Dans un futur assez proche, Alex et ses droogs, Georgie, Dim et Pete, réunis au milk-bar Korova, se creusent le rassoudok au sujet du programme de leur soirée. Le lait enrichi de vellocet, de synthemesc ou de drencrom les surexcite et les rend apte à l'ultra violence. Sur les quais, ils rencontrent un vieux kroumir, poivrot crasseux et saoul, qu'ils tabassent. Dans un casino délabré, ils attaquent Billyboy et ses quatre droogs qui s'apprêtaient à un petit coup de va-et-vient avec une jeune devotchka qui chialait. Ils font ensuite les chauffards, la nuit, dans une Durango 95 qui ronronne horrorcho, obligeant à aller au fossé ceux qui les croisent. Ils rendent ensuite une visite surprise aux occupants d'une maison, choisie au hasard, pour de l'ultra-violence à gogo. Ils font ainsi croire à la nécessité de téléphoner après un accident supposé pour entrer chez un riche écrivain, Frank Alexander, qu'ils tabassent et dont ils violent la femme sur l'air de Chantons sous la pluie. Rincés après cette soirée, ils la terminent au milk bar Korova pour un dernier verre. Une devotchka chante l'ode à la joie de la neuvième de Beethoven et déclenche le rire de Dim. Alex, pour qui la neuvième de Beethoven est sacrée, le frappe. Dim reproche à Alex de lui casser les yarblock. Alex se menace d'un combat singulier au nozh. "Doubidoub" répond Dim qui préfère sagement rentrer chez lui et piquer un petit spachka.
Alex rentre chez son papa et sa maman dans l'immeuble municipal au 18 A, alignement Nord. Il libère son boa, écoute la neuvième en ayant des visions de jeune mariée pendue, d'explosions, de lui-même en Dracula. Le matin, sa mère le réveille mais il prétexte d'avoir mal au gulliver pour échapper à l'école. M. Deltoïd, de l'éducation pénitencière, vient le voir pour l'agression sur Billyboy mais ne l'arrête pas par manque de preuves. Chez le disquaire, Alex drague deux filles qu'il ramène chez lui et avec lesquelles il fait l'amour. Les droogs sont mécontents de son retard au milk-bar Korova. Georgie, secondé par Dim, décide qu'il sera dorénavant le chef et qu'ils penseront à gagner davantage d'argent. Alex s'en dit très horrocho mais, sur le chemin du milk-bar, tabasse Georgie en le jetant à l'eau et, avec son poignard canne, coupe la main de Dim. Alex accepte alors le coup projeté par Georgie : attaquer une femme solitaire entourée de ses chats. Alex parvient à entrer mais en utilisant le même prétexte que la veille dont le journal s'est fait l'écho, il éveille la méfiance de la femme aux chats qui appelle la police. Entretemps, Alex entre chez elle et la tue avec un pénis de plâtre. Alors qu'il va s'enfuir à l'approche de la police, ses droogs, qui ne lui ont pas pardonné la correction reçue, l'assomment avec une bouteille de lait.
Alex est arrêté et passe deux ans en prison où il est l'assistant du prêtre. Il fantasme sur les coups de fouets que les romains infligent au Christ et sur les bacchanales et violences de l'ancien testament. Il fait semblant de vouloir être bon à tout prix pour bénéficier du nouveau traitement Ludovico dont il a entendu parler. Le prêtre lui explique que le bien vient du dedans, qu'il est le résultat d'un choix. L'homme qui ne peut plus faire ce choix n'est plus un homme lui dit-il. Alex affirme en vain qu'il veut être bon. La visite du premier ministre, qui veut par ce nouveau traitement désemplir les prisons, est pour Alex une seconde occasion. Il se fait remarquer du ministre et devient le cobaye désigné pour la cure de décriminalisation et de désexualisation.
Le traitement provoque paralysie, terreur vomissement, sentiment d'impuissance, de mort et d'étouffement lorsqu'il est associé aux images de la violence : coups, viols, défilé de Nuremberg, bombardements, destructions. Par inadvertance, le traitement provoque aussi le dégout de la neuvième de Beethoven qui sert de musique de fond à un documentaire sur la barbarie nazie.
On rend sa liberté à Alex après une dernière épreuve publique où il lèche les bottes de l'homme qui vient de le rosser et où il est incapable de répondre à l'appel d'une fille nue qui s'offre à lui.
Libéré après ces quinze jours de cure, Alex fait la une des journaux. Sa libération surprend ses parents qui hébergeait un locataire, Joe, qui profitant de la faiblesse d'Alex lui fait la morale et le chasse de chez lui. Sans défense, Alex erre sur les bords de la Tamise et pense au suicide. Le vagabond qu'il avait tabassé, avec ses droogs le reconnait et fait battre par ses compagnons clochards. La police le sauve mais il s'agit de Pete et Dim qui se sont décidés à devenir adultes. Ils l'emmènent à la campagne pour le frapper, le noyer presque, à l'envie. Alex trouve refuge sans s'en rendre compte chez l'écrivain Frank Alexander dont il avait violé la femme. Celui-ci est désormais protégé par Julien, un impressionnant garde du corps.
Frank veut prouver que le totalitarisme conduit au suicide. "Il y a une tradition de liberté à défendre dit-il à ses amis politiciens de gauche. La liberté est un tout mais le grand public s'en contrefiche. Il vendrait sa liberté pourvu qu'il vive en paix. Il faut convaincre le peuple". Alex avoue ne plus pouvoir écouter la neuvième, s'avoue déprimé, n'avoir aucune confiance en l'avenir et pressentir le pire. Drogué par Alexander, il s'écroule affectivement. Il se réveille avec des nausées et comprend qu'il est condamné à écouter la neuvième de Beethoven à fond. Sans autre solution, il se jette alors par la fenêtre.
A hôpital, Alex découvre qu'il fait de nouveau la une des journaux ayant mis le gouvernement au bord de la démission avec son expérimentation barbare non contrôlée. Une psychiatre vient toutefois vérifier que l'accident a totalement déconditionné Alex dont les pulsions sexuelles et violentes sont de nouveau désinhibées. Le premier ministre vient lui demander de déclarer qu'il n'est plus conditionné, qu'il est son ami et qu'il a été manipulé par l'opposition. "L'opinion publique est mouvante par nature", affirme le ministre. Avec l'aide d'Alex, auquel il donnera ce qu'il voudra, il se fait fort de retourner l'opinion.
Alors que cadeaux et journalistes arrivent en force dans sa chambre d'hôpital, Alex entrevoit la possibilité de faire l'amour à l'envie aux femmes les plus belles sous le regard approbateur de la société. "Oui j'étais guéri pour de bon", peut-il affirmer.
Orange Mécanique parle de l'immoralité qu'il y a à priver un homme de sa faculté de choisir librement entre le bien et le mal, même si cela est fait dans l'intention d'améliorer la société pour réduire la vague de criminalité. D'autre part, il fait la satire de la tentative du gouvernement de gagner l'adhésion populaire sans croire à quoi que ce soit. Il se soumet ainsi à ceux pour qui le mal est une jouissance.
Orange mécanique : l'homme mécanique décervelé.
Dans l'avenir proche où se situe le film, les personnages parlent le Nadsat, vocabulaire inventé par Burgess à partir de mots anglais et russes mais aussi malais. Burgess a en effet travaillé en Malaisie, où "orang" signifie "être humain". "Clockwork" désigne en anglais un mécanisme d'horloge. Le titre du film pourrait donc signifier "L'homme mécanique" mais avec cette connotation d'étrangeté inquiétante, de décervelage, qui est l'état d'Alex après sa thérapie, une sorte de coucou d'horloge suisse qui sort de sa boite de façon mécanique.
La thérapie Ludovico s'inspire des théories comportementalistes, très en vogue dans les pays anglo-saxons, consistant à éduquer le comportement de ceux qui sont considérés comme déviants selon les normes admises par la société sans se soucier des origines du dysfonctionnement. Cette méthode permet d'obtenir des résultats qui fonctionnent peut-être en apparence mais qu'un nouveau traumatisme (comme la tentative de suicide d'Alex) peut aussi effacer.
Le ministre est, de toute évidence, un tory qui cherche d'abord à désemplir les prisons à moindre coût sans se soucier, d'une part, de la cruauté de la thérapie et, d'autre part, de l'atteinte à la valeur fondamental de l'être humain : son libre arbitre.
L'attitude morale vis-à-vis de la violence est en effet exprimée par le prêtre au cours du film. Le prêtre explique à Alex que "le bien vient du dedans. Il est le résultat d'un choix. L'homme qui ne peut plus faire ce choix n'est plus un homme".
A l'autre bout de l'échiquier politique, les amis de Frank Alexander, l'écrivain représentent l'opposition radicale d'extrême gauche. Il dit que le peuple doit être mené, conduit poussé "Il y a une tradition de liberté à défendre dit Frank. La liberté est un tout mais le grand public s'en contrefiche. Il vendrait sa liberté pourvu qu'il vive en paix. Il faut convaincre le peuple." cette certitude d'avoir raison ne s'embarrasse pas de morale : Alex est drogué et poussé au suicide.
La jouissance du mal
Au travers d'Alex c'est la jouissance du mal à l'état pur qui est mise en scène. La scène avec les deux filles est filmée en accéléré pour montrer une rencontre sexuelle sans passion physique ni amour mais sachant varier l'ensemble des combinaisons possibles. Les coups donnés (au clochard, aux droogs) ou échangés (avec Billyboy) sont une véritable source de jouissance tout comme les séquences fantasmées (mariée pendue, Dracula, mur s'écroulant sur des victimes). La plupart des scènes d'action sont filmées caméra à la main (le viol de madame Alexander, la lutte avec la femme aux chats). La scène de tabassage des droogs et la vision finale sont filmées en ralenti pour les magnifier.
Les trois premières séquences (Le milk bar, le poivrot tabassé, le viol par Billyboy dans le casino) utilisent un travelling arrière qui part d'un gros plan et qui lentement découvre le décor comme pour théâtraliser cette violence. Mais c'est surtout la musique, Chantons sous la pluie chez Alexander et la neuvième de Beethoven, souvent arrangée au synthétiseur qui donne un côté allègre à la violence.
Alex n'est pas attiré par l'argent, il vole et frappe pour assouvir ses pulsions mais ne cherche pas à amasser. C'est ce dont lui font reproche ses droogs. En s'alliant au pouvoir politique, ses pouvoirs vont être renforcés.
La conclusion montre en effet l'alliance entre le voyou et les autorités. Le gouvernement utilise désormais la violence des pires membres de la société pour ses propres fins : l'alliance avec Dim et Georgie qui sont devenus des policiers et bien sûr avec Alex. Une nouvelle fois chez Kubrick, ce que le cerveau, le cerveau social, a voulu s'est retourné contre lui.
La phantasme final d'Alex peut aussi toutefois s'interpréter comme un nouvel âge d'or pour la célébration du sexe fou (à défaut d'amour fou), du déchaînement des passions comme dans L'âge d'or de Bunuel qui ne serait cette fois plus condamné par la société puisqu'elle en applaudirait la célébration.
La société réelle de 1971 ne s'y est, elle, pas trompée : protestant et menaçant Stanley Kubrick jusqu'à son domicile anglais pour l'apologie de violence dont il lui semblait qu'il faisait preuve. Pour protéger sa famille, Kubrick demanda à la Warner de retirer le film des salles de cinéma britanniques. Fait unique, la société de production obtempèra et le film fut retiré de l'exploitation en dépit de son grand succès. Ce n'est qu'en 2000, après la mort de Kubrick, que le film est à nouveau projeté au Royaume-Uni.
Jean-Luc Lacuve, le 29/05/2011
Variation par rapport au roman de 1962 : Burgess a rajouté un chapitre supplémentaire à son livre (sous pression de l'éditeur ?) avec une fin optimiste. Kubrick a été scandalisé par cette fin et en est resté à la première version. Chez Burgess, l'action est davantage située dans le futur. Dans le livre, la femme aux chats est beaucoup plus âgée, ici elle remplit la même fonction, elle est très antipathique. Suppression de la séquence du meurtre dans la prison, le film étant déjà très long. Alex n'est plus un adolescent car impossible de trouver un acteur de 16 ans pour le rôle.
L'essentiel du film est tourné en décor naturel sauf le Korova Milk bar, l'entrée et la salle de bain chez les Alexander et le vestiaire de la prison, construits dans une usine désaffectée. Le costume d'Alex est dû à l'acteur Malcolm McDowell qui proposa sa tenue de cricket blanche avec la coquille, un chapeau melon associé aux financiers de la city et les faux cils pour le seul il droit. Kubrick approuva aussi l'air de Chantons sous la pluie fredonné par l'acteur dans la répétition lorsqu'il lui demanda de danser pour donner les coups contre les Alexander. Le culbuto de plâtre est une innovation de Kubrick et les tableaux de la femme aux chats sont de sa femme.
Alex dit à Alexander et ses amis que la neuvième a été associée durant son traitement aux images des camps de la mort. Dans le film, on ne voit cependant pas ceux-ci. Dans le contrechamp sur les yeux exorbités d'Alex demandant que Beethoven ne soit pas associé à "ça", c'est un défilé nazi que l'on voit.