Yuri Orlov, né en Ukraine, débarque aux Etats Unis avec toute sa famille. Mais le rêve Américain ne fonctionne pas assez vite pour lui : il décide de devenir trafiquant d'armes international. Aidé un temps par son jeune frère toxicomane, Yuri devient riche et célèbre dans son domaine. Il a enfin les moyens financiers de séduire la femme de ses rêves, la belle Ava. Elle ne sait rien de ses vraies activités, mais l'accepte comme il est, ou plutôt comme il semble être. Yuri va découvrir les mauvais côtés du trafic d'armes en traitant avec le dictateur psychopathe de Morovia (Libéria) André Baptiste et son fils. Yuri est également traqué par un policier tenace, Jack Valentine, qui veut absolument le mettre sous les verrous...
L'ouverture du film pourrait faire penser que l'humour cynique sera la base de la mis en scène de Niccol. Le générique virtuose suit la construction industrielle d'une balle jusqu'à son transport puis son utilisation dans une arme pointée sur la tête d'un enfant. Ce qui n'empêche pas Yuri d'affirmer : "On estime à environ 550 millions le nombre d'armes à feu actuellement en circulation dans le monde. Autrement dit, il y a un homme sur douze qui est armé sur cette planète. La seule question est : comment armer les onze autres ? "
Du parcours mental à la plongée
dans la fiction
Pourtant si le passage par le salon de l'armement de Berlin en 1989 reste encore très mental (filles sur les chars sur fond de chevauchée des walkyries, dialogues malin avec Simeon Weisz, journée terminée par un déshabillage dans l'hôtel), le film gagne peu à peu en réalisme sans se départir pour autant d'une symbolique l'associant à un cauchemar mental.
La réalité de la déréglementation suivant la fin de la guerre froide, les tueries en Afrique culminant avec la boucherie en Sierra Leone illustrent la réalité des principaux conflits mondiaux dont Yuri ne semble pas vouloir voir la barbarie. Niccol dispense aussi des scènes de suspens très efficaces : la transformation du Kristol en Kono avec multiplication des changements de grosseurs de plan et d'angle de prises de vue, la transformation de l'hélicoptère de combat en hélicoptère pour missions humanitaires et l'interception de l'avion rempli d'armes sont les trois morceaux de bravoure du film.
Une saison en enfer
Le discours assuré de Yuri laisse pourtant toujours voir en arrière-plan l'effondrement de son frère, condamné à se droguer pour oublier.
L'évasion de l'un dans le rêve et l'impuissance de l'autre sont posées dès l'exécution des enfants à Beyrouth. Yuri, caché derrière le mur, ne voit pas les enfants exécutés. Alors qu'auparavant, derrière les barbelés, il avait très bien vu l'image publicitaire de la femme aimée. Son frère voit les enfants que l'on conduit devant le peloton d'exécution mais se résout à suivre son frère. Après leur départ, le champ s'élargit à partir du trou d'observation du mur et les enfants sont abattus. C'est ce même processus de vision/aveuglement qui, en Sierre Leone conduira à la mort de Vitaly.
La symbolique de l'enfer qui conduit à la corruption généralisée du moindre garde, du moindre villageois pauvre jusqu'au sommet des guérillas oppressives, des états dictatures et des cinq membres du conseil de sécurité, Niccol en rend compte par un jeu d'échos. C'est le même colonel, identifié par ses décorations qui, au début, empoche la commission sur les armes vendues au kilo après Beyrouth en 1984 et celui qui demande à Interpol de relâcher Yuri. Celui-ci admet l'analyse de son ennemi Valentine " J'allais vous dire d'aller en enfer mais vous y étés déjà " mais peut se permettre d'aller plus loin encore : le patron de Valentine est le plus gros marchant d'armes de la planète et il a besoin de complices pour servir des amis dans le besoin. Yuri ne peut qu'aboutir à une désolation totale : "On dit : le mal triomphe partout là où les hommes de bonne volonté ont échoué. Il suffirait de dire : le mal triomphe partout". Ou encore "Vous savez qui héritera de la terre : les marchands d'armes parce que les autres seront trop occupés à s'entretuer".
Le caractère politique du film est de nous identifier à un anti-héros assez sympathique et énergique pour que l'on tremble pour lui avant de voir qu'il nous entraîne en enfer avec lui. Attitude bien plus salutaire que celle qui consiste à nous faire partager le sort de héros positifs impuissants. Certes la situation politique est hors de notre portée : empêcher un massacre en Sierra Leone n'empêchera pas la demi-douzaine perpétrée dans la semaine. Du moins condamne-t-elle sans ambiguïté les agissements de ceux qui oublient d'avoir une conscience morale fuyant la conclusion de Yuri : "C'est ça le secret de la survie : ne jamais faire la guerre, surtout contre soi-même". Une auto-satisfaction que le spectateur rejette sans coup férir.
Jean-Luc Lacuve le 10/01/2007