Dans la campagne thaïlandaise, le vent souffle sous les arbres. Toey, une jeune femme médecin, fait passer des entretiens à Nohng, ancien militaire qui souhaite intégrer l'hôpital après des études de pharmacie puis de médecine. Lorsque, en fin d'entretien, elle lui demande ce que signifie le sigle DDT, il répond, interloqué : "Détruit les trucs dégueux" puis, plus bas, "Dingue de toi". Elle le dirige vers le service des urgences. Toey ne répond pas aux avances de son collègue Toa qui lui offre un cadeau : du porc grillé.
Alors que Nohng revient vers elle peu satisfait de son affectation, elle est appelée par un médecin. S'ouvre le générique sur un plan de la campagne entourant l'hôpital alors que, off, Toey, Nohng et un autre médecin discutent.
Un vieux Bonze vient consulter Toey au sujet d'un rêve cruel sur les poulets qu'il pense être à l'origine de son mal. Toey l'écoute à peine préoccupée qu'elle est par un employé de l'hôpital qu'elle soupçonne de ne pas vouloir lui rembourser l'argent prêté. Le bonze lui offre des herbes censées lui faire oublier ses problèmes d'argent qu'il pense aussi liés à son cycle menstruel. Son jeune collègue se fait soigner les dents par Ple, le dentiste chanteur de variété.
Toa lui annonce abruptement qu'il souhaite qu'elle soit sa fiancée. Toey le conduit dans le jardin et lui explique que, s'il elle n'a jamais été amoureuse, une fois pourtant, elle a été sensible au charme d'un homme : Noom, l'expert en orchidées rencontré sur un marché.
Celui-ci était ensuite venu voir l'orchidée poussée sur un arbre de l'hôpital, orchidée qu'elle était finalement venue lui offrir chez lui. Elle avait alors rencontré Pa Jane, sa sur, qui souffrait d'une jambe trop courte suite à un accident de moto. Alors que Toa essaie de l'interrompre, Toey l'oblige à écouter la suite de son histoire avec Noom. Discutant avec lui sur sa véranda, il lui avait dit aimer quelqu'un en secret. Homme ou femme avait-elle demandé ? Ils avaient alors ri tous deux de cette remarque incongrue. Elle avait proposé de l'aider à dévoiler son secret.
Le soir près de l'hôpital, le dentiste chanteur est sur scène en compagnie d'un guitariste. Une fois son récital terminé, il tente de convaincre le jeune bonze qu'il pourrait être la réincarnation de son jeune frère. Soleil couchant sur une fenêtre.
Bangkok, Toey fait passer un entretien à Nohng. Il n'est plus militaire. A la question sur la signification de DDT, il répond seulement "Détruit les trucs dégueux" mais reprend la même définition de son personnage, un être gai, sportif aimant la forme du cercle. Les avances de Toa restent sans réponse.
Un médecin homme, qui n'est donc pas Toey, écoute le vieux bonze se plaindre du même mal aux articulations qu'il croit toujours lié au jeu cruel auquel il se livrait enfant et dont le remords surgit maintenant dans ses rêves. Le jeune bonze a toujours mal aux dents : il est soigné dans un box moderne.
Dans le sous-sol de l'hôpital, se réunissent des femmes médecins qui, pour oublier le stress, boivent leur ration d'alcool, cachée dans des prothèses de jambe. A l'extérieur de l'hôpital, les statues de bronze des pionniers de la médecine moderne sont à l'honneur. La statue de Shiva est reléguée dans un petit jardin.
Nohng reçoit sa fiancée, Joey. Celle-ci voudrait qu'il demande sa mutation loin de Bangkok près de la mer où son entreprise vient d'être déplacée. Elle lui montre des photos : des usines en construction. Il hésite.
Dans les sous-sol de l'hôpital, un tuyau semble absorber le temps tel un trou noir. Dehors ; deux êtres sur un banc ; les jeux du bonze avec un model réduit dans un parc. Sur une musique tonitruante, une séance de gymnastique en commun.
La première partie du film s'intéresse à une femme médecin, et se situe dans un environnement rappelant celui dans lequel le cinéaste est né et a grandi. La deuxième partie s'intéresse à un homme, médecin lui aussi, et se déroule dans un environnement plus proche du monde dans lequel nous vivons.
La perception du décalage temporel entre les deux parties requiert une certaine attention. Seuls les costumes des infirmières évoquent les années 70 ainsi probablement que la reconversion de militaires au civil et des instruments médicaux peut-être un peu désuets.
La dernière image de cette première partie : celle du soleil couchant vu au travers de la baie vitrée de l'hôpital puis le premier plan de la seconde dans lequel figure un ordinateur et le second, où l'on voit des bâtiments ultramodernes au travers d'une fenêtre marquent clairement la rupture et nous installent tout aussi clairement dans l'époque moderne.
Le titre original signifie Lumière du siècle. Le titre international renvoie aussi aux comportements humains : le syndrome est ce qui nous touche fortement et en premier lieu l'amour alors que la marche du siècle est évoquée dans le second terme.
Cette marche du siècle est cependant équivoque. La deuxième partie est marquée par une moindre absence de la nature et du soleil au profit de scènes à l'intérieur de l'hôpital et même plus précisément au sous-sol et de ses éclairages au néon. Les traumatismes y sont bien plus graves. Au-dela des cas folkloriques (le vieux bonze) ou banals (les dents du jeune bonze) ce sont la prolifération des prothèses de jambe dues aux bombes à éclats et les traumatismes mentaux qui ont remplacé les accidents de motos.
L'inquiétude amoureuse reste cependant constante. Si l'on admet qu'il s'agit d'un film fait par le réalisateur en hommage à ses parents, tous deux médecins, alors les deux idylles, celles de la mère avec le vendeur d'orchidée ou du père avec la jeune femme d'affaires sont vouées à l'échec.
Ce qui est subtilement exprimé dans le premier cas par l'absence de sortie de flash-back lors du second retour en arrière. Amorcé deux fois par Toey, il ne fait l'objet que d'un premier retour au présent avec Toa qui écoute. Sans doute, la conclusion de cette histoire avec l'éclat de rire couvert par la chanson du dentiste amateur n'a pas été heureuse.
Variation tantôt pathétique et angoissée, tantôt légère et humoristique autour du même, de la réincarnation, des difficultés à aimer et des rencontres surprenantes. La fuite du temps évoquée, sur une musique dissonante, par ce long plan sur l'extrémité d'un tuyau qui absorbe toute la matière tel un trou noir. Elle ne trouve comme réponse que deux êtres sur un banc, les jeux du bonze dans un parc avec un model réduit ou la séance de gymnastique en commun. Le futur reste à écrire.
Jean-Luc Lacuve le 06/07/2007Bibliographie : Propos de Apichatpong Weerasethakul sur la plaquette éditée par le Groupement National des Cinémas de Recherche, disponible à l'entrée des salles.