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De 2015 à 2019, les histoires individuelles et collectives se succèdent dans les ateliers textiles de Zhili.
Août. Dans les ateliers où des jeunes gens de 16, 17, à 21 ans travaillent torse nus, la bonne humeur est de rigueur. Pour la plupart, ils viennent de Anqing dans la province de l'Anhui. Entre des coutures de pantalons effectuées avec virtuosité on discute de filles des dangers du mariage entraînant des dépenses coûteuses. Un ouvrier se fait aider de sa mère pour coudre un ourlet. Celle-ci est déjà passée chez sa fille qui travaille dans un autre atelier. Le soir venu, ouvriers et ouvrières rejoignent leurs dortoirs insalubres, en longeant les immondices qui s’accumulent dans les couloirs que personne ne semble nettoyer.
Fu Yun, 21 ans, venant d'un district de la province de l'Anhui, a fait une nouvelle erreur de couture et doit refaire un lot de vêtements. Elle se dit épuisée par ses échecs successifs et souhaite quitter l'atelier. Elle a demandé à son oncle de venir la chercher dans la rue avec sa moto-cargo, elle tente de poser des paquets de coton et du lait qu'elle a achetés. Mais l'oncle refuse la démission de sa nièce et méprise ses pauvres présents qu'il lui demande de jeter dans la rue. Fu Yun revient au travail.
Xu Wanxiang explique qu'il s'est battu avec son patron qui refusait de le payer. Tous les deux ont été embarqués par la police et ont passé la nuit au poste. Aidé de deux amis, il revient dans son appartement à la recherche de son livre de paie mais ne le trouve pas. Il retourne à l'atelier où seule la femme du patron est présente mais elle exige pour la payer qu'il lui montre son livret de paie. Xu Wanxiang et tente de négocier durant ses mois de travail il estime au bas mot avoir travaillé pour 10 000 yuans. Mais la patronne est inflexible sans livret, pas de paie, même quand Xu Wanxiang transige pour 6 000 yuans. Il retourne dans son petit appartement retourner matelas et couverture mais ne retrouve pas le livret.
De retour à l'atelier, c'est le patron qu'il affronte. Celui-ci lui montre qu'il est prêt à le payer. En sortant du commissariat, il est allé retirer de l'argent. Mais il a absolument besoin du livret. Xu Wanxiang tente sans succès de faire valoir la copie de son livre sur son téléphone et sans succès non plus il tente de négocier une petite somme pour ses travaux. Rien n'y fait et s'est dépité qu'il s'enfonce dans la nuit. Il livre au cameraman qui le suit sa tristesse devant une vie aussi dure et confie devoir de l'argent à son oncle qui n'a pas même révélé à sa femme les dettes de son cousin.Dans la nuit, il l’appelle au téléphone tentant de lui apprendre qu'il demande une journée de plus avant de rentrer, puis y renonce.
Dans un atelier de couture, un ouvrier tente de draguer sa voisine nouvellement arrivée. Elle ne se laisse pas intimider. On vient annoncer une bagarre. Le patron vient d'agresser un ouvrier qui demandait à être payé. Il gît en sang après avoir été frappé par le patron. Du haut d’une coursive, le groupe observe la scène et décide de quitter cet atelier dirigé par un patron aussi violent. Mais la situation se révèle plus complexe; ce n'est pas un ouvrier venu demander sa paie qui a été agressé mais un fournisseur venu réclamer son dû et le patron a fui avant d'être interpellé par la police. Du coup, le groupe d'ouvriers et ouvrières s'inquiète du retour du patron pour être payé. La sœur du patron pense que celui-ci pour agression légère risque de un à trois ans de prison. Les ouvriers craignent pour leur caution de 2000 yuans versée en cas de départ anticipé et leur salaire mensuel et de ne pas récupérer leur caution en cas de départ anticipé.
Le groupe d'ouvriers apprend que le patron s'est enfui avec l'argent, 650 000 yuans. La plus rapide des ouvrières aurait du gagner 30 000 yuans et chacun a besoin d'argent pour rentrer, payer l'école des enfants. Un acheteur propose 900 yuans par machine, les ouvriers finissent par accepter et les machines sont déménager sans demander l'avis du bureau du travail. Les ouvriers tentent de gagner leur chambre mais le propriétaire les a fermé à clé. Ils parviennent à y passer la nuit mais savent devoir partir.
Dans un autre atelier, c'est la négociation du prix de chacun des articles. Les ouvriers y vont tous pour marchander sur le prix de chaque article confectionné. Les calculs de ce chacun gagne détermine si on accepte ou non la proposition du patron. Finalement le montant est accepté même si le salaire est moindre que celui de l'an dernier. Chacun est néanmoins content d'empocher son salaire, même "l'oncle" qui avec sa femme a gagné 60 000 yuans. Il s'apprête à rentrer au pays alors que sa femme reste encore un peu pour finir de laver et déménager les affaires.
Dans un autre atelier, les enfants sont admis; l'une joue avec une console, l'autre avec une paire de ciseaux. C'est la date du départ qui pose problème; travailler jusqu'au 30, 31 ou 1er janvier, personne n'est d'accord, alors qu'il faudra bien négocier la paie.
Dans une chambre, Hu Siwen raconte les émeutes de 2011, à Zhili : la violence policière, l’enfermement et la peur.
Xiao Wei se plaint que sa compagne soit partie de son atelier en empochant sa paie sans prévenir ses collègues. Pour cela, elle aurait pu se faire prendre à partie mais il était là pour la protéger. Il lui en veut néanmoins, il aurait pu gagner 1000 yuans de plus. Il rencontre d'autres ouvriers dont Liu Gang qui travaillait avec quatre autres ouvriers. A eux cinq, la patronne ne leur propose que 80 000 yuans. Il revient ainsi plusieurs fois dans la nuit tenter voir si ses collègues obtiennent un meilleur prix pour eux tous. Mais s'il se désole de ne gagner cette année que 17 000 yuans alors qu’adolescent, son salaire avoisinait les 40-50 000 yuans; au moins est ce mieux que sa tentative avortée d'être lui-même patron.
Xia Wei a rejoint sa compagne dans leur minuscule appartement. Ils emportent leurs affaires pour prendre le bus vers leur province de l'Anhui. Le bus les dépose près d'une petite route en plein campagne. Le père a allumé un feu d'artifice. Xia Wei prépare le repas pour les invités; lui et sa femme ne sont pas invités. Elle se moque toujours un peu de lui mais semble contente.
Liu Gang a fait un voyage beaucoup plus long dans un bus-couchettes. Il joue de la guitare un texte engagé sur la recherche d'un sens à sa vie. Puis il arrive dans les montagnes du Yunnan. La famille est très pauvre avec beaucoup de jeunes enfants dans une bâtisse en bois au sol de terre battue. Les quelques invités à la fête du retour repartent regrettant de ne pouvoir se servir des pois dans le jardin de la voisine.
Le triptyque Jeunesse, constitué de Printemps (2023), Tourments et Retour au pays (en salle en juillet) est réalisé selon le même principe qu'Argent amer (2016). Les sept opérateurs, réduits à cinq pour le triptyque, ainsi que Wang Bing ont investi Zhili, dans la banlieue de Huzhou, pendant quelques années, cette fois de 2014 à 2019 et accumulé des milliers d'heures de rushes. Ils ont examiné chaque soir les séquences enregistrées pour écrire le film en même temps qu’ils le tournaient, afin de savoir quelle personne il fallait continuer à suivre, quelle autre avait été découverte, quand pouvait-on les laisser sortir de l’histoire.
A eux tous, un drame collectif
Le film ne fait pas le point sur l'évolution des personnages sur six ans mais retrace plus ou moins la chronologie d'une grande saison de travail, de l'embauche, en août, à la fin janvier, lorsque les ouvriers rentrent dans leurs provinces pour le nouvel an, soit environ six mois. Si chacun des épisodes parait trop court pour s'intéresser à chacun, c'est l'ensemble qui produit la description du drame de l'ouvrier chinois; une puissance symbolique, incarnée dans des individus.
La force du triptyque réside donc dans un polyphonie de situations avec chacun une tonalité particulière. Tourments débute par la même tonalité joyeuse et pleine d'effervescence que Printemps. Les ouvriers sont adroits et plaisantent volontiers. Pourtant, sont bientôt abordées des situations dramatiques mettant en évidence l'absence de protection dont les ouvriers sont victimes vis-à-vis de patrons exploitant leur force de travail. Ainsi, Fu Yun, ouvrière maladroite condamnée à un salaire de misère; du distrait Xu Wanxiang qui ne sera pas payé, faute d'avoir perdu son livret de paie alors qu'il a déjà accumulé des dettes au pays et que son père enverra dans une autre ville où il ne connaîtra personne.
Après la nuit où on suit son errance, l'épisode suivant, l'ouvrier qui vient réclamer son dû, paraît en être la continuité, mais ce n'est pas Xu Wanxiang qui vient agresser le patron mais un fournisseur qui vient réclamer son dû. Cet épisode entraîne la partie la plus dramatique du film: comment les ouvriers vont être dépossédés de leur salaire par un patron voyou qui prend la fuite. C'est semble-t-il le cas de 200 à 400 patrons chaque année. Ici, les mères ne pourront pas payer l'école de leurs enfants et déchirant est le plan du couple expulsé qui s'enfonce dans la nuit, obligé de rentrer chez lui. L'épisode suivant décrit des ouvriers soumis à la pression des salaires qui se dégradent d'années en années. Le suivant met à mal la solidarité ouvrière quand chacun veut repousser la date de fin de travail en fonction de ses objectifs propres. L'aspiration collective a plus de protection est aussi mise à mal avec le témoignage de la révolte de 2011, sanctionnée avec violence par la police.
Le film se termine par les épisodes de Xia Wei et Liu Gang qui reviennent dans leurs provinces et qui anticipent sur le troisième et dernier volet, Retour au pays, attendu en juillet.
Jean-Luc Lacuve, le 7 avril 2025
Source : dossier de presse.