La cinéphilie fut une passion française, dévorante et exigeante. Voir des films par centaines, seul ou en bande, mais aussi en discuter, écrire, rencontrer les réalisateurs, fonder des revues, animer des ciné-clubs, se réunir, se combattre : c'est ainsi qu'à Paris, entre la Libération et 1968, les grands cinéastes du XXe siècle connurent la gloire. La cinéphilie a en effet, pour une bonne part, " fabriqué " Alfred Hitchcock, Howard Hawks, Roberto Rossellini, Jean Renoir et autres cinéastes, les plaçant au rang d'auteurs et d'intellectuels qui, à l'instar d'Aragon, de Picasso ou de John Cage, ont fait la culture du XXe siècle. Mais qui étaient ces cinéphiles ? Antoine de Baecque trace ici les portraits de ces jeunes " mordus du cinéma " devenus critiques, cinéastes eux-mêmes, écrivains et journalistes : André Bazin, Eric Rohmer, Henri Langlois, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Serge Daney, notamment. Il saisit ces grandes figures dans leur vie, leurs passions et leurs combats, au-delà même du cinéma et de son histoire : ces cinéphiles, influencés par le surréalisme, l'existentialisme, la littérature, le structuralisme, posent en effet un regard différent sur les idées, les arts et les grands débats des années cinquante et soixante. Fondé sur le dépouillement d'archives privées, de trésors cinématographiques (les fonds Truffaut, Bazin, Sadoul, Langlois), et de revues fondatrices (L'Ecran français, les Cahiers du cinéma, Positif, Les Lettres françaises), cet essai reconstitue l'épaisseur des contextes intellectuels et politiques, et propose, à travers une douzaine de portraits de cinéphiles, de groupes, de revues et d'auteurs, la première synthèse sur la cinéphilie française en son âge d'or. Une manière d'ouvrir et d'illustrer, et avec quel brio, une autre histoire culturelle de notre temps.