La chronique d'une ville française pendant l'Occupation, Clermont-Ferrand, à l'aide de bandes d'actualités et de témoignages.
Oeuvre polyphonique, composée de témoignages de tous bords et largement affranchie du poids du commentaire, Le chagrin et la pitié se distingue par une hardiesse esthétique empreinte de subjectivité et d'humour en rupture avec les documentaires historiques d'alors ; le contexte du printemps 1969 venant se supperposer à celui de l'occupation. Le film donne une vision très négative d'une partie de la population française, plus tournée vers Pétain que vers de Gaulle.
Christian de la Mazière, ancien membre de Division Charlemagne, parle ainsi de son engagement militaire nazi avec une certaine autodérision, et porte dessus un regard critique mais ambigu (s'il le regrette à demi-mot, il ne le désavoue franchement à aucun moment). Jacques Duclos, dirigeant communiste, est candidat à l'élection présidentielle de 1969 au moment du tournage du film. Ses affiches de campagne sont visibles au cours de l'interview. Pierre Mendès France, figure de la Gauche française jusqu'à sa mort en 1982, ancien député, ancien ministre, ancien Président du Conseil, grand résistant, officier dans l'aviation des FFL, condamné par le gouvernement de Vichy pour "désertion" il avait tenté de rejoindre l'Afrique du Nord en 1940 par le Massilia évadé en 1941 de la prison de Clermont-Ferrand dans des conditions qu'il raconte dans le film avec beaucoup d'humour. Helmuth Tausend, ancien officier allemand en poste à Clermont-Ferrand, interviewé en Allemagne au moment du mariage de sa fille.
Le film constitue historiquement la première plongée cinématographique
effectuée dans la mémoire collective française sur la
période de l'Occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale.
À une idéologie qui ne faisait pratiquement état jusque
là que des faits de Résistance, Ophüls permit de mettre
l'accent sur des comportements quotidiens beaucoup plus ambigus à l'égard
de l'occupant, voire de franche collaboration. En brisant l'image faussement
unanime d'une France entièrement résistante, le film joue un
rôle important dans l'inauguration d'une phase de la mémoire
de l'occupation que l'historien Henry Rousso appelle "le miroir brisé",
à partir des années 1970. Ce courant de pensée sera fortement
nourri par le livre de Robert Paxton, La France de Vichy publié aux
États-Unis en 1972 et traduit en français en 1973.
Paradoxalement, bien que la déportation des juifs en soit quasiment
absente ce film marque également le début de la réévaluation
du rôle du gouvernement de Vichy dans celle-ci. Le fait que l'action
se concentre sur Clermont-Ferrand explique en grande partie cette quasi absence,
car située en zone libre, les juifs y furent certes persécutés
dès 1940 par les ordonnances vichystes mais purent, pour beaucoup d'entre
eux, se protéger dans les campagnes auvergnates.
Le film heurte la droite française, mais aussi le Parti communiste
français, soucieux de mettre l'accent sur une France résistante
incarnée par le général de Gaulle qui avait tenté
de minimiser la collaboration pour préserver la cohésion nationale.
L'une des farouches opposantes à la diffusion du Chagrin et la Pitié
fut Simone Veil qui siégeait alors au conseil d'administration de l'ORTF.
Dans son autobiographie Une vie, Simone Veil déclare que, confiant
dans la pression médiatique et persuadé que l'ORTF avait de
ce fait l'obligation morale de diffuser son film, Marcel Ophüls en avait
demandé un prix exorbitant ; devant le refus, il fit une campagne médiatique
de victimisation pour mieux vendre son film en salle. Par ailleurs, toujours
dans cet ouvrage, Simone Veil critique sévèrement la pertinence
de ce documentaire qui ne reflète pas du tout, selon elle, les réalités
de cette époque. En France, ce documentaire, qui détruit le
mythe d'une France dressée contre l'occupant nazi, fut donc privé
de diffusion télévisuelle jusqu'en octobre 1981. Pour cette
raison, le film dut recourir à la sortie en salle. Il fit l'objet d'un fort
engouement par le bouche-à-oreille. À l'époque, le public en France ne disposait
que de deux chaines de télévision, toutes deux étatiques, et dont l'information
était étroitement contrôlée par le gouvernement. Dans Annie Hall (Woody Allen,
1977), une séquence se déroule dans une salle de cinéma new-yorkais qui projette
le Chagrin et la Pitié (The Sorrow and the Pity), film culte du héros du film.
Et avec des images d'archives de : Charles de Gaulle, Philippe Pétain, Pierre Laval, René Bousquet, Reinhard Heydrich, Darquier de Pellepoix (Collaborateur de Heydrich), Jacques Doriot (Chef du partie populaire), Anthony Eden, Junie Astor, Maurice Chevalier, Danielle Darrieux, Suzy Delair, Albert Préjean, Viviane Romance. 4h25