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La maison et le monde

1984

Genre : Drame social

(Ghare-Baire). D'après le roman de Rabindranath Tagore. Avec : Soumitra Chatterjee (Sandip Mukherjee), Victor Banerjee (Nikhilesh Choudhury), Swatilekha Sengupta (Bimala Choudhury), Gopa Aich (La belle-soeur), Jennifer Kendal (Miss Gilby), Manoj Mitra (l'instituteur), Bimala Chatterjee (Kulada), Indrapramit Roy (Amulya). 2h20.

Bimala se souvient, les yeux plein de larmes : "J’ai traversé les flammes. Toute chose impure fut livrée au feu et réduite en cendre. Ce qui reste est immortel et je lui en fais don. Je me prosterne devant celui qui, le cœur meurtri, m’a pardonné. Je sais aujourd'hui quel homme incomparable il fut. Je l’ai vu pour la première fois il y a dix ans. Cet homme issu d'une lignée princière fut mon époux".

Nikhilesh Choudhury, à peine marié à Bimala, veut que sa femme l'aime non pour une de ses qualités, qui peuvent s’altérer, mais par pur sentiment et intuition. Il souhaite qu'elle s’éduque. Bimala doit vaincre ses propres réticences mais accepte. Miss Guilby, une gouvernante anglaise, lui apprend la musique, l'anglais, la géométrie et la grammaire. Nikhil veut maintenant que Bimala s’ouvre au monde et franchisse le fameux couloir de son palais qui la rient recluse et avait toujours été interdit aux femmes, notamment à sa belle-sœur, veuve et sage, qui s'y conformait avec un léger regret.

En 1905, afin d'appliquer à la politique coloniale l'adage "diviser pour régner", le Gouverneur Général des Indes, Lord Curzon, jouant sur les antagonismes religieux, scinde le Bengale en deux d'un côté les hindous de l'autre les musulmans. Une partie de l'intelligentsia bourgeoise s'oppose à cette politique et préconise un rejet des produits anglais et montre son hostilité au colonisateur. Elle prône le swadeshi, la production nationale qui refuse les importations. Miss Guilby reçoit une pierre dans la rue et préfère rentrer dans son pays.

Sandip Mukherji est devenu un chef important du swadeshi. Il arrive à Suksayar, la propriété de son ami Nikhilesh Choudhury. Bimala observe Sandip qui vient faire une réunion publique dans la cour du palais, accueilli par ses partisans aux cris de "Gloire à notre mère patrie", ce qui fascine Bimala qui les observe de son balcon, cachée derrière un rideau.

Nikhilesh profite de l'occasion pour aider Bimala, à sortir de sa timide réserve. Le 12 novembre 1907, elle franchit le fameux corridor. Sandip est immédiatement fasciné par elle : "Vous êtes l'épouse de Nikhil mais vous n'êtes pas son ombre". Le soir, Bimala interroge son mari au sujet de son amitié avec Sandip qui est si différents de lui : "L'amitié n'est pas une équation mathématique". A l'université, ils avaient défié tradition et préjugés mais Sandip était déjà plus radical.

Le 13 novembre. De retour de Rangpur à Suksayar, Sandip vient voir Bimala (Krishna joue de la flûte et elle accourt). Il décide de changer de quartier général et lui demande de convaincre son mari de rejoindre le mouvement : son marché est le dernier grand marché où les musulmans viennent vendre les marchandises importées. Partout ailleurs, les propriétaires ont arrêté les ventes. En partant, Sandip garde son épingle à cheveux.

Bimala demande à son mari pourquoi il est le seul des grands propriétaires à ne pas rejoindre le swadeshi. Cela implique l'abandon de tous les produits importés. Il appartient aux marchands qui ont peu de moyens. Les produits importés sont moins chers et de meilleure qualité. Les produits swadeshi sont pour ceux qui ont les moyens. Les pauvres s'y opposent. Tout le monde croit au nationalisme mais je sais qu'une politique qui opprime les pauvres ne peut réussir. Le mouvement swadeshi voit le pays comme une déesse nourricière. Bimala pense qu’il faut s’engager : si les pauvres commenceront par en pâtir, à la longue, ils y gagneront.

Nikhilesh comprend que Bimala reproduit le discours de Sandip. Bimala, agacée, dit qu'elle ne le verra plus et Nikhilesh, conscient de la menace sur son couple, préfère aussi cela. Il accepte qu'elle cesse de porter vêtements et objets importés mais refuse de l'interdire à ses marchands; ce qui serait contre ses principes.

14 novembre: "Contente-toi de ce qu'on te donne. Ainsi pensent les faibles et les incapables". Mais l’expérience m'apprit ceci : seul le fruit de mes efforts m'appartient. Ma naissance seule ne me donne aucun droit sur mon pays. Pour le faire mien, je dois le gagner par la force. L’instituteur lui reproche d'avoir embrigadé son meilleur élève, Amulya Ghosal. Sa bourse d’étude lui a été enlevée. Nikhilesh le prévient qu'il s'opposera à l'interdiction des ventes de produits importés.

Sandip s'adresse aux marchands sur le marché. Il les invite à détruire leurs produits : ils y gagneront dans le futur. Il a beau prétendre que Nihil est son ami, les marchands refusent et veulent écouter leur Maharaja.

Kulada, le Maharaja de la proprieté voisine, assisté de Amulya, qui prône la résistance passive, vient lui proposer de corrompre Mirjan, le chef des transporteurs par bateaux.

15 novembre : Sandip vient rendre visite à Bimala avec Amulya qui lui fait dire "gloire à notre mère patrie". Celui-ci une fois parti, il lui fit comprendre qu’il pourrait avoir besoin d'argent. On vient solliciter Nikhilesh. L'instituteur lui fait comprendre que tous savent que Sandip est son ami et qu'ainsi il semble l'approuver. Les mollahs de Dacca incitent les musulmans à la révolte. Nikhilesh hésite : "S’il part ce ne sera pas son choix et son âme serait toujours dehors".

A 23 heures, Kaluda vient informer que le bateau de Mirjan a coulé. Il conseille à Sandip de trouver 5000 roupies sans tarder pour le dédommager.

16 novembre : Sandip revient voir Bimala et lui dit qu’il va devoir partir car la situation va s'envenimer. Bimala s'effondre en apprenant ce départ. Elle lui promet tout l'argent qu'il veut et l'embrasse passionnément. Nikhil parcourt ses terres et voit un rassemblement de musulmans prêchant la révolte : ils sont en effet majoritaires et travaillent la terre alors que les Hindous ne produisent rien.

Nikhilesh convoque les sages du pays et déclare que chacun doit garder ses convictions religieuses. On ne peut imaginer l'Inde sans ses musulmans. Ils ont tué une vache, répliquent les chefs de famille. Nikhilesh explique que les provocations sont inévitables mais qu'il faut prôner la paix.

Bimala ouvre son coffre-fort et en ramène deux sacs de pièces. Sandip ironise comme quoi cela sera insuffisant avant de découvrir qu’il s'agit de pièces d'or. Il ne peut s’empêcher d'exprimer sa fascination pour l'or, ce qui refroidit immédiatement Bimala. A ce moment arrive Nikhil qui demande à Sandip de quitter Suksayar. Sandip dit attendre que Bimala lui en donne l'ordre. Bimala ne dit rien et pleure. Elle s’éloigne et alors que Sandip la rejoint elle lui dit de garder l'or mais que le fil est rompu.

17 novembre : Bimala demande à Amulya de vendre ses bijoux à Calcutta pour rembourser son mari. Amulya lui dit que Sandip n’avait besoin que de 3 500 roupies et voyage toujours en première classe ("un leader perd ses forces dans l'inconfort"). De plus, l'argent de Bimala est inutile puisqu'il va attaquer la trésorerie de Chakra.

Nikhilesh a compris que la situation devient dangereuse et demande à sa belle-sœur et sa femme de se préparer à partir à Calcutta. Bimala le regarde enfin et se demande ce qui lui a pris. Les deux époux se pardonnent leur égarement. Amulya attaque la trésorerie en blessant un garde à la jambe. Il ramène 3 500 roupies en voyant au passage que les musulmans ont attaqué le temple. Sandip dit partir à Rangpur mais Amulya refuse et lui ordonne de rendre or et bijoux à Bimala.

Sandip vient interrompre les tendres moments de Nikhil et Bimala pour rendre l'or et les bijoux de cette dernière. Il déclare garder l'épingle à cheveux en souvenir et livre son dernier discours : "Seule l'action compte pas le résultat, le héros de Ramayana est Ravana le méchant, il n'écoute pas les dévots de Rama qui prônent le bien, gloire à notre mère patrie".

Nikhilesh entend dehors la révolte gronder et part à cheval pour tenter de calmer les paysans fanatiques; il y laisse la vie.

Le film est l'histoire d'une émancipation ratée, celle d'une femme auquel son mari, bravant les traditions, offre la liberté de quitter la maison pour connaitre le monde. Dans le contexte violent de la partition tragique du Bengale, cette femme, Bimala, prend conscience trop tard qu'elle a encouragé une révolte certes nécessaire mais qui aura raison de son mari, tenant d'une politique respectueuse des raisons de chacun.

Un contexte politique inflammable

L’histoire se déroule en 1907, au début des émeutes qui suivent la partition du Bengale de 1905 en deux entités : un Bengale-Occidental comprenant l'État indien actuel groupé et un Bengale oriental correspondant grossièrement au Bangladesh actuelle dont l'autonomie connaîtra des phases successives en 1947, 1956 puis 1971 où il devient un état indépendant. Cette partition de 1905 plus ou moins basée sur des critères religieux (musulmans / hindous) suscite un fort mécontentement chez les Bengalis, qui se sentent atteints dans l'intégrité de leur nation et constatent qu'elle est faite pour perturber l'économie locale et importer des produits anglais. Elle entraîne une vague de terrorisme contre l'administration britannique. Ces protestations amenèrent l'abrogation de la partition en 1911. En 1915, la capitale de l'Empire passe de Calcutta à Delhi et Rabindranath Tagore (1861-1941) écrit La maison et le monde. Rabindranath Tagore est moins connu désormais en Occident que de son vivant, prix Nobel de littérature en 1913, traduit par André Gide et proche de Romain Rolland, il a révolutionné la langue et la littérature.

Nikhilesh propose à sa femme une vie faite d'harmonie et de compréhension tout autant qu'il veut maintenir la paix dans son domaine. Le mouvement révolutionnaire de Sandip tient en un mot – swadeshi (le local/national) – et un cri de ralliement, Vande Mataram ! (Gloire à la mère patrie !). Son mode d’action est simple : rejeter les objets importés (bideshi), qui abondent sur les marchés et favoriser le swadeshi (le local). Pour Nikhilesh c'est oublié que les musulmans, qui n'ont pas de terre vivent une coexistence pacifique avec les hindous parce qu’ils se sont spécialisés dans le commerce. Leur enlever leur rôle d'intermédiaires pour des produits bon marchés anglais ne peut que les faire fuir vers le Bengale oriental. C'est ce principe économique et politique que veut faire respecter Nikhilesh qui par ailleurs n'a guère de goût pour la rigueur religieuse des musulmans : "Sita et Draupadi, héroïnes légendaires du Ramayana et du Mahābhārata ne vivaient pas recluses, rappelle Nikhil, c’est une innovation musulmane qui n'existait pas chez les hindous".

Si Ray réalise La maison et le monde à la fin de sa carrière (29e long métrage sur 32), ce projet est pourtant son premier désir de cinéma : c’est son premier script, en 1948, et qui devait être réalisé par un ami de son ciné-club. Ray a 27 ans et, vingt ans plus tard, il avouera être heureux que le projet n’ait pas vu le jour à cause de problèmes financiers, tant son scénario était « hollywoodien ».

Ray qui avait rencontré Rabindranath Tagore alors qu’il était enfant chez son grand-père réalise en 1961 un documentaire sur lui, pour le centenaire de sa naissance. Il adapte aussi l’écrivain avec Trois filles (1961), Charulata (1964). Le lien avec Tagore essentiel pour la culture bengalie va au-delà des adaptations cinématographiques. L’art de Tagore (musique, chansons, peintures) infuse le cinéma de Ray. La Maison et le monde est un roman qui adopte les différents points de vue des personnages. Si Ray conserve l’idée d’entremêler les voix (Bimala, puis Nikhil, puis Sandip), notamment par le biais de voix off, il est à noter que pas une seule ligne ne provient directement du texte de Tagore. Par ailleurs, Ray modifie aussi leur ordre par rapport au roman, accentuant l'aspect tragique du récit, en ouvrant le film sur des flammes et Bimala en larmes.

« Depuis Le salon de musique, je m’intéresse à ces vieux palais de zamindar. Je connais presque cinquante ou soixante palais différents, des maisons de la noblesse dans tout le Bengale, et ce que je fais généralement, c’est de sélectionner des éléments de ces palais et les assembler pour créer un nouveau décor. Un élément est très important ici. Il s’agit de la décision de Bimala de sortir de son isolement. Dans certaines maisons, la partie intérieure où les femmes restaient et la partie extérieure sont reliées par un pont – très orné et rococo. Cela donne une séparation visuelle très intéressante et qui est importante pour le film. La première fois que Bimala sort avec son mari, ce sera une séquence très lyrique et mémorable sur le plan visuel. »( Andrew Robinson, « A Conversation with Satyajit Ray », Films and Filmings, 1982.)

Source : Dossier de presse

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