En mêlant des archives de Mai 68, des bandes amateur sur l’écrasement du Printemps de Prague la même année, et les images touristiques de sa propre mère en voyage en Chine l’année de la Révolution Culturelle, João Moreira Salles interroge la postérité des moments les plus intenses de l’histoire personnelle ou intime – comment vivre après leur fulgurante perfection ? L’entrelacs du montage suggère combien est fine la ligne de démarcation entre des images faites pour l’Histoire et celles faites pour le cercle familial. Peu à peu, le film glisse du questionnement des archives à celui de Mai 68 lui-même, et en particulier au crucial mais éphémère rôle de Daniel Cohn-Bendit. Avec une distance tantôt amusée tantôt amère, le réalisateur pointe la séduction et l’aporie de « l’idée d’un mouvement sans leader ». Il retrouve sur les visages des manifestants la joie du « visage lumineux » de sa mère deux ans plus tôt. Pourquoi Mai 68 n’a-t-il finalement pas inauguré une révolution ? L’arc mélancolique de ce film obnubilé par « l’intense maintenant » se situe entre les deux titres français emblématiques dont il emprunte aussi des extraits : Le Joli Mai de Chris Marker et Mourir à 30 ans de Romain Goupil. Commentant les possibles origines publicitaires du slogan « Sous les pavés la plage » et le destin tragique de son auteur, Salles préfère s’en remettre aux images, à la subjectivité de ceux qui les ont faites, préférable à la postérité trompeuse des discours. (Charlotte Garson)