Leningrad, début des années 80. Deux jeunes filles entrent en douce, par les fenêtres des toilettes, dans la salle du Leningrad Rock Club. S'y donne le concert blues-rock de Mike Naumenko et de son groupe Zoo Park qui électrise les spectateurs assis bien sagement sur leur fauteuil. Le service d'ordre du parti communiste veille en effet au grain et retient toute manifestation d'enthousiasme qui dérangerait l'ordonnancement des sièges. Quand Natasha lève un cœur dessiné sur un papier au-dessus de sa tête, au moment de la chanson phare "Je suis une merde", elle est immédiatement rappelée à l'ordre. A la fin du concert, elle va rejoindre Mike dans les loges; ils sont mariés et elle va rejoindre leur enfant dans l'appartement qu'ils louent à une propriétaire par ailleurs extrêmement attentionnée qui prend soin de leur bébé quand ils sont absents.
Un bel après-midi d'été Viktor Zoi et son ami Liocha, musiciens de 19 ans, approchent Mike, Natasha, Punk des amis et choristes de la scène du Leningrad Rock Club réunis sur la plage qui chantent "Leto". Ils ont apporté du vin bulgare et souhaitent faire entendre leurs compositions originales, discrètement satiriques, telle "Quand d'autre marchent en rythme". Tous reprennent la chanson en chœur et sont immédiatement séduits. Mike trouve même un nom pour le groupe : Garine et les Hyperboloïdes.
Au retour dans le train, un vieil alcoolique s'en prend aux chanteurs qui chantent les chansons de l"ennemi idéologique". Il finit par attirer l'attention d'un policier en civil qui arrête Punk, qui se moquait des reproches du vieil homme. Un coup brutal déclenche une bagarre générale mais Septik lève sa pancarte "cela ne s'est jamais produit" et en effet Punk est seulement conduit gentiment vers al sortie.
Mike de son côté peine à terminer un album même s'il en dessine la pochette. Ne serait-il qu'un petit bourgeois bien installé ? C'est ce que prétend Septik qui préférait se faire tuer plutôt que de renoncer à ce qu'il a à dire. Mais "cela ne s'est jamais produit" et Mike continue ses compostions et encourage Tsoï.
Les chansons de Tsoï doivent passer au bureau de censure. La directrice, Anna Aleksandrovna, demande au groupe et aux dirigeants du Rock Club de lui prouver que les chansons de sont acceptables et "soviétiques dans l'esprit". Oleg, Liocha et Tsoï sont tour à tour sur le point se s'énerver et Mike leur demande d'aller prendre l'air pendant qu'il continue de négocier. Mike finit par amadouer Anna Aleksandrovna en lui disant qu'il vaut mieux laisser les musiciens chanter, ce qui est un défouloir sans danger, surtout si l'on prend les paroles avec humour.
Fort du soutient de Mike, Tsoï compose et vient de plus en plus souvent chez le couple. Mike voit bien que Natasha n'est pas insensible au charme du jeune homme. Un jour que Tsoï et Natasha se retrouvent sur une vente de disques rares ou interdits, ils décident de ramener une tasse de café chaud à Mike en signe d'amitié et d'amour. Mais le temps de prendre un bus où chacun chanterait du Iggy Pop (ce qui n'est jamais arrivé) le café que porte Natasha à Mike est froid. Un soir, celle-ci avoue à Mike qu'elle a envie d'embrasser Tsoï. Mike lui affirme qu'elle n'a pas besoin de son autorisation
A la veille du concert, Oleg, le batteur est sommé de se rende à la visite médicale pour le service militaire qui l'enverra probablement en Afghanistan. Tsoï propose de le remplacer... par une boite à rythme. Du coup, le jour du concert sur la scène du Leningrad Rock Club, Tsoï et Liocha sont angoissé. La réaction du public est plutôt molle mais lorsque Mike vient les rejoindre pour les soutenir d'un solo de guitare, le public est conquis. Mike laisse Natasha avec le héros du jour en lui indiquant qu'il ne rentrera pas le soir.
Mike va en effet voir Boris Grebentchikov, dit BOG (Dieu), pour lui demander de produire le premier disque de Tsoï. Bien sur, Mike est angoissé par les suites de la nuit. Natasha a invité Tsoï chez eux. Mais au matin, quand Mike revient, il trouve Natasha seule dans le lit et s'allonge à ses cotés.
Mike donne des concerts privés avec ou sans Tsoï. Celui-ci fait la connaissance de Marina, une jeune femme ambitieuse qui veille bientôt sur ses cachets et transforme son look en héros romantique en même temps que le groupe change de nom pour celui de Kino. Tsoï s'impose sur la scène avec une chanson mélancolique, L'arbre, dont semble se désintéresser Mike qui sort fumer laissant Natasha seule à regarder Tsoï. Les dates de naissance et de mort des deux chanteurs apparaissent en incrustation (1962-1990); (1955-1991).
Leto est un biopic, inspiré par les mémoires de Natasha Naumenko, la femme de Mike, alors au faîte de sa gloire en 1981 lorsqu'il rencontre le jeune Viktor Tsoï. Toutefois, Kirill Serebrennikov délaisse les chansons les plus contestataires de Tsoï et sa gloire fulgurante auprès de la jeunesse russe jusqu'au 15 août 1990 lorsqu'il meurt à 28 ans, au volant de sa voiture. Bien au contraire, en arrêtant la narration en 1982 et en incrustant les dates de naissance et de mort des deux chanteurs, le film laisse pointer un tout autre message que celui de la créativité de la jeunesse. Fort d'un personnage extra-diégétique, capable de montrer ce qui aurait pu être et n'a pas été, le film se teinte d'un reproche beaucoup plus actuel sur la société d'aujourd'hui. Il montre comment la création et l'amour s'éteignent à petit feu lorsque l'embrasement ne vient pas.
Un biopic fidèle sur les années 1981-1982 seulement
Le plus ancien des groupes rock de la scène underground russe est fondé en 1969 à Leningrad par Boris Grebentchikov connu par son pseudonyme BOG (Dieu) inspiré de ses initiales. C'est chez lui que Mike monte durant sa soirée de détresse au son de Perfect day de Lou Reed. Il lui demande de produire le premier disque Viktor Tsoï. Celui-ci s'est fait renvoyer à la fin des années 70 d'un institut d'art et commence un apprentissage de gravure sur bois (d'où les cadeaux de la bague et du cendrier). Le groupe Zoopark est fondé en 1980 par Mike Naumenko ; Garine et les Hyperboloïdes, celui de Viktor Tsoï en 1981 et sera rebaptisé Kino en 1982. Suivront Alissa en 1983, Avia en 1985. Ces groupes sont soutenus par Roksy, un fanzine clandestin consacré au rock lancé en 1977 par Grebenchtchikov, Mike Naumenko et quelques autres. Les groupes rock sont officiellement interdits, considérés comme des agents de la propagande pro-occidentale et vivotent dans les niches que leur laisse le KGB comme le Rock club de Leningrad, officiellement crée en 1981 et qui permet aux musiciens de se produire-sous bonne garde, puisque leurs textes et leurs musiques sont soumis à la censure.
Ce que le film ne dit pas c'est que la mort de Tsoï à 28 ans, endormi au volant de sa voiture, a transformé sa fulgurante carrière en légende toujours vivace dans la Russie d'aujourd'hui. Viktor Tsoï avait joué dans deux films, Assa (Sergueï Soloviov, 1987) et l'Anguille (Rachid Nougmanov, 1989), comme figure emblématique de la jeunesse rock des années 80. Rien de tout cela dans le film. En quittant la salle de concert où se produit Tsoï, Mike semble se désintéresser de son protégé passé sous la coupe de l'ambitieuse Marina. Elle règne sur les cachets qu'il touche et lui impose une coupe de cheveux qui en fait le héros romantique voulu par la directrice de la censure. Même la chanson L'arbre, l'une des plus connue de Viktor, mais aussi l'une des plus mélancoliques est donnée à dessein pour exprimer la fin d'une époque et d'un idéal. C'est ce que viennent confirmer les dates de vie et mort des deux chanteurs (1962-1990) et (1955-1991) qui apparaissent en incrustation avant que le film se clôture sur Natasha applaudissant celui qu'elle ne peut aimer.
L'été puis la mort à petit feu
Le film ne manque pas de romantisme; le noir et blanc, les travellings de plans séquences virtuoses par la grâce légère à suivre les personnages; la scène rock underground où un chanteur pend l'autre sous son aile tout en acceptant d'être dépassé par lui, un triangle amoureux entre ces deux mêmes chanteurs et la femme du premier; l'utilisation d'une B. O. reprenant des standard du pop-rock : All the Young Dudes de David Bowie, The Passenger d'Iggy Pop, Psycho Killer des Talking Heads, Perfect Day de Lou Reed et faisant alors l'objet de clip, pauses dans la narration.
Mais ce talent n'explose que dans les clips où tout semble permis : graphitis, hachures sur les personnages, touches de couleur. Dans le reste de la narration, ce talent contraint fini par mourir étouffé. Il aurait mieux valu le drame plutôt que cette mort à petit feu où les compromis se succèdent sur la censure des paroles, le manque d'instrument, guerre et arrestation arbitraire, studio minable. L'apothéose des musiciens fut ce moment sur la plage un jour dété.
Jean-Luc Lacuve, le 29 décembre 2018.
Source : Eugénie Zvonkine, Nous attendons des changements, le rock underground soviétique au cinéma, les cahiers du cinéma n°750, décembre 2018