Partie 1 : la mort de Siegfried (Siegfried tod). Siegfried, fils unique du roi Siegmund, quitte son pays pour la Cour des Burgondes à Worms. En chemin, il tue le dragon Lindwurm dont le sang, dans lequel il se baigne, lui confère une quasi invulnérabilité, mais une feuille reste collée à son épaule... À Worms, Siegfried demande la main de Kriemhild, la fille de la reine. Pour cela, il doit ramener de la lointaine Islande la farouche Brünhild et obtenir pour Gunther, frère de Kriemhild, la main de la guerrière. Mais Brünhild n'épousera que celui qui triomphera d'elle en combat singulier. Prenant les traits de Gunther, Siegfried vainc Brünhild et la ramène à Worms, où est célébré la double union de Brünhild avec Gunther et Siegfried avec Kriemhild. Apprenant le stratagème, Brünhild, furieuse, exige la mort de Siegfried. Hagen, vassal de Gunther, découvrant le seul endroit où Siegfried est vulnérable, l'exécute.
Partie 2 : la vengeance de Kriemhilde (Kriemhilds Rache ) Poussée
par le désir de vengeance, Kriemhild quitte Worms et épouse
Etzel, le roi des Huns. À l'occasion de la fête du soleil, elle
fait inviter Gunther et Hagen. Au cours du banquet les Huns massacrent les
Burgondes. Mis au courant, Hagen assassine le jeune fils de Etzel. Commence
alors une effroyable tuerie. Les Huns incendient la salle du banquet; Gunther
et Hagen périssent des mains de Kriemhild, qui meurt tuée par
un vieux serviteur burgonde. Etzel, portant le corps de son épouse,
se précipite avec elle dans les flammes.
Texte repris de Fritz Lang au travail de Bernard Eisenschitz :
"Après le conte romantique des Trois lumières, le rythme effréné de la vie moderne dans Le docteur Mabuse, Lang veut aborder un grand cycle médiéval. Il annonce d'abord Le roi Arthur et les chevaliers de la table ronde puis son choix s'arrête sur Les Nibelungen. Cette légende s'inspire d'éléments historiques du cinquième siècle comme le mariage d'un mérovingien avec une princesse burgonde, la mort d'Attila lors de sa nuit de noce, la destruction de l'empire burgonde par les francs. Filtrés par des chants héroïques burgondes, francs et des versions nordiques, il en est sorti vers 1200, un des premiers textes littéraires de la langue allemande. Depuis le XIXe siècle, Les Nibelungen sont revendiqués tour à tour par les romantiques, les révolutionnaires, les républicains et les nationalistes. Les opéras de Richard Wagner ont fait connaître la légende dans le monde entier. A ses débuts, Théa von Harbou a tenu le rôle de Krimhild dans les Nibelungen, tragédie allemande en trois parties de Friedrich Habbel mise en scène par Jürgen Felhing.
"Ce qui m'intéressait dit Fritz Lang, c'était de faire vivre une saga allemande d'une manière différente de l'opéra wagnérien. Dans Les Nibelungen, j'ai voulu montré quatre univers différents. D'abord un monde de conte : la forêt primitive où vivent le difforme Mime qui apprend à Siegfried à forger son épée, le dragon, le royaume souterrain d'Alberic avec le trésor des Nibelungen. Deuxièmement, le château enveloppé de flammes de la reine Amazone d'Islande Brunhilde. Troisièmement le monde stylisé, légèrement décadent et trop civilisé sur le point de se désintégrer des rois Burgondes qui ont changé leur nom en Nibelungen après s'être emparé du trésor. Et enfin le monde sauvage des Huns et leur choc avec celui des burgondes."
Pour s'éloigner de la version wagnérienne officielle, Fritz Lang, peintre de formation s'inspire ici plus que dans aucun autre de ses films des arts plastiques. "Je tenais, dira-t-il, à montrer des visages gothiques comme le chevalier de Brandberg. Fritz Lang se dit influencé par le tableau de Böcklin, Le silence dans la forêt. Lang et ses décorateurs s'inspirent aussi de Gaspard David Friedrich et d'artistes du tournant du siècle, Julius Diez, ancien professeur de Lang à Munich, Hans Thoma, Max Klinger. Il y a surtout un livre de 1909 où les Nibelungen sont résumés en allemand moderne. Cette édition est dédiée "au peuple allemand" par l'autrichien Keim et illustré par un artiste autrichien du groupe de la Sécession, Carl-Otto Czeschka. Une légende héroïque mais plus de dieux comme chez Wagner, des hommes. Ce volume luxueux de 60 pages seulement constitue sans doute la plus forte influence sur la conception dramatique et plastique du film. Lang, viennois, lui aussi partage l'attention de Czeschka à la vie médiévale, à ses constructions et ses costumes stylisés au travers du filtre de la Sécession.
La production commence au milieu de 1922 et se poursuivra au-delà de l'année suivante. La fin du deuxième film sera tournée alors que le premier est déjà sorti. Les opérateurs Carl Hoffmann et Günther Rittau, le compositeur Gottfried Huppertz, le peintre Paul Gerd Guderian, responsable des costumes qui meurt âgé de 24 ans en cours de tournage, les décorateurs Otto Hunte, Erich Keltelhut, Karl Vollbrecht dont l'équipe va réaliser le dragon, le maquilleur Otto Genath qui s'inspire parfois des masques du théâtre juif russe; tous ces techniciens sont présents dès les réunions préparatoires au domicile des Lang.
L'acteur Hans Adalbert Schlettow qui interprète Hagen, l'assassin
de Siegfried est engagé pour six mois d'août 1922 à février
23 mais les dernieres prises de vue seront effectuées plus d'un an
après cette date limite. Son salaire, suivant l'inflation, passe de
20 000 marks mensuels à 4 millions avant d'être convertis en
mark or dont l'unité vaut un quart de dollars.
Le tournage suit le cours des saisons. Lang exige des fleurs réelles pour la mort de Siegfried. Le décorateur Karl Vollbrecht doit donc planter de l'herbe et semer des fleurs dans le décor. Plus tard, dans la deuxième partie où Krimhild recueille la terre qui a reçu le sang de son époux, le plateau profite de chutes de neige réelles.
Un jeune décorateur anglais vient en visiteur et en collègue sur le plateau des Nibelungen. Alfred Hitchcock raconte : "ils avaient un grand plateau en extérieur long de 120 mètres large de 60, le sol recouvert de terre. Sur les parois latérales, des échafaudages s'élevaient jusqu'à trente mètres avec des praticables de trois mètres de profondeur". Hitchcock fera détruire le décor pour un escalier dans son film The blackhard
Tous les effets spéciaux sont fait dans la camera car l'Allemagne ignore encore les effets spéciaux obtenus à l'aide de la Truca. L'arc-en-ciel qui ouvre le film est simplement dessiné à la craie sur du papier noir et surimperssionné à la scène. Mais la mer de flammes implique déjà une maquette à quatre niveaux. L'aurore boréale est une rétroprojection, le château un modelé de 50 cm posé sur de l'amiante, les flammes étant produites par un mélange de stéarine et de benzine épais de 5 cm. Le rêve du faucon est un film d'animation abstrait que Lang a commandé au peintre et cinéaste d'avant-garde Walter Ruttman. Lorsque les nains qui gardent le trésor se pétrifient un système de miroirs, le célèbre "procédé Schüfftan" est utilisé pour la première fois. Un miroir est placé devant la caméra à un angle de 45 degrés par rapport à l'axe. Des objets placés sur le côté se reflètent dans le champ pour se combiner avec la scène qui se déroule devant la caméra. Le tain du miroir est retiré pour filmer cette scène tandis que la partie reflétante renvoie à des maquettes à échelles réduites. Les deux objets filmés se combinent directement sur la pellicule. Le miroir Schüfftan permet des mouvements et, manipulé avec habileté, des métamorphoses progressives d'un objet ou d'une personne en une autre. La difficulté consistant à délimiter les zones à couvrir et à découvrir de manière à ce que la transition soit invisible.
Le clou du film est le dragon. Erich Keltelhut a proposé d'aborde filmer un grand lézard vivant dans un décor et de ne construire que la tête grandeur nature. Lang veut un dragon en grand format. Otto Hunte dessine le monstre. Erich Keltelhut prépare les dessins techniques, Karl Vollbrecht veillant à l'exécution. Erich Keltelhut déclare : "Le dragon mesurait seize mètres environ. Il était animé par-dessous, il reposait sur deux plaques de fer et était fixé sur un rail. Six ou huit hommes le faisant s'avancer sur ce rail. Sa carcasse était formée de cercles de fer. Quatre hommes était dans chacune des pattes. Deux était à l'avant pour déplacer la tête, les yeux et la gueule."
Enchainement inéluctable de causes et d'effets, des plans mûris qui produisent l'effet contraire de celui calculé, un conte de haines, meurtres et vengeances; Lang n'a guère d'estime pour ces allemands qui ont une conception meurtrière de la parole donnée, où le christianisme primitif est moins fort que les cultes plus anciens qui, au nom des serments passés, excusent lâchetés, viols, assassinats et mensonges. Le personnage de Siegfried représente une jeunesse et un code moral qui s'oppose à cette conception criminelle de l'honneur. Intrigues et trahisons condamnent à mort ce héros un peu niais. "Il est facile, dira Lang, d'être un héros quand on se rend invisible et on peut sans doute excuser Siegfried de se servir d'une ruse pour attirer la reine vierge Brunhilde dans le lit conjugal de Günter. Mais il est tout à fait impardonnable de ne pas savoir la boucler et de se vanter de son exploit auprès de sa femme, Krimhild. C'est cette vantardise qui est à l' origine de la destruction finale."
Symétrique du premier volet, La vengeance de Krimhild montre un long enchainement de meurtres dictés par la loi du talion qui mène à un anéantissement général. Les seuls sentiments humains sont le fait des deux héros dits sauvages. Brunhilde qui meurt d'amour pour Siegfried qui lui a menti et Attila dont la loi est l'hospitalité et par-dessus tout l'amour paternel. Ainsi ne faudrait-il pas surestimer les intentions nationalistes que l'on a attribué après coup aux auteurs. En revanche, rien n'empêchera les nationalistes de s'annexer les Nibelungen offerts au peuple allemand avec l'assentiment la UFA qui y a englouti des sommes énormes.
Gustav Stesemann, dirigeant respecté du gouvernement de grande coalition, assiste à la première de Siegfried. Neuf ans plus tard, le 28 mars 1933 (un mois après l'incendie du Reichstag), Josepg Goebbels convoque le cinéma. Il cite Les Nibelungen comme exemple des films de l'avenir. Le lendemain, Lang disparait de la vie publique. Le 29 mai, la UFA sort une version sonorisée, baptisée La mort de Siegfried. Lang n'assiste pas à la première. Son départ définitif d'Allemagne est attesté en juillet. On a dit que la géométrie des mouvements de foule dans Siegfried a inspiré les spectacles de masse du nazisme. Est-ce bien sûr ? Toujours est-il que La vengeance de Krimhild, qui montre comment les luttes des puissants mènent, inexorablement à la catastrophe ne sera plus montré durant l'ère nationale socialisme. Brecht dira "Malheur au peuple qui n'a pas besoin de héros Non. Malheur au peuple qui a besoin de héros. (La vie de Galilée)".
Source :
Fritz Lang au travail de Bernard Eisenschitz. Editeur : Cahiers du cinéma (octobre 2011). Collection : Beaux livres. Relié : 272 pages au format 25 x 29, 380 illustrations couleur et noir et blanc. 60 €. |