Un auteur de théâtre, Clément Roquemaure (Jean-Pierre Kalfon), fait à trois comédiens, Emily (Jane Birkin), Charlotte (Géraldine Chaplin) et Silvano (Facundo Bo), qui ont du mal à trouver des engagements, une étrange proposition : il les invite à passer une semaine dans sa villa de la région parisienne pour répéter sa nouvelle pièce, dont la fin reste à écrire. Roquemaure partage sa villa avec un ami (ou rival ?), Paul (André Dussollier), ainsi qu'avec un mystérieux majordome, Virgil (Laszlo Szabo), surnommé "à pas de loup" pour sa capacité à entrer dans une pièce sans que personne ne l'entende. Peu à peu, alors qu'Emily et Charlotte tombent sous le charme de Roquemaure, puis de Paul, et rivalisent pour gagner les faveurs des deux hommes, elles découvrent que la villa comporte des pièces secrètes où des bruits bizarres se font entendre, et elles s'interrogent sur le fantôme qui pourrait bien hanter la chambre interdite. Est-ce celui de l'ancienne femme de Roquemaure, à laquelle la pièce inachevée semble adressée ?
Jacques Rivette, note d'intention :
« Il s'agit, on le devine, d'une comédie dont les éléments
essentiels sont un chassé-croisé amoureux entre quatre personnages,
Charlotte, Emily, Clément et Paul, et le mystère d'une disparition
- qu'on apprendra par la suite - d'un cinquième personnage, une jeune
femme appelons-la provisoirement Béatrice - qui fut successivement
la compagne de Paul et celle de Clément. La pièce que Clément
veut faire représenter dans ses propres appartements concerne cette
disparition. Quant au sujet même du film, il serait la confrontation,
à travers la rivalité de Paul et de Clément, entre le
théâtre et la magie. Si l'on veut des références,
le film se souvient à la fois de La Règle du jeu de Renoir et
des dernières pièces de Pirandello. De même que Clément
a voulu sa pièce partiellement aléatoire, pour en modifier éventuellement
in extremis le cours, le mode de récit choisi est aléatoire.
Il se compose comme un jeu de cartes, dont on connaît les figures maîtresses,
dont l'as est caché et le joker mobile, et qu'on se réserve
de distribuer diversement. »
Dans l'oeuvre de Jacques Rivette, L'Amour par terre représente un tournant : tournant amorcé à partir du Pont du Nord, qui livre en quelque sorte le "testament" d'une époque, les années soixante-dix, d'un point de vue autant politique, "historique", que personnel ; et tournant, après plusieurs années de silence, amorcé par Rivette qui change de troupe, en commençant à travailler avec le scénariste Pascal Bonitzer. De ce point de vue, L'Amour par terre est déjà assez exemplaire des films que Rivette et Bonitzer écriront ensemble et il en livre même, de manière presque ironique ou agrandie, le "mode d'emploi" : comme la représentation de théâtre en appartement sur laquelle s'ouvre le film, L'Amour par terre s'amuse à pervertir les règles des comédies de boulevard et joue à ciseler les dialogues (presque à la Guitry), avec une sorte de sécheresse de ton qui était plutôt absente des films des années soixante-dix écrits avec le rêveur et lunaire Eduardo de Gregorio. Mais surtout, L'Amour par terre livre un mode d'emploi de la "méthode Rivette", à travers le personnage énigmatique et fascinant de Roquemaure, sorte de concentré du metteur en scène rivettien : à la fois omniprésent et en fuite, omniscient et ignorant, dictateur et improvisateur, manipulateur et ingénu, odieux et touchant, Roquemaure, interprété par Jean-Pierre Kalfon qui reprend, après L'Amour fou, un rôle de metteur en scène de théâtre censé être le double évident et secret du cinéaste, est plus une ligne de fuite que la clef d'une énigme (qu'est-ce que la mise en scène ?). Telle Bulle Ogier dans La Bande des quatre, il a "le sens du mystère" et il possède l'intelligence qui consiste à abandonner ses acteurs au jeu qu'il a lui-même initié, jeu de la vie autant que de la fiction (et l'on sait qu'à ce jeu, évidemment, personne, pas même le plus mélancolique des metteurs en scène, ne connaît le dénouement).
Jacques Rivette, Le Monde, 23 avril 2002, entretien avec Jean-Michel Frodon
« L'Amour par terre durait 2h50, et aucun distributeur n'en a voulu.
Finalement Gaumont a dit d'accord mais à 2 heures. Je l'ai coupé
par blocs entiers. La vraie version est inédite, je suis heureux que
le coffret DVD qui doit sortir cet automne permette enfin de la montrer. (...)
Le travail sur plusieurs versions est amusant quand les films s'y prêtent.
C'est le cas de ceux dont le thème est la représentation théâtrale
ou picturale, alors que ceux bâtis sur un ressort dramatique, comme
Secret Défense, ne le supporteraient pas. L'existence de plusieurs
versions intrigue, mais c'est un phénomène très fréquent
au cinéma, c'est quasiment une constance dans le muet. »
Scénario : Pascal Bonitzer, Marilù Parolini, Suzanne Schiffman, Jacques Rivette. 170 minutes (Avant la sortie DVD, n'avait été jusqu'ici distribuée qu'une version "raccourcie" par Jacques Rivette et Nicole Lubtchansky d'une durée de 120 minutes)