Mme de Chartres a eu un premier chagrin d'amour : elle s'est vue abandonnée d'un jeune homme, M. de Guise qui entendait entretenir avec elle une relation assez libre. Un soir, une amie de sa mère, Mme de Silva, à la tête de la fondation Gulbenkian, la présente à un médecin de grande réputation, Jacques de Clèves. Celui-ci était tombé amoureux de la jeune fille en la voyant choisir un collier avec sa mère chez un célèbre bijoutier de la place Vendôme.
La jeune fille accepte de l'épouser sans pour autant éprouver de la passion pour lui. Cette passion, elle va la découvrir bien malgré elle, sous les traits d'un chanteur à la mode, Pedro Abrunhosa. S'apercevant de cet amour à l'état naissant, Mme de Chartres met sa fille en garde, peu de temps avant de mourir.
La jeune femme tient à être fidèle et digne de la confiance que son mari place en elle et, sans l'appui de sa mère désormais, elle rend régulièrement visite à une de ses amies de collège qui a choisi la vie dans un couvent à Paris.
De plus en plus pressée par ses sentiments et par Pedro Abrunhosa qui tente de lui faire vivre cette passion, Mme de Clèves décide de confier le secret de son amour à son mari afin qu'il lui vienne en aide dans ce combat. Mais son mari, qui sait désormais ce qu'il soupçonnait déjà, se désespère et meurt bientôt.
Veuve, Mme de Clèves n'épousera pourtant pas le chanteur : au jeu de l'amour, elle a perdu et redoute trop de perdre encore une fois auprès d'un homme adulé par les femmes. Sans rien dire à personne, elle disparaît.
Son amie religieuse recevra un jour une lettre d'Afrique. Mme de Clèves a suivi des missionnaires, partie au secours des populations martyrisées par la guerre civile, la maladie, la faim.
Sur les trente films réalisés par Oliveira, dix-sept s'appuient sur un texte littéraire, souvent des uvres portugaises et trois uvres françaises majeures : Le soulier de satin, La princesse de Clèves et Madame Bovary.
S'il fait appel à la grande littérature, Oliveira est persuadé qu'"il n'y a aucune correspondance cinématographique à un texte littéraire de qualité mais une certaine façon de la faire passer au cinéma" (Manoel de Olivera, Yan Lardeau, Philippe Tancelin et Jacques Parsi, Paris, Dis voir, 1988. P. 89)
L'action de La lettre se situe à l'époque de son tournage (1998) l'action de La princesse de Clèves en 1558. Le déplacement du cadre temporel dépasse donc largement quelques décennies. Le spectateur de La lettre est en mesure de dater la diégèse grâce à une scène dans laquelle les protagonistes regardent la télévision (on y parle des 35 heures et de la ministre Martine Aubry). Nous sommes face à un film contemporain dans lequel les agissements et les propos des personnages sont constamment en porte-à-faux avec cette époque. Le cinéaste portugais a mis l'accent sur ce contraste et en a fait une des beautés du film. La coexistence de deux catégories de valeurs, celle du passé et celles du monde contemporain sont portées pour la première par Mme de Clèves (Chiara Mastroianni), sa mère (Françoise Fabian), son mari (Antoine Chappey), les secondes essentiellement par Pedro Abrunhosa et dans une moindre mesure par François de Guise. Cette opposition entre deux camps est signalée par la musique. La séquence du générique ainsi que la suivante sont accompagnées de musique diégétique, le concert de Pedro. Le monde moderne marque ainsi fortement sa présence dans la bande son. La troisième séquence nous transporte dans un concert de musique classique (Maria Joao Pires interprétant seule au piano une uvre de Schubert)
Le squelette narratif du roman de madame de la Fayette se retrouve dans La lettre : une femme mariée à un homme (Clèves) qui l'adore tombe amoureuse d'un célibataire à la réputation de séducteur (Nemours) tout aussi énamouré. Elle résiste à la tentation, et non seulement en commet pas l'adultère mais elle fait l'aveu de ce sentiment à son mari, qu'elle estime, et comble du paradoxe, devenu veuve elle refuse de légitimer sa passion avec Nemours et se retire du monde
Le personnage du duc de Nemours est le seul à perdre son nom : il devient Pedro Abrunhosa, chanteur rock portugais (interprété par un vrai rocker portugais du nom de Pedro Abrunhosa). Certains ont déclaré qu'Oliveira avait choisi de faire du duc de Nemours une pop star parce que les stars sont l'équivalent moderne de ce qu'était l'aristocratie la plus brillante. L'affirmation ne tient pas puisque dans el roman tous les protagonistes appartiennent à la même caste, celle de la noblesse de cour. De plus Mme de La Fayette a poussé jusqu'à ses limites extrêmes une c convention de l'époque qui veut que les héros de roman soient tous admirablement beaux spirituels et vertueux. Il est dit explicitement au début de l'ouvrage que Mlle de Chartres est la plus belle fille de la cour et le duc le plus bel homme. C'est le seul protagoniste du film qui emploie une autre langue (dans son activité professionnelle) le portugais; l'attirance qu'éprouve Mlle de Chartres envers Pedro n'est pas l'amour du même déguisé mais l'amour de l'autre. En faisant de l'amant (au sens du XVe siècle) un chanteur de Rock, Oliveira confer donc à ce personnage une altérité totalement absente du roman. Particularité supplémentaire apportée par Oliveira : Catherine et Pedro n'échangent pas plus de vingt mots et quelques regards. Elle l'évite de peur de ne pouvoir résister à la force qui la pousse vers lui. Dans le roman, et cela est une astuce narrative qui rend son personnage tragique, ses tentatives d'évitement du duc de Nemours se voient contrariées par son mari qui l'enjoint d'être présente à la cour
A la fin du roman, il l'aime, elle l'aime, il est célibataire, elle est veuve. Tout est simple. Ils n'ont qu'à se marier. Et pourtant, elle refuse de l'épouser après s'être expliquée avec lui dans une dernière entrevue et se retire sur ses terres puis dans une maison religieuse. Oliveira préserve ce schéma à ceci près qu'il supprime la dernière entrevue mais il communique les explications de Mme de Clèves sur son retirement par l'intermédiaire de ses conversations avec son amie de Port royale. Cette religieuse est inventée par le cinéaste. Elle a été ajoutée pour introduire des éléments du roman issu des conversations entre le duc et la princesse ou des passages d'analyse psychologique. Le cinéaste avait donc besoin d'une confidente. Que celle-ci vécut dans un couvent n'était pas nécessaire à la bonne conduite du récit. Cela lui permet toutefois d'accentuer la dimension sacrée. Catherine se retire dans l'humanitaire c'est ce qui ressort de la lettre écrite par Catherine mais lue par sa destinataire
Le contraste entre les valeurs du passé et celles de la fin du XX, l'éducation stricte reçue par Catherine alors qu'éducation libérale chez Mme de Clèves et accent porté sur le jansénisme et la religion alors que l'on en parle très peu dans le roman. La princesse qui n'a connu que la tendresse maternelle, l'affection maritale, et l'amour de Dieu préfère vivre dans la transparence et la droiture. Pedro Abrunhosa cache son désir derrière des lunettes noires. Deux fois, il contemple les statues de Pan et de Bacchus qui font contrepoint au tableau sévère du couvent cadré en contre plongé.
Bibliographie : Yannick Mouren, Etudes cinématographiques N°70, 2006.