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Les damnés

2016

Voir : photogrammes

D'après Les damnés de Luchino Visconti. Captation de Don Kent. Avec : Guillaume Gallienne (Friedrich Bruckmann), Elsa Lepoivre (Sophie von Essenbeck), Éric Génovèse (Wolf von Aschenbach), Christophe Montenez (Martin von Essenbeck), Denis Podalydès (Le baron Konstantin von Essenbeck), Loïc Corbery (Herbert Thalman), Adeline d'Hermy (Elisabeth Thalman), Clément Hervieu-Léger (Günther von Essenbeck), Jennifer Deckerb (Olga), Didier Sandre (Baron Joachim von Essenbeck) Sylvia Bergé (La gouvernante et la mère de Lisa), Alexandre Pavloff (Le Recteur et L'Inspecteur). 2h15.

Le 27 février 1933, dans une grande ville de la Ruhr, toute la puissante famille Von Essenbeck est réunie pour fêter l'anniversaire du vieux chef de la famille, le Baron Joachim, magnat des aciéries. Dans la soirée, ils apprennent l'incendie du Reichtag : les nazis prennent le pouvoir. Aschenbach, membre des S.S. de Himmler, encourage Friedrich Bruckman, directeur des aciéries et amant de la Baronne Sophie, à opter pour Hitler. Bruckman assassine le Baron et accuse du meurtre Herbert Thallman, un libéral anti-nazi, époux de la nièce du Baron, Elisabeth, qui doit fuir le pays.

Devenu majoritaire, le fils de Sophie, Martin, donne les pleins pouvoirs à Bruckman au grand dépit du Baron Konstantip qui voudrait assurer l'avenir de son jeune fils Guenther. Aschenbach suggère à Bruckman de se débarrasser de Konstantin et de ses S.A. A la tête des S.S., au cours de la "Nuit des longs couteaux", ils surprennent les S.A. en pleine orgie, et les massacrent tous, Bruckman s'occupant personnellement de Konstantin.

Aschenbach trouve cependant Bruckman trop mou et excite contre lui la jalousie de Martin. Herbert Thallman vient se livrer pour sauver ses deux filles internées dans un camp de concentration, où est morte Elisabeth. Il accuse Sophie de les avoir dénoncées après sa fuite. Martin révèle à Guenther que Bruckman a tué son père, et Guenther rejoint le parti nazi. Martin, devenu le chef incontesté de sa famille, organise avec ses amis nazis le pseudo-mariage de sa mère avec Bruckman, et, à l'issue d'une cérémonie caricaturale, les force à se suicider.

La troupe de la Comédie-Française est de retour dans la cour d’honneur du palais des papes après plus de vingt ans d’absence au festival d'Avignon. La pièce reprend le scénario imaginé par Visconti pour Les damnés (1969), sans jouer pour autant de ses principaux choix de mise en scène. La théâtralisation de l'espace par les moyens de la vidéo permet au texte, pas forcement très fort -surtout en français- de trouver une nouvelle résonance lyrique, éminemment symbolique en adéquation avec la dénonciation de la nouvelle dictature de notre siècle : le terrorisme.

La vidéo pour contraindre l'espace dans un espace ouvert

La mise en scène de Visconti exacerbait par des éclairages baroques les longues scènes de déchirements familiaux et de perversions en tous genres (assassinat de masse, pédophilie, inceste, meurtres familiaux). Des zoom-avant venaient figer les personnages dans leur décisions atroces alors que les zoom-arrière déstabilisaient la mise en place d'une situation que tel ou tel pensait figée. Les espaces intérieurs prédominaient largement sur les extérieurs avec la fonderie comme principal décor : funérailles de Joachim et couleur orangée des hauts fourneaux au début et à la fin.

La scène du palais des papes est pavée d'un dallage orange, rappel du feu des hauts-fourneaux Von Essenbeck qui vont bientôt fondre les canons du régime nazi. Autour des acteurs, côté droit, des cercueils ouverts qui se rempliront à chaque acte et, côté gauche, des loges où les acteurs se maquillent, se changent et fomentent de mauvais coups. Au fond, des portants de vêtements remisés au gré du spectacle, qui vont de la couleur vers le noir, discret marqueur de temps qui passe. La musique de Bl!ndman, jouée par des saxophonistes puis une chanteuse lyrique, accentue la dimension de drame tragique

Un écran central occupe le fond de la scène. Y sont projetés des documents d'archives historiques (Incendie du Reichstag, arrestation des opposants, camps de concentration...) et les agissements de la famille Von Essenbeck captés en temps directe par deux caméras sur scène. Les surimpressions d'information précisant les liens de parentés peuvent paraitre inutiles puisque précisées par la suite dans le texte. Néanmoins ce dispositif permet de fractionner les longues scènes se passant dans des lieux différents chez Visconti (une voiture puis trois pièces différentes du château) en autant de moments alternés rendant plus palpable la tension qui précède les grandes scènes de repas familiaux.

Les terroristes, nazis de l'époque moderne

Inspiré par une documentation sur  la famille Krupp et la lecture de Le Troisième Reich - des origines à la chute de William L Shirer paru en 1961, le scénario de Viconti possède une solide base historique. Mais Visconti ne voulait pas s'en tenir là : "J'ai voulu situer mon film en Allemagne parce que j'ai voulu raconter une histoire sur le nazisme, ce qui me semble important. Mais le film n'est pas resté un film historique. C'est quelque chose de plus. A un certain moment, les personnages deviennent presque des symboles. C'est à dire que ce n'est plus un film sur l'histoire de la naissance du nazisme mais un film situé à un moment pour provoquer certains conflits et surtout pour amener une certaine catharsis à travers les personnages. D'ailleurs je n'ai jamais eu l'intention d'en faire un film historique."

La mise en scène d'Ivo Van Hove se propose de faire le parallèle de la montée en puissance du nazisme avec notre époque où une domination possible de la dictature pourrait advenir. Les images en arrière fond viennent parfois mettre le public en scène. Il ne s'agit pourtant pas de le prendre là en flagrant délit de passivité. Il s'agit bien plutôt de lui rappeler sa place toujours possible de victime. Martin se défait à la fin de son costume nazi et de son micro HF pour n'être qu'un corps nu recouvert des cendres des victimes. Il se saisit alors d'une mitraillette et tire sur la foule. A la fin des Damnés de Visconti, une surimpression venait dire la dissolution de la classe dominante dans le nazisme. Il semble bien aujourd'hui qu'aucun discours politique ne puisse prendre en charge le désespoir le plus noir. L'individu seul, damné, tire sur la foule.

Dernier plan des Damnés de Luchino Visconti
Scène finale de Ivo van Hove

La captation de Don Kent, le 6 juillet pour une retransmission le 10 juillet 2016 sur F2 à 22h50, est souvent trop maniérée. On vérifiera par ces photogrammes  l'excès des angles de prise de vue. De simple changement de focales (grosseur de plan dans l'axe) auraient mieux servie la solennité de l'entrée des acteurs. Néanmoins, la complexité du dispositif d'ensemble est bien rendue.

Jean-Luc Lacuve le 15/07/2016