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1893. Le juge Rousseau s'ennuie à Paris. Il ne sait pas encore qu'il
lui faudra attendre cinq ans avant d'être mis en présence du
Joseph Bouvier. Celui-ci, sergent dans l'armée apprend alors qu'il
est réformé à cause de ses brusques accès de violence
tempérés par des crises de dévotion. Il part du Var pour
retrouver sa fiancée, Louise Lesueur, dans le Nord, ne cessant de lui
envoyer des déclarations enflammées et dévotes, notamment
après son passage par Lourdes, le 28 mai. Mais celle-ci refuse de l'épouser.
Aveuglé par la douleur, il lui tire trois balles de revolver et tente
de se suicider. C'est un double échec : Louise n'en meurt pas et Joseph est condamné
à vivre mais cette fois avec deux balles dans la tête.
Le 1er avril de l'année suivante, Bouvier quitte l'asile de Dole où il était enfermé. La médecine l'a reconnu guéri et sain d'esprit, ce qui ne l'empêchera pas d'éventrer, d'étrangler, de violer plus de douze personnes en quelques mois dans le Var. Il court les routes, hanté par le souvenir de Louise, tuant telle une bête fauve dans de subits accès de rage et implorant le pardon de Dieu qui lui a confié, croit-il, la mission de réveiller la France endormie, écrasée par l'injustice : il est l'anarchiste de Dieu !
Personne ne soupçonne Bouvier, les crimes étant trop éloignés les uns des autres ; personne sauf le juge Rousseau qui vit à Privas, avec sa mère. À force de déduction, il a réussi à recomposer un signalement de l'assassin. Et, fait nouveau pour l'époque, il l'envoie aux deux cent cinquante Parquets de France. Cette initiative décriée même par son meilleur ami, le procureur Villedieu, qui a longtemps vécu aux colonies, permet au juge de se retrouver enfin face à face avec Bouvier.
Petit à petit, le juge Rousseau va gagner la confiance du meurtrier. Séduit par le juge, Bouvier va peu à peu tout lui avouer, lui donnant des détails qui constituent des preuves irréfutables. Il se sait malade et veut qu'on le soigne. Mais, au fond de lui-même, le juge croit que Bouvier simule la folie. Et le juge, aidé par les experts, va envoyer Bouvier à la guillotine.
Bertrand Tavernier adapte un fait divers du XIXe siècle pour dénoncer
une justice de classe. Cette justice de classe c'est d'abord celle qui n'accorde
pas à Bouvier le bénéfice de la folie qui lui permettrait
d'échapper à la guillotine. Il dérange la conscience
de classe des médecins en émettant des théories dangereuses
pour la société bourgeoise. Mais surtout, comme le dit le procureur,
un royaliste maurassien et antisémite : "C'est un pauvre, il n'a
aucune chance !" Il n'a aucune chance d'échapper au sort que réclame
la populace (celle qui refuse à la fillette d'un assassin supposé
de communier avec les autres enfants, celle qui assiste en grand nombre à
l'exécution) et aux règles de la bienséance bourgeoise.
L'asservissement de la science semble à peine entamée par le
jeune médecin qui exige un autre traitement mais qui sera vite rembarré
par le juge.
En cette période d'extrémisme, il est bon être fanatique (une affiche du journal La Croix indique qu'il est le journal le plus anti-juif de France). Villedieu pense que l'antisémitisme est un bon moyen de canaliser la haine. Les dames patronnesses font signer des pétitions patriotiques contre le traitre Dreyfus aux clochards contre une assiette de soupe et l'on brûle les livres de Zola en place publique. C'est ce même fanatisme qui ronge Bouvier, violé à seize ans par les prêtres et qui demande à la Vierge de lui rendre Louise "aussi blanche que cette neige".
Mais la justice de classe c'est aussi celle qui, crispée sur ses fanatismes, est aveugle à la souffrance des plus pauvres. Bouvier ne peut s'en prendre qu'aux pauvres bergers et bergères. Suzanne, la sur de Rose, meurt dans l'indifférence des médecins. Un insecte court sur son visage endormi comme il courrait sur le visage d'une bergère assassinée. Le carton final est explicite à ce sujet : "Entre 1893 et 1898, le sergent Joseph Bouvier tua 12 enfants. Durant la même période, plus de 2 500 enfants de moins de 15 ans périrent dans les mines et les usines à soie, assassinés !
Jean-Luc Lacuve, le 03/06/2014