Un annonceur, à l'intérieur du théâtre, alors que l'on distingue la foule se pressant vers les portes encore fermées, déclare, non sans ironie et avec force de sons de trompette off : "L'ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l'imagination. Le pire n'est pas toujours sûr... Le soulier de satin, action espagnole en quatre journées de Paul Claudel.... La scène de ce drame est le monde et plus spécialement l'Espagne à la fin du XVIe... à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe siècle. L'auteur s'est permis de comprimer les pays et les époques de même, qu'à la distance voulue, plusieurs lignes de montagnes séparées ne sont qu'un seul horizon".
Les portes s'ouvrent et le public s'installe alors que se déroule le générique. Du haut du balcon royal, descend un second annonceur, vêtu à l'espagnol du siècle d'or, qui monte sur scène et découvre un écran de cinéma. L'annonceur décrit le naufrage d'un bateau au milieu de l'atlantique, entre l'ancien et le nouveau monde, dans lequel se trouvaient des nones et un père jésuite. L'annonceur déclare : "Ne toussez pas et essayer de comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau. C'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouverez pas le plus amusant qui est le plus drôle".
Après un second zoom avant sur l'écran de cinéma, pris plein cadre, le père jésuite déclare : "Seigneur je vous remercie de m'avoir ainsi attaché supplie pour son frère Rodrigue. S'il désire la mal que ce soit un mal compatible avec le bien. Faites de lui un homme blessé parce qu'une fois dans cette vie, il a vu la figure d'un ange". Puis des cartons annoncent qu'au Portugal, Philippe II est devenu roi après la disparition prématurée de Sébastien mort sans héritier. Les prêtres prêchent violemment contre lui. Après deux discours de prêtre en portugais, ce sont des cartons rouges (en gras ci-après) qui découpent l'action.
La maison de Don Pelage, mari de dona Prouhèze (Dona Merveille). Don Pelage veut revenir en Afrique. Il confie sa femme à son ami, Don Balthazar, pour la conduire ainsi que son cousin Camille, immédiatement en Afrique reprendre le territoire que leur roi leur a confié à Mogador. Lui, ancien inquisiteur pour lequel il n'y pas de plus grande charité que de tuer les êtres malfaisants, doit aider sa cousine, Dona Musique, pauvre, qui doit marier ses six filles.
Une autre partie du jardin. Dona Prouhèze écoute les déclarations amoureuses de Don Camille : "N'est-ce rien que ce rien qui nous délivre de tout... Un cur où il n'y a pas autre chose que toi... Si je suis vide de tout, c'est pour mieux vous attendre... dans une petite place pour moi seul où vous viendrez me chercher". Dona Prouhèze l'éconduit : Dieu seul remplit et elle veut apporter la vie.
Dona Isabel à Ségovie demande à Don Louis de l'enlever.
La maison de Don Pelage, Dona Prouhèze, française native de Franche-Comté, avoue à Balthazar le flamand, qu'elle a donné rendez-vous à Rodrigue dans l'auberge où il doit la conduire. Elle ne l'a connu que peu de jours mais sa voix l'appelle. Don Pelage trop est froid.
Elle monte vers la statue de la vierge : "Tenant mon cur dans une main et mon soulier dans l'autre, je m'en remets à vous. Vierge mère, je vous donne mon soulier. Je vous préviens que tout à l'heure je ne vous verrai plus et que je vais tout mettre en uvre contre vous mais quand j'essaierai de m'élancer vers le mal que ce soit avec un pied boiteux. La barrière que vous avez mise, quand je voudrai la franchir, que ce soit avec une aile rognée. J'ai fini ce que je pouvais faire, et vous, gardez mon pauvre petit soulier.
Lisbonne Plais Royal. Philippe II nomme un vice-roi aux Indes, non pas sage et juste, mais jaloux et avide. Le roi consent au jeune Don Rodrigue de Manacore. Il a disparu et il le fait requérir de force
Dans le désert de Castille, Rodrigue et son serviteur Isidore observent des pèlerins se rendant à saint Jacques
Dona Prouhèze, liée par un amour absolu à Don Rodrigue, suit l'ordre du roi et de son mari de gouverner avec son cousin Camille, la citadelle de Mogador, tandis que Rodrigue part pour le nouveau continent comme vice-roi. Une lettre envoyée par Prouhèze mettra dix ans avant de parvenir à Rodrigue. Quand celui-ci arrive devant Mogador pour sauver Prouhèze de l'emprise de Camille, elle se refuse et meurt dans la citadelle. Dix ans plus tard, Rodrigue, éclopé, vivant en compagnie de Sept-Epées, la fille de Prouhèze, voit ses rêves de gloire se raviver quand, par dérision, le roi d'Espagne lui joue une cynique comédie. Il est enchaîné et vendu avec des vieilleries à une sur chiffonnière.
Le film envoûte par sa longueur même. Le contexte (la conquête du Nouveau Monde par l'Espagne) et la thématique (dans l'axe cornélien du renoncement à l'amour par devoir) sont emportés par la splendeur de la langue de Claudel.
Oliveira, après une introduction complexe, va utiliser le seul plan séquence comme outil de mise en scène, limitant le mouvement à trois possibilités : celles dues aux personnages, à la caméra ou aux décors. Les personnages sont presque constamment face à l'appareil de prises de vue. Les seuls contrechamps se situent lors du face-à-face entre Rodrigue et le roi parce qu'il y a cette fois une réelle confrontation conflictuelle. C'est la force de la voix qui est privilégiée. Cette force de la voix culmine dans la scène où Rodrigue est avec Don Camille dans une pièce du château de Mogador. Elle aussi dans la forteresse, Doña Prouhèze lui fait remettre un billet ("Je reste, vous partez"). Fou de douleur, Rodrigue l'appelle par son nom et lui crie son amour. Contre toute vraisemblance, l'ombre de Doña Prouhèze se matérialise alors derrière un rideau sur le mur du fond. L'esprit de la jeune femme répond donc à son appel et cette réunion, devant la caméra, d'un corps et d'une âme ne peut se faire que dans l'espace purement virtuel créé par le cinéaste. Mais ces ombres chinoises derrière un écran secoué par le vent figurent aussi magistralement cette rencontre impossible entre les amants, toujours différée durant des années dans la réalité et pendant des heures dans le texte.
Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle est personnifié par une femme, dont la parole pose que la Terre sépare et que le Ciel réunit. La lune parle, ce qui évoque les féeries de Georges Méliès aux tout premiers temps du cinéma. Précisément, ces prodigieuses aventures sont rendues par un mélange de tons et un croisement de genres : tableaux vivants, miniatures, ombres chinoises ; cruauté des conquêtes, épopée évoquant Ulysse ou naïveté de personnages extravagants comme le serviteur Isidore semblant sortir tout droit d'une bande dessinée, séquence mi- fantaisie, mi- fantastique d'une femme noire dansant nue dans la nuit, personnage qui se gonfle telle une baudruche comme dans un dessin animé... Mais aussi, réflexions morales et politiques sur le progrès scientifique et technique, sur les échanges commerciaux ou religieux entre l'Occident et l'Orient.
Mais il était ausi une fois des personnages. Dans l'Espagne des conquistadores du XVIe-XVIIe siècle, Dona Prouhèze, mariée à Don Pelage, qui aimait Don Rodrigue. Pleine de ferveur, la jeune femme remet son soulier à la Vierge, afin de parcourir boiteuse le chemin vers son amant : acte de foi et sentiment du péché. Tout au long des quelque sept heures de film, correspondant à l'intégralité de la pièce, en quatre journées, les amants se cherchent, se croisent, se manquent, à l'image d'une lettre qui passera de main en main pendant des années. Leur voyage fait parcourir le monde, sur terre, sur mer, du palais de l'Escurial à l'Amérique et ses Indiens, d'une citadelle en Afrique au Golfe du Mexique, de la voie Appienne de la campagne romaine à l'église Saint Nicolas de la Mala Strana à Prague ; et l'on évoque le Maroc, le Japon.
La pièce de Paul Claudel est divisée en quatre journées, à l'instar du théâtre espagnol. Le projet d'origine était de tourner en 35 mm la quatrième de ces journées, celle qui porte le titre de Sous le vent des îles Baléares, avec, en prologue, la scène des adieux entre Prouhèze et Rodrigue. Le film aurait ainsi la longueur d'un film raisonnable d'un peu plus de deux heures. Le reste a été tourné en 16 mm par souci d'économie et a été par la suite gonflé en 35 mm grâce à l'apport inespéré d'une puissante société de production américaine, la Cannon, et l'ensemble fit partie de la sélection de la Mostra à Venise en septembre 1985 où il obtint un Lion d'or spécial du jury.