10h47. Max est traiteur depuis trente ans. Ce matin, il reçoit un jeune couple qui voudrait sans cesse baisser le devis de leur mariage organisé en plein Paris. Devant leurs propositions, compréhensibles mais bien mesquines, Max finit par s'emporter avec la calme ironie qui est la sienne. S'il dit les choses avec mordant, au moins n'insulte-t-il jamais ses interlocuteurs.
12h15. Max passe prendre son beau-frère, Julien, dans la voiturette qu'il a dû louer s'étant fait retirer son permis. Julien, qui a démissionné de l'éducation nationale, est un doux rêveur, mal habillé d'une sorte de pyjama. Il corrige souvent ses interlocuteurs sur leurs fautes de français, les pléonasmes surtout. Ils arrivent enfin au château du 17e siècle où aura lieu, ce soir, la fête de mariage de Pierre et Helena. Mais les ennuis commencent pour Max. Son adjointe, Adèle, couvre d'injures, James, le musicien. Il joue la diva avec ses acolytes et a réquisitionné le monte-charge sans se préoccuper des autres. Max les calme difficilement et reproche à Adèle son vocabulaire et ses colères permanentes qui ne concourent pas au nécessaire esprit d'équipe de son entreprise.
Comme d'habitude, Max a tout coordonné : il a recruté sa brigade de serveurs que conduit Henri le maître d'hôtel pusillanime, des cuisiniers et plongeurs. Comme d'habitude aussi, il a envoyé un sms fautif à Adèle lui demandant de libérer (et non comme il le voulait de retenir) un serveur. Adèle a heureusement embauché un extra, Samy... En fait, un de ses petits copains sans aucune expérience.
Comme d'habitude enfin, Max a du s'adapter. Il a engagé son ami Guy comme photographe alors qu'il le sait peu impliqué dans son métier. Il a, faute de mieux, réservé l'orchestre de James, car le DJ commandé par son client est tombé malade. Et, pire que tout, Josiane, sa maîtresse, tente de le rendre jaloux avec Patrice, le jeune policier qui est aussi serveur à ses heures...
Le sens de la fête est l'un des plus gros succès commerciaux de l'année 2017. Le mouvement du film est pourtant parfaitement vain : chacun des personnages retourne à son statut initial. Dans ce marécage, l'ironie de Jean-Pierre Bacri, arbitre des égos disproportionnés, n'en est que plus efficace et fait mouche à chaque fois.
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Le film ne fait bouger aucune des lignes tracées au départ. Max voudrait être aimé de Josiane. Il le sera car sa femme "prendra du recul" (belle invention pour "prendre un amant") sans qu'il ait à prendre la décision de rompre. Héléna et Pierre doivent se marier et ils se marieront alors qu'Héléna aura eu l'occasion de vérifier en quoi son futur mari est égocentrique, prétentieux, facilement méprisant. Mais, un peu bébête, elle a sans doute trouvé le coq aux œufs d'or qui lui assurera une vie plus tranquille que Julien, l'éternel looser (arrivé en voiturette, il repartira à pied).
Le sens de la sublimation du dépassement de soi, de la rencontre de l'autre s'évanouit au profit d'être content de ce que l'on est..., et de s'arranger avec.
Comme dans Intouchables, on se moque (gentiment) de la culture instituée, celle des professeurs à l'affût des fautes, et de la variété bien française pour faire l'apologie de ce qui peut apparaitre au petit bourgeois comme plus sauvage : la musique tamoule. Adèle vient des banlieues et ne peut donc s'empêcher de s'exprimer avec des gros mots. Bon vieux cliché aussi qui veut que les contraires s'attirent pour légitimer le coup de foudre entre Adèle et James.
Rire avec Jean-Pierre Bacri
Max dit la vérité : sans perruque c'est la porte, sans tenue également. Il a le sens des distances et des proportions. Juge de paix entre les égos, il n'est jamais meilleur que lorsqu'il se moque des petits travers : la mesquinerie sur les devis, l'envie de se goinfrer de petits fours.
Les autres personnages lui servent de faire valoir et sont dessinés à grands traits, James, le play-boy ; Guy, le raté ; Julien, le looser chassant les pléonasmes ; Josiane, la jolie maîtresse ; Henri, le maître d'hôtel pusillanime; Pierre, le déplaisant m'as-tu-vu. Max passe ainsi son temps à nous faire rire en contrant, tant bien que mal, ces égos disproportionnés.
Les autres ressorts du rire sont le comique de répétition (le stagiaire qui enfonce encore davantage le clou sur la prétention du photographe ou les fausses blagues d'Adèle), le comique lié au métier (Sortir les friands pour plâtrer l'estomac et désopilante ouverture de porte sur la soirée déguisée en cow-boys); le comique lié aux bugs de la modernité : sms corrigés par le correcteur (lécher Valery) ou la géolocalisation qui permet à Guy de draguer la mère de Pierre.
Léger comme un friand bien salé et pétillant comme de l'eau plate, Le sens de la fête est une antiphrase pour pointer l'accumulation des galères. D'ailleurs le titre international pour l'exportation est, en français dans le texte, "C'est la vie !"
Jean-Luc Lacuve, le 23 décembre 2017.