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Le mystère de la chambre jaune

2003

Avec : Denis Podalydès (Joseph Joséphin dit "Rouletabille"), Jean-Noël Brouté (Sainclair), Claude Rich (De Marquet), Sabine Azéma (Mathilde Stangerson), Michael Lonsdale (Le professeur Stangerson), Olivier Gourmet (Robert Darzac), Pierre Arditi (L'inspecteur Larsan), Julos Beaucarne (le père Jacques), Isabelle Candelier (Madame Bernier), Dominique Parent (Monsieur Bernier), George Aguilar (Petit-Pied, le garde chasse). 1h58.

Dans le train qui les emmène vers Corbigny en région parisienne, quatre hommes lisent le même article du journal, Le Matin, rédigé par Gaston Leroux. Dans celui-ci, ils apprennent qu'une tentative d'assassinat a été commise au château des Glandiers, aors qu'il est matériellement impossible qu'il se soit produit. Mathilde Stangerson a en effet été attaquée dans la chambre jaune, une pièce fermée de l'intérieur, aux fenêtres barricadées, attenante au laboratoire de son père, sans que celui-ci, présent dans cette dernière pièce en compagnie du père Jacques, ait constaté ni l'entrée ni la sortie de l'agresseur. Ce dernier, qui a laissé des traces sur le lieu de son méfait (Un os de mouton taché de sang, une main sanglante sur le mur, deux balles de revolver), a pourtant disparu.

Les qautre hommes sont le jeune reporter du journal L'Epoque, Rouletabille, réputé pour avoir démêlé de dures énigmes et son ami, le reporter photographe Sainclair qui se présentent au juge De Marquet et son greffier, monsieur Malaine. Arrivés à Corbigny, ces derniers les préviennent qu'ils ne pourront entrer au château des Glandiers selon les instructions des Stangerson et de la justice. Pourtant, par une phrase mystérieuse, "Le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat", Rouletabille se fait ouvrir les portes du château par Robert Darzac, le fiancé de Mathilde.

Le commissaire Larsan, célèbre policier, est déjà sur les lieux. Les concierges, les Bernier, découverts tout habillés le soir de l'agression sont les premiers suspects. Ils sont pourtant vite innocentés car comme le pensait Rouletabille, le couple s'adonnait au braconnage sur les terres du professeur Stangerson. Le père Jacques fait visiter à Rouletabille, Sainclair et Darzac son atelier (demandant à ce qu'on fasse attention à sa glaviole dans laquelle Rouletabille s'est pris les pieds) et la chambre jaune attenante. Rouletabille en conclut qu'il suffit de prendre la raison par le bon bout.

Mais Larsan soupçonne Darzac qui, devant passer une nuit à Paris, prévient Rouletabille : il craint que l'agresseur ne tente de parachever ce qu'il n'a pas réussi la première fois.

Rouletabille essaie de surprendre le coupable, mais alors que lui, Sinclair, Larsan et le Père Jacques le poursuivent dans un couloir du château, le malfaiteur se volatilise. Sur le point d'être rattrapé dans la cour, il assassine Petit-Pied, le garde chasse, amant de Mme Bernier. Le lendemain Frédéric Larsan fait inculper et arrêter Robert Darzac qui n'a pu fournir d'explication sur son escapade de la veille. Darzac ne fait rien pour se défendre, non plus que Mathilde Stangerson qui se rétablit mais ne veut rien dire. Rouletabille, qui soupçonne que Darzac ait des motifs secrets pour se taire ainsi, part en voyage aux États-Unis pour enquêter. Il laisse à son ami Sainclair une enveloppe contenant le nom du coupable au cas où il échouerait à trouver les preuves

Le jour de la reconstitution au château des Glandiers, Rouletabille est pourtant bien là et s'apprête à révéler le mystère de la chambre jaune. Il réclame toutefois un délai de plusieurs heures. A 18h30, le jeune reporter accuse Larsan d’être non seulement l’agresseur mais d'être aussi un célèbre magicien devenu criminel et présumé mort nommé Ballmeyer. Larsan a mis à profit le délai réclamé par Rouletabille — qui l'avait averti discrètement — pour déguerpir, admettant ainsi sa culpabilité. Darzac est acquitté. L'énigme de la Chambre Jaune est expliquée ainsi : Ballmeyer avait brutalisé Mathilde Stangerson dans l'après-midi mais elle avait caché les traces de l'agression et s'était enfermée avant de sombrer dans un sommeil agité, au cours duquel elle avait heurté sa tempe contre le coin de sa table de nuit, causant la plus grave des blessures.

Rouletabille refuse d'expliquer au juge pourquoi Mathilde Stangerson a gardé le silence. Il s'en explique toutefois à Sainclair. Dans sa jeunesse, Mathilde avait été séduite par Ballmeyer, et l'avait épousé en secret, mais son mari avait été arrêté par la police peu après. Découvrant son identité véritable, et enceinte de ses œuvres, elle avait caché toute l'histoire et l'existence de son fils à son père à qui elle s'était ensuite dévouée entièrement par honte et remords. Ballmeyer, qui avait la prétention de la reconquérir et ne pouvait supporter l'annonce de ses fiançailles, avait ainsi pu la faire chanter pour exiger des entrevues.

Rouletabille, toujours troublé par le parfum de la dame en noir qui veillait sur lui étant enfant et qui est le parfum de Mathilde, se rend à son chevet muni de la canne-poignard que lui a laissée Ballmeyer. En la regardant dormir, Rouletabille songe que ses liens avec ces deux personnages sont peut-être plus profonds que ceux noués dans cette affaire.

Pendant une bonne heure Bruno Podalydès réussit à nous faire oublier ce que peut avoir d'un peu ennuyeux un film de détective. Le fait que Mathilde se soit fait agresser dans l'après-midi et que, traumatisée, elle se soit enfermée pour dormir mais, troublée si bien que sa tempe ait heurté la lampe lui causant la blessure et son appel au secours ne constitue que l'aspect superficiel du mystère de la chambre jaune. C'est au film noir de réveler quels destins se cachent entre l'agresseur et l'agressée.

Il s'agit d'une nouvelle adaptation du premier épisode des aventures feuilletonesques de Joseph Rouletabille, parues en 1907 dans le journal l'Illustration et promises à un fulgurant succès. Maurice Tourneur réalise la première adaptation en 1913 suivi par Emile Chautard (1919), Marcel L'Herbier (1931, avec Roland Toutain) et Henri Aisner (1948 avec Serge Reggiani). Mais depuis bientôt un demi-siècle, seule la télévision a repris le roman. A l'image du juge d'instruction, notre désir d'aujourd'hui est plutôt de ne jamais voir résolu le mystère...ou alors d'en découvrir un plus sombre encore.

Tel est bien le projet de Podalydès. Le récit censé se passer en 1892 dans le roman se déroule ici dans les années folles. Il exacerbe le goût de l'aventure de Rouletabille. Aux phrases mystérieuses, il rajoute des objets étranges : une automobile silencieuse fonctionnant à l'énergie solaire, une canne à l'étrange profil, un dindon ou une horloge. Ayant ainsi rapproché Rouletabille de Tintin. Il l'affuble d'un photographe Sainclair qui joue le rôle du sympathique Milou (en rien péjoratif car Milou est souvent plus actif que Watson avec Sherlock Holmes). Non content d'enrichir dramatiquement le roman de Leroux, Podalydès l'enrichit visuellement en utilisant des acteurs au jeu très typé et en utilisant une photo hyperréaliste (l'éclairage des fleurs dans la nuit, multiples contre-jour).

Ce n'est toutefois que dans la dernière demi-heure que le film bascule dans le film noir pour devenir vraiment émouvant. Toute la symbolique de la raison ("prendre sa raison par le bon bout" et les multiples parcours millimétrés du professeur Stangerson) est alors balayée et n'apparaît plus que pour ce qu'elle est : un rempart séduisant mais dérisoire face à la profondeur de sentiments qui n'arrivent pas au jour. Cette opposition du jour de la logique et de la nuit du refoulé (thème des meilleurs films de détective depuis La vie privé de Sherlock Holmes jusqu'à Sleepy Hollow), on en avait déjà eu un avant goût lors de la première apparition de Larsan. Lorsque Rouletabille se présente à l'entrée du parc, celui-ci est clôt par une grille que seul le grand policier a le pouvoir de faire ouvrir. Or on ne voit celui-ci que dans le noir du contre-jour qui s'oppose pour la première fois de façon puissamment dramatique à la grande clarté des détails permis jusque là par la photographie hyperréaliste. Le policier fait un geste dans le lointain et l'on ne découvrira son visage que brusquement lorsque Rouletabille parvient au bout de la piste des godillots que Larsan avait déjà suivi.

La séquence d'ouverture filmée en gros plan - une bille noire roulant dans un atelier le long de poutrelles d'acier et déclenchant le mouvement d'un train miniature qui finit par s'échapper sur des rails posés dans la nature - peut certes être considérée comme un rébus malicieux (dans le roman ses collègues ont affublé Joseph de ce surnom car il a la tête ronde comme un boulet) mais surtout comme une volonté d'inclure la pure mécanique (la pure raison) dans la vaste, somptueuse et inquiétante nature. Il en ira de même pour le voyage en Amérique qui révélera à Rouletabille non seulement l'identité de l'assassin mais sa propre filiation.

On notera aussi la figure du cercle par laquelle Podalydès symbolise la narration de la "première" rencontre de Rouletabille avec La dame en noir au parfum d'héliotrope.

La profondeur des sentiments s'accorde mal avec leur révélation. C'est cette expérience que fera Rouletabille en laissant partir Larsan dans le bois et en regardant dormir Mathilde. L'un et l'autre en sauront rien de celui qui vient de les empêcher de s'entre-tuer. Tout ce que nous ne voyons pas et qui est immense

Jean-Luc Lacuve, le 24/06/2003.

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