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Dans les années 1960, aux Cahiers du cinéma, Jean Douchet a porté au sommet une nouvelle forme de critique qui a marqué son époque et plusieurs générations de cinéphiles. Au fil de ces entretiens, « l'homme-cinéma » évoque sa découverte du 7e art, sous l'Occupation. Après des études de philosophie, il participe à l'aventure de l'existentialisme et hante les ciné-clubs d'après-guerre, jusqu'à la rencontre décisive avec Éric Rohmer. Godard, Rivette, Astruc, Truffaut, Eustache... Douchet entre dans la grande famille de la nouvelle vague. Après l'armée et un temps consacré à des affaires familiales, à partir de 1957, il collabore à Cinémonde et à Arts, pénètre dans le « phalanstère » des Cahiers du cinéma, gagne le surnom de « Socrate de la critique » et, depuis toujours homosexuel, ne boude aucun plaisir. Il découvre le cinéma américain, s'investit dans le monde des ciné-clubs, réalise films et documentaires (sur Vitez, Titus-Carmel, Hitchcock, Rohmer...), apparaît comme acteur dans les films de ses pairs, publie l'ouvrage de référence sur Hitchcock (1967), avec qui il noue une relation fructueuse. En première ligne lors de l'affaire Langlois en 1968, Douchet se tourne vers l'enseignement à partir des années 1970.
Notes de lecture.
P. 227-228. De même que la science, mais différemment, l’art porte un regard sur la vérité. Ce n’est peut-être pas la même vérité, cependant c’est quand même une vérité, et celle-ci justifie une démarche morale aussi rigoureuse que la recherche de la vérité scientifique.
Mais la morale artistique, donc cinématographique ne consiste pas simplement à choisir entre la représentation du bien ou celle du mal. Elle se situe dans les moyens utilisés pour atteindre une vérité et relève du « faire ». La question n’est pas ceci est bien, ceci est mal mais ceci est bien fait, ceci n’est pas bien fait. Et ce qui est mal fait, c’est à dire réalisé hors d'une démarche morale de recherche de la vérité, ne peut mener à la vérité. Cela vaut en terme de morale comme en termes politiques. Encore faut-il admettre que le bien faire découle du bien penser, du bien sentir, et l’on ne peut bien ressentir que ce qui est à notre portée : il ne s’agit donc pas de saisir la vérité mais une vérité.
P. 231-232 : Si nous étions souvent en désaccord complet avec la revue Positif ce n’était pas directement pour leurs choix esthétiques mais politiques. Pour Positif tel film était bien parce qu'il exprimait ou reflétait une bonne pensée du peuple, tel autre était mal parce que c’était une mauvaise pensée du peuple. On les av us ainsi descendre des films en raison d’un propos prétendument réactionnaire. S'il a pu arriver que nous ayons globalement le même avis sur un film, la différence tenait à ce qu'ils avaient toujours eu besoin de passer par ce jugement politique, par leur morale à eux, et que cette morale ne nous intéressait pas.
Être ou ne pas être en accord avec la pensée politique d’un film ne comptait pas pour nous. Nous importait avant tout et uniquement la façon de traiter la vérité, d'accéder à une vérité. Et un homme de droite a aussi sa vérité (...)
Lorsque l’on parle de morale en matière de critique, on évoque automatiquement le célèbre article de Rivette sur Kapo de Gillo Pontecorvo. Le cinéaste achève en effet l’un des plans en recadrant de façon très esthétique le corps et la main de l’héroïne qui vient de mourir accrochée aux barbelés électrifiés du camp nazi où elle était enfermée. Ce plan ne relève pas du bien fait. Sa composition trop soignée détruit l’émotion que les faits eux-mêmes auraient du suffire à créer (...)
La phrase de Moullet reprise par Godard sous la forme : les travellings sont affaire de morale » est intéressante mais un travelling n’est jamais ni bon ni mauvais en soi. Il n’existe pas tout seul. C’est une question de point de vue sur le monde. Quand on fait un travelling sur la beauté de trois colonnes de prisonniers qui entrent dans une chambre à gaz, ce n’est pas le travelling qui est mauvais en soi , mais le contexte dans lequel il est fait : pourquoi le montrer comme cela ? Pourquoi cette esthétique ? Si l’on a besoin d'esthétiser ce travelling, c’est que le film est mauvais, que le point de vue est mauvais, que le regard du cinéaste est mauvais
P. 233-236. Mis à part les cours d’histoire du cinéma, je propose une réflexion qui part des éléments d’un film, que j’essaie d’étendre au cinéaste lui-même. Quelle est sa place dans l’œuvre de son auteur ? Que lui apport-t-il ? Enfin quels rapports entretient-il avec le cinéma contemporain et comment ? Sur ce dernier point, je trouve important de situer le film par rapport à sa nationalité, en se demandant ce que c’est qu'un film américain, danois allemand, italien chinois, vietnamien, thaïlandais(….)
J’ai depuis longtemps constaté qu'on ne peut en aucun cas discriminer les choses qui sont bonnes et celles qui sont mauvaises. Tout peut être bon ou mauvais selon que... Reste à distinguer ce « selon que » ! Ce n’est pas la fin (pourquoi c’est fait) qui justifie les moyens (comment c’est fait) mais le contraire : suivre et comprendre comment c’est fait permet de comprendre le but poursuivi, le sens du film et non le contraire. (...)
C’est l’écriture qui détermine les effets produits sur le spectateur. Pourquoi tel effet ? A quoi sert-il ? Que produit-il ? Est-il réellement utile ? Ou inutile . ? Est-il réussi ou non ? C’est en répondant à ces questions que l’on peut distinguer le « bien fait » du « mal fait », le film réellement original du banal. (...).
Je ne cesse de le dire et de le répéter, c’est dans l’écriture que ce trouve le sens véritable du film. L’écriture dit le sens. Analyser les effets l’écriture, etc, sans voir le sens, c’est aller nulle part ou rester en rade à mi-chemin. Au départ, il y a l’expression, ce que l’auteur ou l’œuvre veut faire ressentir aux gens qui reçoivent ces sensations, ces sentiments. Cette expression crée chez eux, à travers leur sensibilité, une émotion, une impression. Et cette impression imprime les sens à l’aide desquels naissent les idées, le sens, une vérité. C’est là que l'art se justifie, sans quoi il n’est que décoration. C’est joli une décoration mais ce n’est pas suffisant. La vraie critique a toujours consisté à rechercher le véritable sens, par les moyens qui sont le effets et les effets qui sont l’écriture.