Damian Pettigrew a réalisé cette interview en 1984. Il présente aussi d'autres enregistrements de Ionesco. Celui-ci s'exprime par exemple sur Le roi se meurt. Tout homme est une sorte de roi au centre d'un univers qui lui appartient jusqu'à ce que tout s'écroule. Tout disparaît avec lui. D'abord il a peur, puis il y a de la nostalgie puis il se résigne et, dépouillé de tout, nu, il peut mourir. Il a deux reines, deux épouses qui sont la vie et la mort. Juliette, la servante, le médecin et le garde sont une sorte de chœur. Il ne faut pas tomber dans le drame et garder le ton de la comédie qui devient de plus en plus terrifiant...

François Berreur qui a réglé le spectacle à L'Athénée, Théâtre Louis-Jouvet, en 2005 en reprenant la mise en scène de Jean-Luc Lagarce en 1991, revient sur les options du dramaturge, metteur en scène décédé prématurément du sida en 1995 à l'âge de 38 ans. Ses propos sont soutenus par ceux de Jean-Pierre Han, critique de théâtre et de Yannick Mancel, conseiller artistique au Théâtre du Nord.

Pour cette premier pièce classique montée par avant le succès du Malade imaginaire, Lagarce s'appuie sur la mise en scène célèbre de Nicolas Bataille en 1957 au théâtre de la Huchette qui se voulait fidèle au texte et à l'esprit. Lagarce travaille la pièce telle qu'elle est inscrite dans la mémoire collective et créé par ce décalage un autre comique.

Bataille utilisait un cadre, fermé, clos cadré. Lagarce choisit un espace large, ouvert et casse l'institution théâtrale. Il met en scène un plein air de studio, celui d'un monde de toc qui a oublié ses racines naturelles. Le décor en forme de maison de poupée avec son gazon artificiel vert cru est une nature artificielle, celle d'une petite bourgeoise qui s'approvisionne chez Ikea. Le décor trop petit fait référence à Alice. On est passé de l'autre coté du miroir, la vérité est sur le plateau.

Ce que nos voyons c'est du théâtre, une activité ludique où l'on joue avec le texte, l'humour burlesque du muet, ses musiques aussi jusqu'à la distanciation burlesque de Tex Avery. Il y a des silhouettes typées avec des contrastes et l'arrivée de madame Smith à la hauteur de la haie.

A la distanciation cinématographique s'ajoute celle due à la télévision, aux séries américaines avec les rires enregistrés des spectateurs, avec la coupure pub (ici des noirs lumière) avec une reprise au même endroit avec une action juste un peu avancée.

Ces deux couples sont similaires en étant le contraire l'un de l'autre. Les différences entre l'homme et la femme, les grands et les petits s'effacent devant les similitudes, les mêmes costumes qui disent l'uniformité d'une classe sociale, d'une vie quotidienne, de valeurs, de tics de réflexes, pas d'un individu mais d'une classe, pas seulement britannique mais européenne.

Les didascalies, la partie d'une pièce que les acteurs ne disent pas, les indications scéniques, sont ici portées par la voix de Mary, la bonne, sorte de madame Loyale, madame Didascalie qui incarne la parole de l'auteur, surtout les commentaires de Ionesco parus dans une édition ultérieur de son texte sur ce qui lui posait problème dans la mise en scène de Nicolas Bataille (on embrasse le pompier, dans la comédie de Nicolas Bataille on n'embrasse pas le pompier, cinq semaines environ, et non cinq semaines en ballon).

A la fin, ici, tout explose et les comédiens viennent proposer des fins, toutes les fins imaginées successivement par Ionesco dans ses brouillons. Les gendarmes qui tirent sur les spectateurs et on évacue la salle, l'auteur qui insulte les spectateurs, la pièce qui recommence en remplaçant les Smith par les Martin, fin avec orchestre, fin avec spectateurs qui montent sur la scène, fouille dans les brouillons, apporte au non-sens de la pièce.

Extraits comparées de scènes par Nicolas Bataille en 1957 au théâtre de la Huchette, par Jean-Claude Berutti en 2004 à la Comédie de saint Etienne, par Daniel Benoin au Théâtre national de Nice en 2006

D'autres Le roi se meurt : mise en scène Jorge Lavelli avec Michel Aumont (1978) et mise en scène Odette Collet avec Jacques Mauclair (1968).