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The third murder

2017

(Sandome no satsujin). Avec : Kôji Yakusho (Misumi), Masaharu Fukuyama (Shigemori Tomoaki), Isao Hashizume (Shigemori Akihisa, son père), Aju Makita (Shigemori Yuka, sa fille), Shinnosuke Mitsushima (Kawashima Akira, son assistant), Mikako Ichikawa (Sasabara Itsuki, la procureure) , Izumi Matsuoka (Hattori Akiko, la secrétaire), Suzu Hirose (Sakie), Hajime Inoue (Ono Minoru, le juge), Kôtarô Yoshida (Settsu Daisuke) . 2h04.

Un homme tue brutalement, à coups de marteau, l’homme qui le précède sur les bords du fleuve Tama. Il l’asperge ensuite d’essence et le brule. Bientôt Misumi est arrêté pour avoir tué son patron.

Shigemori Tamoaki, un avocat réputé, accepte de reprendre le dossier  de son confrère, Settsu Daisuke, qui désespère de sauver ce prisonnier accusé de vol et d'assassinat. Misumi risque la peine de mort. Il est en effet récidiviste ayant purgé une peine pour homicide de deux usuriers il y a trente ans. La tâche de Shigemori est d'autant plus compliquée que Misumi a reconnu sa culpabilité.

Shigemori commence son enquête avec Kawashima Akira, son assistant, en se rendant sur les lieux du crime, au bord du fleuve Tama où le cadavre a été retrouvé. Le corps calciné a laissé, noircie, une forme de croix. Ils croisent une adolescente qui boite de la jambe droite. Lorsque, Shigemori se rend dans la famille de la victime pour remettre la classique lettre de regrets de Misumi, il est interloqué de retrouver la jeune boiteuse, Sakie. Sa mère se monter fermée et  déchire la lettre.

En se rendant chez la procureure pour examiner les pièces à conviction, Shigemori découvre que le portefeuille porte des traces d’essence, preuve qu’il a été retiré tardivement du corps de la victime. Il explique à sa secrétaire qu'il va pouvoir plaider le meurtre suivi de vol et non l’inverse. Si la préméditation ne peut être retenue, Misumi  pourra sauver sa tête.

Mais Misumi, ne lui facilite pas la tache. Les journaux font leur gros titre de l'interview qu'il a donné à un magazine : c’est la femme de la victime qui lui a commandité le crime. Misumi a même des preuves : un mail de la femme lui demandant d’exécuter l’affaire sous les quinze jours et une belle somme d’argent sur son compte.

Dans le même temps, la fille de Shigemori, Yuka, a été arrêtée pour vol dans un magasin.  Shigemori vient la tirer de ce mauvais pas. Yuka a versé une larme au moment où il s’est excusé auprès du vigile d’être trop absent, pris par son métier et en instance de divorce. Yuka lui révèle que cette larme n’est qu'un truc pour émouvoir. Si elle l’a choisi, plus que sa mère pour venir la chercher, ce n’est que parce qu'il est avocat.

Shigemori s'intéresse ensuite au passé de Misumi, et fait le voyage jusqu'aux lieux de sa jeunesse, la froide région d'Hokkaido où les cerisiers fleurissent tardivement.

Ce lent travail de détective amène peu à peu l'avocat à douter de la culpabilité de son client. Mais pourquoi s'obstine-t-il à la revendiquer ?...

Les films de procès sont souvent longs et ennuyeux avec leurs coups de théâtre à répétition. Ici, en décentrant l'intrigue sur deux pères et leurs deux filles (plus une de substitution), Kore-Eda parvient une nouvelle fois à émouvoir.

La mince protection de la technique rationnelle

Shigemori doit sa réputation à une technique de  défense, purement pragmatique. La vérité ne l’intéresse pas car souvent inaccessible. Il préfère se baser sur ce qu’il y a de "meilleur pour le client". Il est pourtant soumis aux coups de boutoir de Misumi qui change sans cesse de déclaration : meurtre commis pour vol, puis par vengeance, puis commandité par la femme de la victime, puis par dégoût de la contrefaçon à laquelle se livrait son patron… puis en niant sa culpabilité ; Shigemori  en est alors arrivé à la conclusion qu’il évite ainsi à Sakie de déclarer publiquement que son père la violait.

Shigemori qui s'était jusqu'alors protégé par une technique rationnelle est soumis aux interrogations métaphysiques qu'il avait jusqu'alors rejetées. Il se confronte à son jeune collègue encore plein de l’idéalisme d’une recherche de la vérité. Il se confronte à son propre père, ancien juge qui a prononcé une condamnation indulgente de Misumi lors de ses premiers crimes. Il était alors influencé par les théories sociologiques de l'époque selon lesquelles le criminel est le produit de la société. Il se confronte à la procureure qui l’accuse de ne pas laisser les criminels affronter les conséquences morales de leurs crimes. Il se confronte enfin à  l'accusé lui-même qui oppose son libre arbitre à ses échafaudages conceptuels, en revendiquant sa culpabilité, puis en la niant, se sacrifiant alors pour protéger Sakie jusqu’au bout.

Ces coups de boutoir agissent sur l’inconscient de Shigemori : il est sensible aux croix tracées sur le sol, celle calcinée de la victime, celles des oiseaux que Musumi a enterré sachant qu'il allait en prison pour longtemps. Dans un rêve, Il voit se superposer les visages  Musumi et Sakie, tachés de sang, comprenant que l’un à tué le père de l’autre pour la protéger de ses viols. Enfin, en partance pour Hokkaidō dont il est originaire, il se souvient d’une bataille dans la neige avec son père et sa fille, moment de grâce, d'accord parfait entre les trois générations.

L’enfance sacrifiée

Shigemori est appelé pour sortir sa fille, Yuka, des griffes d’un vigile qui l’a surprise en flagrant délit de vol. Il espère à la vue de la larme qu’elle verse, qu’elle lui en est reconnaissante. Elle lui révèle pourtant que ce n’est qu'un truc, un mensonge de plus qu'elle utilise comme lui-même utilise ses techniques d‘avocat. l’époque du sentimentalisme dans laquelle Shigemori se berçait est bien finie. D’ailleurs lui même s'inquiète du prix peu élevé de l'appartement mis en vente suite à son divorce.

Néanmoins sa mauvaise conscience vis à vis de sa fille qu'il ne sait protéger, le rend sensible à la détresse de Sakie. Celle-ci versera une larme identique à celle coulant sur la joue de Yuka mais bien réelle cette fois. Non seulement elle boite de naissance puis suite à un accident où elle a sans doute tenté d’échapper à son père qui la violait mais elle en veut à sa mère qui le sachant n’a rien fait et n’a peur que des malversations économiques de son mari qui l’empêcheriaent de toucher l’ragent de l’assurance.

À la manière de Rashomon, Kore Eda a taillé son film en facettes qui réfractent une humanité délabrée mais, cette fois, sans rayon de soleil final.Toutefois, pris en plongée à la croisée de différentes routes, le dernier plan suggère que Shigemori s'est défait de sa carapace de rationalité.

Jean-Luc Lacuve, le 24 avril 2018

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