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Le vent se lève

2013

(Kaze tachinu). Avec les voix de : Hideaki Anno (Jirô Horikoshi), Hidetoshi Nishijima (Honjô), Miori Takimoto (Naoko Satomi), Masahiko Nishimura (Kurokawa), Mansai Nomura (Giovanni Battista Caproni), Jun Kunimura (Hattori), Mirai Shida (Kayo Horikoshi). 2h06.

Le jeune Jiro dort. Il grimpe sur un toit et accède à son avion en forme d'oiseau. Il vole au-dessus des villes puis de la campagne baignée de soleil. Des nuages soudainement apparus, sort un monstrueux Zeppelin lesté de bombes reliées par des fils et chevauchées par de mystérieux hommes noirs. Jiro n'en croit pas ses yeux, y perd ses lunettes d'aviateur et voit détruire son avion par ces bombes humaines qui vont le faire s'écraser au sol... ce n'était qu'un rêve.

Jiro a besoin de ses lunettes pour trouver ses repères. Il s'en va à l'école où un maître lui donne une revue d'aéronautique en anglais dans laquelle on parle du fameux concepteur d'avions Giovanni Caproni. Sur le chemin du retour, il prend la défense d'un enfant pris à parti par trois garçons bien plus forts que lui. Il n'hésite pas à se battre même si on le traite de "petit génie myope". En rentrant, sa mère le réprimande gentiment en voyant son air de justicier et ses vêtements tachés. Sa sœur voudrait qu'il joue avec elle mais il la dédaigne pour se plonger dans sa revue d'aéronautique. Au-dessus d'un champ d'herbes fleuries, il voit voler les avions italiens de Giovanni Caproni qui vient discuter avec lui et lui montrer ses avions. Giovanni Caproni le rassure : oui, même myope, il pourra devenir ingénieur aéronautique. Beaucoup peuvent piloter mais rares sont ceux qui savent construire de beaux avions. Sa mère le réveille de son rêve. Il lui affirme ainsi sa vocation qu'il confirme à sa petite sœur qui voit des étoiles filantes dans le ciel alors que lui imagine des avions.

Le 1er septembre 1923, Jiro part pour l'université de Tokyo. Le train étant bondé, il laisse sa place à une femme et s'en va lire sur le marchepied du wagon. Le vent est fort et son chapeau s'envole, rattrapé in extremis par une fillette. Jiro remercie la fillette qui est accompagnée de sa gouvernante, Kinu. La fillette lui cite en français "Le vent se lève.. !" auquel il répond en français toujours par la seconde moitié du vers de Paul Valéry "Il faut tenter de vivre..!". Jiro a à peine le temps de se replonger dans sa lecture qu'un tremblement de terre détruit la plaine de Kantô et immobilise le train. Dans la panique, Kinu se brise la cheville. Jiro revient sur ses pas pour lui faire une attelle de secours avec sa règle à calcul. Il la porte sur son dos au milieu du flot de réfugiés fuyant Tokyo menacé par l'incendie. Il accompagne, la fillette, Naoko, chez elle puis s'en va.

En 1927, Jiro est engagé comme ingénieur dans le département aéronautique de Mitsubishi. L'accueil peu chaleureux de Kurokawa n'empêche pas Jiro de se plonger dans le travail et de retrouver en peu de temps le dessin de la pièce qui fixe la voilure du dernier avion en construction. Il reçoit la visite de Kinu, venue lui rendre chemise et règle à calcul mais il ne peut la rattraper. Lorsque sa sœur, qui rêve de devenir médecin, vient lui rendre visite, c'est à peine s'il a le temps de la voir.

En 1932, Mitsubishi concourt pour un avion de guerre de l'aéronavale. Jiro s'y donne à fond. Il est envoyé en Allemagne avec son ami Honjo visiter les usines Junkers. Au retour, son avion est prêt aux essais : il vole.

C'est à la campagne que Jiro se repose. Il y croise Naoko, devenue une belle jeune fille dont il tombe amoureux. Il la demande en mariage mais Naoko voudrait être guérie avant de la tuberculose qui a emporté sa mère. Elle décide de partir au sanatorium. Jiro voit partir un vieil homme cultivé qui lui prédit l'entrée en guerre du Japon.

De retour de campagne, où il avait été envoyé pour se remettre de l'échec du vol de son précédent avion, Jiro rend visite à son collègue et ami, Honjo, qui dessine un bombardier. Jiro dessine le révolutionnaire avion de chasse Zéro. Naoko comprend que Jiro l'oublie et part le retrouver dans son usine. Les Kurokawa les marient. Naoko souffre en silence, tellement heureuse de voir Jiro travailler près d'elle et faire aboutir son projet. Le jour du vol d'essai, elle retourne au sanatorium faisant le désespoir de la sœur de Jiro et de Mme Kurokawa.

Le vol du Zéro est une totale réussite mais l'inquiétude est toujours présente chez Jiro. Caproni a beau être fier de lui, à l'aube de la seconde guerre mondiale, Jiro entraperçoit le désastre à venir, la destruction venue du ciel, les charniers d'avions qui préfigurent les charniers humains. Il est resté fidèle à son rêve de construire un bel avion. Il a perdu Naoko emportée par le vent de la maladie.

Le vers de Paul Valéry, situé au début de la dernière strophe du Cimetière marin, par lequel s'ouvre le film, doit se dire en deux temps. C'est ce que feront Jiro et Naoko leur de leur première rencontre : l'une énonçant en français "Le vent se lève..!" et l'autre le terminant, toujours en français, par "Il faut tenter de vivre...!". La construction du film respecte cette bipolarité en ne cessant d'articuler rêve et réalité et, au sein de chacun d'eux, exaltation et angoisse. Il s'agit ainsi d'un film plein de trous et de bifurcations, d'un film construit sur la pulsion adolescente vers l'amour, l'ambition, la beauté et l'amitié. Miyazaki y exalte la jeunesse, ses espoirs et ses angoisses et laisse au spectateur le soin, dans les articulations de son récit, de mener sa propre réflexion sur la responsabilité morale vis-à-vis du régime impérialiste, fanatique et criminel, dont son héros, forcement tragique, s'exonère dans cette partie de sa vie.

Science sans conscience...

A l'origine de ce long-métrage, il y a une bande dessinée que Miyazaki s'était amusé à dessiner. Elle s'inspire de la vie de l'ingénieur Jiro Horikoshi (1903-1982) admirateur de l'ingénieur italien Giovanni Caproni (1886-1957). Miyazaki s'y réconciliait avec son père, concepteur de pièces aéronautique qui finirent par servir aux avions de guerre nippons. Il ne renonçait toutefois pas à dessiner les hommes sous la forme de cochons ce qu'il ne fait pas pour les femmes. Miyazaki retrouvait les douleurs liées à la maladie de sa mère au travers d'une libre adaptation du roman classique Le vent se lève il faut tenter de vivre du très francophile Tatsuo Hori (1904-1953), paru en 1937, qui évoque l'amour et la mort d'un couple dans un sanatorium et contient, outre la référence à Paul Valéry, celle à La montagne magique de Thomas Mann que Miyazaki reprend.

Miyazaki affuble aussi Jiro de traits physiques et moraux qui lui sont propres. Enfant, c'est un petit génie myope à grosses lunettes et, adolescent, il fume beaucoup. Il a le génie modeste et s'inquiète du retard de vingt ans que l'aéronautique (le dessin animé) a sur l'Amérique. Il accepte le rôle de disciple guidé par un maître (Caproni y joue le même rôle que, pour lui, Takahata) qui lui inculque la de culture européenne (Takahata a une licence de Français) que l'on retrouve ici avec les références à Paul Valéry, Thomas Mann ou Schubert.

Lorsqu'un producteur réussit à convaincre Miyazaki de transformer sa bande dessinée en long métrage d'animation, celui-ci hésita tant il craignait qu'il ne soit pas compris par les enfants auxquels on destine en général ses films. Sans doute craignait-il que, dépeint comme un créateur aveuglé par sa passion et trahi par l'Etat, Jiro Horikoshi semble exonéré de toute responsabilité morale vis-à-vis du régime impérialiste, fanatique et criminel qu'il n'a pourtant pas peu contribué à servir. L'avion qui finira par naître du génie de Jiro et des usines du complexe militaro-industriel japonais sera en effet l'avion le plus élégant mais aussi le plus efficace engin de guerre volant de son époque. Le chasseur bombardier "Zéro" mitraillera les populations civiles et décimera l'armée américaine jusqu'à sa transformation en tombeau par les pilotes kamikazes.

...ne dure que le temps d'un amour tragique

La sagesse suffisante pour mettre en relation science et conscience, Miyazaki l'incarne ici dans le personnage du vieux voyageur allemand, mangeur de cresson, qui a fui son pays et qui, en discutant avec Jiro, le compromettra sans que celui-ci n'en comprenne la raison.

Cette insuffisance de la raison est liée chez Jiro à la passion qui s'empare de lui comme un démon et contre quoi seul son inconscient travaille. Jiro oublie mère, abandonnée hors champ ; sa sœur, systématiquement négligée dans les rares séquences humoristiques, son amour dans le travail. Mais, en contrepartie, rarement un film aura comporté autant de séquences de rêves qui, presque toutes, commencent dans l'allégresse et se terminent dans la terreur et l'échec. Le spectateur, embarqué à son insu dans une séquence de rêve dont il comprend progressivement la nature, s'attend à chaque fois plus nettement à une fin terrible tout comme il perçoit les contrastes entre la beauté idyllique de la campagne traditionnelle et ce qui la menace : bombes anthropomorphes et tremblements de terre aux cris humains.

Jiro est un héros tragique fasciné par une arête de maquereau, par l'image de l'avion traîné par des bœufs, sensible à la main de Naoko qu'il serre quand il travaille à côté d'elle mais qui se trouve déjà dépourvu de tout à la veille du conflit mondial.

Bien loin d'une sage réflexion sur le bien vivre et le bien penser menée par un vieillard, Miyazaki nous livre plus modestement un testament sous la forme d'un héros incomplet dont il nous appartient de compléter la morale à l'aune de la tragédie que nous lui voyons emprunter.

Jean-Luc Lacuve, le 24/01/2014.

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