Paris, 11 novembre 1919, le jour du premier anniversaire de l'Armistice. Paul Renard, un jeune Français, confie à un prêtre qu'il a tué un soldat allemand pendant la guerre, alors qu'il écrivait aux siens. Mais l'absolution de l'Église ne suffit pas à cet homme accablé de remords. Il part pour l'Allemagne afin d'obtenir le pardon de la famille de sa victime. Dans une petite ville de province, le docteur Hölderlin et sa femme vivent avec Elsa, la fiancée inconsolable de Walter, leur fils défunt. La jeune fille repousse les avances de Schultz, un voisin qui espère l'épouser.
Lors d'une visite au cimetière, Mme Hölderlin console une autre mère éplorée. Paul assiste de loin à la scène. Le soir même, alors que la famille dîne, il sonne à leur porte. Puis il se ravise et s'éloigne. Peu après, Elsa, intriguée, le remarque en train de déposer des fleurs sur la tombe de Walter. Il rend enfin visite au docteur Hölderlin. Ce dernier, apprenant sa nationalité, le fait chasser. Mais Elsa arrive à temps pour le reconnaître. Paul prétend que Walter était son ami et décrit leur dernière nuit parisienne. Grâce à son récit, la famille revit de nouveau.
Mais les racontars vont bon train et on soupçonne une histoire d'amour entre Elsa et Paul. À la taverne du coin, les sentiments anti-français de Schultz et de ses amis s'opposent au pacifisme et à l'appel à la tolérance du docteur Hölderlin. Malgré l'amour qu'il porte aux Hölderlin, qui l'ont accepté comme leur fils, Paul décide de partir. En lui confiant ses sentiments, Elsa lui lit la dernière lettre de Walter. Paul la termine de mémoire et avoue la vérité à la jeune fille. Cette dernière, qui l'encourage à ne pas fuir et à accepter l'offre des parents de Walter, l'empêche de leur révéler la vérité. À la veillée, Paul joue avec le violon de Walter et Elsa l'accompagne au piano. Les parents, comblés, songent à la vie meilleure qui les attend.
Seul mélodrame réalisé Lubitsch, L'homme que j'ai tué est un film tout à fait exceptionnel dans sa carrière. Adapté d'une pièce française, ce film permet à Lubistch de retrouver ses racines allemandes. Il retrouve souvent le ton de Le prince étudiant (1927) : des moments de camaraderie avec le sentiment du drame très présent dans l'air.
L'esthétique du début du film est en accord avec la folie qui guette le personnage principal, rongé par les remords d'avoir tué Walter. La caméra s'affole pareillement avec un montage haché entre souvenir de guerre et convalescence difficile et des mouvements de caméra brusques allant chercher un crucifix sous une arche ou un tableau en gros plan. Les gros plans sont d'ailleurs constants : sur des visages, des objets : les sabres sortants des rands de l'église, mouchoirs, pendule, chaise vide de Walter au premier plan, cadre de photo, poignée de main, violon.
Le discours antimilitariste est appuyé : "Enfant nous apprenons l'allemand et Les enfants allemands apprennent le français... Et plus tard nous nous entretuons". Mais cela ne suffit pas à Lubitsch comme ne suffit pas à Paul la première absolution du prêtre auquel il répond. "Mon devoir, de tuer ? Est-ce là la réponse que l'on donne dans la maison de Dieu ? 9 millions de morts et déjà on parle d'une autre qui fera 90 millions de morts, je préfère être fou".
Lubitsch comme Paul exigent plus et vont chercher cette scène folle où le prêtre réfléchit sur son premier discours trop creux et finit par bénir la mission que Paul s'est donné de se rendre en Allemagne.
Le second défi de Lubitsch est de rendre l'histoire amoureuse convaincante. Mais dès leur première rencontre, la sidération d'Elsa de voir celui qu'elle a croisé au cimetière revenu chez elle génère un puissant sentiment qui se transforme naturellement en amour. La famille se trompe évidement sur le sens du "I can't forget him ". Mais Paul lui aussi finit par s'inventer un ami en Walter.
Troisième défi enfin : rendre le pardon et la régénération convaincante après les flots de haine accumulés. Lubitsch procède là subtilement avec la scène célèbre des commérages. Femmes puis hommes ouvrent successives des portes et fenêtres sous tous les angles, bientôt résumées aux carillons que l'on entend off sur les pas des amoureux qui semblent alors ne rien voir et n'entendre rien. Plus tard, Elsa dira les avoir entendues ce qui rend encore plus fort l'isolement de ce couple au sein de leur entourage de haine et de ressentiment.
Même isolement du père lorsqu'il change de camp. Il perd ses anciens amis : "C'est les pères qui ont donné les canons et les balles pour que les fils aillent se faire tuer. Des pères qui boivent à la santé d'enfants morts!". Son off du défilé où le père avait applaudit le départ du fils : "Yes, I killed him", dit-il dans un songe alors que s'efface le son off du défilé et que figure l'arche vide de la porte de la ville sous laquelle disparu son fils. Le premier titre se révèle ainsi bien plus riche que le second. L'échec public du film ayant en effet conduit à changer le titre "The man I killed" en "Broken lulaby".
Belle séquence enfin où Elsa comprend qui est Paul lorsqu'il termine la lettre qu'il avait finie avec Walter dans les tranchées.
Jean-Luc Lacuve le 15/10/2007
Editeur : Bach Films, octobre 2007. Version originale
anglaise sous-titrée Français. Son : Mono.
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Supplément : Entretien avec Patrice Brion, Historien du cinéma.
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