Editeur : Carlotta Films, décembre 2007. Nouveaux masters restaurés. DVD1 : La Femme des sables version intégrale inédite. DVD2 : La Femme des sables version cinéma, Tokyo 1958, Sculptures de Sofu-Vita, Ako.
Suppléments :
Junpei Niki ,un instituteur collectionneur d'insectes des sables, observe
et capture des spécimens au bord des côtes. Un villageois lui annonce que
le dernier autocar pour la ville est passé et l'invite à passer la nuit dans
une hutte délabrée habitée par une jeune veuve. Au bord d'une fosse, l'homme
repère une échelle pour rejoindre une femme qui l'invite à descendre.
Pour fuir la société moderne dans laquelle il vit, un homme se perd dans un désert de sable. "Croyez-moi, tout pourrit ici !" prévient l'étrange femme devant son invité médusé par le dépaysement et la cuisine locale.
une exploration de la condition humaine sensuelle et étouffante
Lorsque les deux êtres font l'amour en guenille tout en étant maculés de blanc sableux, on croit assister à une danse mortuaire. Les deux amants ressemblent à deux zombies. Le retour à la vie sociale et moderne est devenu impossible pour ces deux êtres qui sont condamnés à vivre ensemble dans une fosse qui se remplit de sable jour après jour. Quelques villageois les observent comme des insectes et leur donnent de temps en temps de quoi survivre. Les deux protagonistes se retrouvent alors tributaires de quelques humains cruels qui jouent les démiurges et qui poussent l'infamie jusqu'à les contraindre à se donner en spectacle dans des scènes d'ébats humiliantes et avilissantes.
Le héros avait un objectif très clair dans sa vie d'homme civilisé : découvrir un spécimen d'insecte bien particulier (les cantharides) pour voir son nom figurer dans une encyclopédie de spécialistes. "Si j'en capture, cette espère portera mon nom". Pour s'échapper du trou dans lequel il se voit piéger, il doit louvoyer et faire croire à la complicité grâce à des échanges tantôt charnels, tantôt intellectuels, avec cette femme des sables. " Pour une femme seule, la vie est impossible " dit-elle. L'homme qui désirait échapper à l'emprise de sa propre femme se retrouve condamné à construire une nouvelle vie de couple avec une femme qu'on lui impose. La clé, pour échapper à l'aliénation, est de recréer un contexte qui favorise l'entente.
Le défi est d'autant plus difficile que le personnage féminin est une créature quasi-mythologique et omnisciente. Mais ses craintes sont aussi fondées sur des inquiétudes universelles, humaines et triviales. L'homme observe en premier lieu les petits rituels et les diverses actions de cette femme comme s'il s'agissait d'un animal, puis se résout à communiquer avec elle afin d'accepter sa condition de captif.
Croyant retrouver l'authenticité du monde et sa vérité dans un no man's land absolu, l'homme découvrira que le monde archaïque et primitif a des lois qui ont beaucoup plus de similitudes avec la civilisation moderne qu'il n'y parait : les rapports sociaux et la vie de couple ont ainsi été rejoués à travers un psychodrame terrifiant. " Pas besoin de m'enfuir, mon billet de retour est encore valable. ". Après cette série d'épreuves initiatiques remarquablement sensuelles, traumatisantes et étouffantes, l'homme décide au final de ne plus revenir dans le monde civilisé.
Adapté de son propre roman par Kôbô Abe, accompagné d’une musique dissonante et minimaliste du grand compositeur avant-gardiste Toru Takemitsu, et présenté pour la première fois dans sa version intégrale et inédite en France, La Femme des sables a remporté le Prix spécial du Jury à Cannes et a été nommé deux fois aux Oscar.
Tommy Lee Lux le 10/12/2007
Ce documentaire écrit par le chroniqueur de cinéma Olivier Bitoun propose une analyse du film La Femme des Sables (1964) accompagné par la voix off d'Alice Mitterrand.
Le film se développe autour de deux parcours : un parcours physique (l'homme fuit) et un parcours mental. L'homme doit trouver sa place pour accéder à la liberté mais il a d'abord besoin de se retrouver en tant qu'individu. Dès la première partie, la caméra le suit dans une forme documentaire et souligne le chaos mental dans lequel il se trouve. Vers le milieu du film, il accomplit la trame physique en parvenant à s'évader par la trame mentale (trouver la liberté intérieure). Pour aller au bout de son parcours, un retour à la fosse est inéluctable. Mais comment atteindre sa vraie liberté ? A la fin du film, on assiste à la renaissance d'un homme. Il faut lire la trajectoire cohérente dans le désert comme un reflet de sa victoire intérieure. La liberté est alors en lui et n'est plus un absolu inaccessible. Outre le travail de Teshigahara sur les jeux de miroirs, la présence d'éléments symboliques balise le film et résonne en nous de manière profonde. Il y a d'abord cet homme qui est oppressé par la vie moderne et qui s'imagine avoir échappé un temps à cette société aliénante. L'image de la liberté est contrecarrée par le plan d'un bateau enfouis dan le sable. Quant aux insectes, ils sont des modèles de survie en milieu hostile. D'autres analogies sont proposées : sable / destin, etc. Olivier Bitoun termine son analyse par une très belle réflexion sur le Mythe de Sisyphe. La Femme des Sables est une forme de variation sur le Mythe de Sisyphe. " Si la vie n'a pas de sens, la lucidité de l'homme sur sa condition l'autorise cependant à vivre harmonieusement. Les Dieux croient punir Sisyphe en le condamnant à rouler pour l'éternité une pierre en haut d'une Montagne. Seulement, Sisyphe est heureux car il accepte son destin absurde et accepte le monde " explique Olivier Bitoun. " La lutte contre la condition humaine est une lutte futile qui ne peut amener à la paix intérieure " disait le romancier Abe Kôbô. Pour Camus, " il faut que chaque homme trouve quelque chose à faire et ce quelque chose suffit à le définir en tant qu'homme. Trouver un but à accomplir avec passion suffit à donner un sens à sa vie. "
Le parcours protéiforme de l'artiste japonais par Julie Brock*, professeur à l'institut de technologie de Tokyo et spécialiste de Kôbô Abe.
Kôbô Abe est né en 1924 à Tokyo et a fait des études de médecine à l'Université. Il obtiendra un diplôme mais n'exercera jamais. Son entrée dans le monde littéraire se fait par l'intermédiaire de groupes d'écrivains. En 1948, deux nouvelles font parler de lui dans le monde littéraire. L'une d'elles décrit la transformation progressive d'hommes en végétaux (uvre comparée à Kafka et au cubisme). L'autre nouvelle, " Le Cocon Rouge ", qui est actuellement au programme dans les lycées japonais raconte l'histoire d'un homme qui rentre chez lui, le soir, fatigué, nostalgique et qui petit à petit va s'envelopper dans un cocon. Parallèlement, l'activité politique de Kôbô Abe est importante en 1951. Il entre au parti communiste bien que ce parti soit quasi inexistant à cette époque. A l'époque, le concept littéraire et philosophique qui est à la mode est l'Humanisme. Mais Kôbô Abe prend le contrepoint et explique qu'il n'a aucune confiance dans les êtres humains. On dit alors de lui qu'il est nihiliste, terme qu'il refuse. Par ailleurs, l'auteur développe une uvre théâtrale abondante qui aura beaucoup de répercussion sur la suite de sa carrière. En 1955, trois de ses pièces de théâtre sont mises en scène au Japon et remportent beaucoup de succès : " Uniforme ", " Bateau Express " et " La Chasse aux esclaves ". " On dit souvent que les morts ne parlent pas. Pour qui n'a pas peur de les écouter, on sait bien que les Morts parlent " disait Kôbô Abe. Les critiques le taxent de schizophrène. En 1957, il publie " Les Bêtes sauvages se dirigent vers le pays natal " et développe l'idée qu'il existe une fuite perpétuelle. " L'endroit où l'on se dirige est l'endroit où l'on se trouve. On est déjà arrivé avant d'être parti. " Ce sera une grande idée récurrente de son uvre. 1962 sera l'année de la publication de " La Femme des Sables ". " Ce que montre cette uvre, c'est l'essence même de la politique contemporaine du Japon. L'État Japonais récupère tout : il récupère les idées, la littérature, l'art que peut-on faire dans un état qui récupère tout se demande les artistes ? " s'interroge Julie Brock. Abe Kobo a vraiment apporté une solution par la création. Et cette liberté de création enthousiasme le lecteur de cette époque. Dans l'uvre de l'auteur, deux abstractions se juxtaposent : l'abstraction de l'être humain dans sa solitude (immense et totale) et l'abstraction du monde extérieur (univers abstrait, celui de la grande ville). C'est dans la juxtaposition des deux, que se produit quelque chose de nouveau. En 1973, il créé un studio de théâtre et en 1979, il tourne un moyen métrage intitulé " Le petit éléphant est mort " dont il signe aussi la musique. Son film sera reçu avec enthousiasme aux États-unis. En 1993, il meurt en laissant un roman inachevé et laisse un texte sur les projets qu'il n'a pas réalisé. Aujourd'hui, Abe Kôbô n'est pas du tout reconnu à sa juste valeur au Japon.
* Julie Brock a travaillé sur les rythmes et les jeux phoniques dans les poésies des pays d'Asie, et a proposé une étude sur la structure du roman " Le Visage d'un autre " d'Abe Kôbô. Elle s'est interrogée sur la liberté du traducteur et la fidélité au texte poétique et s'est intéressée à d'autres auteurs japonais comme Katô Shûichi.
Mathieu Capel, jeune traducteur spécialiste de la Nouvelle Vague Japonaise, expose le parcours de Teshigahara, ses influences multiples, ses nombreuses collaborations, ses succès et ses échecs, ses thèmes récurrents. Dans un dispositif frontal et dans un décor exotique, Mathieu Capel s'adresse à nous pour nous faire part de sa passion pour le maître. Ce film de 23 minutes réalisé par Nicolas Ripoche est entrecoupé d'extraits d'uvres du cinéaste.
Mathieu Capel explique pourquoi le père du réalisateur a pu être à la fois un répulsif et un modèle pour sa carrière. Hiroshi Teshigahara a eu cependant nettement moins de souci d'argent que la plupart de ses contemporains grâce aux ressources de son père, ce qui lui a permis de conserver tout au long de sa carrière cinématographique son indépendance et une certaine liberté dans la production de ses films et dans le choix de ses collaborateurs. Autour de lui, on peut reconstruire toute la scène de l'avant-garde de l'époque, tout un réseau. Il a choisi ce mode d'expression pour cet aspect collectif, synthétique et art total (graphistes, poètes, musiciens sont associés à ses uvres). Les années de formations sont importantes pour saisir son parcours (1944 à 1959) depuis son passage à l'école très académique des Beaux-Arts de Tokyo. L'art informel à cette époque (Sam Francis, Pollock, George Mathieu) le dépasse un peu. Seul, le cinéma va lui permettre d'arriver à une pratique subjective. En 1953, il fonde une boîte de production et s'introduit dans le cinéma indépendant. On lui confie alors le projet d'un film inachevé sur " Hokusai ". Il en fait un film très personnel. Il apprend ainsi les rudiments de l'art cinématographique au service d'une pratique résistante. Le premier projet dont il est vraiment à l'origine est " José Torrès " en 1959. Il filmera et montera lui-même le film. Quant à son premier long, qui sera tourné en deux mois en 1962, il provient d'un scénario d'Abe Kobo (" Traquenard "), déjà adapté à la télévision en 1960. Grâce au cinéma, il va pouvoir intégrer et exprimer ses préoccupations politiques qui correspondent au contexte de l'époque. En 1964, " La Femme des Sables " est distribué par la Toho dans le circuit de distribution des films étrangers (cas unique au Japon) et échappe au double programme. Il va connaître le succès que l'on sait à Cannes. Les recettes au Japon dépassent d'ailleurs toute espérance. Dans " Le Visage d'un autre " défilent de nombreux collaborateurs face caméra. C'est un film jubilé auquel participe le sculpteur MIKI Tomio, l'architecte ISOZAKI Arata, le graphiste AWAZU Kiyoshi, le musicien de TAKEMITSU, les acteurs de " Traquenard "et de " La Femme des Sables ". L'hommage ultime est ainsi rendu à ses plus grands collaborateurs. Après quelques échecs, il décidera de s'éloigner du monde du cinéma et deviendra un maître dans la céramique et l'installation. Les films de Teshigahara n'ont pas véritablement ouvert d'espace critique aujourd'hui. Mathieu Capel s'interroge : est-ce liée au manque de contraintes, à la forme allégorique de ses films, aux horizons politiques mal compris ?
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Carlotta-Films
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présente, également disponible dans
Coffret Hiroshi Teshigahara
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