Cheminant entre les films et les écrits des années 1920, Éric Thouvenel, maître de conférences en études cinématographiques à luniversité Rennes 2, éclaire les raisons historiques de l'engouement du cinéma pour les images de leau. Il montre comment presque tous ceux quintéressait le dernier né des arts ont vu dans les formes infinies de leau un puissant vecteur dimaginaire, apte à susciter des représentations nouvelles et des réflexions audacieuses sur le dispositif cinématographique lui-même.
Le livré étudie un corpus de 73 films réalisés entre 1917 et 1930. Il fait la part belle aux avant-gardes françaises des années 20. Tous les réalisateurs de La première (Louis Delluc, Germaine Dulac, Marcel L'herbier, Abel Gance et Jean Epstein), comme de la seconde, dite picturale (Fernand Léger, Man Ray Moholy-Nagy) et de la troisième avant-garde, dite documentaire (Vertov, Ruttmann, Kirsanoff, Jean Vigo, Joris Ivens , Jacques Feyder) sont étudiés. Le livre fait également la part belle à Jacques de Baroncelli et à des cinéastes dont les films sont peu vus comme Alberto Cavalcanti, Henri Frescourt, Henri Chomette, René Leprince, Louis de Charbonnat, Mario Bonnard, André Sauvage ou Gaston Roudès.
Dans un premier temps, le livre dresse différentes cartographies possibles
des représentations de l'eau. Les films du corpus peuvent ainsi être
classés en films de péniches, films de montagnes, marines, documentaires
sociaux, films d'avant garde. On peut aussi distinguer les hauts lieux de
l'imaginaire aquatique : le cours d'eau, le port ou l'imaginaire du voyage,
le rivage ou l'expérience des limites, l'île et le phare ou les
territoires indécis, le jet d'eau ou la ruse du motif.
Eric Thouvenel entre ensuite dans les différentes fonctions possibles du motif aquatique. Comme surface, eau réflecteur privilégié de la lumière, il retient ainsi trois fonctions possibles. L'eau miroir : en tant que doublure des choses, le reflet dans l'eau accuse immédiatement sa parenté avec le dispositif cinématographique. Dans L'inondation de Delluc, pendant que la crue du Rhône métamorphose les champs en mares et les routes en cours d'eau, le réel englouti se voit substituer sa propre image réfléchie. La lumière devient plus contrastée qu'avant la crue produisant des noirs opaques et des blancs aveuglants, rendant les contours malaisés à distinguer. L'eau miroir produit quatre types d'effets : la désillusion, le brouillage, l'opacification (dans Pluie, le mouvement des gouttes effacent le reflet afin de n'exister que pour lui-même), l'absorption (la fin de La coquille et le clergyman)
Quand les rayons lumineux frappent la surface de l'eau avec tant de force que tout ce qu'ils donnent à voir est de l'ordre du scintillement ou de la tâche, l'eau devient alors non plus un miroir mais un écran qui renvoie à la lumière son propre excès. Sous son aspect eau écran, la surface de l'eau ne fabrique plus un miroir mais un écran.
L'eau tombe est la fonction de l'eau lorsqu'elle ne restitue rien de la lumière. Cette fonction est peu utilisée dans le cinéma des années 20 où les conditions techniques ne permettent pas de suivre le parcours des corps dans des plans sous-marins.
Sont aussi analysées les fonctions de l'eau non plus comme surface mais comme seuil et motif médiateur.
Une troisième partie est consacrée à L'eau et la figuration du mouvement, ou comment penser en mots et en images les puissances du cinéma comme art visuel. Sont examinés le rôle de l'eau dans les théories cinématographiques et la notion de perception liquide proposée par Gilles Deleuze.
Cet essai de théorisation critique est complété d'annexes fort utiles : un lexique des termes liés à l'eau dans les écrits sur le cinéma français, les films ayant trait à l'eau projetés mais non réalisés, les films perdus, une bibliographie et un index des noms et des titres.
Presses universitaires de Rennes. Collection : Le Spectaculaire. 336 pages au format 17 x 21 cm, illustrations N & B. 18 €