l'hôtel
va naître l'envie d'écrire un roman de science-fiction
dans lequel un train permet à ses passagers clandestins d'aller
en 2046. Mais cette destination ne les propulse pas dans le futur, c'est
une sorte d'introspection rétroactive qui leur permet de revivre,
éternellement, dans leurs souvenirs. L'alter ego de l'écrivain,
un jeune Japonais, lui, décide de retourner d'où il vient
et refuse de se laisser enfermer dans la douce prison de sa mémoire.
Son roman s'émaille et se structure selon quelques rencontres
marquantes qui ont constellé sa vie amoureuse. On y retrouve
bien sûr Shu mais sous deux " aspects ", personnalités
différentes : l'une sublimée, presque éthérée
qui renvoie à celle que l'on voyait dans In the mood for love,
interprètée par Maggie Cheung et l'autre, rencontre éphémère
à Singapour, jouée par la sublime Gong Li. Mais aussi
Bao, une jeune prostituée avec laquelle il va nouer une relation
douloureuse et stérile.
Wong Kar Waï a construit son film de façon complexe. Il
a brouillé les repères chronologiques, même si certains
sont récurrents comme le 24 et le 25 décembre, les personnages,
avec les deux Shu Li Zhen ou les femmes que l'on voit en humain et en
androïdes. Il ballade son personnage de M. Chow dans cet univers
trouble et extrêmement sensuel. Ici tout passe par les couleurs,
les yeux (les personnages qui regardent au travers des vitres pourtant
opaques de la chambre 2046), les vêtements, la musique
c'est
par ce biais que le metteur en scène fait passer les émotions
: toujours ces fameux plans de personnages qui marchent ou qui fument,
filmés au ralenti, plans qui donnent l'impression que l'on assiste
à un transit de perception : du présent vécu on
passe au souvenir de ce moment dans un même mouvement, ralenti
pour le faire entrer dans une éternité teintée
de mélancolie diffuse. Chacune des rencontres féminines
de Chow est un échec relatif. Avec Shu, relation-mère,
omniprésente cause de regrets infinis, avec Bao, dans un jeu
d'attraction-répulsion dans lequel elle tombe littéralement
pour son plus grand désespoir ou avec la deuxième Shu
à la main gauche gantée de noir, qui le sauve d'une déchéance
annoncée en échange d'un pacte de non-relation mutuelle.
Avec la fille du patron de l'hôtel c'est une autre affaire : s'il
y a bel et bien une attirance sexuelle entre eux, là n'est pas
sa finalité. Elle permettra à la jeune femme de s'opposer
à son père et d'aller jusqu'au bout de son idée
et de son amour et à Chow d'écrire un livre sur lui, le
libérant par-là même d'encombrants souvenirs.
2046 est un film qui nous donne à ressentir, viscéralement,
l'infini dédale des sentiments et des relations entre humains,
un monde dans lequel rien n'est réellement définitif,
où tout peut faire machine arrière à conditions
d'y être enclin à tous moments, de garder espoir en un
mieux quitte à y laisser ses illusions et à se laisser
envahir par la mélancolie.
DEUX SURS de Kim Jee-woon. 3*.Une salle immense et aseptisée,
des bruits de pas qui résonnent, une lumière blanche forte,
un homme en blouse blanche qui se lave les mains dans une cuvette blanche,
deux infirmières qui soutiennent une jeune femme
nous sommes
sans aucun doute dans un hôpital psychiatrique. Le médecin
parle à sa patiente, mutique, puis il lui demande comment tout
cela a-t-il commencé. Changement de décor : deux jeunes
filles sont conduites par leur père dans une grande maison isolée
dans la campagne coréenne. Cette demeure, et son jardin, aussi
belle de l'extérieur que glaçante à l'intérieur
sera le dernier lieu dans lequel nous pénétrerons. Tout
le reste du film nous cloître dans ses murs. Petit à petit,
la tension monte, la folie sourd et la terreur s'installe gentiment
pour ne plus nous lâcher. Les personnages ont des comportements
étranges : entre la belle-mère qui n'arrête pas
de meubler un silence qu'on lui suppose insupportable, le père
qui ne dit rien et qui est systématiquement loin de toutes les
tensions qui gangrènent progressivement sa maison, et surtout
les deux surs, dont l'une ne dit rien et affiche sans cesse un
regard apeuré et un visage presque sans expression, tenant fermement
la main de sa sur. On ne sait pas de qui vient la folie qui envahit
cet univers clos
A coup de longs plans Kim Jee-woon installe son ambiance lourde et anxieuse,
il place le spectateur dans l'expectative permanente d'un éclatement,
d'un éclair d'horreur, de folie ou de violence, on ne sait pas
exactement, juste que c'est imminent. Puis quand il décide d'envoyer
une décharge dans notre épine dorsale il modifie quelque
peu sa façon de filmer : montage haché avec zoom monté,
cadrage étrange, visions furtives, musique (utilisée en
de rares moments), bruitages stressants
et ça marche redoutablement
bien, par instants c'en est même presque insoutenable. On ne sait
pas immédiatement le pourquoi du comment, que voit-on précisément,
puis peu à peu les contours se tracent, on se rend compte qu'on
assiste à une plongée cauchemardesque dans l'inconscient
d'une adolescente perturbée, puisque amputée de sa sur,
de sa mère et presque de son père, réduit à
une présence physique, même pas rassurante et encore moins
chaleureuse ; il est un ectoplasme, vécu par sa fille comme un
phantasme. La jeune fille paraît sans cesse au bord d'un gouffre
sans fond, elle est une boule de douleur et de pulsions macabres. La
maison est le théâtre de ses troubles psychiques et de
sa peine immense. Elle projette sa culpabilité et ses peurs sur
sa marâtre et s'enferme dans une folie profonde. Le metteur en
scène a savamment réussi à donner corps aux manifestations
terrifiantes de son esprit torturé, nous entraînant avec
elle jusqu'au bout, ne laissant aucune respiration, aucun répit.
En conclusion Deux surs est un film passionnant et intelligent
qui propose une vision de l'adolescence diamétralement opposée
aux clichés lénifiants et sirupeux qui l'emballent généralement.
Et c'est un film absolument terrifiant
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E |
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EDVARD MUNCH de Peter Watkins 4* Dans
la Norvège conservatrice et empesée de la deuxième moitié du XIXème
siècle, dans une famille bourgeoise traditionaliste et protestante naît
Edvard Munch, au sein d'une fratrie de 5 enfants. Ce film se présente
comme un documentaire très personnel sur la vie du peintre norvégien.
Alternant des citations de ses carnets, des séquences jouées et des
plans magnifiques (malgré la piètre qualité des bobines visionnées)
de ses œuvres, il superpose les niveaux de récit en appliquant à ce
traitement un pendant au symbolisme utilisé par Munch pour peindre.
Le montage, travaillé et pensé, est comme une autre voix off qui nous
fait ressentir quelque chose de supplémentaire par rapport à l'image
brute accompagnée ou de commentaires ou du texte des acteurs. Par exemple
certains plans sont récurrents et Watkins les insère très souvent dans
son film : notamment celui dans lequel on voit une des sœurs de Munch
malade, en train de mourir atrocement d'une tuberculose avec à ses côtés
sa mère, pâle et malade elle aussi et son père, médecin impuissant à
la soigner. Le rappel de ces plans au cours du récit enserre chaque
fois un peu plus le peintre, dans une douleur intérieure, une douleur
qui a façonné et modelé son inspiration artistique mais dont on pressent
qu'elle finira par avoir le dessus sur le reste. De même que le souvenir
de sa relation avec (la superbe) Mme Heiger, sorte de relation mère
au travers de laquelle il découvre l 'amour et un de ses douloureux
corollaires la jalousie maladive. Des plans où on les voit tous les
deux, nimbés d'une lumière presque surnaturelle à force de douceur reviennent
régulièrement, venant dynamiter toutes ses relations postérieures en
imposant encore et toujours le même visage féminin. C'est donc enserré
par ce passé qui continue de le hanter que Munch va construire son œuvre
tourmentée et visionnaire, devant en plus accepter le rejet de ses contemporains,
l'incompréhension totale suscitée par ses tableaux et ses visions macabres
hautement subjectives. Son travail de créateur est une restitution,
à travers une grille de couleurs et de formes intimement liée à son
vécu et son inspiration du moment à ses impressions et ses affects,
de plus en plus dégagée de contraintes réalistes ou naturalistes. Les
scènes avec acteurs se déroulent en plusieurs strates : d'une part il
y a celles qui sont dialoguées, représentant des scènes de la vie du
peintre et chargées du regard rétrospectif que Watkins porte sur Munch
(sa mise en scène souligne subtilement les sentiments, l'état d'esprit
de Munch) ; d'autre part on distingue les scènes avec acteurs soliloquant,
comme celles des critiques qui s'expriment sur ses œuvres ou les petits
dialogues entre l'homme et la femme filmés en tronc, censés représenter
la bourgeoisie régnante et bien pensante, porte-étendard de valeurs
réactionnaires, ces deux derniers exemples dessinent le contexte social.
Chacune des scènes jouée de la vie de Munch est signifiante, elle apporte
une pierre à l'édification de son portrait-total, dans sa définition
globale. Le choix du metteur en scène de laisser une large place à l'improvisation
chez ses acteurs apporte une dimension unique à son film. On a l'impression
que les acteurs s'approprient littéralement les personnages, leur prêtant
des mots que peut-être ils n'ont pas eu mais qui construisent le film
avec précision et netteté dans une logique d'ensemble cohérente. Le
peintre maudit, en lutte contre lui-même et la société bourgeoise du
XIXème et début du XXème siècles, à l'œuvre bouleversante et touchante
méritait ce grand film.
ELEPHANT de Gus van Sant. 2*. Tape à l'oeil, armes à
feu, steadicam et Ludwig van...on dirait le titre d'une énième
resucée sous-tarantinesque. Et bien non, il s'agit de la "
recette " du dernier van Sant. Certes le film ne se réduit
pas à ça, il est plus riche et complexe mais, comment
dire, plus vain. Voilà le mot est lâché. Qu'a-t-il
bien voulu nous dire ? Du carnage de Colombine il n'a gardé qu'une
filiation d'apparence. Si le film peut se présenter comme une
reconstruction (avec jeu sur le temps et les lieux) plus qu'une reconstitution
de ce fait divers, tout aspect humain semble en avoir été
chassé. Pas de sentiments, pas de chaleur, rien. Ce film est
réfrigérant. Les personnages ne sont que décoratifs
et utilitaires, ils servent uniquement le metteur en scène, ils
sont les instruments mono-dimensionnels qui étayent son propos.
Au même titre que le lycée (lieu vivant, grouillant en
temps normal): réduit à une succession figée de
couloirs et de salles, à son état matériel de bâtiment,
à tel point que le moindre mouvement en son sein ne semble exister
que pour souligner l'immuable immobilité de ses murs. Les dialogues
sont strictement informatifs voire meublant...
Van Sant se désintéresse du contenu à proprement
parler. La fonction de ce dernier est de lui permettre d'enquiller un
nombre pléthorique de plans séquences en travelling (dont
un bon paquet en steadi je pense), chacun d'eux suivant un des lycéens.
Les premières 70 minutes ne montrent quasiment que le laps de
5/10 minutes qui précède la boucherie, mais à chaque
fois avec un point de vue différent. D'où certaines scènes
que l'on revoit 3 fois. L'idée est bonne, distendre le temps,
l'étirer au maximum mais ici elle tourne au procédé
mécanique. La mise en scène, éblouissante dans
les vingt premières minutes devient un poids. Le réalisateur,
à tant vouloir nous en mettre plein la vue lasse avec ses redites
stylistiques. La tension qui naît immanquablement, car on connaît
la fin de l'histoire, monte crescendo et à cet effet il modifie
ses interminables P/S en brouillant peu à peu l'arrière
plan (la mise au point n'est faite que sur le personnage suivi). Ce
travail sur la netteté de l'image culmine avec un long plan fixe
au milieu d'un chaos apocalyptique (assez réjouissant d'ailleurs,
il renvoie un peu à l'ouverture de L'homme des hautes plaines,
de Clint Eastwood) qui est totalement flou au départ, la mise
au point ne se faisant qu'à la toute fin, quand le personnage
occupe les trois quart de l'écran.
En résumé, Elephant n'est pas un mauvais film et van Sant
un excellent technicien mais tout reste trop à la surface pour
emballer réellement. Son film souffre d'un aspect arty énervant
et son racolage virtuose le fait un peu sombrer. De plus les quelques
recours à Beethoven ne s'imposaient absolument pas, surtout ces
extraits-là.
ESPACE DETENTE de Bruno Solo et
Yvan le Bolloc'h. 1*. Toute l'équipe des sketches de Caméra café est
au complet pour ce premier (et espérons-le, dernier) long métrage. L'histoire-prétexte
est digne d'une sitcom bas de gamme, tellement d'ailleurs que ça ne
vaut pas le coup d'en parler. Si la série se faisait fort de montrer
du doigt les mesquineries, les bassesses, la sottise régnant au sein
de l'entreprise, et plus généralement chez les gens, le film se pose
là pour boursoufler cette saine croisade. Car faire vivre des caricatures
durant deux minutes a un sens quand on cherche la satire, mais 90 minutes
c'est autre chose. Sans épaisseur, les ectoplasmes se dépatouillent
comme ils peuvent avec le matériau délétère que les auteurs leur ont
donné à rogner. Le film peut même prendre un sens légèrement différent
; ne frôlerait-on pas le jeanyannisme* par instants ? Bolloc'h et Solo
s'en prennent à un thème très à la mode, un fourre-tout idéologique
dans lequel bien souvent on met tout et n'importe quoi : la mondialisation,
représentée ici par la délocalisation de la production à Taiwan. La
menace prend les traits d'un cadre sadique, malade mental et escroc.
Qui donc de ce requin ou des employés crétins de Geugène (c'est le nom
de l'entreprise, inventeuse de la Gégène) aura gain de cause ? A mettre
tout le monde dans le même sac, il ressort du film un sombre constat
: dans ce duel de cons, finalement ce qui est bien, c'est que c'est
les bons cons de chez nous qui gagnent, car un con local vaut mieux
qu'un autre. Toutefois retrouver ce microcosme sinistré reste un plaisir,
mais on se situe là dans de l'immédiat absolu, une seconde après il
ne reste aucune trace. Quelques éclats de rire ici et là mais un rire
un tantinet gêné, honteux un peu comme de prendre du plaisir à se saouler
avec une bouteille de château-la-picrate en se retapissant la paroi
intestinale de sa texture soyeuse qui évoque pour les plus perspicaces
un acide de batterie du meilleur millésime. Ne cherchez pas la trace
d'une ossature autour de laquelle la comédie se déroule, j'ai regardé
et je n'ai rien vu de semblable. Pas de rythme, pas de structure, pas
de substance, pas de discours autre que ce qu'on pourrait trouver dans
les pages société du Chasseur français. C'est un peu coupable donc que
j'avoue que le film m'a fait rire…mais je voue un culte secret à Jean-Claude
Convenant, un équivalent hexagonal à l'inénarrable Homer Simpson. *
jeanyannisme : subtil mélange de j'en foutisme, de poujadisme plus ou
moins light et de nihilisme démago que l'on retrouvait dans les brûlots
de Jean Yanne tels Tout le monde il est gentil…, Les Chinois à Paris,
Moi y'en a vouloir des sous ou Chobizenesse.
ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND de Michel Gondry. 3*.
Une histoire sans fin (définitive). Joel est un quadra célibataire
et introverti qui un beau jour, lors d'un barbecue avec des amis sur
une plage, rencontre Clementine, une femme un peu azimutée, impulsive
et pathologiquement versatile. Les deux tourtereaux sont en manque flagrant
d'amour, leur liaison de complicité fusionnelle va lentement
évoluer vers une incompatibilité caractérielle,
un rejet réciproque de l'autre pour finalement non pas prendre
fin mais disparaître, effacée de la mémoire des
deux personnages. Ainsi vide de ces souvenirs douloureux, Joel et Clementine
vont pouvoir à nouveau se rencontrer, sur la même plage
où ils s'étaient déjà trouvés.
Le film se présente comme une succession, sans ordre chronologique,
de scènes de la vie des deux personnages, les repères
étant la couleur des cheveux de Clementine (orange, bleu, vert).
Loin de troubler la compréhension du récit, ce parti pris
non seulement se justifie par la suite de l'histoire avec l'effacement
de la mémoire de Joel mais aussi il autorise au spectateur une
vision alternative des protagonistes et des évènements,
permettant de les mettre en perspective avec leurs conséquences.
Ce lavage de mémoire prend la forme d'un trip mental dans lequel
les protagonistes agissent et tentent d'intervenir pour en changer l'issue.
Ca donne lieu à quelques idées visuelles intéressantes
comme les personnages qui se dématérialisent en cascade,
où encore Joel qui essaye de cacher des traces de cette liaison
dans ses souvenirs d'enfance, réalisant qu'il ne veut pas oublier
tout. En fait ce qu'il veut c'est n'en garder que les bons moments,
idéaliser a posteriori cette passade, accélérer
en quelque sorte le travail du temps. Le discours de l'auteur est assez
clair dans ce sens : la mémoire est constitutive des individus,
indispensable puisqu'elle joue un rôle actif dans leur vie. Les
souvenirs communs n'appartiennent pas à chacun des deux mais
aux deux à la fois. Ainsi l'effacer est une amputation. Là
où ça s'englue un poil, c'est dans son aspect histoire
d'amour éternelle, c'est naïf comme tout. Une fois lessivés
les deux ex se re-rencontrent comme si rien n'avait été.
Et les revoilà se rengageant dans une histoire commune. Bof !
Mais ne soyons pas trop tatillons, le côté ludique de la
mise en scène et du scénario fait tout passer. Carrey
donne une interprétation profonde de son personnage et Kate Winslet
est comme à son habitude excellente. Une uvre intelligente,
qui arbore un côté bricolage amusant.
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F |
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FAHRENHEIT 9/11 de Michael Moore. 1*. Le film
s'ouvre sur une séquence amusante qu'on pourrait résumer
par " Et si le président de la plus grande démocratie
du monde avait été élu par des moyens frauduleux
au nez de 230 millions d'Américains, et qu'aucun n'y trouve quoique
ce soit à y redire
". Le montage est ludique, alternant
images d'archive, interview d'officiels et commentaires personnels acides
garants d'une efficacité optimale. On enchaîne ensuite
sur les liens de la famille Bush, gros industriels du pétrole
au Texas avec les Binladen, leurs homologues Saoudiens : pour les non-avertis,
on frôle l'écoeurement. Enfin on en arrive à la
pierre angulaire du film, la guerre insensée que les US ont lancée
contre Saddam Hussein sous des prétextes aussi fallacieux qu'ils
étaient faciles à contrecarrer. Les gendarmes du monde
ont ainsi enterré un pays qu'ils avaient déjà vidé
de son sang par 10 ans d'embargo (et près d'un million de morts).
La première partie du film s'achève. On embraye après
cela sur une deuxième partie beaucoup moins convaincante, voire
discutable. Plus de faits, ici c'est le " côté humain
" que Moore a voulu mettre en avant, en suivant la douleur de la
mère d'un soldat tué en Irak. D'un coup on se prend à
penser que le mécanisme jusqu'ici bien huilé de cette
machine à dénoncer est grippé, que Moore en voulant
convaincre à tout prix s'est simplement planté. Que viennent
faire ces séquences boul'd'hum* rédhibitoires dans un
pamphlet qui se tenait à peu près ?
C'est ça le hic avec ce film et fondamentalement dans tous les
docus de Moore : il est près à toutes les bassesses pour
défendre son point de vue, aussi généreux et sensé
soit-il. Si ce procédé grossier pouvait passer dans ses
précédents opus, ici il est bloquant. En plus de casser
le rythme (excellent pendant la première heure), il donne un
aspect putassier à son pensum. Au plus fort de ces moments qui
fleurent bon la charogne, on se prend à rêver au superbe
film de William Karel, Le monde selon Bush, sur le même thème.
Là où Karel ne donnait que des faits, appuyés par
des témoignages à propos, Moore veut faire marcher la
machine à larmichettes faciles. Pour le coup l'efficacité
si recherchée disparaît. Et puis dans l'absolu, son docu
n'est pas critique du tout envers un point important, me semble-t-il,
de l'histoire : le patriotisme à tout crin des millions d'Américains,
porte ouverte à toutes les manipulations retorses. L'administration
Bush s'en est d'ailleurs tellement servie qu'on croirait qu'elle l'a
inventé. On peut sans excès imaginer que ce film, en surfant
sur les mêmes procédés, devrait être un succès
important au box office US. C'est du prosélytisme de masse, plus
du documentaire rigoureux.
Me reste à espérer que c'est juste un coup pour rien (avec
usurpation de la palme d'or 2004) et pas un avant-goût de ce que
Moore fera désormais.*Boul'd'hum : expression signifiant "
bouleversant d'humanité"
FAUX AMIS de Harold Ramis
3*. Wichita - Kansas. Vic, un businessman marron et Charlie, un avocat
idem arnaque 2 millions de dollars et des brouettes le soir de noël
au patron de ce dernier, un redoutable caïd. Le plan si huilé dérape
immanquablement. Ce qui est appréciable dans ce film au scénario conventionnel,
au-delà des retournements inhérents au genre c'est le personnage de
Charlie. Un truand sympathique, loser lunaire et naïf qui s'est engagé
dans son casse avec l'espoir inouï de s'en sortir vivant et de quitter
riche le bourg. Car mis à part lui, peu sont sympathiques : son associé
qui sent le coup fourré à 10 lieues, la sulfureuse patronne de la boîte
de strip tease avec qui Charlie nourrit l'espoir de partir, son copain
de lycée un lourdingue XXL, son ex-femme une pisse vinaigre jusqu'au
tueur envoyé pour récupérer le pognon…bref aucun de ces échantillons
d'humanité n'inspire confiance. Pourtant il va slalomer entre toutes
ces embûches potentielles, sans jamais refuser le contact avec elles.
Et sa tentative d'évitement de la loi de l'emmerdement maximum sans
se départir de son fond de gentillesse devient son petit chemin de croix.
Son casse, si brillant et facile sur le papier et si facilement réalisé
va l'entraîner de surprises en surprises, lui faire frôler plusieurs
fois la mort et la lui faire donner indirectement (jamais directement)
aussi, le blessant intérieurement mais pas suffisamment pour lui faire
renoncer à son but initial, la raison pour laquelle il a voulu ça :
partir. A force d'acharnement et de refus de nier ce qu'il est réellement
et aussi improbable que cela puisse paraître, Charlie l'avocat marron
réussira dans son entreprise et déguerpira accompagné de son ami d'enfance,
le balourd qui lui avait piqué sa femme. Faux amis est un bon film noir
assez décontracté, très bien mis en scène et interprété brillamment
par John Cusack. Très réussi.
LA FEMME EST L'AVENIR DE L'HOMME de Hong Sang-Soo.
4*. De retour des Etats-Unis après des études de cinéma
Hunjoon retrouve son ami Munho, un prof d'arts plastiques. Le premier
est fauché, rêveur et veut se lancer dans l'écriture
d'un scénario, le second, marié et père de famille
n'attend que sa titularisation. Ils déjeunent ensemble, ressassent
leurs souvenirs et s'enivrent. De tendues, leurs retrouvailles prennent
une autre tournure, l'agressivité sentie au départ laissant
place à de la camaraderie de bouteille, éthérée,
les propos échangés évoluent de plus en plus vers
une connaissance commune, une jeune femme dont tous deux ont été
l'amant, successivement, la fluette Sunwha. Au plus fort de leur cuite,
ils décident de se rendre dans la banlieue de Séoul où
elle travaille comme serveuse dans un bar, et lui faire la surprise
de leur venue. Ils passent tous les trois une soirée irriguée
En dix secondes Hong Sang-Soo arrive à installer la tension qui
semble régir les rapports entre les deux amis : reçu dans
la rue, en face de la maison de Munho, Hunjoon fait figure d'intrus
presque, un pan du passé de Munho qui ne peut pas rentrer dans
sa vie actuelle telle qu'il se l'ait construite. Il y a du ressentiment,
un poids intangible qui assombrit cette scène qui devrait être
joyeuse, doublé d'une sorte de jalousie, de rivalité de
la part de Munho, qui reproche à Hunjoon des griefs que leur
amitié aurait du prescrire. Le metteur en scène en profite
pour glisser quelques flash-back, montrant tour à tour les deux
hommes avec la jeune femme. Le premier qui l'a plaqué avant de
partir aux US, le second qui a en profité pour se rapprocher
d'elle, de façon éphémère. Pour elle, le
départ de Hunjoon fut une grande douleur : tous les trois vivent
encore dans le souvenir de leur inter-relation, à différents
degrés. Hong les filme avec une grande légèreté,
une bonne dose d'humour un peu mélancolique et par instants féroce.
La façon dont se termine leur soirée est à ce titre
marquante : Munho tombe sur des étudiants à lui et va
manger avec eux pour finalement aller à l'hôtel avec l'une
d'elles, Hunjoon fait une crise de jalousie à Sunwha
bref,
à la fin chacun se retrouve seul. " La femme
"
est un film magnifique, qui nous donne à ressentir beaucoup en
nous montrant peu. Les relations sont vues à travers des gestes
quotidiens, des discussions qui ont l'air anodin, tous ces " rites
" sont montrés également, sans distinction de traitement
: il n'y a aucune sublimation, aucun lyrisme. Il ressort de ce dépouillement
formel une vérité prenante, on touche presque à
l'épure. Un grand moment.
LA FILLE DU JUGE de William Karel
1*. Clémence Boulouque, fille du juge antiterroriste du même nom raconte
aux spectateurs les souvenirs qu'il lui reste de son père avant qu'il
ne se donne la mort en 1990. Alternant les souvenirs de leur vie privée
avec les affaires publiques dont son père avait la charge et qui le
mettaient par là-même sur le devant de la scène médiatique elle tente
de dresser un portrait, éminemment subjectif du bonhomme. Et puis voilà.
Certes l'entreprise est louable ou du moins compréhensible. Mais elle
se limite à ça, à ce regard de l'intérieur qui plus est d'un enfant,
soulignant les répercussions personnelles que peuvent avoir des évènements
publics, des " attaques " (comme le juge en a subi)…bref comment le
public vient perturber la sphère du privé. Je suis bien d'accord avec
toi Clémence mais comme je l'objectais l'autre fois à George Clooney,
était-ce la peine d'en faire un film ? Le mélange films de vacances
tournés à la super 8 avec commentaires, écrits par la donzelle, redondants
même si sincères c'est trop pour moi. Ce film est un journal intime
qui se limite trop à une somme d'émotions dévoilées, de sensations,
un travail impressionniste qui finalement s'étouffe dans ce qu'il ne
sort pas un peu de son sujet direct. Le passage du livre au film aurait
pourtant pu donner lieu à une distanciation bénéfique… Lassant.
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G |
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GERRY de Gus van Sant. 1*. Deux amis roulent
en voiture au milieu de la Death Valley. Ils se garent et se rendent
à pieds, chacun une bière en poche, à un probable
point de vue panoramique sur la vallée. Ils marchent et se perdent
dans l'immensité tranquille et terrifiante de ce désert
où alternent dunes, montagnes et étendues sableuses à
perte de vue.
Voilà pour la trame. Gerry n'est ni un film de scénario
(écrit par les deux acteurs et van Sant), ni d'acteurs (Matt
Damon et Casey Affleck se contentent de prêter un corps à
leurs personnages ectoplasmiques), ni de dialogues, très limités.
Il s'agit plutôt d'un film conceptuel, un exercice de style où
la mise en scène, aidée par la musique envoutante et hypnotique
de Arvo Pärt, écrase tout le reste. C'est un film expéri-mental
dont la forme dépouillée et construite d'interminables
plans-séquence (qui annoncent leur foisonnance dans son futur
film Elephant ; redite stylistique ?) à la beauté stupéfiante
nous invite à une contemplation languissante et méditative.
Le hic c'est le sujet de cette méditation imposée. Je
ne l'ai pas trouvé. D'accord les deux copains sont perdus dans
un désert hostile. D'accord leurs relations se font de plus en
plus ténues pour finir dans un côte à côte
silencieux. Ils marchent pour ne pas s'arrêter, ce serait un ultime
renoncement, une mort aussi lente que certaine. Le sujet est alors peut-être
la valeur de la vie humaine, l'importance qu'on peut y accorder soi-même
bof
! L'image que je garderai de Gerry est celle d'un film arty au discours
hermétique, assez prétentieux mais qu'on ne peut lâcher
du regard malgré sa lenteur. Etrange.
GOODBYE, DRAGON INN
de Tsai Ming-Liang. 3*. Une vieille salle de cinéma à
Taipei. C'est la dernière séance, il passe L'auberge du
dragon*. Seuls quelques personnes sont présentes. L'ouvreuse,
une jeune femme boiteuse, le projectionniste, un fumeur invétéré
et une poignée de clients, dont deux ressemblent à s'y
méprendre aux héros du film projeté, une prostituée
qui grignote bruyamment des oléagineux, un japonais homosexuel
qui tente de draguer le projectionniste et un enfant
une micro
humanité en somme. La séance se passe, le cinéma
ferme, le tout sous une pluie battante.
Tsai Ming Liang filme à coup de plans très longs et fixes
ces personnages. On suit ainsi l'ouvreuse, qui une fois le film lancé
se promène dans les couloirs sombres, étroits et envahis
de cartons du cinéma, cherchant timidement à aborder le
projectionniste, jamais là où elle s'attend à le
trouver, peut-être la fuyant (quand elle est dans la cabine, une
cigarette fume, indiquant son départ récent pour
fumer
une cigarette dans un couloir). On se doute que ces deux-là travaillent
ensemble depuis quelques années, mais jamais apparemment elle
ne réussit à l'aborder franchement. Le metteur en scène
nous donne à ressentir comme une tension érotique, encore
accentuée par le pas lent et bruyant de l'ouvreuse, que l'on
entend arriver avant de la voir. Cette lenteur, presque languissante
semble faire partie des murs du bâtiment, de la salle aux fauteuils
rouge sombre, aux couloirs. Le spectateur japonais, élément
comique du tableau, n'arrête pas de changer de place ne trouvant
nulle part le calme nécessaire. Il sort un instant, fumer une
cigarette, et demande du feu au projectionniste qu'il croise là
: cette scène est marrante, car le second fume tranquillement
adossé à une grosse pile de cartons, ne laissant devant
lui qu'un très étroit couloir pour un passage éventuel.
Le Japonais lui, tente, plutôt que de prendre un autre chemin,
de " forcer " le passage, leurs corps se plus que touchant,
il approche aussi son visage du sien comme pour l'embrasser. Sinon on
a les deux personnes qui ressemblent à s'y méprendre aux
acteurs de Dragon Inn, et qui ne se rencontrent qu'après la fin
de la séance, dehors. L'un pleurait pendant la projection, devant
les combats homériques de Hu. Ils apportent une nostalgie triste
au film. Voir cet homme pleurer devant son passé, exposé
à la vue de tous, à quelque chose de touchant, presque
d'angoissant, surtout qu'il garde un visage impassible. Tous deux ramènent
le présent vers un passé, pas forcément glorieux
ni meilleur, mais ils donnent un sentiment de mélancolie, celle
d'une période qui prend fin. La jeune femme qui passe son temps
à manger du bout des dents et qui est avachi sur son fauteuil,
est un élément de la bande son : ses cassages de coquille
cadencés finissent par s'intégrer, au même titre
que le ronronnement du projecteur, que le pas claudiquant de l'ouvreuse,
que le film projeté ou que la pluie qui tombe en trombes à
l'extérieur au monde sonore du cinéma. Tsai Ming Liang
a réussi un film quasiment muet (5 ou 6 lignes de dialogue pas
plus), sans musique qui ne sombre jamais dans la nostalgie aveugle,
dans lequel les sentiments ne sont pas exprimés et semblent condamnés
à rester sous-jacents. Un beau film.
* Dragon Inn : film de 1966, réalisé par un petit maître,
King Hu, cinéaste né en Chine populaire qui tourna ses
films entre Taïwan et Hong Kong. Il fut l'instigateur d'un renouveau
du wu xia pan, un genre qui mélange arts martiaux et combats
au sabre, en y introduisant un côté fantastique (sauts
aériens disproportionnés, chorégraphies martiales
millimétrées
). Ang Lee pour son Tigre et dragon
s'en inspira profondément. Dragon Inn fait partie d'une tétralogie
dite des films d'auberge (lieu central de l'action).
GOTHIKA de Mathieu Kassovitz. 1* . Une JJP (Jeune
et Jolie Psy, stéréotype très courant dans les
thrillers US) se retrouve du jour au lendemain de l'autre côté
d'une cellule capitonnée, accusée du meurtre horrible
de son directeur de mari. " Ce n'est pas possible, ce n'est pas
moi
!!! " crie-t-elle à la face incrédule et
circonspecte de ses ex-collègues qui la regardent désormais
avec une méfiance à peine contenue. Parallèlement
à ses tentatives, vaines on s'en doute, de convaincre les autres
qu'elle n'est pas passée sur la tranche, elle a des hallucinations
: sous ses yeux effrayés apparaissent des fantômes de jeunes
femmes assassinées qui la terrorisent, la tabassent un poil et
la guident vers la solution à cette énigme ampoulée.
La vérité : son mari était un salopard de pervers
meurtrier qui, avec un complice, rassurez-vous ce dernier se fait zigouiller
10 minutes avant la fin, filmaient le meurtre des donzelles dans sa
cave. Le pot aux roses est dévoilé, tout rentre dans l'ordre,
youpi tralala.
Le scénario, signé Sebastian Gutierrez (auteur/réalisateur
de Judas Kiss, polarillon de seconde zone), est un mauvais mélange
de tout un salmigondis de références assemblées
à la va comme je te pousse, prétexte à une performance
assez physique de son actrice principale sur le visage de laquelle passe
en 90 minutes la palette entière des expressions que se doit
de posséder toute actrice qui aurait des prétentions oscarières.
La mise en scène ne permet guère de relever ça,
elle ne décolle jamais. Certes le filmage est propre mais très
impersonnel, c'est un boulot carré de tâcheron lambda,
pas un film de Kasssovitz, jadis talent prometteur. La musique ne souligne
pas les choses, elle les stabilote violemment ayant un peu trop tendance
à tomber dans le tonitruant le plus assourdissant (elle est composée
par John Ottman, compositeur/monteur de Usual Suspects et metteur en
scène du bergmanien Urban Legend 2). Seules quelques scènes
foutent vraiment les jetons, mais cette peur ne repose que sur la surprise,
il n'y a pas de recherche sur l'ambiance, très convenue. En résumé,
ce n'est pas nul mais c'est quelconque, c'est un produit de série
anonyme qui ne mérite d'être vu que pour cette poignée
de scènes flippantes (très flippantes devrai-je dire).
En espérant que le prochain sera mieux
GOZU de Takashi Miike. 3*. Ozaki un yakusa, suite
à des comportements étranges répétés
est envoyé par son patron avec Minami son aniki dans la casse
des yakusas à Nagoya. Mais suite à l'un de ses pétages
de plomb rituels Ozaki meurt. Pendant que son aniki prévient
le big boss de Tokyo, il se volatilise. Seul à Nagoya, Minami
va tenter de le retrouver. Dans sa recherche il va tomber sur un bar
aux patrons et aux clients étranges, un couple d'aubergistes
insistants, une jeune femme énigmatique et tout une tripotée
de bizarreries.
Sur un rythme très lent, voire trop par moments, Miike suit les
déboires de son personnage dans la ville de Nagoya, montrée
comme un asile psychiatrique géant peuplé d'êtres
fantomatiques aux motivations troubles. Car séparé de
son mentor, Minami est perdu : leur relation dépassait le simple
cadre d'une relation professionnelle, pour entrer dans la sphère
des liens familiaux doublée d'une forte attirance sexuelle qui
va de l'exposition des génitoires dans la voiture jusqu'à
l'hallucinante scène de dépucelage monstrueux avec masturbation/pénétration/accouchement
de la fin, cristallisant la complexité des liens/pulsions qui
les unissent. Le remplacement de Ozaki par une jeune femme est à
ce titre explicite car cela permet à Minami, encore puceau et
évoluant dans un milieu viril et violent qui dénie l'homosexualité,
de se laisser aller à ses fantasmes : elle est jeune et belle
mais c'est aussi son patron (dont il entend la voix qui s'échappe
du sexe de la femme), elle est à la fois homme et femme ; son
honneur de yakusa est sauf. L'accouchement représentant probablement
l'acceptation de sa sexualité par Minami. Le barman travesti,
les deux aubergistes, qui sont frère et sur mais qui entretiennent
une relation sadomasochiste ainsi que le dégoût que provoquent
chez Minami la sur et ses éjaculations lactées (une
image érotisée de la mère en quelque sorte) prolixes,
l'homme de main du vieux boss yakusa de Nagoya avec son visage scindé
en deux (un côté qu'il cache, l'autre qu'il expose) et
même son grand patron de Tokyo qui pour avoir une relation sexuelle
doit utiliser des accessoires (la louche a un usage qu'on ne lui connaissait
pas)
bref, ce sont autant de détails qui font prendre conscience
peu à peu du but de la quête du jeune yakusa. Au final,
Gozu est un film à la forme très osée, aux outrances
visuelles assumées et réjouissantes, une preuve supplémentaire
du talent protéiforme de Miike. Inoubliable
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H |
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I |
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INFERNAL AFFAIRS de Andrew Lau et Alan Mak 3*
Yan est un flic infiltré dans une bande de trafiquants de drogue
à Hong-Kong. Ming/Lau est un truand infiltré dans la police.
Deux taupes, deux troubles et doubles jeux. Aucun d'eux ne peut être
celui qu'il est, ils jouent sans cesse, un jeu de mort, surfant à
la frontière de la schizophrénie. Sans repères
fixes, ils sont en perdition, n'étant même plus sûrs
de leur véritable identité. Las de cette confusion, ils
aspirent à mettre un terme à cette dangereuse mascarade.
Rarement le thème du double (et du double négatif) fut
traité de manière aussi précise. Entre Yan, que
ces dix années de clandestinité ont rongé et Ming/Lau
qui désire devenir réellement flic il n'y a pas un fossé.
Dans le fond peu de choses les séparent, une ligne peut-être
mais qu'elle est-elle cette ligne ? De plus ce masque qu'ils ont endossé
a fini par agir sur eux, par déteindre comme s'ils avaient absorbé
et intégré des éléments de leurs rôles-
Aux yeux de tous ils sont ce qu'ils ne sont pas. Le réalisateur
exploite remarquablement cette confusion, par exemple lorsque les policiers
tentent d'appréhender en flagrant délit les trafiquants.
Le spectateur est amené à suivre l'action des deux côtés,
chacune des taupes étant présente, Yan communiquant par
morse pour donner en temps réel les informations cruciales sur
le lieu de l'échange, Ming désamorçant les stratégies
mises au point pour les arrêter au moyen de SMS. La tension va
crescendo, donnant au film une atmosphère lourde et suffocante,
plaçant le spectateur dans l'expectative d'une issue incertaine.
Les traditionnels Colt 45 ont été remplacé par
des téléphones cellulaires et les gun-fights par des communications.
On retrouve par contre une utilisation du temps qui passe un peu similaire
à celle que l'on trouvait dans des polars tels The big heat (de
Johnnie To), City of Fire (de Ringo Lam) ou The killer (de John Woo)-trois
références du polar HK- : quand il ne se passe rien c'est
que les choses se préparent et bien souvent cette inertie, relative,
produit une anxiété sourde. On peut même presque
trouver à ce film un côté sensuel tant les yeux
par le biais des regards, les oreilles et le toucher prennent une place
importante.
Bref, dégraissé de ses stigmates de film commercial HK,
mélodies sirupeuses voire carrément loukoums, historiettes
d'amour ridicules (avec la psy et le flic ou celle du truand avec sa
copine qui cherche à écrire un roman) le film en eut gagné
en sécheresse, ce qui avouons-le ne l'aurait pas desservi. Mais
le résultat est plus que convaincant, il s'agit sans nul doute
d'un très bon film, qui évite tout manichéisme
et qui préfère au blanc et au noir un gris bleuté
et froid.
INNOCENCE de Lucile Hadzihalilovic.
3*. Perdu au milieu d'une forêt lugubre, une sorte de pensionnat recueille
des jeunes filles âgées de 5/6 ans. Elles arrivent dans les lieux à
bord d'un cercueil, ouvert en présence de leurs camarades de " caste
", elles sont ensuite vêtues comme des petites filles modèles (genre
fantasme japonais : soquettes blanches, mini jupe plissée et couettes).
Qu'y font-elles ? Elles apprennent une forme d'autorité qui repose sur
le respect d'une hiérarchie liée à l'âge, à chaque tranche d'âge passée
on remet aux jeunes filles un ruban à cheveux d'une couleur différente,
et d'un règlement oppressant, elles étudient aussi la biologie (métamorphose
et reproduction des papillons…) et apprennent à danser. Seulement encadrées
par des femmes, la prof de danse qui en permanence paraît être sur le
point de craquer nerveusement et la prof de biologie, une jeune femme
boiteuse à l'allure stricte. Les aînées donnent de plus, une fois la
nuit tombée, dans une salle " secrète " des spectacles de danse dans
lesquels les spectateurs restent dans l'ombre et jettent des fleurs
à celles qui leur plaisent le plus. Une fois par an, la directrice du
pensionnat passe dans l'école et sélectionne l'une des jeunes filles
après l'avoir regardée danser et inspecté sous toutes les coutures.
Puis lorsqu'elles atteignent une douzaine d'années, en fait lorsqu'elles
sont réglées elles quittent le lieu sinistre et sont accompagnées à
travers un dédale de couloirs souterrains sombres et glauques dans un
train (fantôme ?) qui les mène dans une ville où elles sont " lâchées
". Il ne fait nul doute que le propos de la réalisatrice est acerbe,
mais elle utilise pour cela un symbolisme parfois pesant. Certes on
comprend rapidement que tout est fait pour que ces filles deviennent
des épouses modèle, bonnes ménagères, bonnes pondeuses et soucieuses
de conserver une apparence physique et une " grâce " attrayantes. Les
couper ainsi du monde extérieur permet aussi de faire fi de toute attirance,
tentation envers l'autre sexe, singulièrement absent du film. On imagine
alors sans mal, sur la foi de ce qui nous est donné à voir, que le premier
homme qui viendra les aborder sera le bon, celui pour lequel elles renonceront,
mais en auront-elles seulement profité une fois, à toute velléité d'indépendance,
un abandon du libre arbitre en somme. Mais voilà, malgré toutes les
restrictions liées à leur passage dans ce lieu mortifère, le désir est
bien là, loin d'être étouffé et se manifeste autrement, entre elles.
Elles font la découverte des changements qui les attendent au contact
de leurs aînées. Ce qui ressort de cette symbolisation du passage à
la maturité, pris au sens biologique du terme (à savoir à la possibilité
physiologique de donner naissance à une descendance) est assez lourd.
La réalisatrice insiste beaucoup là-dessus. Ce qui est bien plus intéressant
c'est l'atmosphère qu'elle arrive à rendre : un sentiment d'écrasement
diffus, de totalitarisme abstrait, un peu comme une représentation du
poids du machisme dans une culture française axée sur l'épanouissement
masculin, donc sur la perpétuation du nom (triomphe absolu de l'image
du père). L'image est extrêmement travaillée, elle participe pour beaucoup
au symbolisme du propos, grâce à elle Hadzihalilovic arrive à transmettre
quelque chose de l'angoisse (actuelle ?) de devenir une femme. La sensation
d'enfermement est renforcée encore par la topologie et l'apparence des
lieux : la longue allée forestière éclairée, la hauteur de plafond dans
les salles, les bruits de grincements, la froideur incroyable des plans,
les couloirs souterrains humides tous identiques et labyrinthiques,
silencieux et sombres, la musique (les extrait de Janacek diffusés pendant
les spectacles de danse ambigus), l'ombre pesante de la pédophilie…à
ce sujet elle entretient des zones mystérieuses ; le devenir des filles
choisies par la directrice après son inspection malsaine, la raison
de la présence des spectateurs anonymes aux " galas " nocturnes…bref,
autant d'indices de la réalité de ce qui attend ces jeunettes au sortir
de l'enceinte confinée et viciée de l'institution. La scène finale donne
à réfléchir : on y voit l'une des jeunes filles sorties pataugeant dans
une fontaine publique sur une place fréquentée, faire de l'œil à un
garçon, d'au moins 5 ou 6 ans son aîné et prenant entre ses mains le
puissant jet d'eau, comme s'il s'était agi d'un phallus gigantesque…En
résumé, Innocence est un film envoûtant, dérangeant, personnel mais
un peu insistant.
INSIDE JOB de Nicolas Winding Refn. 3*. Harry Caine est vigile
dans un centre commercial. Sa femme a été tuée
dans le parking souterrain de ce complexe. Depuis, veuf inconsolable
il n'a de cesse de visionner les bandes de vidéo surveillance
du magasin avec l'insondable espoir d'y voir un visage récurrent,
un comportement étrange
bref, il se raccroche à ces
chimères pour tenter d'oublier son deuil et sa douleur inextinguible.
Nous assistons impuissants à la lente chute de Caine dans les
abymes les plus noires de sa monomanie. Son obsession à vouloir
tout voir pour y trouver un indice, si infime soit-il, prend une place
prépondérante dans sa vie. Car à part son métier,
qu'il pratique avec de plus en plus de difficultés, il n'a rien
d'autre. Il se terre chez lui, seul, hanté par des hallucinations
de sa femme à tapisser ses murs de photos floues, hypothétiques
portraits volés d'un possible assassin. Le jour où il
peut enfin visionner la cassette sur laquelle a été enregistré
le meurtre tout bascule. Le film entre dans une seconde sphère,
on quitte celle de sa réalité morose et ralentie pour
entrer dans celle, plus troublante des délires pathologiques
de Caine. En utilisant la même perspicacité dont il faisait
preuve dans le traitement des photos auparavant il va remonter une piste,
improbable chemin vers un dénouement qui ne peut être que
factice. Il se retrouve dans un hôtel aux teintes sanguines, saturées
de rouge, à l'atmosphère pesante, qui font bien penser
à un " trip " dans la psyché perturbée
du vigile, un univers où la culpabilité, le regret et
l'incommensurable incompréhension face à la mort et à
la disparition d'un être d'autant plus cher qu'il est magnifié
par son absence accentuent l'instabilité. Chacune de ces étapes
est un pas de plus dans la folie, perdant tout repère, tout contact
avec une quelconque réalité matérielle. Il semble
qu'aucun retour vers une normalité acceptable ne soit envisageable,
ce voyage est un adieu. On le revoit après cette expérience
au bout de la raison, sur un lit d'hôpital, en position ftale,
pleurant ce renoncement ultime juste avant qu'il ne soit lâché
dans un désert immense et vierge, comme une représentation
du néant. Inside job est un film perturbant et formellement très
abouti.
IN THE CUT de Jane Campion. 3*. Pour parler du dernier film
de l'esthète Jane Campion, je ne parlerai pas de l'histoire,
un simple package rayon serial Killer/boucher avec tout l'attirail obligé,
car le thriller n'est ici qu'un vernis, quelque peu écaillé,
qui donne au vrai sujet du film sa forme la plus voyante. Ce qui en
fait la consistance, la matière et le moteur c'est le formidable
portrait que dresse l'auteur de Franny, l'héroine, une prof de
littérature à la quarantaine sonnée qui vit à
New York (à ce propos la vision que Campion donne de la grosse
pomme est sombre et angoissée, on sent presque la ville faire
preuve d'hostilité). Plutôt jolie, les sentiments forts
et extrêmes ne semblent pas la traverser ; elle aurait même
tendance à ne chercher dans ses aventures et dans la séduction
faussement involontaire qu'elle ne peut s'empêcher de susciter,
qu'une source de problèmes, problèmes stériles
s'il en est car ils mènent invariablement à l'absurde
: en témoigne la relation qu'elle entretient avec son ex, un
maboul pris d'accès de rage subits et démesurés,
joué par Kevin Bacon qui s'en donne à cur joie,
ou le gringue qu'elle fait à son élève sous le
fallacieux pretexte de recherches sur l'argot (le slang) black des rues.
Puis elle rencontre, dans le cadre de l'enquête sur les meurtres,
Malloy, un flic pathologiquement machiste. Et là, malgré
ses manières déplorables, son vocabulaire de charretier
moyen, sa misogynie phallocrate elle est magnétiquement attirée
vers lui. Son apparente frigidité bourgeoise trouve un echo déformant
(déformé) dans la bestialité ambiguë du flic.
Durant la qusi totalité du film, elle prend ce policier pour
le tueur ; ça ne l'empêche nullement d'aller vers lui,
bien au contraire, c'est comme si cette face sombre de Malloy était
ce qui attirait Franny, l'idée de n'être entre ses mains
qu'une vulnérable proie, renonçant par la-même à
tout ce contrôle qui formait le carcan dans lequel elle s'était
jusque là enfermée. Car face à elle, elle pensait
avoir le mal à l'état pur, un concentré d'inhumanité,
jeter dans ses bras c'est renoncé, même temporairement
à la vie, c'est un abandon complet
et paradoxalement c'est
vivre la vie avec intensité, embrasser chaque moment avec un
fougue absolue. Ce paradoxe, cette contradiction fondatrice de Franny,
est le vrai thème du film. Son personnage se définit et
s'épanouit dans cette situation extrême. Le désir
de mort est ici assimilé à une pulsion sexuelle violente.
D'ailleurs, à la toute fin, quand elle se fait enlever par le
vrai meurtrier, elle met un temps fou à réagir et à
songer à se défendre : ils dansent d'abord au pieds du
phare, ils commencent à faire l'amour avant qu'elle ne le tue.
Bref, rien n'est simple, rien n'est linéaire, le côté
sombre cohabite avec une face plus " respectable " ; sur ce
thème de l'amour au mépris de la vie, Philippe Grandrieux
avait signé il y a 7 ou 8 ans un film remarquable, Sombre, un
jeu de séduction entre la proie et son prédateur qui mélangeait
allègrement eros et thanatos.
Dans son rôle contrasté et subtil Meg Ryan est méconnaissable.
Quelle crédibilité et quelle complexité elle dégage
dans son éveil à sa sexualité refoulée.
Chapeau bas Mme la midinette échevelée des comédies
romantiques à la con. Quant aux images, elles sont toujours aussi
composées et somptueuses. In the cut est un régal visuel.
INTOLERABLE CRUAUTE de Joel Coen. 3*.Miles est un avocat spécialisé
dans les divorces, un crack dans son domaine, obsédé par
son sourire lisse et immaculé, bref, l'archétype de l'arriviste
satisfait. Associé dans un cabinet, il ne recule devant aucune
bassesse pour gagner un procès. Mais sa vie qui semble promise
à une ascension certaine et régulière va se dérégler
suite à sa rencontre avec Marilyne, une sorte de mante religieuse
qui ne veut se marier qu'avec un homme beau comme Crésus pour
s'approprier la moitié de sa fortune une fois le divorce prononcé.
Voilà pour la trame. Rien de très original en somme ;
par contre le traitement lui, est plus débridé. Ce couple
a priori peu glamour, deux manipulateurs cyniques qui paraissent exempts
de tous sentiments humains, ne semble mû que par leur cupidité
dévorante. Autour d'eux gravite une poignée de personnages
secondaires " marqués " : l'assistant fleur bleue,
le détective qui ne vit que pour niquer tout le monde, le tueur
asthmatique qui confond sa ventoline et son magnum ou l'associé
principal du cabinet, un vieux kroumir décati et post sénile
qui ne tient que par ses perfusions et ses diverses sondes (il est annoncé
deux fois dans le film par le Requiem de Mozart, comme le vieux Lebowski
dans Big Lebowski)
Les frères Coen s'en donnent à
cur joie, ils laissent parler leur ironie mordante et leur nihilisme
débonnaire. Tous ces personnages n'ont aucune réalité,
ce sont des symboles, des représentations abstraites et vitriolées
d'archétypes, ils sont réduits à un ou deux aspects
de leur personnalité, un ou deux traits de caractère.
Les décors sont idem : villas qui suintent le mauvais goût
le plus crasse, casinos (temples du kitsch), motels pour 5 à
7, chapelles pour mariages sprint
jusqu'au bellâtre bodybuildé
et luisant comme peu de vers qui taille les haies en faisant gonfler
ses pectoraux et en lançant des illades concupiscentes
et coïtogènes aux vieilles oisives qui se mélanomisent
sur leurs transats en ingurgitant des cocktails fluorescents, ou le
surfeur peroxydé qui nettoie censément les piscines mais
qui préfère s'occuper de la propriétaire. Les Coen
toisent tous ces pitoyables losers et les regardent se débattre
dans une mélasse inextricable. Jamais ils ne témoignent
la moindre sympathie à ces ectoplasmes. Cette méchanceté
un peu roublarde pourrait finir par tourner court mais elle est contrebalancée
par l'humour parfois délirant des situations. C'est du pur humour
méprisant qui fait grincer les zygomatiques. Ils signent un film
cathartique et réjouissant, un peu dans la veine de Big Lebowski,
un film qui ne fera pas date dans leur carrière mais qui permet
de se défouler durant 90 minutes.
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J |
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JARHEAD de Sam Mendes 3* .Début 90, de
jeunes Américains s'engagent dans les marines. Après quelques mois de
classes voilà nos petits militaires qui partent pour le Koweït faire
la guéguerre aux affreux Irakiens avec la bénédiction et le soutien
des gentils Saoudiens. Après s'être bien fait bourrer le mou et déconstruire
ce qu'il pouvait y avoir à déconstruire dans leur personnalité, les
louveteaux n'attendent qu'une seule chose : de casser du zarab par rafale
de 12. Mais pas de chance pour eux ils vont devoir se la mettre sur
l'oreille, car ce qui les attend c'est une interminable attente dans
le désert. Pour occuper ces longues journées ne leur reste qu'à refaire
des exercices stupides comme appris durant les classes ou bien se laisser
tenter par le sultanat d'Onan. Le trajet asservissant et abrutissant
qui mène de jeunes hommes à devenir des machines à tuer même pas fiables
est un thème couramment abordé au cinéma, il est d'ailleurs souvent
l'occasion pour les metteurs en scène de nous infliger quelques scènes
bien lourdingues sur l'amitié virile avec bagarres à grand renfort de
cris de bêtes sous la douche, biceps saillants et œil vitreux, de bras
de fer et de buvage de Budweiser entre rires gras et larmes déchirantes
en passant par les scènes d'émotions avec souvenirs d'enfance et tout
le bataclan…bref, ces écueils insupportables sont rarement contournés.
Ici Mendes a eu la bonté de nous raccourcir le business et de ne pas
en mettre trop. L'intérêt d'une telle entreprise, suivre des bleubites
du dortoir au champ de bataille est tout de même, outre de dénoncer
l'absurdité de toute guerre, de démonter la mécanique totalitaire et
fascisante de leur formation dans laquelle tout est assujetti à l'omnipotence
d'une hiérarchie indiscutable, où comment il est possible dans ces zones
de non droit de détruire un humain pour en faire un soldat prompt à
satisfaire les pulsions de mort et de domination inhérentes à tout homme.
Là le propos de Mendes est dilué dans le digest light des rites de films
de militaires. Il a préféré s'attacher au personnage le plus intéressant
du film, le narrateur (le film est tiré d'un de ses livres) et au travers
de son regard on a quand même un aperçu, édulcoré, du néant. Dommage.
JELLYFISH de Kyoshi Kurosawa. 3*. Yujiro et Mamoru sont deux
jeunes adultes qui travaillent dans la même usine à Tokyo.
Le premier se perd dans des rêves radieux mais inaccessibles,
il est dépendant de ce fantasme permanent, tout le reste de sa
vie terrestre le désintéressant au plus haut point. Mamoru
lui, aime contempler sa méduse à la luminescence si spéciale.
Un beau jour Mamoru tue son contremaître et sa femme, sans raisons
réelles. Il est incarcéré et meurt en laissant
sa méduse à Yujiro. Celui-ci s'approprie sa fascination
pour l'animal et le rejette dans un égoût, espérant
le voir se multiplier. Il erre, entouré de son vide existentiel,
de sa non-envie de vivre dans la réalité, étranger
qu'il est à celle-ci. Il se rapproche du père de son défunt
ami, un vieux solitaire qui redonne vie à des appareils électroménagers
condamnés au rebut. Il va projeter sur Yujiro l'amour filial
qu'il n'a pas pu ou pas su témoigner à son propre fils
et se laisse hypnotiser lui aussi par cette fameuse méduse qui
cristallise tous les manques, les interrogations, elle est comme le
dernier bastion d'émerveillement pour ces gens perdus et seuls.
Kurosawa filme ces jeunes gens sans repère, aspirés par
le vide, sans foi ni attache. Il les montre sans fioriture, dans un
quotidien sans gloire qui érode tout et tous. Dans ce monde là
la méduse est tout et son contraire, unique et multiple, opaque
mais lumineuse, gélatineuse mais gracieuse, venimeuse mais génératrice
de rêve. Quel sens a-t-elle ? Au spectateur de voir
car sa
métaphore animalière n'est pas d'une transparence afflelienne.
Elle est là, c'est tout et on la voit. D'ailleurs quand on ne
la voit pas on la cherche. Quant à la déshérance
de ces jeunes gens on n'en connaît rien de plus que les quelques
symptomes que le metteur en scène nous lâche ça
et là. De ses tenants on ignore tout. Ils sont inadaptés,
souffrent, font ce qu'ils peuvent pour s'évader, mais à
chaque fois c'est pour retomber plus lourdement.
Tourné en video, Jellyfish est un film désespéré
toutefois plus lumineux que les autres opus de son auteur
mais
la noirceur du fond est toujours là.
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K |
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KEN PARK de Larry Clark et Ed Lachman. 3*. Après
Kids et Bully, Clark continue sa plongée dans l'univers pour le moins
chaotique de l'adolescence. Le film s'ouvre sur le suicide autofilmé
d'un ado, le fameux Ken Park, en plein après-midi, dans le skate park
d'une petite ville californienne moyenne. Puis, petit à petit, en partant
d'une photo d'un groupe de cinq teenagers dont l'un est Park, on entre
dans l'intimité de chacun d'eux. Purs produits de la middle class de
province, ces ados vivent leur vie, dans la mesure qui leur semble impartie.
Aucun d'eux n'a de situation familiale exceptionnelle : l'un vit avec
sa mère et son petit frère, l'autre avec ses deux grands-parents, une
autre avec son père et enfin le dernier habite avec ses deux parents.
D'emblée on prend conscience du fossé qui existe entre ces ados et leurs
parents (directs ou de substitution) : même s'ils cohabitent physiquement,
ils ne vivent pas dans le même monde. Le mur qui les sépare paraît infranchissable.
Les " parents " sont ici accusés, rendus responsables de l'état des
lieux auquel le film nous invite à assister. Bien plus que le côté dichotomique
du propos (les coupables c'est ceux-ci, les victimes c'est ceux-là),
son aspect thèse démonstrative, c'est par ses échappées dans le monde
de ces préadultes que le film est intéressant, dans ces quelques instants
où on les voit " libres " de leurs contraintes domestiques. Ils fument
de la sensimilia en quantité industrielle, multiplient les relations
sexuelles…ils se réfugient dans le plaisir immédiat, dans la recherche
d'un absolu hédoniste qui leur permet de supporter le reste, ce qu'ils
ne contrôlent pas ou ce que leur condition les oblige à subir. Le film
est toutefois moins définitif qu'il n'y paraît : les adultes, malgré
leur responsabilité indéniable, sont eux aussi enfermés dans une coque
de souffrance, de regrets et d'amertume. Ce qu'ils voient dans les débordements
de leurs progénitures c'est ce qu'ils ne sont plus, ou ce qu'ils ne
pourrons pas ou plus être. Cette souffrance se traduit parfois par des
comportements extrêmes, certains devenant même incestueux (le père qui
va chercher un amour interdit auprès de son fils endormi ou encore le
père qui se marie avec sa fille, portrait craché de sa défunte femme,
parce qu'il ne supporte pas l'idée qu'elle ait une sexualité extérieure
; à une échelle moindre, la relation entre l'un des ados et la mère
de sa petite amie est aussi un acte incestueux mais contourné, de la
part de la mère). Dès lors, sachant le contexte réaliste de ce film
(dont le traitement, lui, ne l'est pas tellement) le dénouement ne peut
être que dramatique : l'un des ados tue sauvagement ses deux grands-parents
et, les trois autres, dans une scène très belle et quasiment surréaliste
(dans le sens où elle est filmée comme un songe, un rêve érotique ouaté),
se retrouvent, se parlent et se taisent, se touchent et font l'amour.
Ils semblent presque ne former qu'une entité, un corps multiple et blessé,
respirant à l'unisson. Mais cette scène dégage un profond désespoir,
finissant de noircir le tableau que nous livre Clark (et son jeune scénariste
Harmony Korine) en inscrivant cet instant dans une sorte de 4ème dimension,
inaccessible autrement que par la rêverie.
KIE LA PETITE PESTE
de Isao Takahata 3*. Kié est une fillette qui lorsqu'elle n'est pas
à l'école travaille dans la gargotte de son père, Tetsu. Ce dernier
vit séparé de sa femme et passe ses journées entre une salle de jeux
et les bars, à traîner avec ses copains. Kié porte tout sur ses épaules,
palliant la faiblesse, la fainéantise et la lâcheté de son père, tâchant
de maintenir un minimum de cohérence dans cet univers chaotique. Une
enfance sacrifiée ? Non, car la fillette est joyeuse, gaie pleine d'entrain
et d'un optimisme à tout crin. Dans sa vie civile, elle a renoncé provisoirement
à son statut d'enfant pour endosser le rôle d'adulte responsable, de
son père, du snack et des contingences ménagères de la maison. Il n'y
a qu'à l'école où son enfance peut encore s'exprimer, laissant enfin
s'extérioriser une juvénilité étouffée. Elle lutte gentiment pour reconstruire
un monde dans lequel elle trouverait une place plus conforme à ce qu'elle
est réellement, et non plus par défaut. Certes son père en bagarreur
impénitent est d'une irresponsabilité qu'on prête traditionnellement
à l'enfance, mais il aime sa fille, il souffre aussi de la séparation
d'avec sa femme mais il se couperait le petit doigt plutôt que de l'avouer.
Si les personnages paraissent si justes, c'est bien grâce à la vérité
qui émane de leurs sentiments. La fillette reste une fillette malgré
la vie qu'elle mène, Takahata ne lui a pas collé un esprit d'adulte,
juste ce qu'il faut de ténacité et d'éveil pour lui faire endosser ses
charges. De même son père, si négatif que puisse paraître son portrait,
est un homme blessé à l'intérieur duquel bat un cœur tendre. Et on retrouve
chez d'autres personnages cette subtilité de traitement et cette absence
de jugement : chez le tenancier de la maison de jeu qui le jour où son
chat se fait tuer (après une émasculation sauvage suite à un combat
avec le chat de Kié), ruiné par le chagrin décide de se reconvertir
et ouvre à son tour une gargotte, arrête de boire et vit dans la tristesse
du souvenir de ce(lui) qu'il a perdu. Le film est traversé par l'humour
: les deux chats par exemple, sont hauts en couleurs et donnent lieu
à une scène réussie, un duel final, filmé comme dans un western spaghetti.
Bref, le film est une réussite d'un réalisme sentimental prégnant et
d'un humour grinçant mais pas cruel avec des touches potaches, comme
la fascination que Takahata semble avoir pour les cojones de chats.
KIKI LA PETITE SORCIERE de Hayao Miyazaki. 3*.
Kiki est, comme le titre l'indique, une petite sorcière, fille
de sorcière et petite fille de sorcière
bref, chez
elle, la sorcellerie est atavique. Elle a atteint l'âge pivot
de 13 ans, âge auquel toutes les petites sorcières en devenir
doivent quitter le domicile familial pour une durée de un an
et ceci afin de faire leur preuve seule. Elle décide de s'arrêter
dans une ville littorale et monte un service de livraison à domicile.
L'histoire est un classique apprentissage de la vie. Kiki, livrée
à elle-même, seulement accompagnée de son fidèle
et traditionnel chat noir, va peu à peu prendre conscience d'une
réalité à laquelle elle avait été
jusque là étrangère. Son apprentissage passera
bien sûr par toutes les étapes obligées : rencontre
amoureuse, déception, renoncement, joie, tristesse, amitié,
peur pour finalement triompher de toutes les choses qu'elle craignait
par méconnaissance. A la fin de son itinéraire, elle sera
non pas changée mais endurcie sans avoir perdu cette part de
naïveté que l'on prête à l'enfance. Certes
tout ceci n'a rien de nouveau, c'est un thème des plus classiques,
mais là où Miyazaki subjugue littéralement c'est
dans le graphisme : les dessins sont à tomber, la description
qu'il fait de la ville, une ville imaginaire qui est comme nimbée,
fourmille de détails vivants, elle exhale ce qu'on pourrait assimiler
à du bonheur
bref c'est une ville idéale, mais qui
n'est pas pour autant coupée de certaines des dures réalités
de la vie. Dans ce décor enchanteur la jeune héroïne
traverse son initiation et apprend la valeur de la vie en se réappropriant
ses pouvoirs qu'elle se donnait pour acquis.
Un très beau dessin animé, auquel il manque cependant
la magie féerique et panthéiste qui rayonne dans les grandes
réussites de son auteur (Le voyage de Chihiro, Princesse Mononoke
ou Le château dans le ciel), indiqué pour les enfants mais
tout à fait appréciable par les adultes sensibles à
l'extraordinaire talent de ce génie Japonais.
KILL BILL de Quentin Tarantino. 4*. Black Mamba
est une ex-tueuse pour une organisation redoutable qui raccroché
le katana. Pensant qu'elle s'est faite oubliée de ses anciens
compagnons d'armes, elle s'apprête à célèbrer
son mariage, entourée d'une poignée de proches et d'un
ftus quasiment à terme. Presque mariée, presque
mère
mais voilà, son passé la rattrappe. Un
commando surgit dans la petite église texane et s'en suit un
abominable massacre où tout le monde est laissé pour mort.
Tout le monde sauf elle, plongée dans un coma profond qui durera
4 ans. Elle se réveille, dresse la liste noire de ses bourreaux
et part à leur recherche pour assouvir sa soif de vengeance.
Sur un scénario vu des milliers de fois, Tarantino construit
un film à la forme surprenante et éblouissante, car cette
vengeance n'est qu'un prétexte à un gigantesque hommage
de l'auteur aux cinémas qui l'ont nourris : films de yakusas
et de sabre japonais, films d'arts martiaux chinois, western spaghettis,
série B américaine
et même un soupçon
de Truffaut (La mariée était en noir, sic). Les clins
d'yeux pleuvent aussi vite que les coups de sabre de l'héroine,
le sang gicle par hectolitres, les corps se strient, se démontent,
se découpent, les cris et hurlements fusent
les combats
finissent tous dans des flaques d'hémoglobine poisseuse. Tout
est fait dans la démesure, en cela la mise en scène est
en osmose avec le sujet : ici, la tiédeur n'a pas cours. D'un
point de vue technique le réalisateur recycle, assaisonne à
sa sauce un tas d'ingrédients disparates pour en faire un plat
qui porte sa signature, teinté de son humour toujors aussi vachard
et limite : une dose de noir et blanc pour les flash back, une dose
de dessin animé pour raconter l'histoire d'une des tueuses (idée
déjà utilisée pour Natural born killers du monolithique
Oliver Stone, sur un scénar original de QT himself), des combats
au sabre en couleurs avec une nette prééminence du rouge
(avec en préambule une rencontre avec le mythique acteur nippon
Sonny Chiba, interprète du Street Fighter, et qui reprend son
rôle ici, dans une série de films ultraviolents produits
dans les années soixante dix, films dont il était fait
référence dans True Romance de Tony Scott, là encore
sur un scénar initial de QT) et même une scène en
ombres chinoises sans compter les hommages au Frelon vert, série
kitschissime avec Bruce Lee, Kung Fu (idem, mais avec David Carradine),
aux films de Fukasaku, de Suzuki
son film est un patchwork qui
ne ressemble à rien d'autre qu'à lui-même, une uvre
shootée à la cinéphagie la plus hétéroclite
irradiante d'envie, de suffisance aussi, une sorte de divertissement
ultime et protéiforme qui se grave dans les spectateurs, qui
nécessite d'eux une implication totale (un renoncement) pour
en apprécier toutes les nuances cachées, toutes les saveurs
insoupçonnées. Le jeu de Uma Thurman en est un exemple
: d'un personnage relativement unidimensionnel elle fait sortir des
émotions multiples, elle enrichit " gracieusement "
son rôle de vengeresse en en faisant une femme qui, bien que fermement
décidée à accomplir sa destinée, a une vraie
existence, qui ne se définit pas uniquement par ses actes. Elle
nous rend sympathique cette Black Mamba aux noirs desseins.
Rien n'est neuf mais rien ne sent le réchauffé, grâce
aussi au montage ludique (une marque de fabrique chez Tarantino) qui
juxtapose sur la pellicule des évènements qui appartiennent
à des chronologies différentes, mais sur lesquels cette
mise en contact sauvage apporte des éclaircissements. Bref, ce
film est un spectacle visuel, avant tout, un divertissement riche et
faussement linéaire, violent, drôle, fascinant, référencé,
plein et dense, equilibré
pour qui accepte de se laisser
emporter, ce Kill Bill vol.1 est inoubliable. Mention spéciale
au mixage de la BO, exécutée de main de maître par
le roi du platinage artistique, The RZA (ex Wu Tang Clan).
KILL BILL Vol. 2 de Quentin Tarantino. 3*. Suite
et fin de la terrible vengeance de Black Mamba sur ses anciens compagnons
d'arme. Après O-Ren Ishii et X, c'est le tour de Budd, Elle Driver
et enfin Bill. Comme dans le premier, Tarantino brouille la chronologie
de cette anti-quête, il digresse, avec moins de bonheur que dans
le premier opus, et nous promène dans l'apprentissage de B. avec
un vieux maître chinois et dans la répétition, laborieuse
à tous points de vue, du mariage (juste avant le carnage initial).
On fait même connaissance avec sa fille B.B., qui a survécu
au meurtre raté de sa mère.
Il semble que le film ait souffert de sa séparation en deux tomes
: en effet si le premier a un équilibre parfait, découenné,
le second pâtit de longueurs assez rédhibitoires. Certes
l'humour, parodique fait passer la sauce, mais les ruptures de rythme
sont pesantes. Peut-être faut-il les voir comme un hommage appuyé
aux films dont s'est inspiré le metteur en scène (les
vieux films d'arts martiaux chinois, contenant tous, ou presque ce type
de séquence d'apprentissage aux forts relents spiritualistes
" toc ", ou les westerns de Leone, " Il était
une fois dans l'ouest " plus particulièrement, pour la séquence
du mariage où la tension monte progressivement alors qu'il ne
se passe rien, on a juste la sensation de l'inéluctable tragédie*)
en fin de compte on réalise qu'on n'a rien appris de nouveau
sur le personnage de Black Mamba. Pour Bill par contre on apprend qu'il
est le père de l'enfant, que Budd est son frère. C'est
peu pour 140 minutes. Même la musique déçoit : en
dehors des emprunts répétés à Ennio Morricone
le peu de musique originale passe quasi inaperçu. Heureusement
les combats, chorégraphiés avec maestria par Yuen Wo-Ping,
sont toujours aussi impressionnants et dynamiques, d'une grande violence.
Je n'ai pas grand chose d'autre à dire concernant ce second opus,
si ce n'est que je suis intimement persuadé que le film mérite
mieux que cette configuration en diptyque ; il aurait fallu remonter
l'ensemble, mélanger tous les chapitres, écrémer
ça et là
enfin, je ne suis qu'un spectateur un peu
déçu par cette mouture-là.
Cf. la scène du massacre de la famille par la bande de tueurs
dans le film de Leone
KITCHEN STORIES de Bent Hamer. 2*.Dans la Norvège des
années 50, un bataillon de Suédois débarque dans
un petit bled avec leur Volvo et leur caravane aux lignes arrondies.
Ils sont envoyés par un scientifique étrange, spécialiste
des comportements ménagers dans le but d'étudier les déplacements
d'une tripotée de consommateurs cobayes à l'intérieur
de leur cuisine. Trônant sur une chaise surélevée
placée dans un coin de cette cuisine, ils doivent observer et
consigner par écrit toutes les allées et venues de leur
sujet, sans jamais chercher à communiquer avec eux. Le film va
suivre l'un d'eux, Torfe, assigné au domicile de Isak, un vieux
bonhomme solitaire. Entre les deux hommes les rapports vont inévitablement
évoluer : d'une curiosité réciproque teintée
de malaise ils vont s'acheminer vers une sorte d'amitié, chacun
découvrant alors la chaleur d'une relation humaine fortuite,
comblant par-là une bribe de leur solitude respective.
D'emblée le cinéaste se place dans le registre de l'absurde.
La situation déjà, l' "espion " perché
sur sa chaise d'arbitre, qui ne pipe mot et qui toise son cobaye du
lever au coucher du soleil, et le dit cobaye qui tente vainement de
faire comme s'il était seul dans sa cuisine. Mais le Suédois,
tout observateur qu'il est, est un homme, c'est une présence
humaine, et dans la vie de ce vieux loup, c'est une chose assez rare.
Probablement un peu agacé par le mutisme de l'autre, il va à
son tour se mettre à l'épier, par le biais d'un trou foré
à l'aplomb de la chaise. Ajouté à cela une poignée
de gags, comme le superviseur de l'expérience qui passe son temps
en avion à boire et à s'envoyer en l'air ou l'ami de Isak,
qui, jaloux de l'importance que semble avoir pris Torfe dans la vie
de son vieux camarade, décide d'abandonner sa caravane sur une
voie ferrée en pleine nuit, alors que le Suédois dort
dedans
Bref, l'humour pisse-froid scandinave (qui joue notamment sur la durée
des scènes où il ne se passe presque rien, et où
la banalité de ce qu'on voit finit par devenir absurde à
force d'insistance et d'invariabilité) a été mieux
utilisé, plus drôle, qu'on pense par exemple à Kaurismaki.
Le déroulement des faits est un peu prévisible mais il
y a une vraie dimension humaine dans les liens que tissent les deux
hommes, une réelle sympathie. Ca permet de reléguer au
second plan l'esthétique clinquante, pubesque du film avec son
insistance sur des détails matériels (le décorum,
le package 50's) et sa bande son sur-audible, il ne manque plus que
le son grésille et que l'image tressaute pour faire film d'époque.
Kitchen stories est un petit film amusant et simple (dans son contenu),
pas désagréable du tout.
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