15 avril 2017: Christie's parle de la plus grande découverte du 21e siècle.
1 - La vérité
Robert Simon, marchand d'art établi à New Yor,k découvre en avril 2005 le tableau, mis aux enchères en tant qu’œuvre tardive de l’atelier de Léonard de Vinci par une petite maison de ventes de la Nouvelle-Orléans. Il pense qu'il existe une vingtaine de Salvator Mundi, l'une d'elles aurait pu être peinte par le maître et s'être ensuite perdue.
Basil Hendry, le fils du propriétaire du tableau, l'a vendu à la mort de celui-ci. Il a scanné des images des tableaux qui ont été envoyées à Christie's. Sa représentante, lors d'une visite, sélectionne certains tableaux mais pas celui-là, jugé intéressant. C'est pourquoi, le tableau s'est retrouvé mis en vente dans une petite maison des ventes à La Nouvelle-Orléans
Vendu 1 175 dollars frais compris, le tableau est ensuite restauré et étudié pendant deux ans. La restauratrice, Diane Modestini met alors au jour un repentir du pouce du Christ, découverte qui permet à l’acquéreur, un marchand d’art, de penser qu’il est en présence de la version originale du Salvator Mundi par Léonard de Vinci.
Toutefois, pour attribuer une nouvelle peinture au maître de la Renaissance, la caution d’un grand musée est indispensable. En effet, il n’existe qu’une petite vingtaine de tableaux de l’artiste parvenus jusqu’à nous.
En 2008, le Salvator mundi est donc montré aux experts et spécialistes du Metropolitan Museum à New York. Après avoir fait chou blanc au Met, le tableau est montré au directeur de la National Gallery de Londres, où une grande rétrospective du maître florentin se prépare pour 2011. En 2009, l’institution britannique demande à quatre experts et chercheurs de venir voir l’œuvre avant de choisir de l’exposer ou non. Si la conservatrice du Met, Carmen Bambach, est plutôt sceptique, le professeur d’Oxford et historien de l’art, Martin Kemp, prend position en se fiant à son "expertise visuelle". "Si je me trompe personne ne meurt, seulement quelqu’un qui perd beaucoup d’argent… ", confie-t-il à Antoine Vitkine. Ainsi, deux ans plus tard, le tableau est présenté, parmi les neuf peintures de Léonard de Vinci de l’exposition de la National Gallery, comme étant le Salvator mundi retrouvé.
Si habituellement les attributions sont réalisées suite à des publications scientifiques ou après consultations d’experts différents, cette attribution informelle en petit comité ne convainc pas tous les historiens de l’art. C’est notamment le cas de Matthew Landrus qui constate « qu’une grande partie de l’œuvre a été repeinte. On peut appeler cela de la restauration mais on peut aussi appeler cela du repeint ». Quant à l’argument du repentir, l’historien de l’art l’écarte en expliquant que le studio de l’artiste aurait très bien pu le faire, rien ne prouve qu’il s’agit là de la signature du maître. De même, l’œuvre n’apparaît pas dans les correspondances de Léonard de Vinci.
Une fois la question de l’authenticité réglée, dès 2012, le marchand d’art cherche un acheteur pour sa poule aux œufs d’or. Après s’être tourné, sans succès, vers les musées américains, le vendeur tente sa chance vers Monaco, le Vatican et auprès d’autres maisons de ventes. En 2013, il trouve un oligarque russe collectionneur d’art prêt à acheter le Christ rédempteur. Un an plus tard, après un scandale autour du prix de vente (dévoilé dans le « New York Times »), le nouveau propriétaire décide finalement de se séparer de son tableau. L’œuvre retourne ainsi à New York pour être la star d’une vente publique d’art contemporain chez Christie’s.
Avant les enchères, le « Dernier De Vinci » fait l’objet d’une campagne de communication exceptionnelle qui exclue totalement la potentielle attribution du tableau à l’atelier de l’artiste, reprend la typographie sensationnelle du film hollywoodien Da Vinci Code (2006) et mise sur un spot publicitaire où les spectateurs (dont l’acteur Leonardo… di Caprio) sont émus face au tableau, pour préparer le terrain. En 2017, la vente spectaculaire de Christie’s montre une bataille d’enchères qui se joue, non plus dans la salle, mais entre deux acheteurs par téléphone, avant d’être adjugé 450 000 millions de dollars, frais compris. Après avoir gardé le mystère du nouveau propriétaire de l’œuvre la plus chère au monde, le nom du prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (MBS) fuite dans la presse. L’achat du Salvator Mundi s’inscrirait dans une stratégie « après pétrole » du pays, notamment autour du site d’Al-‘Ula et de la construction de musées d’ici 2030.
Toutefois, en 2018, une nouvelle polémique éclate. Déjà sceptique auparavant, Matthew Landrus confie au « Guardian » qu’il rejette l’attribution du tableau à Léonard de Vinci et émet l’hypothèse que l’auteur du Salvator Mundi serait en réalité Bernardino Luini, un des assistants du peintre qui maîtrise la technique du sfumato. Il fait ainsi écho à l’experte Carmen Bambach qui avait aussi partagé ses doutes dans la presse en 2012.
Aussi, d’autres historiens de l’art, comme Jacques Franck, défendent que l’œuvre est de Salai, un élève du maître de la Renaissance, supervisé et complété par Giovanni Boltraffio (1467-1519), un des peintres de l’atelier de Léonard de Vinci. Quelques mois plus tard, alors que le Salvator Mundi devait être exposé au Louvre Abu Dhabi, le musée fait finalement marche arrière, alimentant le flou artistique autour de l’authenticité de la peinture. « Pourquoi cacher le tableau le plus connu, de l’artiste le plus célèbre et au prix le plus cher ? Pourquoi ne sont-ils pas assez sûrs pour exposer ce tableau star ? », questionne le critique d’art Jerry Saltz face à la caméra.
La même année, le Président Macron reçoit le prince saoudien à l’Élysée à l’occasion d’un accord pour la mise en valeur d’Al’Ula d’une valeur de 15 milliards d’euros, en présence de Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre, qui prépare alors l’exposition événement "Léonard de Vinci".
À visages masqués et dans la pénombre, deux hauts fonctionnaires anonymes témoignent de ce qu’il s’est réellement passé entre la rencontre avec MBS et l’ouverture de l’exposition blockbuster du Louvre. Assis au Musée national Jean-Jacques Henner (Paris, XVIIe arrondissement), le premier témoin, un « haut fonctionnaire au ministère de la Culture », explique que le prince souhaitait incarner un symbole de modernité et d’ouverture culturelle de l’Arabie saoudite. Le second intervenant anonyme, haut fonctionnaire du gouvernement, précise que le Salvator Mundi est arrivé au Louvre en juin 2018 et est resté dans les laboratoires du C2RMF, au sous-sol du musée, durant trois mois afin d’être analysé. Cette expertise est devenue « secret d’État » (l’expertise des œuvres n’appartenant pas aux collections nationales est interdite).
Le témoin rapporte alors à Antoine Vitkine que Vincent Delieuvin, conservateur au Louvre et co-commissaire de l’exposition « Léonard de Vinci », a convoqué des experts internationaux pour annoncer qu’à l’issue de ce processus « l’expertise scientifique a permis de démontrer que Léonard de Vinci n’a fait que contribuer à ce tableau ». Donc difficile de le présenter comme une œuvre du maître sans mentionner son atelier.
Ainsi, lorsque l’Arabie saoudite souhaite prêter le Salvator Mundi, sous condition qu’il soit présenté sans explication et comme un tableau autographe de Léonard de Vinci, le Louvre devient plus réticent. L’institution produit deux catalogues et deux plans différents pour l’exposition avant que les choses ne soient tranchées fin septembre 2019. Craignant de raviver le débat sur l’authenticité et d’être accusé de blanchiment d’une œuvre, Emmanuel Macron ne donne pas suite à la proposition de MBS et préfère maintenir la crédibilité de la France et du Louvre. « À terme, on ne nous prêterait plus d’œuvre si on faisait ce genre de choses », explique le haut fonctionnaire du gouvernement. « Il faut avoir des convictions qui vont au-delà des intérêts immédiats. » Finalement, l’exposition « Léonard de Vinci » se fera sans le Christ sauveur.
Aujourd’hui, le Salvator Mundi est conservé dans un lieu inconnu. Depuis sa vente chez Christie’s, le tableau n’a pas été montré publiquement. Alors que certains assurent que l’œuvre dort dans les réserves du Louvre Abu Dhabi, d’autres dans un musée à Genève ou bien qu’il vogue sur les flots à bord du yacht du prince héritier, nul ne sait s’il sera à nouveau présenté un jour dans une institution occidentale ou dans un musée saoudien, aux conditions refusées par le Louvre. Si le documentaire d’Antoine Vitkine est clairement à charge, il ne fait aucun doute qu’il n’y a pas de fumée sans feu, ni de Léonard de Vinci sans belles histoires pleines de rebondissements. Quoi qu’il en soit, le Salvator Mundi n’a certainement pas fini de faire parler de lui.
D’après le découpage du documentaire en trois parties, l’histoire du Salvator Mundi est une question de vérité, d’argent et de pouvoir.