Editeur : Carlotta Films, décembre 2007. Nouveau master restauré.
Suppléments :
Otsuka, un mineur sans abri et son jeune fils errent pour trouver du travail.
Au cours de leur voyage, ils sont photographiés de loin par un mystérieux
homme vêtu de blanc. Le mineur arrive dans un village fantôme, abandonné depuis
la fermeture de la mine, où demeure la propriétaire d’un magasin de confiseries,
une femme traumatisée par la disparition de son fiancé dont elle attend toujours
des nouvelles. ..
Premier long-métrage de Hiroshi Teshigahara, Le Traquenard marque aussi sa première collaboration avec le romancier et dramaturge Kôbô Abe. Magnifiquement filmée au coeur d’une ville minière abandonnée, cette oeuvre est à la fois une critique socio-réaliste et une histoire de fantômes dérangeante. En examinant les thèmes de l’aliénation, des droits sociaux et de l’identité, Teshigahara évoque ses influences européennes à travers le cinéma de Michelangelo Antonioni (Le Désert rouge) et d’Alain Resnais (L’Année dernière à Marienbad).
Le film étonne par ses audaces visuelles et ses plans très particuliers. Teshigahara construit un personnage féminin en la présentant allongée, de dos, presque collée à l'objectif et où seules les courbes de son corps assurent l'harmonie du cadre. Quant au découpage, Teshigahara préfère contourner les conventions : en choisissant par exemple un plan fixe général d'une montagne au lieu d'un traditionnel contrechamp sur le visage d'un acteur...
Chez Teshigahara, la douleur se lit d'abord sur les corps. Une respiration ou un corps entièrement mouillé par la sueur en dit plus long sur le sentiment de peur qu'une simple réplique.
"On a commencé par les mines. On finira dedans. On prend tout ce qui vient même si c'est pire, jusqu'à s'effondrer". " Tu as mangé avant de mourir ? "-Non ", "- Trop tard, tu vas mourir de faim pour l'éternité "Les premières répliques traduisent déjà le pessimisme des personnages qui préfèrent mourir plutôt que subir leur triste condition humaine. "Suis-je mort ?" se questionne le héros après s'être relevé comme par magie tel un zombie. Les protagonistes ont une véritable fascination pour la mort. Le seul dessein de l'homme étant de se laisser vivre jusqu'à la mort.
L'enfant amorphe qui vient de supplicier une grenouille découvre son père mort avec aussi peu d'émotion que lorsqu'il torturait l'animal. Parallèlement, le film exprime tout l'intérêt que les humains ont de ne pas interagir avec leurs semblables. L'incommunicabilité n'est pas une fatalité, elle est née d'un véritable désir chez les personnages de Teshigahara. Quelques plans tirés de documents réels placés au début (blessés, hommes morts, gamin ventru) accentuent cette vision tragique : seule la mort peut délivrer l'homme. Un discours pessimiste qui prendra une toute autre résonance et qui sera moins tragique grâce à la partition de Takemitsu et au travail de l'ingénieur du son. L'étrangéité traduite par la bande son jusqu'au bruits extérieurs de l'eau (recréés en studio) offre une dimension surnaturelle et artificielle au film. En choisissant de retransformer les sons des éléments naturels en matériau sonore étrange, le cinéaste accentue l'aspect cauchemardesque et fictif du film et minimise la tragédie humaine vécue par les protagonistes, bien que certaines scènes soient paradoxalement ancrées dans une réalité brute digne de Rossellini (scènes de ports, de mines, de grèves, etc.)
Une touche de classicisme vient par ailleurs s'imposer dans la narration : l'homicide puis sa progression vers une résolution devient le fil rouge du film. Mais la modernité ne cessera pour autant d'être présente : parcours caduque d'un homme mort à travers un récit improbable et fragmenté. Un monde où on cesse de s'émouvoir, où tout est machinal, technique, biomécanique. Par ailleurs, l'enquête des policiers ressemble plus à un jeu qu'à une investigation passionnée, édifiante et morale. Le film dépeint un monde où la Mort a cessé d'intriguer, où les Morts disent " qu'importe les vivants " et les vivants " qu'importe les Morts ". Les deux mondes sont inversés. La mutation du misérable protagoniste en mort-vivant (il vient d'être poignardé par un homme au complet blanc) nous paraîtra d'ailleurs moins " fantastique " que la façon dont est peinte la réalité chez Teshigahara. La scène de meurtre parait plus surréaliste et étrange que la résurrection pourtant inattendue du héros.
La cinquantième minute du film marque le retour d'une écriture filmique plus traditionnelle. La bande originale moderne et minimaliste de Takemitsu disparaît. Une intrigue semble émerger... Même la femme-témoin est volontairement " formatée ", transformée en personnage traditionnel de fiction. Ces deux minutes de narrations sont perçues comme très étranges car subitement très " normées ", très " codifiées " mais le retour à l'étrangéité refait vite surface lorsque Teshigahara choisit de filmer ce personnage de femme solitaire trempée par la sueur en robe mouillée collée au corps. Pour Teshigahara, ce corps doit être immense de sensualité (gros plans et contreplongées magnifiques). Un corps géant mythifié qui étouffe le cadre... S'ensuit un viol gauche par un policier maladroit, puis deux corps lourds qui se cognent et s'écrasent au sol, sans aucun cri ni lutte apparente Une scène de viol unique et étrangement gracieuse !
Le fantôme qui assiste, impuissant, à l'enquête de son propre meurtre rejoint la femme qui s'observe, à son tour, morte. Si la femme est dépeinte comme un immense corps dans des cadres étouffants, l'homme est filmé comme un petit corps vulnérable perdu dans une immensité. Le film est par ailleurs jubilatoire grâce à une intrigue et une histoire de sosie qui mène à des quiproquos intéressants qui pimentera les dix dernières minutes. L'hypothèse de l'homme au complet blanc est glaciale : en tuant de manières stratégiques deux individus (marginaux ou misérables) au moment et au lieu opportun, on peut amener d'autres individus à s'entretuer.
Dans les derniers plans, l'enfant qui vole des friandises près de la vendeuse décédée finit par pleurer : première émotion claire d'un personnage qui apparaît enfin à la dernière minute. L'uvre allégorique et désespérée se transforme alors en un film humaniste.
Tommy Lee Lux le 8/12/2007
En 1959, lors d'un voyage à New York, le cinéaste japonais filme en 16mm
le boxeur portoricain José Torrès, poids moyen très prometteur de 22 ans qui
n'a perdu aucun combat.
Ce film, qui marque par ailleurs la première collaboration entre Hiroshi Teshigahara et le compositeur Toshi Takemitsu, s'ouvre par une très belle séquence située dans une salle de gym des faubourgs de New York. " Les boxeurs de cette salle ont un style particulier. Ils protègent leur visage avec leurs mains et leur corps avec leurs coudes. Cette position s'appelle Peekaboo. Elle consiste à cacher son visage et à crier " Boo " !
La qualité de ce documentaire réside dans l'exaltation du cinéaste à présenter son sujet. Le film devient lyrique dès les scènes d'entraînement et poétique grâce à la musique moderne de Toru Takemitsu. La détermination, la résolution, la confiance et l'ego sont les thèmes centraux explorés par le cinéaste tout au long de ce film de 25mn. C'est plus l'inébranlabilité et l'invulnérabilité du personnage de Torrès qui intéresse Teshigahara plutôt que les règles de la boxe ou les stratégies de combat. C'est la puissance de la présence de Torrès érigé comme " personnage " qui est magnifié par le cinéaste. Cette volonté de dominer la peur (la peur n'est pas un ennemi mais un allié) et de dominer les membres de son corps avant de neutraliser son adversaire devient vite le sujet principal du film.
Le film se clôt avec l'indispensable combat final où l'on voit se jeter dans l'arène notre golem fascinant, libre, modèle de puissance inébranlable mythifié par un cinéaste qui ne cessera de confronter dans son uvre les désirs de ses personnages aux dures lois de la réalité. Le combat de boxe est fascinant : deux machines de guerre s'affrontent, deux styles, deux écoles, deux postures dont l'une impressionnera pas ses attitudes " animales " (un homme courbé au visage caché) et l'autre par son caractère souverain.
Dans le Harlem des Portoricains, le boxeur José Torrès est accueilli comme un Dieu vivant. Le cinéaste s'intéresse à la chorégraphie visuelle du boxeur José Torrès et aux rapports humains et amicaux entretenus avec son coach. La présence de José Torrès, monolithique, au regard mélancolique transcende le film de A à Z.
Hiroshi Teshigahara montre sa fascination pour les mouvements corporels de José Torrès. Ce corps qui danse, pivote, saute, se baisse, esquive, s'allonge, se courbe, est le véritable sujet du film. Dans un camp retranché dans le New Jersey, l'athlète se prépare intensivement pendant deux mois. Des formules secrètes pour devenir le plus performant et le plus innovant des poids mi-lourds lui sont proposés. Dans une sorte de laboratoire géant, Torrès expérimente les découvertes de son coach. La plus impressionnante et la plus cinématographique des innovations expérimentées par Torrès est celle de la méthode à 6 chiffres qui consiste à mémoriser après avoir inscrit sur un corps factice des chiffres qui correspondent aux points faibles du système nerveux : 1 et 2 pour le menton, 4 pour le cur, 5 pour le foie et 6 pour les reins. Ce dispositif génial a été inventé pour préparer Torrès à un combat contre Willie Pastrano. " Cette méthode permet d'acquérir une parfaite maîtrise des différents types de coups " explique l'entraîneur devant un parterre de journalistes médusés. La progression se fait sous nos yeux : il arrivera à enchaîner en 2/5e de seconde 5 à 6 coups sur les chiffres ! Une démonstration achèvera par convaincre le spectateur absolument fasciné lorsque " Cus " l'entraîneur, véritable personnage du film, dicte à son boxeur une combinaison de 5 chiffres pour étonner la presse ici présente : " six one two one two ! ", " one two five six five ! " tandis que Torrès s'exécute comme un robot.
Norman Mailer fait son apparition dans la salle d'échauffement peu avant le combat final. A la première seconde, il cesse d'être Mailer pour devenir à son tour un personnage de cinéma : cet ami intime, célèbre intellectuel subversif, montre sa fascination pour Torrès et vient pour faire le point sur son adversaire : " au 2e round, ils se sont mis des coups dans l'estomac, il a d'abord dominé puis les rôles se sont inversés, il s'est fatigué très vite. "
Tous les détails de la préparation du boxeur portoricain sont
filmés par le cinéaste : rituels, échauffement, exercices,
stratégies, divers positionnements, pour un très beau film sur
la boxe qui peut être, par ailleurs, considéré comme un
document historique et didactique. A la 20e minute, le combat tant attendu
débute pour 35 minutes de bonheur et de suspense où la voix
off et quelques flash-backs interviennent pour rappeler au spectateur ce qu'est
véritablement le monde de la boxe en 1965 : la mainmise de la mafia,
les différentes pressions des mafieux pour récupérer
José Torrès et évincer son coach
Carlotta-Films
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présente, également disponible dans
Coffret Hiroshi Teshigahara,
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