Un homme s'extirpe de terre. Ses vêtements, sa peau sont terreux. Une fois debout, il ne s’attarde pas et s’éloigne dans le plan. Sa silhouette courbée se détache du décor terreux qui l’a vu naître, mais la caméra lui emboîte rapidement le pas pour suivre son rythme, et marcher à sa mesure. L’Homme sans nom porte un sac. Dans un champ, Il le remplit de terre puis transporte son lourd fardeau sur son dos au retour. Ce sac rempli d’un terreau fertile, il le déverse puis le tasse des pieds sur un sol encore gelé. Sur une route déserte, sur laquelle il vient de pleuvoir, mais non loin d'un grand axe routier où passent des camions, l'homme sans nom ramasse du crottin de cheval avec une petite pelle ou à la main. Il neige un peu de nouveau et au bord d'une route l'homme recoud son sac.
Printemps. Le matin au soleil, l'homme fait de petites branches d'une grande banche qu'il a ramassée. Il porte ce petit bois sec à l'intérieur de sa caverne pour faire le feu. Au milieu de différents sacs, il se prépare à manger dans une grande marmite. Il mange ses légumes. Il s'enfonce un peu plus loin vers un endroit où dormir.
Il prend deux bouteilles de plastique très abimées et va chercher de l'eau dans une rivière. Il bine son champ où du maïs commence à pousser.
Eté. Le maïs a bien poussé et l'homme veille à remettre bien droites les tiges qui se sont affaissées. Il ramasse aussi de grosses courgettes qu'il dépose dans deux seaux prés d'une maison ou un grand drap rose protège du soleil. Mais l'homme rejoint sa caverne pour se faire à manger. Il découpe une courgette en petits morceaux. Il mange ce plat avec certainement aussi un peu de viande.
L'orage qui menaçait se d'éclanche et l'homme reste sous la pluie et veille sur son champ. Il recueille ensuite l'eau des flaques dans deux grands seaux. L a boue mêlée de branchages lui sert de torchis afin de consolider sa maison d'été. La nuit l'homme mange dehors.
Automne, les tiges de mais sont desséchées après la récolte. L'homme ramasse du crottin dans un très grand sac. Il l'harnache sur son dos et fait un effort pour se relever. D'un pas solide pourtant, il s'éloigne sur le chemin.
Sur une route perdue dans le nord de la Chine, Wang Bing a rencontré un ermite et a filmé le quotidien muet d'un homme qui a décidé de vivre loin de la civilisation. Selon son auteur, lunique personnage (il aurait 40 ans) de ce film "a construit sa propre condition de survie. Il va souvent dans des villages voisins, mais il ne communique pas avec dautres gens. Il ramasse des restes et des déchets, mais il ne mendie pas". Il accompagne son personnage, le suit souvent de dos, puis le laisse partir et le retrouve plus loin.
L'homme sans nom habite dans une grotte, au milieu d'un village aux maisons en torchis récemment abandonnées. Il fait pousser des racines, ramasse les crottes sur la route pour en faire du fumier, creuse, bêche, arrose. Le film, dont le tournage a duré deux ans et demi, se déroule en suivant les quatre saisons. La neige, la pluie, , le beau temps, l'orage et la grisaille- et toujours le travail, car l'homme sans nom ne cesse de travailler, plus encore que le plus laborieux des hommes du monde civilisé. Au fil des aléas climatiques, il transbahute des sacs, cultive la terre, creuse, bêche, ramasse des excréments ou renforce un mur de torchis.Il se penche, ramasse et se relever.
La lenteur et la pesanteur de ses gestes répétés dessinent les contours dun corps minéral qui se meut avec lourdeur sur une terre lunaire. Physiquement aussi, lHomme sans nom demeure hermétique et impénétrable. L’homme vit isolé de la société chinoise et s’occupe de sa survie avec dignité et détermination. Il ne parle jamais, professe parfois un juron, refuse le système de son pays et assume sa marginalisation. En vivant loin des mondes de la matière et de l’esprit, à la marge de la société, il construit ses propres conditions de survie. Il se passe d'un monde qui ne veut plus de lui, c'est un être autonome davantage qu'un résistant. Ce travail, autonome, autarcique est presque un autoportrait du cinéaste.
En 2009, la galerie Chantal Crousel accueille une exposition spécialement conçue par Wang Bing. Une nouvelle version de Fengming Chronique d’une femme chinoise, plus longue de quarante minutes que celle montrée à Cannes, est projetée ua rythme de deux séances par après-midi alors qu'est projeté en boucle dans une salle à côté L’homme sans nom, alors inédit. Ce film semble spécialement réalisé pour l’exposition. Dès son titre, L’Homme sans nom apparaît comme une image inversée de Fengming Chronique d’une femme chinoise : d’un côté une femme, de l’autre un homme; d’un côté un nom propre, de l’autre une absence de nom. L’Homme sans nom vit isolé et ne parle pas, tandis que Fengming a créé autour d’elle un réseau de survivants et de témoins de la répression et dira tout ce qu'elle a à dire.