Flint (Michigan) est le berceau de General Motors (GM), géant incontesté de l'industrie automobile. Michael Moore y a passé toute sa jeunesse. Dans son entourage, presque tout le monde travaillait pour le célèbre constructeur. Pendant des années, ce fut la prospérité et tous semblaient satisfaits, y compris les membres de l'UAW, le puissant Syndicat de l'Automobile. Mais aujourd'hui, en 1986, c'est la récession. Afin de rester compétitif, GM a décidé de fermer plusieurs de ses usines et de les rouvrir au Mexique, où la main d'uvre est moins chère. 30 000 ouvriers vont ainsi se retrouver sur le pavé. Detroit et Pontiac sont affectés, mais surtout Flint.
Michael, alors journaliste à San Francisco dans une revue où son intérêt pour le social n'était pas particulièrement bien vu, revient dans sa ville afin de tourner un reportage sur la situation. Il s'est aussi donné pour mission de rencontrer Roger Smith, président de GM, et de l'amener à Flint, constater de visu les désastreuses conséquences de sa politique. Mais Roger ne peut être joint ni par téléphone, ni par lettre, ni par fax et le siège de GM à Detroit semble une inexpugnable forteresse. Michael rencontre toutefois Tom Kay, porte-parole de la compagnie et chaud partisan de Roger, ainsi que Herb Slaughter, le responsable des relations publiques, qui l'éconduit sans ménagement.
À Flint, la situation se dégrade. Les anciens quartiers ouvriers à l'abandon sont envahis par les rats. Le shérif-adjoint Fred Ross passe ses journées à expulser les locataires des rares maisons encore habitées. Des célébrités venues de l'extérieur essaient avec cynisme ou naïveté de redonner espoir aux habitants. Les chanteurs Pat Boone (Monsieur Chevrolet dans les publicités télé) et Anita Bryant (originaire de Flint) viennent pousser la chansonnette. Ronald Reagan conseille aux chômeurs d'aller chercher du travail ailleurs. Bob Eubanks, animateur de jeux télévisés, originaire lui aussi de Flint, se livre à quelques plaisanteries douteuses. Kaye Lani Rae Rafko, Miss Michigan, ne voit pas où est le problème (elle n'en a qu'un pour l'instant : se faire élire Miss Amérique). James Blanchard, gouverneur de l'État, est tout aussi évasif. Même Owen Beaver, le président de l'UAW, semble acquis à la cause des patrons.
Entre une garden-party et une séance de golf, les nantis se répandent en louanges sur le charme de leur ville et en sarcasmes à l'égard de ces " fainéants " de chômeurs. Pendant ce temps, le petit peuple tente de survivre. Certains deviennent serveurs de fast-food, représentants à domicile, ou gardiens dans la nouvelle prison construite pour juguler la délinquance. Les édiles locaux cherchent des solutions allant de l'exorcisme (le télévangéliste Robert Schuller) au développement du tourisme (construction d'un hôtel de luxe et d'un parc d'attractions fermés au bout de quelques mois).
Michael, lui, poursuit toujours Roger, de country-club en Assemblée
Générale des actionnaires. La veille de Noël, au cours
d'une soirée, il réussit enfin à lui dire face à
face quelques mots bien sentis.
"Roger et moi" est un documentaire mais relève aussi, malgré la gravité des thèmes abordés, de la comédie sociale.
"Roger et moi" est subversif, excitant, drôle, unique. Il met en scène l'écart entre les possédants, qui tiennent le discours positif et stéréotypé, et les nouveaux exclus qui n'ont plus en face d'eux que la réalité.
Remarquable dans son utilisation du genre documentaire. Il prouve que savoir n'est pas voir : si tout le monde connaît la gravité des problèmes économiques et sociaux liés au chômage et à la délocalisation, personne ne semble connaître la détresse quotidienne de ceux qui en sont victimes.
Son auteur, Michael Moore, fils d'un ouvrier de la General Motors, est un journaliste licencié, qui s'est mis en tête de traiter un problème grave et actuel d'une manière tout à fait inédite. Ignorant tout de la technique cinématographique, sans un sous au départ, Moore s'est courageusement lancé dans une opération insensée. Pour financer son entreprise, il a organisé dans la ville de Flint des séances de bingo qui lui ont rapporté en moyenne trois cent dollars par jour ; il a en outre mis en jeu ses propres indemnités de licenciement et fait appel à des contributions des particuliers. Il a voulu aller à l'essentiel : il a cherché à voir le patron, à lui demander des explications.