Dans une chaise à porteur perdue au milieu d'un sous-bois, le comte Alexis Danshire sollicite le vieux Duc de Walchen pour trouver aux libertins qui l'accompagnent un refuge après avoir été expulsés de la cour puritaine de Louis XVI. Le duc de Wand leur raconte l'exécution à laquelle il a assisté d'un malheureux qui avait voulu tuer Louis XV le débauché. L'homme avait été écartelé avec difficulté. Si lui-même n'avait pas supporté le spectacle, il avait remarqué que madame de Jensling et ses deux filles assistaient à l'exécution publique sur le balcon d'à côté sans sourcilier. Il en conclut que ce n'est pas dans l’audace sexuelle qu'il faut chercher la promesse d’une libération : "Aujourd’hui ce ne sont pas les débauchés qui pourraient faire la révolution, mais ce sont bien ces femmes-là, obstinées, dures et qui connaissent le prix à payer pour que le monde puisse changer ". Mais le Duc de Walchen, séducteur et libre penseur allemand, trop esseulé dans un pays où règnent hypocrisie et la fausse vertu ne leur promet rien.
Alors que la nuit tombe le Duc de Wand interroge mademoiselle de Geldöbel, allongée dans une brouette. Il a pour désir d'enfoncer son vit dans la narine d'un veau. Quelle part prendra-t-elle à ce jeu érotique ? La réponse de la jeune femme le déçoit par son manque d'imagination.
Le Comte de Tésis organise une pendaison par les bras de Mademoiselle de Jensling sur laquelle on verse des seaux de lait. Il la laisse crier un peu avant de la laisser tomber à terre : "Je me méfie des expressions du plaisir qui peuvent être trompeuses; je préfère celles de la douleur". Mademoiselle de Jensling est l'une des novices du couvent voisin que des valets ont emmenés dans une chaine à porteur. Une autre aristocrate du couvent aime à se faire fouetter. Le comte de Tésis aussi aime ce châtiment violent.
Au cours de la nuit, libertins et novices cherchent divers arrangements sexuels et sado-maso : postures confinées dans l’espace étroit d’une chaise à porteur, moignon écorché par les pointes d'une longue fourchette, déversement de pisse, femme et hommes, sur le corps de l'homme au moignon, exécution d'un coup de couteau du duc de Walchen laissé agonisant, masturbation devant le déshabillage d'un beau valet. Des accouplements lents et poussifs terminent la nuit avant que la lumière du matin éclaire le sous-bois.
Très lent et hypnotique par les diverses combinaisons accumulées dans un même lieu, de personnages cherchant vers qui diriger leur désir, Liberté aurait pu être une belle proposition esthétique s'il s'en était tenu à une durée de moins de 90 minutes. Etiré sur plus de deux heures, il outrepasse la nécessaire économie de moyen attendue de toute oeuvre d'art et devient un pensum lourdingue qui prend en otage son spectateur.
Le film d’Albert Serra est né d’une représentation théâtrale, écrite et mise en scène par le cinéaste, à la Volksbühne de Berlin au printemps 2018. Les premières représentations, fort contestées, se déroulant lors de la berlinade, certains lui ont conseillé d'en faire un film.
Albert Serra y a vu l'occasion d'utiliser plus intensément le hors champs. De nombreuses fois, les personnages, statiques, cherchent du regard vers qui diriger leur désir. Ces plans d'attente, où la tension dramatique tient au seul hors champ sonore, occupent une bonne moitié du temps de la narration nocturne. Le film ne comporte qu'une scène diurne, la première, où sont présentés les personnages. Ensuite l'arbitraire du désir des débauchés guidera les postures dans un grand tout indifférencié des genres, des langues et des accents et des classes sociales. Ainsi, lorsque la lune blafarde laisse la place à la lumière du matin, sans doute que les plaisirs n'auront pas été comblés et qu'il faudra recommencer la nuit suivante.
Jean-Luc Lacuve, le 24 septembre 2019.