De l'eau qui coule encore d'un robinet abandonné dans une rue. Cartons : "C'est un film de mille et une images prises par mille et un Syriens et Syriennes / Et moi". Un enfant nait dans une clinique syrienne, le cordon ombilical est coupé, l'enfant est lavé d'une tasse d'eau. Dans une prison de Syrie, un prisonnier vêtu de son seul slip est frappé pour avoir écrit sur un mur qu'il voulait la chute du régime. On l'oblige à embrasser le portrait de Bachar el-Assad. D'autres cartons disent : "Ses ongles ont été arrachés / C'est arrivé à Deraa. Les proches ont accouru et exigé sa libération./ Oubliez-le dit l'officier. Faites un autre enfant. /Si vous n'y arrivez pas faites venir vos femmes, on vous y aidera".
Et le cinéma fut. Le peuple veut la réforme du régime scande la foule. A bas l'état d'urgence ! Liberté ! Liberté ! Mais un jeune homme est tué dans la rue. Un autre agonise dans un hôpital.
"Le premier martyr". Ce matin là, la caméra de Mohamed fut volée... Et le cinéma fut. Il couru à sa poursuite. Mais le jeune homme est mort avant d'avoir pu entendre le conseil de Mohammed : c'est beau un plan fixe. Le nouveau cinéaste est mort. La nuit Mohammed a rêvé de lui, de lui demandant à ce qu'il filme
"La première nuit". Les manifestants crient pour convaincre l'armée de en pas tirer contre eux, de ne pas tirer contre le peuple.
Mohammed explique dans plusieurs autres petits chapitres séparés par un titre inscrit sur un fond noir qu'en Syrie, les Youtubeurs filment et meurent tous les jours..Ill se sert de leurs images pour montrer leur révolte contre le pouvoir de Bachar el- Assad. Mais les tortionnaires utilisent aussi la vidéo pour montrer leurs exactions : images des tueurs et images des victimes se succèdent. En mai 2011 Mohammed était venu à Cannes tenter de négocier la production d'un film sur son pays. Il n'avait pas eu ensuite le courage de rentrer en Syrie. Il s'était ainsi réfugié dans la capture des vidéos des Youtubeurs.
Et puis un jour, une jeune cinéaste Kurde de Homs tchate Ossama : "Si ta caméra était ici à Homs que filmerais-tu ?". "Tout "répond Ossama, ce qui n'est pas une réponse. Néanmoins, Wiam Simav Bedirxan, une Syrienne Kurde de Homs filme sa rue bombardée, les chats mutilés et affamés qui y courent encore. Elle filme pour celui qu'elle appelle Havalo, son ami, sa propre terreur une fois ses parents partis; elle filme l'école improvisée qu'elle réussit à maintenir un temps pour une vingtaine de syriens avant que les djihadistes n'interdisent cette éducation indifférenciée pour garçons et filles. Elle s'est prise d'amitié pour le petit blasphémateur de cinq ans qui souffre de la mort de son père et vient porter des fleurs sur sa tombe; pour ces enfants qui doivent passer entre les bales des snipers.
C'est l'hiver à Paris comme à Homs. Voila maintenant un an que le premier contact entre Ossama et Simav a été pris. Simas qui
En mai 2014, la ville est de nouveau assiégée et bombardée. Des négociations permettent à Simav de quitter son pays. Elle vient rejoindre Ossama pour la présentation du film, au Festival de Cannes 2014. Elle dit qu'elle va repartir.
Les images recueillies sont souvent terribles : celles des victimes abattues dans la rue et couvertes de sang, celles des policiers frappant violemment leurs prisonniers ou arrêtant des femmes dans la rue. La volonté de faire sens, c'est à dire d'expliciter la complexité des images, du cinéaste est manifeste : ses allusions à Hiroshima mon amour (Resnais 1959), à Dodes' kaden (Kurosawa, 1970) ou l'extrait des Lumières de la ville (Chaplin, 1931), son affirmation de la beauté d'un plan fixe, sa distinction entre images des tueurs et images des victimes.
Il y a même une certaine modestie à se refugier dans l'esthétisation des images lorsque l'on est éloigné du terrain des combats : eau du robinet montée au ralenti, gouttes d'eau en gros plan reflétant les images du monde extérieur qui tombent doucement ; pluie de Paris, surimpression dans le métro parisien près de la station Bastille où le cinéaste habite vraisemblablement. On peut même admettre la fascination pour la pixellisation qui renforce le symbolisme en simplifiant les corps : équivalence entre la fragilité du bébé et la fragilité du corps adolescent torturé ou les plans trés maniérés avec traces blanches d'avion dans le ciel encadrant la lune dans une fenêtre d'appartement.
Plus problématique est le mixage d'un son off sur les images. Le son direct récupéré est souvent sans doute encore plus mauvais que l'image. Le son du tir des armes semble alors souvent ajouté artificiellement, monté dans une volonté de faire sens par rapport aux victimes à terre. L'exigence de Bazin, "montage interdit", lorsque l'on veut décrire la tension vraisemblable dans une séquence, n'est parfois pas respectée; ainsi de l'hélicoptère qui survole les manifestants mais qui n'est jamais montré dans le même plan qu'eux.
En regardant à droite : est-ce l'hélicoptère que fixent les manifestants ? |
La dramaturgie est elle-même sujette à caution. On aurait aimé en savoir davantage sur les transferts des vidéos à partir de Homs assiégé. Une seule fois cela est évoqué et par le son seulement. Etrange également pourrait paraitre la concomitance du film fini et présenté à Cannes et les négociations qui conduisent Simav à assister à sa projection. La version télévisée présentée par Arte s'arrête toutefois avant cet épilogue, contenu dans la seule version cinéma plus longue donc d'une dizaine de minutes. L'épilogue accrédite ainsi cet extraordinaire concours de circonstances.
La volonté de faire œuvre d'art, maniériste et surchargée de musique et de poésie, est tellement explicite qu'elle empêche souvent le film d'être plus que le cri de révolte très maîtrisé d'un cinéaste en exil. C'est toujours du discours off, ou disséminé dans les différents cartons, que vient la réflexion et jamais de la mise en relation des images dont le dispositif rare, impur et sophistiqué avait peut-être de quoi provoquer par lui-même l'interrogation.
Jean-Luc Lacuve le 20/12/2014