Une famille suédoise passe ensemble cinq précieux jours de vacances dans une station de sports d’hiver des Alpes françaises. Ebba est contente que Tomas délaisse enfin son travail et puisse se consacrer à ses enfants, Verra et Harry. C'est ce qu'elle raconte à Charlotte, une compatriote, venue en revanche seule pour ne pas avoir à s'occuper de mari et enfants. Le premier jour le soleil brille et les pistes sont magnifiques. Le soir, toutes les machines de la station se mettent en branle pour assurer des pistes parfaites aux skieurs.
Mais lors du déjeuner du second jour dans un restaurant de montagne, une avalanche vient tout bouleverser. Les clients du restaurant sont pris de panique, Ebba, la mère, appelle son mari Tomas à l’aide tout en essayant de protéger leurs enfants, alors que Tomas, lui, a pris la fuite ne pensant qu’à sauver sa peau. Mais le désastre annoncé ne se produit pas, l’avalanche s’est arrêtée juste avant le restaurant, et la réalité reprend son cours au milieu des rires nerveux. Il n’y a aucun dommage visible, et pourtant, l’univers familial est ébranlé. Les enfants rentrent énervés et ne veulent plus se soumettre à l'autorité de leurs parents. Ceux-ci sortent un instant pour discuter mais pour finalement ne rien se dire ce qui ne manque pas d'inquiéter les enfants. Le soir, les parents dînent avec Charlotte et Brady, un homme rencontré sur la piste et devenu aussitôt son amant. Alors que le diner s'achève, Ebba lâche le monceau et parle de la lâcheté de Tomas. Celui-ci nie sa version des faits. Le couple tente ensuite de se réconcilier sous l'œil intrusif de l'homme de ménage de l'hôtel.
Le troisième jour, Ebba a décidé de skier seule. Elle discute avec Charlotte qui lui dit que pour avoir confiance en soi, il faut se définir autrement que comme une épouse fidèle et une bonne mère de famille. Tomas a skié avec les enfants, angoissés par la dispute de leur parent la veille et qui craignent le divorce. Le soir, ce sont avec leurs amis, la jeune Fanni et Mats, son tout nouvel amant, un professeur divorcé, que le couple dîne. Et, une nouvelle fois, Ebba craque et raconte la lâcheté de Tomas. Mats essaie de recoller les morceaux et justifie la fuite de Tomas par l'instinct de survie, parfois plus fort que tout, qui fait oublier ses valeurs. Tomas nie une nouvelle fois mais ce qu'il a filmé avec son propre portable l'accable. Fanni et Mats partent se coucher. Fanni accuse Mats d'une lâcheté générationnelle ce qui fâche ce dernier, si bien que le couple se chamaille toute la nuit.
Du coup, le quatrième jour, ce sont les hommes qui skient ensemble faisant du hors piste depuis les sommets. Tomas est profondément affecté par sa lâcheté et rentre tôt. Il ne retrouve pas sa famille car les portables sont en panne. Epuisé, il s'écroule en larmes avouant son incapacité à se considérer lui-même comme quelqu'un de bien. Devant sa crise de larmes, les enfants font bloc et obligent Ebba à la réconciliation.
Le cinquième jour, la famille est en haut des pistes mais le brouillard est terrible. Ebba ferme la marche dans la descente. Elle crie bientôt au secours et Tomas part à son aide. Il la ramène bientôt entre ses bras, triomphant. "Nous avons réussi !" s'exclament les parents et Ebba s'en retourne tranquillement chercher ses skis.
C'est le jour du départ. Mats et Fanni sont toujours fâchés. Le conducteur se révèle un danger public dans les lacets de la montagne et Ebba exige de descendre. Mats empêche le mouvement de panique qui a saisi tous les passagers et bientôt tous marchent ensemble, solidaires.
Snow Therapy se présente comme une petite mécanique grinçante en cinq actes destinée à défendre une thèse : le syndrome de Lord Jim peut être vaincu.
Monsieur Jim dans la neige
Dans Lord Jim, le roman de Joseph Conrad, Jim, jeune lieutenant de marine abandonne dans une violente tempête huit cents musulmans partis en pèlerinage à La Mecque dans son navire. Mais le cargo est sauvé. Jim est radié des cadres et une seule chose compte désormais pour lui : pouvoir se racheter. Ruben Östlund transpose cet acte de lâcheté dans une station des Alpes où une avalanche manque d'emporter la famille de Tomas alors que celui-ci a fui.
L'art de Ruben Östlund est de transformer le grand drame de Conrad en petite comédie très stylisée. Le village de montagne et les cimes enneigées où la famille semble seule présente sur les pistes sont revus en postproduction au computer graphics, les couloirs de l'hôtel semblent eux-mêmes animés de la seule présence des personnages principaux ou sciemment secondaires (l'homme de ménage) alors que les clients du restaurant sont une masse floue à l'arrière plan). Les événements qui ponctuent les jours sont suffisamment ressemblants pour laisser pointer les dérèglements sans avoir besoin du moindre dialogue (le brossage de dents, les retours du ski).
Triomphe du collectif
Ce qui est justement remarquable c'est que cet excès de solitude soit justement le mal que pointe Östlund. La famille est en effet par trop autosuffisante, renfermée sur ses certitudes. Chaque jour la voit ainsi s'éclater un peu plus, Ebba prenant ses distances avec son mari tandis que celui-ci ne trouve pas sur les cimes enneigées de quoi évacuer le mal dont il est atteint. Celui-ci a été fort bien diagnostiqué par Mats : l'instinct de survie peut faire oublier ses valeurs fondamentales. Là non plus, comme pour Ebba, il ne s'agit pas de raffiner avec le diagnostic, énoncé sobrement. L'enjeu face à l'éclatement de la famille est bien de trouver comment la reconstituer autour du père dont la bulle de solitude a éclaté ; fini les coups de fils professionnels, les maîtresses cachées, la tricherie au jeu.
Si l'aveu de sa culpabilité par Tomas traîne un peu en longueur, on admirera la résolution trouvée par le couple. En effet, après la scène des pleurs, Ebba semble s'être réconciliée avec son mari et avoir mis au point avec lui leur petit numéro dans le brouillard.
Tout serait donc comme avant ainsi que le montre ce nouveau plan glorieux de la famille marchant de l'avant à la sortie de l'hôtel pour prendre le car ? Non, il reste une troisième scène de réconciliation. Le car part avec Charlotte, la plus forte assumant le risque et la solitude et qui sera sans doute la plus vite arrivée au chaud. Pour les autres, il reste la solidarité, la marche commune dans le froid ; se voir, et se montrer aux yeux de tous, avec sa peine et ses imperfections.
Jean-Luc Lacuve, le 30/01/2015.