Editeur : Carlotta-Films. Juillet 2013. Nouveau master restauré haute définition. DVD 17 €. Blue ray, 20 €

Suppléments :

  • Désillusions (27 mn) Jean-Baptiste Thoret, critique et historien de cinéma, revient sur les personnages clés et leur évolution dans le cinéma de Sidney Lumet, sur sa trilogie new-yorkaise et compare Contre-enquête au roman d’Edwin Torres. .
  • La bande-annonce

Mike Brennan est un flic reconnu et admiré par ses pairs. Une nuit, il abat de sang-froid le gangster Tony Vasquez. Plusieurs témoins confirment qu’il a agi en état de légitime défense. Pourtant, le substitut du procureur Al Reilly, chargé de confronter les témoignages et de rédiger le procès-verbal, ne tarde pas à avoir des doutes sur la véracité des faits…

Q. & A., le titre original, est l'abréviation de Questions and Answers, roman écrit en 1977 par Edwin Torres, un des premiers district attorney d'origine portoricaine et aujourd'hui juge à la cour suprême de New York. Lumet adapte assez fidèlement le roman. Il supprime toutefois l'aventure en flash-back entre Nancy Bosch et Al Reilly. Le roman est pessimiste et n'offre pas de réconciliation possible entre Al et Nancy. La fin du film est plus ouverte.

Si Lumet atténue le romanesque de l'oeuvre et gomme le contexte des années 70, il accentue en revanche le racisme ordinaire des années 90 avec de multiples insultes raciales qui émaillent le film. Il y a plusieurs lignes de fractures : entre la loi et les hors la loi, entre criminels et policiers, entres les intègres et les corrompus, mais c'est bien plutôt le melting pot américain qui menace sans cesse d'exploser, entre Juifs, Noirs, Irlandais, Portoricains et Italiens.

Contre enquête clôt la trilogie du polar newyorkais commencée avec Serpico (1973) et poursuivie avec Le prince de New York (1981). A chaque fois, un personnage décide de dénoncer la corruption du système. Dans Serpico, c'est au niveau des flics de la rue. Le prince de New York étend la corruption aux mondes judiciaire et politique. Ici, le grand manitou qui chapeaute tout veut devenir procureur général, marche vers le sénat ou la maison blanche.

Lumet, comme presque toujours, met en scène un être qui se croit pur ou veut se purifier confronté à un système qui va le dévorer. Dès le départ pourtant le personnage principal est ambigu. Le spectateur ne sait jamais s'il est aussi juste qu'il le prétend. Lumet laisse flottante l'identification au héros : on ne sait pas si Al est raciste ou non. Le plan qui décida de la vie de celui-ci, le regard porté sur le père, noir, de Nancy, est supprimé. Depuis la rupture, Al meurt à petit feu. Son parcours se fait entre deux voyages en taxis, celui du début où il était pimpant pour se rendre chez Quinn et celui de la fin où il est amoché par les coups de Brennan.

Al s'aveugle sur ses motivations. C'est parce qu'il a reconnu Nancy sur l'une des photos qu'il réunit de nombreux témoins pour retrouver son ancienne fiancée en compagnie de Bobby Texador. Celui-ci, qui a la noblesse de l'ancien délinquant qui veut s'en sortir par amour, devient de plus en plus sympathique alors que le sort de Al, réduit à un rôle d'enfant à qui l'on a cassé ses jouets (voir sa colère finale), finit par laisser indifférent.

 

Désillusions (27 mn) Jean-Baptiste Thoret

Jean-Baptiste Thoret, critique et historien de cinéma, compare Contre-enquête au roman d’Edwin Torres, analyse la spécificité du film, revient sur sur sa trilogie new-yorkaise et les personnages clés et leur évolution dans le cinéma de Sidney Lumet.

Q. & A., le titre original est l'abréviation de Questions and Answers, roman d'Edwin Torres, aujourd'hui juge à la cour suprême de New York, un des premiers district attorney d'origine portoricaine. Le roman date de 19 77 et Lumet gomme le contexte des années 70 et l'aventure en flash-back entre Nancy Bosch et Al Reilly. Le roman est pessimiste et n'offre pas de réconciliation possible entre Al et Nancy. La fin du film est plus ouverte. Les mains de Al et de Nancy ne se rejoignent toutefois pas. Le plan qui décida de la vie de celui-ci est supprimé. En revanche, le racisme ordinaire des années 90, ses insultes raciales sont bien présentes. Si le film possède plusieurs lignes de fractures, entre la loi et les hors la loi, entre criminels et policiers, entres les intègres et les corrompus, c'est bien plutôt le melting pot américain qui menace sans cesse d'exploser entre Juifs, Noirs, Irlandais, Portoricains et Italiens

Lumet est un cinéaste classique, aimant les histoires charpentées et la direction d'acteur (laisse ses acteurs improviser durant les répétitions. Ils testent ainsi le scénario et sont prêts lors du tournage). Il se trouve néanmoins en phase avec le nouvel Hollywood et ses thèmes : la contestation, la mise en doute d'un individu face à un système. Lumet met ainsi souvent en scène un être qui se croit pur ou veut se purifier confronté à un système qui va le dévorer. Chez lui toujours pourtant le personnage principal est ambigu. Le spectateur ne sait jamais s'il est aussi juste qu'il le prétend. Il reste aussi une ambigüité entre la dénonciation d'un système n'est jamais loin ou la délation individuelle ; Judas ou Christ. Al Pacino n'était pas non l'archétype du flic classique. Treat Williams dans Le prince de New York était peu charismatique, neutre. Lumet laisse flottante l'identification au héros : on ne sait pas si Al est raciste ou non. Et finalement la sympathie va vers Bobby Texador qui a la noblesse de l'ancien délinquant qui veut s'en sortir par amour.

Contre enquête clôt la trilogie du polar newyorkais commencée avec Serpico (1973) et poursuivie avec Le prince de New York (1981). A chaque foi, un personnage décide de dénoncer la corruption du système. Dans Serpico, c'est au niveau des flics de la rue. Le prince de New York étend la corruption aux mondes judiciaire et politique. Ici, le grand manitou qui chapeaute tout veut devenir procureur général, marche vers le sénat ou la maison blanche.

Pour Lumet, l'histoire de la corruption, c'est l'histoire de l'Amérique. Les systèmes médiatiques, policiers, judicaires sont foncièrement corrompus. Lumet est loin de la voie classique telle que l'incarne Frank Capra. Dans M. Smith au sénat, on peut croire que le système est, par moment, empoisonné par des individus qu'il faut expulser pour restaurer la pureté du système américain. Dans Douze hommes en colère, Fonda, seul contre onze, arrive à faire triompher la vérité. Mais, déjà, les jurés sont dépendants de leur milieu et auraient pu faire condamner un innocent noir. Plus Lumet progresse dans son œuvre, plus la part sombre va l'emporter jusqu'au désenchantement ou au "Tout ça pour ça". Ni justicier, ni abattu au point de vivre au jour le jour, les héros de Lumet tentent de réagir mais peu à peu perdent leurs illusions et découvrent que ce qu'ils croyaient l'exception est la règle. Il existe un devenir marginal du héros lumetien. Il s'agit toujours au départ d'un personnage au cœur du système, qui en profite et qui est totalement intégré. A la faveur d'un éclair moral, d'un désir de rédemption, d'une prise de conscience, il veut sortir du système et devient marginal. Ce devenir marginal du personnage est différent du marginal de la contre-culture qui est valorisé pour cet état. Lumet au contraire exclut, le marginal du plan. Il n'a pas sa place à l'intérieur du système qui gagne toujours. Il est voué à disparaitre.

 

 

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Contre-enquête de Sidney Lumet