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Editeur : MK2. Octobre 2009. Durée du film : 1h55. Format : 1.85. Version Originale Stéréo - Sous-titres : Français. 20 €.
Chengdu, mégalopole et capitale de la province du Sichuan, aujourd'hui. L'usine 420 et sa cité ouvrière modèle disparaissent pour laisser place à un complexe d'appartements de luxe : "24 City". Trois générations, huit personnages : anciens ouvriers, nouveaux riches chinois, entre nostalgie du socialisme passé pour les anciens et désir de réussite pour les jeunes, leur histoire est l'Histoire de la Chine. Huit personnages de trois générations successives racontent leur vie au sein de cette usine de 1945 à 2008. La première génération a connu la première usine et le déménagement à Chengdu en 1958 : c'est le vieil ouvrier et son apprenti, le secrétaire du parti, la fille de cette mère qui ne revit qu'une fois ses parents et la mère qui perdit son enfant lors du déménagement. La seconde génération est représentée par Petite fleur qui a fait sa vie de femme à l'usine. La troisième génération, ce sont les enfants élevés dans l'usine et qui vont en partir : l'adjoint du responsable de l'usine, le présentateur TV et Su Na. Un film parlé C'est probablement pour falsifier le moins possible la réalité que Jia Zhang-ké s'est glissé dans la forme documentaire. Quatre des témoignages répondent à la définition minimum du documentaire : être joué par des acteurs qui interpretent leur propre rôle. Cependant quatre des cinq derniers, souvent parmi les plus émouvants, sont joués par des acteurs professionnels. Il s'agit donc, à l'image des Bureaux de Dieu, d'un drame social très inspiré de la réalité mais totalement reconstruit par son metteur en scène. Il y a certes la volonté, comme chez les plus grands documentaristes qui font rejouer leurs témoignages à ceux qu'ils filment, d'obtenir une image dans laquelle le personnage réel se reconnaisse. Mais la forme parlée du film vaut moins par son pesant de réel mesuré à la stricte adéquation entre l'acteur et le personnage que par sa capacité à porter ces témoignages individuels à la hauteur de l'histoire collective d'un pays. Symbole de cette transformation revendiquée : le fait de faire jouer Petite fleur, ouvrière de l'usine réelle, par celle qui jouait le rôle de Petite fleur, personnage collectif dans lequel chacun s'était soit reconnu soit avait reconnu "la pièce standard de l'usine", soit plus généralement, l'être aimée.
La succession des huit témoignages raconte de manière chronologique la vie de l'usine en commençant par les veilles générations et en terminant par ceux qui se disent soulagés de quitter l'usine. Ce sont toujours les douleurs personnelles qui sont mises en avant alors que la critique sociale se fait discrète. Aucune plainte n'est émise ni par la première des licenciées qui vit difficilement de ses ménages et travaux de couture ni par les ouvriers qui applaudissent la délocalisation de leur usine. Pas de trace de mauvaise conscience non plus chez ces ouvriers d'une usine d'armement qui constatent que les temps sont devenus difficiles après la fin de la guerre du Vietnam. Les témoignages parmi les machines, dans les salles de repos ou au sein de l'espace domestique, sont sobrement mis en scène avec une grande attention aux décors et un éclairage soigné. La progression dramatique porte le film d'une société structurée vers une société qui change, quitte à connaître le déséquilibre. Le dernier plan, vu depuis la tou,r cadre non plus l'usine mais l'immensité de Chengdu selon un angle qui exprime autant l'inquiétude de Su Na que sa possibilité d'y trouver sa place. La condamnation d'un système en bout de course par les jeunes est en effet sans appel. Ce que Jia Zhang-ké avait suggéré par la mise à égalité du secrétaire du parti communiste et ces jeunes jouant au badminton devant une toile peinte à la gloire de l'armée chinoise, par ces salles de culture occupées par de vieux ouvriers jouant aux dominos ou, surtout, par ce chant de l'internationale qui résonne alors que l'usine s'écroule. Mais ce sont aussi les moments de transitions entre les témoignages qui portent le film sur la scène de l'histoire. Les chansons, les poèmes (chinois ou de l'irlandais W.B. Yeats qui s'inscrivent à l'écran), l'extrait d'opéra, la scène de patin à roulette la nuit, les portraits photographiques, la voiture joliment perdue au milieu des champs de colza, tout comme les nombreux travellings latéraux ascendants convoquent un lyrisme en adéquation avec le souffle historique porté sur soixante ans de vie ouvrière en Chine. Jean-Luc Lacuve le 18/10/2009
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