Serge, instable et mal dans sa vie, assure régulièrement la liaison entre la France et le Maroc comme chauffeur routier. Il doit affronter la monotonie, l'attente, l'inquiétude des contrôles et la crainte qu'un clandestin se glisse dans son camion. Chez James, vieil Anglais nostalgique du Tanger d'hier, le jeune homme retrouve, par hasard, François, son ancien camarade de lycée. Mais Serge n'a qu'une idée en tête : convaincre la jolie Sarah de bien vouloir lui parler.
À la mort de sa mère, Sarah a promis de ne plus revoir Serge. Devant prendre sa vie en main, elle hésite à rejoindre son frère à Montréal, où il a fait fortune. Mais il lui faudrait vendre la pension et licencier Saïd, le protégé de sa mère, qui ne possède qu'une bicyclette.
Devenu réalisateur, François est obnubilé par Saïd et souhaite l'interroger sur ses multiples tentatives d'exil. Saïd ne "veut plus attendre" et James est persuadé que le chômage n'est que le prétexte de cette perpétuelle fuite vers le Nord.
Au bout du rouleau, Serge promet à Saïd qu'il le fera passer en Europe, s'il lui permet de voir Sarah. Intéressé, Saïd aide à la réconciliation. Mais Serge ne tient pas parole. Furieux, Saïd joue un jeu ambigu avec Sarah et laisse planer le doute sur Serge
Croyant qu'il n'avait plus rien à perdre avant de revoir Sarah, Serge,
qui voulait "foncer dans le mur ", s'était proposé
pour passer de la drogue. À présent, indécis, il souhaite
revenir en arrière. Menacé, il doit abandonner son camion pour
qu'on y cache la marchandise. Serge se sent contraint de rompre brutalement
avec Sarah. Cependant, même si elle rêvait de Montréal
avant de rencontrer Serge, Sarah n'est pas convaincue par les propositions
d'Émily, sa belle-sur. Elle préfère prendre exemple
sur son amie Farida, qui va avoir, seule, un enfant.
Après l'angoisse d'une fouille complète de son camion, Serge annonce à son contact qu'il ne participera plus au trafic et ne descendra plus en dessous de l'Espagne. Puis il finit par s'expliquer avec Sarah et l'invite à l'accompagner. Elle refuse, bien qu'elle pense qu'il ne reviendra pas mais avec sérénité, car c'est la première fois qu'ils se réconcilient avant son départ. Trouvant Saïd caché entre l'essieu et le plancher de son camion, Serge lui propose enfin sérieusement de le faire passer en Europe
Pour Jean-Michel Frodon (Le Monde daté du mercredi 29 août 2001) :
"Celui-ci devrait aller droit, mais fait un détour. Celui-là veut partir, mais reste sur place. Celle-ci voudrait rester, mais doit partir. On pourrait résumer Loin par ces géométries dans l'espace, et dans les esprits. Dans les ruelles de Tanger, sur le port international, le long des routes d'Espagne et du Maroc, la mise en scène parvient à réinventer un univers neuf.
Trois personnes, trois figures, trois points animés d'élans différents. Ils ont la même initiale, S pour Serge, Saïd et Sarah. Leurs positions respectives, leur circulation, leurs manières de se croiser, de se heurter, de s'éviter, enclenchent un mouvement de plus en plus complexe, de plus en plus riche, une arborescence de récits, une jungle de sensations, d'émotions, d'harmoniques aux innombrables tonalités. C'est l'étonnante alchimie de ce quinzième long métrage d'un des grands cinéastes français, auteur confirmé s'il en est. On dirait un premier film. Les thèmes, les ambiances, les pulsions qui hantent Téchiné depuis trente ans sont bien là, mais comme découverts pour la première fois.
le récit se passe en trois jours, entre trois personnes fortement typées, depuis leur appartenance communautaire (un Français, un Arabe, une juive) jusqu'à leur moyen de locomotion (le camion, le vélo, le scooter). Serge, qui transporte du tissu au Maroc et en rapporte des vêtements, se laisse dévier du droit chemin par la tentation du trafic de drogue, et se retrouve manipulé par des mafieux mielleux et dangereux. Sarah, qui vit mal sa liaison intermittente et éruptive avec Serge, veut rompre. Après la mort de sa mère, propriétaire du petit hôtel où descend Serge à Tanger, sa belle-sur vient la chercher pour l'emmener au Canada. Employé de l'hôtel, Saïd consacre toute son énergie à son rêve : utiliser le camion de Serge pour émigrer clandestinement en Europe.
Autant que par ce qu'il raconte, le film existe par la rougeur du camion rouge de Serge (rouge comme un jouet, comme un péché, comme un objet votif). Il existe par la nervosité de Saïd, qui pédale même à l'arrêt, et habite la ville d'une fluidité sensuelle et dérangeante. Il existe par la tension de Sarah, tout ce qui vibre en elle de peur, de désir, de faim d'avenir et d'attachement à l'enfance encore proche - et que la toute jeune Lubna Azabal distille avec un talent impressionnant. Il est dans la lourdeur du corps de Stéphane Rideau (Serge), sa manière de se la jouer héros d'aventures exotiques et d'hésiter, son sentimentalisme barbouillé de violence. Le film est dans la manière subtile dont ce trio fait apparaître à l'image les espaces, les comportements - étonnantes séquences sur le port international, avec la fouille des camions et les tentatives de passage clandestin des "brûlés", candidats éternels à l'émigration.
Le film existe, il naît et se développe, de ces intervalles que ménage le récit, où apparaissent les sensations les plus incongrues, les images les plus improbables, et qui font la saveur complexe de l'ensemble. Voici Gaël Morel, doublement surgi du passé d'André Téchiné, puisqu'il était le partenaire de Stéphane Rideau dans Les Roseaux sauvages, et y jouait le rôle du cinéaste adolescent. Voici un instant de peur glacée, incompréhensible, quand Serge attend son camion où les gangsters auxquels il s'est acoquiné doivent cacher du hachisch, et voici un moment de connivence chaleureuse et imprévue, entre la bourgeoise juive venue du Canada hantée par la mort de son enfant et la femme arabe enceinte. Voici une parabole biblique qui se transforme en frousse de gamins devant un serpent... Comme souvent lorsque le cinéma est là, vient le moment où tout peut arriver, tout fait écho, miroir, assonance ou contrepoint.
Il faut pour cela une grande générosité dans la manière de filmer, et un sens aigu de la présence physique des corps. Cette ultrasensibilité est le véritable carburant du film, elle court dans ses veines et le colore. Force ou faiblesse, vitesse ou langueur, variation entre les langues, tonicité du corps de l'enfant s'exerçant aux agrès devant un cimetière, allées peuplées d'inattendus acrobates qui sont comme le signe de cette tension, de cette souplesse, de ce risque - pour eux et pour les autres - qui rôdent dans ces rues et ces existences. La singularité de Loin tient encore à l'outil utilisé par André Téchiné : la vidéo numérique. Celle-ci, outre ses - éventuels - avantages financiers, recèle bien des possibilités esthétiques. Mais elle est, a priori, aux antipodes du cinéma tel que le pratique André Téchiné : l'auteur de Rendez-vous et des Voleurs tend à charger ses plans de romanesque, d'intensité visuelle ; la profondeur, la précision et les nuances du 35 mm semblaient lui être indispensables, et il en usait souverainement.
Souvent, dans Loin, il semble que cette image-là, cette matière-là, lui manque. Souvent on le sent cherchant à forcer une intensité que son outil lui refuse. Et pourtant, paradoxalement, même ce hiatus entre le style du cinéaste et les instruments dont il dispose contribue à ouvrir encore davantage le film, à y instaurer un décalage supplémentaire, dont il tire bénéfice. Même cette absence contribue à la triple offrande sur quoi se termine Loin. Loin, effectivement du nud serré de conflits et tensions où il prenait naissance : trois destins ouverts, trois avenirs à vivre."
Jean-Michel Frodon (Le Monde daté du mercredi 29 août 2001).